Tribunal de première instance, 5 décembre 1996, P. c/ L.

  • Consulter le PDF

Abstract🔗

Prêt

Non-respect des obligations de l'emprunteur en cessation des paiements - Exigibilité immédiate et de plein droit

Caution solidaire

Débiteur, garanti, en cessation des paiements - Action du créancier contre la caution qui a renoncé au bénéfice de discussion et de division

Baux commerciaux

État bailleur - Droit au renouvellement du preneur : articles 28 et 34 de la loi n° 490 - Fonds de commerce inexistant (non)

Résumé🔗

Il n'est pas contesté que le débiteur principal, n'a pas respecté ses engagements de remboursement convenus dans un acte authentique et qu'en outre il fait actuellement l'objet d'une procédure collective.

Aux termes des conditions générales du prêt qui lui a été consenti, ces circonstances ont eu pour effet de rendre le montant du prêt immédiatement et de plein droit exigible.

Par ailleurs les modalités du cautionnement solidaire auquel s'est engagée la caution à l'égard de la créance, prévoient qu'elle est tenue au remboursement de toutes sommes dues par son époux « aux époques et de la manière stipulées » ; elles précisent en outre que la caution renonce aux bénéfices de discussion et de division, de sorte que la créancière est, ainsi que l'énonce le contrat, dispensée « de discuter préalablement les biens du débiteur principal avant d'exercer ses droits contre la caution » et qu'il n'est nullement nécessaire qu'elle attrait aux débats le débiteur principal ou encore le syndic de la procédure collective ouverte à son encontre.

Il est constant d'autre part que cette procédure faute d'actif, n'a donné lieu à aucune répartition de fonds au bénéfice des créanciers ayant produit.

S'opposant à la demande en validation du nantissement provisoire pris par la créancière sur le fonds de la caution, celle-ci soutient que cette demande se heurte à l'inexistence d'un tel fonds, dès lors que liée à l'État, propriétaire des lieux, par une convention de location révocable et précaire, elle n'est pas titulaire d'un bail commercial qui constitue l'attribut essentiel de tout fonds de commerce ; que toutefois elle ne produit aucune pièce à l'appui de ses affirmations et s'abstient en particulier de verser aux débats la convention qui la lie au propriétaire des lieux dans lequel le commerce est exploité.

À supposer même que l'État soit son bailleur et qu'il ne lui ait consenti qu'une convention de location « révocable et précaire », l'absence de droit au renouvellement du bail commercial ne serait pas pour autant établie en l'état des dispositions d'ordre public des articles 28 et 34 de la loi n° 490 du 24 novembre 1948 ; en outre, il n'est pas démontré qu'en l'espèce le droit au bail des locaux dans lesquels s'exploite le fonds de commerce soit un élément essentiel dudit fonds sans lequel celui-ci serait inexistant ; en conséquence il ne peut être soutenu, en l'état des pièces produites, que la défenderesse n'est point titulaire d'un bail commercial et que cette circonstance rendrait « inexistant » le fonds de commerce qu'elle exploite depuis le 15 mai 1989.


Motifs🔗

Le Tribunal

Considérant les faits suivants :

Par acte authentique du 6 février 1992, réitéré le 13 mars suivant, C. L. a acquis un fonds de commerce pour le prix de 1 500 000 francs ;

Selon l'acte du 13 mars 1992, il s'est acquitté de ce prix d'acquisition grâce à un prêt qui lui a été consenti par R. P. ;

Ce prêt, d'un million cinq cent mille francs en principal, devait être remboursé en 48 échéances constantes de 39 500,75 francs payables à compter du 13 avril 1992 jusqu'au 13 mars 1996 ;

L'acte du 13 mars 1992 prévoit que le prêt deviendra immédiatement exigible en principal, intérêts, frais et accessoires en cas de procédure collective ouverte à l'encontre du débiteur ou en cas d'inexécution d'une seule des conditions du contrat du prêt ;

É. S. épouse C. L., propriétaire d'un fonds de commerce de restauration à l'enseigne L. O. à Monaco, est intervenue à l'acte du 13 mars 1992 en qualité de caution solidaire de son époux envers R. P. ;

Elle s'est obligée, solidairement avec C. L., au remboursement des sommes contractuellement dues par celui-ci et a expressément renoncé aux bénéfices de discussion et de division ;

Il est constant que C. L. a été déclaré en cessation des paiements et sa liquidation des biens immédiatement ordonnée par jugement de ce Tribunal en date du 16 mars 1995 ; ultérieurement le Tribunal, par jugement du 8 février 1996, a ordonné la suspension des opérations de la liquidation des biens de C. L., pour défaut d'actif ;

