Tribunal de première instance, 12 décembre 1996, Société Domino's Pizza c/ H. et Société H. et Compagnie

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Abstract🔗

Concurrence déloyale

Procédé fautif - Créant confusion dans la clientèle - Convention de Paris du 20 mars 1883

Résumé🔗

L'action en concurrence déloyale, exercée par la société Domino's Pizza à l'encontre des défendeurs trouve son fondement dans les principes de la responsabilité pour faute prouvée, ressortant des dispositions de l'article 1229 du Code civil, et obéit dans le domaine des relations commerciales à un certain particularisme tiré notamment de la nécessaire constatation d'un procédé déloyal excédant ce que ne saurait autoriser la liberté du commerce.

Dans la mesure où la société demanderesse se réfère à des actes déloyaux susceptibles de créer la confusion avec sa propre marque, il doit être fait référence à la Convention de Paris du 20 mars 1883, révisée, et rendue exécutoire à Monaco par ordonnance du 29 octobre 1975, laquelle qualifie d'acte de concurrence déloyale tout acte concurrentiel contraire aux usages honnêtes en matière industrielle ou commerciale et interdit notamment les faits quelconques de nature à créer une confusion par n'importe quel moyen avec l'établissement, les produits ou l'activité industrielle et commerciale d'un concurrent.

En l'espèce s'il existe, à l'évidence, entre les deux parties une clientèle potentielle commune dans le secteur de la distribution alimentaire à domicile, néanmoins l'une a son siège en Principauté, alors que le plus proche établissement exploité par Domino's Pizza est situé à Paris. Par ailleurs la marque « Mikado's », déposée et utilisée par les co-défendeurs apparaît n'avoir point de rapport avec le mot « Domino's » aussi bien quant au sens du terme, à sa consonance, qu'à son symbole, de sorte que l'on ne saurait en induire une quelconque confusion.

De surcroît à supposer que les pratiques des défendeurs s'apparentent à des actes de concurrence, l'existence d'un préjudice caractérisé par un détournement de clientèle serait à démontrer, or elles n'ont pu, en tout état de cause, induire aucune perte de clientèle puisque la société demanderesse n'occupe pas de manière effective le marché local.


Motifs🔗

Le Tribunal

Considérant les faits suivants :

La société de droit américain dénommée Domino's Pizza, qui exploite aux États-Unis d'Amérique une activité de vente à domicile de biens alimentaires, notamment des pizzas, utilise depuis l'année 1975 la marque de fabrique à la fois figurative et nominative « Domino's Pizza », laquelle comporte le dessin de deux dominos placés verticalement et la mention suivante :

« nobody delivers better », le tout ayant fait l'objet d'un dépôt au service de la protection industrielle des États-Unis ;

En l'état de ce dépôt, et exposant avoir appris qu'un commerçant utilisait dans la Principauté de Monaco tant ladite marque que son nom commercial, la société Domino's Pizza obtenait le 30 août 1991 une ordonnance par laquelle elle était autorisée à procéder à une saisie-contrefaçon dans les locaux où J.-L. H. exerçait le commerce à Monaco sous l'enseigne « French Domino's » ;

L'huissier ayant alors constaté que les dépliants publicitaires distribués par J.-L. H. portaient un dessin représentant un domino rouge vertical avec trois points blancs, ainsi qu'un rectangle bleu vertical sur lequel se trouvait mentionnée la marque French Domino's, ou encore celle de Domino's Pizza ou Domino's China, la société américaine saisissait le Tribunal de première instance sur le fondement de l'article 29 de la loi n° 1058 du 10 juin 1983 ;

Cette juridiction, statuant le 14 janvier 1993, rejetait l'action en contrefaçon intentée par la société Domino's Pizza à l'encontre de J.-L. H. et déboutait celle-ci des fins de sa demande d'annulation de la marque déposée sous le n° 9013472 ;

Par arrêt du 31 mai 1994, la Cour d'appel confirmait le rejet de l'action en contrefaçon engagée à l'encontre de J.-L. H. mais condamnait celui-ci et la société H. et Cie à payer la somme de 50 000 francs de dommages-intérêts à la société Domino's Pizza et ordonnait l'annulation de l'inscription du dépôt n° 9013472 auprès du service de la propriété industrielle, relatif à la marque « Domino's Pizza » ;

