Tribunal de première instance, 15 février 1996, K.-N. c/ Commune de Monaco-UAP

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Abstract🔗

Responsabilité de la puissance publique

Halte-garderie communale - Faute de service : déficience dans la surveillance d'un enfant

Résumé🔗

La responsabilité d'un établissement dépendant du service social de la Commune de Monaco - en l'espèce une halte-garderie où un enfant a été victime d'un accident - relève de la compétence du tribunal de première instance, appliquant les règles de droit administratif, de sorte que la commune ne saurait en l'occurrence être tenue pour responsable que des conséquences dommageables d'une éventuelle faute de service commise dans le fonctionnement de cet établissement.

Il apparaît en l'espèce, qu'en dépit du respect par la commune des dispositions de l'arrêté ministériel n° 92-168 du 6 mars 1992 portant réglementation des crèches, et bien que le nombre d'agents requis ait été en fonction pour effectuer le gardiennage des enfants confiés, il demeure que la prestation que les usagers de ce service social étaient en droit d'attendre devait s'apparenter à l'exercice d'une garde et d'un contrôle efficaces, destinés à éviter tout accident ; s'agissant, en effet, d'enfants en bas âge, encore immatures quant à leur développement psychomoteur et que la curiosité ou l'éveil intellectuel grandissant incitent à tenter de nombreuses et parfois dangereuses expériences, la faute simple suffit à engager la responsabilité de la puissance publique.

Il est évident, en l'espèce, qu'en laissant un enfant âgé seulement de deux ans et demi, ne maîtrisant pas encore parfaitement la marche ni le sens de l'équilibre, marcher sur un ballon et se blesser gravement, le personnel de la halte-garderie n'a pas permis de prévenir l'utilisation objectivement dangereuse du ballon par l'enfant ; compte tenu de la surveillance dès lors déficiente du personnel d'encadrement chargé de veiller à la sécurité des enfants et eu égard au degré de prévisibilité du dommage, il y a lieu de constater en l'espèce un mauvais fonctionnement de la halte-garderie, ayant été de nature à engager la responsabilité de la commune de Monaco du fait d'une faute de service.


Motifs🔗

Le Tribunal

Les avocats et avocats-défenseurs ayant repris et maintenu ce jour leurs conclusions en l'état de la composition différente du Tribunal ;

Attendu qu'A. N., qui expose avoir confié son jeune enfant de deux ans et demi à la halte-garderie municipale de Monte-Carlo et précise qu'en glissant sur un ballon il y fut victime le 4 juin 1993 d'une fracture fémorale assez sérieuse a, selon l'exploitant susvisé, fait assigner la commune de Monaco et la compagnie dénommée Union des assurances de Paris, en abrégé UAP, aux fins de s'entendre celles-ci condamner à lui payer une somme de 35 000 francs en réparation des préjudices consécutifs à cet accident ;

Qu'A. N. invoque au soutien de sa demande les dispositions de l'article 1002 du Code civil, tout en exposant que la halte-garderie avait à l'égard de la sécurité de son enfant une obligation de résultat, compte tenu notamment du très jeune âge de celui-ci maîtrisant à peine la station debout et n'ayant aucune notion de la mobilité des objets ronds, tels que le ballon sur lequel il avait culbuté ; que la demanderesse estime que la commune de Monaco ne saurait invoquer quelque cause d'exonération que ce soit, dès lors qu'une chute sur un ballon n'a rien d'imprévisible, s'agissant d'un enfant de deux ans dépourvu d'un sens parfait de l'équilibre ;

Qu'en ce qui concerne le préjudice dont elle demande réparation, A. N. indique qu'il se décompose de la manière suivante :

  • salaire de l'aide ménagère : 8 703 francs ;

  • cotisations CCSS : 4 008 francs ;

  • AGRR (5 % du salaire brut) : 404 francs ;