R. P. a produit le 29 mars 1995 entre les mains du syndic pour la somme principale de 1 373 502,42 francs ;

Par exploit extrajudiciaire dressé par Me Escaut-Marquet, huissier, le 13 avril 1995, R. P. a fait sommation à É. L. d'avoir à lui payer sous huitaine la somme de 1 373 502,42 francs correspondant au montant dû à cette date par C. L. en vertu du prêt ci-dessus analysé, outre les intérêts au taux conventionnel de 12 % l'an ;

Régulièrement autorisée pour ce faire par ordonnance du 6 juin 1995, R. P. a pris le 19 juin 1995 une inscription provisoire de nantissement sur le fonds de commerce exploité par É. L. pour garantir le paiement d'une somme provisoirement évaluée à 1 400 000 francs ;

Par l'exploit susvisé du 28 juin 1995, elle a fait assigner É. L. en paiement d'une somme principale de 140 000 francs sauf à parfaire - cette erreur de plume ayant été ultérieurement rectifiée par conclusions du 15 février 1996 portant la somme réclamée à 1 400 000 francs - et en validation de l'inscription provisoire de nantissement prise le 19 juin 1995 volume 32 n° 73, avec toutes conséquences de droit, outre 100 000 francs à titre de dommages-intérêts pour résistance abusive ;

Par conclusions du 23 novembre 1995, É. L. estime ces demandes irrecevables aux motifs :

  • que le débiteur principal C. L., en état de cessation des paiements, de même que le syndic de la procédure collective, n'ont pas été appelés en cause et que R. P. ne justifie pas avoir produit sa créance auprès du syndic ;

  • que la demande en validation du nantissement provisoire pris sur le fonds se heurte à l'inexistence d'un tel fonds dès lors que, liée à l'État, propriétaire des lieux, par une convention de location révocable et précaire, elle n'est pas titulaire d'un bail commercial qui constitue l'attribut essentiel de tout fonds de commerce ;

En réponse R. P. observe en premier lieu qu'elle justifie avoir produit à la cessation des paiements de C. L., tout en relevant que ce point est sans effet sur le présent litige dès lors qu'elle est fondée à exercer son recours contre la caution ;

Elle estime n'être pas tenue d'attraire L. aux débats et considère qu'il appartient à la défenderesse de faire son affaire de tout recours qu'elle souhaiterait exercer contre son époux ;

En deuxième lieu, elle rappelle que la stipulation de solidarité a précisément pour objet de lui permettre de se faire payer par la caution sans avoir à discuter préalablement les biens du débiteur principal ;

En troisième lieu, elle constate que l'extrait du Répertoire du commerce et de l'industrie fait apparaître É. L. comme propriétaire exploitante d'un fonds de commerce à l'enseigne L. O. ;

R. P. maintient en conséquence sa demande en paiement de 1 400 000 francs avec intérêt à 12 % et sollicite en outre le paiement « de la pénalité de 5 % convenue à l'acte authentique » ;

Elle réitère de même sa demande en paiement de 100 000 francs à titre de dommages-intérêts compte tenu de la résistance abusive opposée par la défenderesse et sollicite du Tribunal qu'il ordonne l'inscription définitive de nantissement prévue par la loi ;

En réplique É. L. conclut au rejet de l'ensemble de ces demandes faute pour R. P. de justifier du sort de la production effectuée auprès du syndic et d'avoir appelé ce mandataire de justice en la cause ;

À titre subsidiaire, elle demande le rejet de l'instance en validation de nantissement « en l'absence de tout fonds de commerce » ;

Sur quoi,

Attendu qu'il n'est pas contesté que C. L., débiteur principal, n'a pas respecté ses engagements de remboursement convenus dans l'acte authentique du 13 mars 1992 ; qu'en outre, ce débiteur fait actuellement l'objet d'une procédure collective ;

Attendu qu'aux termes des conditions générales du prêt qui lui a été consenti, ces circonstances ont eu pour effet de rendre le montant du prêt immédiatement et de plein droit exigible ;

Attendu par ailleurs que les modalités du cautionnement solidaire auquel É. L. s'est engagée à l'égard de R. P. prévoient qu'elle est tenue au remboursement de toutes sommes dues par son époux « aux époques et de la manière stipulées » ; qu'elles précisent en outre que É. L. renonce aux bénéfices de discussion et de division, de sorte que R. P. est, ainsi que l'énonce le contrat, dispensée « de discuter préalablement les biens de Monsieur L. avant d'exercer ses droits contre la caution » ;

