Tribunal de première instance, 14 novembre 1996, Société Terrasses Vue Monaco c/ T., M.

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Abstract🔗

Vente

Immeuble - Lésion - Action en rescision pour lésion des 7/12 - Délai d'exercice de 2 ans (C. civ., art. 1518)

Procédure civile

Demande additionnelle (en nullité de vente) - Connexité avec demande principale en révision pour lésion (non) - Irrecevabilité de la demande additionnelle

Résumé🔗

L'exercice de l'action en rescision des sept douzièmes fondée sur l'article 1516 du Code civil, est enfermée dans un délai strict, dès lors, qu'ainsi que l'édicte l'article 1518 dudit code, la demande n'est plus recevable après l'expiration de deux années, à compter du jour de la vente ; le délai pour intenter cette action revêt le caractère d'un délai préfix, non susceptible de suspension ou d'interruption ; en l'espèce l'acte de vente ayant été passé le 8 septembre 1986 et l'exploit d'assignation ayant été délivré le 17 janvier 1990, la demande se trouvait prescrite, puisque postérieure à la date d'expiration du délai pour agir, soit le 8 septembre 1988.

La demande en nullité de la vente pour absence de cause, en raison du prix dérisoire de celle-ci, formée par conclusions additionnelles, s'analyse en une demande additionnelle incidente, au sens de l'article 379 du Code de procédure civile, dont la recevabilité suppose qu'elle soit connexe avec la demande principale.

Cependant une telle connexité ne peut être retenue en l'espèce, dès lors que l'action en nullité de la vente, qui ne peut être paralysée par ses effets, comme l'action en rescision, par une offre de l'acquéreur, ne tend pas aux mêmes fins et n'est ni l'accessoire ni la conséquence, ni le complément de l'action en rescision. Cette demande additionnelle porte ainsi sur un objet nouveau, distinct de l'objet de l'exploit introductif d'instance constituant la demande originaire, laquelle a eu pour effet de fixer le litige entre les parties et de déterminer l'objet de l'instance ; il échet en conséquence de constater que les conclusions additionnelles constituent une demande nouvelle et de les déclarer, comme telles, irrecevables.


Motifs🔗

Le Tribunal,

Considérant les faits suivants :

La société civile particulière dénommée Terrasses Vue Monaco était propriétaire d'un appartement villa situé à Monaco ;

Selon acte authentique dressé par-devant Maître Louis-Constant Crovetto, notaire à Monaco, la société Terrasses Vue Monaco, a vendu à A. T. et K. M., agissant tant en son nom personnel que pour le compte de sa fille mineure V. T. ledit appartement pour un prix de 4 000 000 francs ;

Estimant que le bien avait été sous-évalué lors de la vente, la société Terrasses Vue Monaco a, suivant exploit du 17 janvier 1990, fait assigner A. T. et K. M. aux fins qu'il plaise au Tribunal dire et juger qu'elle a subi une lésion de plus de 7/12e, prononcer la rescision de la vente pour lésion, avec toutes conséquences de droit, et condamner les acquéreurs à lui payer les sommes de 500 000 francs à titre de dommages-intérêts et 20 000 francs pour frais dits « irrépétibles », le tout avec exécution provisoire ;

A. T. et K. M. ont soulevé l'irrecevabilité de l'action en rescision de la vente pour cause de lésion, dès lors que celle-ci a été introduite après l'expiration du délai de deux ans prévu par l'article 1518 du Code civil qui a pris effet à compter du 8 septembre 1986, alors que l'assignation est datée du 17 janvier 1990 ; ils sollicitent, en conséquence, la condamnation de la société Terrasses Vue Monaco à leur payer la somme de 100 000 francs pour chacun d'eux, soit 200 000 francs de dommages-intérêts, pour procédure abusive ;

Par conclusions postérieures, la société Terrasses Vue Monaco a modifié sa demande initiale, demandé au tribunal de prononcer la nullité de la vente pour absence de cause et prix dérisoire, cette action n'étant à cet égard prescrite que par 30 ans ; elle rappelle que les demandes additionnelles ne sont pas nouvelles dès lors qu'elles tendent aux mêmes fins que celles présentées dans la demande principale ;

Les défendeurs rétorquent, pour leur part, qu'une demande en rescision ne peut être convertie en une demande en nullité puisque ces deux demandes n'ont pas la même nature, ni le même fondement juridique, et que la substitution d'une demande au profit d'une autre procède d'un changement de cause et d'objet qui viole le principe d'immutabilité des termes du litige et ne peut être accueillie en application des dispositions de l'article 379 du Code de procédure civile ;

Ils indiquent également que l'action de la société Terrasses Vue Monaco se heurte à l'autorité de la chose jugée dès lors que le tribunal, par jugement du 13 juillet 1989, et la Cour d'appel, par arrêt confirmatif du 30 avril 1991, ont tranché un litige concernant l'application des clauses contenues dans l'acte de vente du 8 septembre 1986 sans que la venderesse ne se soit jamais prévalue de la nullité de la vente pour rescision ou absence de cause ;

Par conclusions du 17 décembre 1992, la société Terrasses Vue Monaco expose que quatre cessions de parts sont intervenues les 25, 26 et 27 février 1992 entre ses associés, B. D. étant à l'époque également nommé gérant de la société au lieu et place de C. D. épouse D. ;

Par de nouveaux écrits judiciaires reprenant le bénéfice des précédents, sauf en ce qui concerne la condamnation au paiement de dommages-intérêts, portée à 300 000 francs, A. T. et K. M. indiquent que le prix de la vente avait été fixé à 14 214 000 francs et que, lors de la promesse de vente, le notaire faisait signer à A. T. un courrier destiné au directeur du Crédit foncier de Monaco, banque de cet acquéreur, ce document portant demande par ce dernier d'un paiement à Maître Louis-Constant Crovetto d'une somme de 400 000 francs et à un dénommé C. F. d'un montant de 1 000 000 francs ;