Par ailleurs, J.-L. H. procédait volontairement à la radiation des deux autres inscriptions relatives aux marques « Domino's China » et « French Domino's » ;

J.-L. H. déposait cependant, le 3 octobre 1990, auprès du service de la propriété industrielle de Monaco un dessin et une marque comme étant de son invention personnelle, mais comportant selon la société américaine de nombreux éléments susceptibles d'entraîner avec sa propre marque une confusion dans l'esprit du consommateur, et ce, tant par la consonance de la dénomination employée que par la forme et le graphisme de l'emblème correspondant ;

Attendu que c'est en l'état de tels faits et circonstances que la société Domino's Pizza a fait assigner, selon exploit du 28 mars 1995, J.-L. H. et la société J.-L. H. et Cie en demandant qu'il plaise au Tribunal :

« Constater que l'exploitation par les requis de leur activité commerciale par utilisation de logos, dessins, formes, couleurs et appellation voisins de la marque Domino's Pizza, constitue des actes de concurrence déloyale et fonde la requérante à voir réparer son préjudice patrimonial et commercial,

Condamner en conséquence les requis solidairement et conjointement à payer la somme de 2 millions de francs à titre de dommages-intérêts,

Dire que les requis devront à compter du jugement à intervenir et sous peine d'astreinte de 2 000 francs par jour de retard, procéder à la modification de la marque Mikado's Pizza par rapport à son apparence tant visuelle que phonétique actuelle de façon à éviter toute confusion avec la marque Domino's Pizza et à son logo,

Dire exécutoire provisoirement la décision à intervenir nonobstant appel et sans caution ;

Attendu que les co-défendeurs font valoir en réponse que J.-L. H. n'est plus commerçant depuis plusieurs années, ayant apporté son fonds de commerce (créé en 1990) à la société H. et Cie, et ne saurait dès lors être recherché sur la base d'actes de concurrence déloyale trouvant leur fondement exclusif dans des actes de commerce, en sorte que J.-L. H. devrait être, dès lors, mis hors de cause ;

Attendu, sur la formulation de la demande, que les co-défendeurs observent que la société requérante sollicite la modification de la marque » Mikado's Pizza «, laquelle n'a jamais été déposée, ni exploitée ; que par ailleurs, la requérante ne se réfère à aucun texte et se contente de viser implicitement la Convention de Paris du 20 mars 1883 ;

Qu'à cet égard, les co-défendeurs exposent qu'aucune confusion n'apparaît possible, la marque Mikado tirant son origine de la livraison de plats orientaux avec un emblème rectangulaire représentant le soleil levant ; que s'agissant des produits, voire des menus, aucune similitude ne permet la confusion alléguée, seul le fait de livrer des plats à domicile apparaissant commun aux deux activités ; que l'article 10 de la Convention de Paris ne saurait, dès lors, recevoir application, aucun fait de concurrence déloyale n'étant caractérisé, et la société Domino's Pizza n'alléguant pas même la nature du préjudice qu'elle aurait pu subir, dès lors qu'elle n'est pas installée dans la Principauté de Monaco, ni même dans le sud de la France et n'y a donc subi aucun détournement de clientèle ;

Attendu que les co-défendeurs concluent en définitive à l'irrecevabilité de la demande formulée à l'encontre de J.-L. H., personne physique, et à la mise hors de cause de ce dernier ; qu'elles entendent par ailleurs voir débouter la société Domino's Pizza de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions et sollicitent reconventionnellement sa condamnation au paiement des sommes suivantes :

  • 500 000 francs de dommages-intérêts en réparation du préjudice moral et financier subi par J.-L. H.,

  • 1 000 000 francs à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice moral et financier subi par la société H. et Cie » ;

Attendu que la société Domino's Pizza réplique, pour sa part, en évoquant le risque persistant de confusion entre les symboles, couleurs et graphismes utilisés par elle-même, et ceux de la société H. qui aurait seulement rajouté un soleil stylisé sur l'un des dominos de couleur rouge ; que la société demanderesse estime que le fait que J.-L. H. ait apporté ultérieurement son fonds de commerce à la société ne le mettrait toujours pas à l'abri de poursuites personnelles, dans la mesure où il demeure le gérant de cette société qui n'est que son émanation, et avec laquelle il doit être condamné solidairement ;