Attendu qu'il résulte de ce qui précède qu'il n'est nullement nécessaire, pour l'appréciation du présent litige opposant la créancière à la caution, d'attraire aux débats le débiteur principal ou encore le syndic de la procédure collective ouverte à son encontre ;

Attendu par ailleurs qu'il est constant que cette procédure, faute d'actif, n'a donné lieu à aucune répartition de fonds au bénéfice des créanciers ayant produit ; qu'il s'ensuit que l'argument tiré de l'absence de justification du sort de la production de R. P. s'avère tout aussi inopérant ;

Attendu, s'agissant du moyen relatif à la prétendue inexistence de fonds de commerce, qu'il y a lieu de constater qu'É. L. ne produit aucune pièce à l'appui de ses affirmations ; qu'elle s'abstient en particulier de verser aux débats la convention qui la lie au propriétaire des lieux dans lesquels le commerce est exploité ;

Attendu qu'à supposer même que l'État soit son bailleur et qu'il ne lui ait consenti qu'une convention de location « révocable et précaire », l'absence de droit au renouvellement du bail commercial ne serait pas pour autant établie en l'état des dispositions d'ordre public des articles 28 et 34 de la loi n° 490 du 24 novembre 1948 ; qu'en outre, il n'est pas démontré qu'en l'espèce le droit au bail des locaux dans lesquels s'exploite le fonds de commerce soit un élément essentiel dudit fonds sans lequel celui-ci serait inexistant ;

Attendu en conséquence qu'il ne peut être soutenu, en l'état des pièces produites, qu'É. L. n'est pas titulaire d'un bail commercial et que cette circonstance rendrait « inexistant » le fonds de commerce qu'elle exploite depuis le 15 mai 1989 ;

Attendu en conséquence que les moyens soulevés en défense doivent être rejetés dans leur ensemble ;

Attendu, au fond, que le montant réclamé par la demanderesse dans la sommation de payer du 13 avril 1995 ne fait pas l'objet de contestation ; qu'ainsi, il doit être admis que la dette de C. L. s'élevait à cette date à la somme de 1 373 502,42 francs, outre les intérêts prévus à l'acte au taux de 12 % l'an ;

Attendu que la pénalité de 5 % réclamée en sus par R. P. n'apparaît pas devoir lui être octroyée dès lors qu'elle n'est prévue, selon les conditions du prêt, qu'au cas où « le créancier serait obligé de produire à une distribution amiable ou judiciaire ayant pour objet le prix de vente du fonds de commerce » acquis par C. L., cette hypothèse ne correspondant pas à celle de l'espèce ;

Attendu, en définitive, qu'en sa qualité de caution solidaire, É. L. doit être condamnée au paiement, avec intérêts conventionnels à compter de la sommation de payer valant mise en demeure, de la somme susvisée ;

Qu'en outre, au regard de la résistance fautive qu'elle a opposée en dépit des engagements particulièrement clairs et précis pris par elle dans l'acte authentique du 13 mars 1992, le Tribunal estime devoir compenser le préjudice occasionné de ce fait à la demanderesse par l'allocation à son profit de la somme de 60 000 francs à titre de dommages-intérêts ;

Attendu, quant à la demande en validation du nantissement provisoire, que les dispositions des articles 762 bis et suivants du Code de procédure civile apparaissent avoir été respectées en la cause ; qu'il y a lieu dès lors d'y faire droit dans les termes précisés au dispositif du présent jugement ;

Attendu que les dépens suivent la succombance ;

Dispositif🔗

PAR CES MOTIFS,

Le Tribunal,

Statuant contradictoirement,

Condamne É. L. née S. à payer à R. P. la somme de 1 373 502,42 francs avec intérêts au taux conventionnel de 12 % l'an à compter du 13 avril 1995, montant des causes sus-énoncées, outre la somme de 60 000 francs à titre de dommages-intérêts ;

Déclare régulière et valide à concurrence de ces montants, avec toutes conséquences de droit, l'inscription provisoire de nantissement prise le 19 juin 1995 au Répertoire du commerce et de l'industrie volume 32 n° 73 sur le fonds de commerce exploité par É. L. à Monaco, sous l'enseigne « R. L. O. » ;

Renvoie la demanderesse à l'accomplissement des formalités légales pour ce qui concerne l'inscription définitive ;

Déboute É. L. de l'ensemble de ses prétentions ;

Composition🔗

MM. Landwerlin prés. ; Serdet prem. subst. proc. gén. ; Mes Karczag-Mencarelli, av. déf. ; Michel av.

  • Consulter le PDF