Les autres versements se seraient effectués comme suit :

  • paiement par chèque le 8 septembre 1986 à l'Ordre de Maître Crovetto d'un montant de 4 146 000 francs ;

  • virement d'une somme de 268 000 francs à un sieur S. porteur de 113 parts de la société civile particulière ;

  • virement au profit de C. F. d'un autre montant de 8 400 000 francs ;

Les défendeurs exposent que les modalités exactes exigées pour la réalisation de la vente dont s'agit leur ont été révélées par le notaire, Maître Crovetto, et font remarquer que les évaluations du prix de l'appartement que la venderesse a fait effectuer et dont elle se prévaut sont antérieures à l'acte de vente du 8 septembre 1986 ;

La société Terrasses Vue Monaco reconnaît que le versement au profit d'H. S. a été effectué sur sa demande mais conteste avoir perçu une somme d'argent d'un montant de 8 400 000 francs du dénommé C. F. qu'elle affirme ne pas connaître ;

Elle maintient avoir perçu la somme de 4 000 000 francs correspondant au prix de la vente de l'appartement dont s'agit, et précise que le jugement du tribunal de première instance du 13 juillet 1989 confirmé par la Cour d'appel a uniquement statué sur l'application d'une clause pénale, en sorte que l'autorité de la chose jugée ne peut lui être opposée en l'espèce ;

Sur ce,

Attendu qu'en premier lieu, la société Terrasses Vue Monaco a entendu fonder sa demande sur les prescriptions de l'article 1516 du Code civil aux termes desquelles « si le vendeur a été lésé de plus de sept douzièmes dans le prix d'un immeuble, il a le droit de demander la rescision de la vente, alors même qu'il aurait expressément renoncé, dans le contrat, à la faculté de demander cette rescision, et qu'il aurait déclaré donner la plus-value » ;

Mais attendu que l'exercice de cette action est enfermé dans un délai strict, dès lors, qu'ainsi que l'édicte l'article 1518 dudit code, la demande n'est plus recevable après l'expiration de deux années, à compter du jour de la vente ;

Que le délai pour intenter l'action en rescision revêt le caractère d'un délai préfix, non susceptible de suspension ou d'interruption ;

Qu'en l'espèce, l'acte de vente de l'appartement a été passé en l'étude de Maître Crovetto le 8 septembre 1986 entre les parties ;

Que l'exploit d'assignation ayant été délivré le 17 janvier 1990, la demande se trouvait dès lors prescrite puisque postérieure à la date d'expiration du délai pour agir, soit le 8 septembre 1988 ;

Attendu qu'en second lieu, la société Terrasses Vue Monaco a modifié le fondement de sa demande, et conclu à la nullité de la vente dont s'agit pour absence de cause en raison du prix dérisoire de celle-ci ;

Attendu que cette nouvelle demande s'analyse en une demande additionnelle incidente, au sens de l'article 379 du Code de procédure civile, dont la recevabilité suppose qu'elle soit connexe avec la demande principale ;

Attendu, cependant, qu'une telle connexité ne peut être retenue en l'espèce dès lors que l'action en nullité de la vente - qui ne peut être paralysée dans ses effets, comme l'action en rescision, par une offre de l'acquéreur - ne tend pas aux mêmes fins et n'est ni l'accessoire ni la conséquence, ni le complément de l'action en rescision ;

Que cette demande additionnelle porte ainsi sur un objet nouveau, distinct de l'objet de l'exploit introductif d'instance constituant la demande originaire, laquelle a eu pour effet de fixer le litige entre les parties et de déterminer l'objet de l'instance ;

Qu'il échet en conséquence de constater que les conclusions additionnelles de la société Terrasses Vue Monaco constituent une demande nouvelle et de les déclarer, comme telles, irrecevables ;

Attendu que, s'agissant de la demande reconventionnelle en paiement de dommages-intérêts formée par A. T. et K. M., il y a lieu de dire celle-ci justifiée du fait de l'attitude fautive de la société Terrasses Vue Monaco, laquelle a introduit son action en rescision dans un délai manifestement tardif eu égard aux dispositions claires de l'article 1518 précité du Code civil, puis maintenu sa demande nouvelle, malgré des conclusions d'irrecevabilité, pendant plus de six années ;

Qu'il y a lieu, dès lors, de condamner la société Terrasses Vue Monaco à payer à A. T. et K. M. la somme de 50 000 francs à titre de dommages-intérêts à chacun, soit la somme de 100 000 francs au total ;

Attendu, qu'enfin, les dépens suivront la succombance de la demanderesse ;

Dispositif🔗

PAR CES MOTIFS,

Le Tribunal,

Statuant contradictoirement,

Déclare prescrite l'action en rescision pour cause de lésion formée par la société civile particulière dénommée Terrasses Vue Monaco ;

Déclare, en outre, irrecevables, comme constituant une demande nouvelle, les conclusions additionnelles de la société Terrasses Vue Monaco tendant à la nullité de la vente du 8 septembre 1986 pour absence de cause du fait d'un prix dérisoire ;

Condamne la société Terrasses Vue Monaco à payer à A. T. et K. M. la somme de 50 000 francs à titre de dommages-intérêts à chacun, soit, au total, la somme de 100 000 francs.

Composition🔗

MM. Landwerlin, prés. ; Serdet, prem. subst. proc. gén. ; Mes Sbarrato, Sangiorgio et Escaut, av. déf. ; Palmero, av. ; Charles, av. bar. de Nice.

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