Attendu que, reprenant le bénéfice de leurs précédents écrits judiciaires, la société H. et Cie et J.-L. H. produisent une copie de leur nouvel emblème qui représente un soleil levant et non plus un domino, et rappellent que la marque incriminée « Mikado's Pizza » n'existe pas, et n'a jamais été par eux exploitée ;

Qu'elle fait en outre valoir que leur société ne commercialise pas les mêmes produits et ne concurrence nullement une société américaine implantée depuis peu à Paris, donc très loin de la Principauté de Monaco ;

Que les co-défendeurs précisent enfin la nature de l'important préjudice commercial subi du fait de cette nouvelle procédure, compte tenu de la tentative infructueuse de vente de ses parts sociales dans un contexte aussi contentieux, risquant d'induire une condamnation au paiement de 2 000 000 francs de dommages-intérêts ;

Sur ce,

Attendu que l'action en concurrence déloyale exercée par la société Domino's Pizza à l'encontre de la société H. et Cie et de J.-L. H. trouve son fondement dans les principes de la responsabilité pour faute prouvée, ressortant des dispositions de l'article 1229 du Code civil, et obéit dans le domaine des relations commerciales à un certain particularisme tiré notamment de la nécessaire constatation d'un procédé déloyal excédant ce que saurait autoriser la liberté du commerce ;

Attendu que les co-défendeurs soutenant, sans au demeurant en rapporter la preuve, que J.-L. H. n'exercerait plus personnellement le commerce et devrait en conséquence être mis hors de cause, il convient d'observer que la concurrence déloyale ne trouve pas son fondement exclusif dans la réalisation d'actes de commerce mais, également, dans la pratique d'agissements fautifs et déloyaux ; que le fait que J.-L. H. soit le gérant de la société H. et Cie justifie sa présence aux débats, dès lors que celui-ci a pu, précisément, en sa qualité de gérant de cette société, procéder à des manœuvres déloyales et engager au côté de cette personne morale sa propre responsabilité ;

Qu'il s'ensuit que J.-L. H. ne saurait être mis hors de cause, les co-défendeurs devant donc être déboutés des fins de leur demande d'irrecevabilité partielle ;

Attendu par ailleurs que, dans la mesure où la société demanderesse se réfère à des actes déloyaux susceptibles de créer la confusion avec sa propre marque, il doit être fait référence à la Convention de Paris du 20 mars 1883, révisée, et rendue exécutoire à Monaco par ordonnance du 29 octobre 1975, laquelle qualifie d'acte de concurrence déloyale tout acte concurrentiel contraire aux usages honnêtes en matière industrielle ou commerciale et interdit notamment « les faits quelconques de nature à créer une confusion par n'importe quel moyen avec l'établissement, les produits ou l'activité industrielle ou commerciale d'un concurrent » ;

Attendu que s'il est en premier lieu constant que par sa nature, tout acte de concurrence se développe nécessairement dans le cadre de la recherche d'une clientèle, et s'il existe de toute évidence entre les deux sociétés en litige une clientèle potentielle commune dans le secteur de la distribution alimentaire à domicile dite « rapide », il doit être néanmoins précisé que seule la société H. et Cie a son siège dans la Principauté de Monaco, alors que le plus proche établissement exploité par Domino's Pizza est situé à Paris, et que la clientèle de cette société se trouve pour l'essentiel constituée de consommateurs de pizzas, tandis que les menus de la société H. et Cie sont très diversifiés et font une place importante aux produits d'origine asiatique ;

Attendu, s'agissant de la marque « Mikado's », déposée et utilisée par les co-défendeurs - laquelle ne correspond nullement à celle indiquée dans l'exploit d'assignation, soit « Mikado's Pizza » qui procède d'une fausse assimilation avec les anciennes marques utilisées par les co-défendeurs - que ce terme n'apparaît plus avoir de rapport avec le mot « Domino » et désigne précisément l'empereur du Japon, dont le symbole est représenté par l'emblème figurant un soleil levant ; que la commercialisation de certains plats d'origine orientale apparaît expliquer le choix de ce symbole qui ne rappelle plus que très vaguement - par la locution « s » ou le nombre de ses syllabes - la consonance de la marque « Domino's » ; qu'en revanche, le sens du terme « Mikado », comme le dessin du soleil levant, le graphisme utilisé et la forme horizontale dudit emblème ne permettent plus d'induire une quelconque confusion auprès d'un consommateur courant et d'attention moyenne, avec l'insigne de la société américaine composé de deux rectangles verticaux, avec un domino sur fond rouge, et la mention Domino's Pizza sur fond bleu ;

Attendu en outre, que l'utilisation d'un même procédé de commercialisation, consistant à livrer à domicile des repas ou plats cuisinés, correspond à un procédé devenu courant, sans qu'il puisse en être déduit la preuve d'une pratique malhonnête ou déloyale ;

Attendu, enfin, que dès lors que la présente action requiert pour sa mise en œuvre, outre la constatation d'une faute, constituée par l'emploi d'un procédé déloyal, également l'existence d'un préjudice caractérisé par un détournement de clientèle, il convient de relever qu'à supposer que les pratiques de la société H. aient pu s'apparenter matériellement à des actes de concurrence, elles n'ont, en tout état de cause, pu induire aucune perte de clientèle, puisque la société demanderesse n'occupe pas de manière effective le marché local, et ne conteste pas avoir son plus proche établissement à Paris, soit à des centaines de kilomètres du lieu d'activité des livreurs de « Mikado's » et de sa clientèle régionale ;

Attendu qu'il convient en conséquence de débouter la société Domino's Pizza des fins de sa demande de réparation du préjudice commercial ;

Attendu, s'agissant de la demande tendant à voir modifier la marque « Mikado's Pizza », qu'il doit être en premier lieu constaté que la seule marque actuellement déposée et utilisée par les co-défendeurs est la marque « Mikado's » ;

Qu'en outre, l'absence de risque de confusion précédemment relevé doit conduire le Tribunal a débouter la société Domino's des fins de cette demande, dont le fondement légal n'est pas invoqué et qui n'apparaît étayée que par un ensemble de pièces anciennes déjà produites à l'occasion d'un litige antérieur ;

Qu'à cet égard, il doit être rappelé que l'article 5 de la loi n° 1058 dispose, en conformité avec l'article 6 bis de la Convention de Paris, que le titulaire d'une marque notoirement connue ne peut demander l'annulation du dépôt ou l'interdiction d'usage que d'une marque susceptible de créer une confusion avec la sienne ;

Qu'en l'état de ce texte et de l'analyse précitée, la demanderesse doit dès lors être également déboutée de ses prétentions de ce chef ;

Attendu que J.-L. H. et la société H. et Cie sollicitent à titre reconventionnel des sommes respectives de 500 000 francs et 1 000 000 de francs à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice moral et financier subi ;

Attendu que ces co-défendeurs ne justifient pas de la nature du préjudice allégué, autrement qu'en ce qu'il résulte pour eux de l'obligation de comparaître une nouvelle fois en justice et d'organiser leur défense, et en ce qu'il a été porté un trouble au libre jeu de la concurrence en dépit de ce que les dispositions des premières décisions judiciaires intervenues entre les parties, ont été respectées ;

Que, compte tenu de l'ensemble de ces éléments, il apparaît équitable de condamner la société Domino's Pizza à payer à J.-L. H. et la société J.-L. H. et Cie, co-défendeurs unis d'intérêt, une somme globale de 50 000 francs à titre de dommages-intérêts en réparation de leur préjudice confondu compte tenu des éléments suffisants d'appréciation dont le Tribunal dispose à cet égard ;

Et attendu que l'exécution provisoire n'ayant été sollicitée que par la société Domino's Pizza, et au soutien de ses propres demandes de condamnation, il n'y a pas lieu d'y faire droit compte tenu de sa succombance en sorte que devront demeurer à sa charge les entiers dépens de la présente instance ;

Dispositif🔗

PAR CES MOTIFS,

Le Tribunal,

Statuant contradictoirement,

Déboute J.-L. H. et la société en commandite simple dénommée J.-L. H. et Cie des fins de leur demande d'irrecevabilité partielle ;

Déboute la société dénommée Domino's Pizza de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions ;

Faisant droit pour partie à la demande reconventionnelle des co-défendeurs, condamne la société Domino's Pizza à payer à J.-L. H. et la société H. et Cie une somme globale de 50 000 francs à titre de dommages-intérêts.

Composition🔗

M.M. Landwerlin, prés. ; Serdet, prem. subst. proc. gén. ; Mes Brugnetti et Pasquier-Ciulla, av. déf.

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