  • frais d'annulation voyage (3 personnes) : 4 971 francs,

soit un préjudice matériel de 17 500 francs auquel il convient d'ajouter l'indemnisation du préjudice moral et affectif ; qu'à cet égard, A. N. rappelle que son fils dut endurer un séjour hospitalier de 13 jours, le port d'un plâtre durant un mois, outre le confinement à la maison pendant la période estivale et un retard à la rentrée scolaire suivante ;

Attendu que la commune de Monaco - et non l'État de Monaco, cette partie ayant rectifié son erreur matérielle de dénomination par conclusions du 23 juin 1995 - tout comme la compagnie UAP se réfèrent pour leur part à l'arrêté ministériel du 6 mars 1992 portant réglementation des crèches, qui précise que l'effectif requis pour la surveillance de huit enfants qui marchent est fixé à un agent ; qu'elles rappellent, en l'occurrence, que les onze enfants du service des grands où se trouvait placé le jeune B. N. étaient gardés par trois personnes, alors que six personnes en tout assuraient la surveillance des quinze enfants présents ce jour-là à la halte-garderie, toutes sections confondues ; qu'en outre, B. ne faisait que jouer avec un ballon mis à sa disposition, sa chute s'est avérée aussi soudaine qu'imprévisible, de tels jeux dans l'enceinte d'une crèche n'ayant rien d'inhabituel ; qu'un tel événement, présentant selon les codéfenderesses les caractères d'imprévisibilité et d'insurmontabilité constitutifs de la clause exonératoire de responsabilité sur le fondement allégué de l'article 1002 du Code civil, la commune de Monaco et la compagnie UAP concluent au débouté d'A. N. de l'ensemble de ses prétentions ; qu'à titre subsidiaire, les codéfenderesses font valoir que le préjudice allégué n'apparaît pas avoir de lien direct avec l'accident du jeune B., mais semble plutôt consécutif à l'état de grossesse avancé d'A. N. durant l'été 1993 ;

Sur ce,

Attendu qu'il s'évince des circonstances de l'espèce et des pièces produites, notamment le règlement intérieur de la halte-garderie de Monte-Carlo, que cette crèche dépend, quant à sa gestion et à son organisation, du service des œuvres sociales de la Mairie de Monaco ; qu'il suit que le présent litige, relatif à la responsabilité de cet établissement, relève de la compétence du Tribunal de première instance appliquant les règles du droit administratif, étant précisé que les conditions particulières de fonctionnement de cette halte-garderie municipale privent de tout intérêt la recherche d'éventuelles obligations de moyens ou résultat ressortant des principes de droit privé de la responsabilité civile, tels qu'invoqués par les parties ; qu'en effet, la commune de Monaco ne saurait, en l'occurrence, être tenue pour responsable que des conséquences dommageables d'une éventuelle faute de service commise dans le fonctionnement de la crèche de Monte-Carlo ;

Attendu qu'il apparaît en l'espèce qu'en dépit du respect par la commune des dispositions de l'arrêté ministériel n° 92.168 du 6 mars 1992 portant réglementation des crèches et bien que le nombre d'agents requis ait été en fonction pour effectuer le gardiennage des enfants confiés, il demeure que la prestation que les usagers de ce service social étaient en droit d'attendre devait s'apparenter à l'exercice d'une garde et d'un contrôle efficaces, destinés à éviter tout accident ; que s'agissant en effet d'enfants en bas âge, encore immatures quant à leur développement psychomoteur et que la curiosité ou l'éveil intellectuel grandissants incitent à tenter de nombreuses et parfois dangereuses expériences, la faute simple suffit à engager la responsabilité de la puissance publique ;

Attendu qu'il est en l'espèce évident qu'en laissant le jeune B. - âgé de seulement deux ans et demi et ne maîtrisant pas encore parfaitement la marche ni le sens de l'équilibre - marcher sur un ballon et se blesser gravement, le personnel de la halte-garderie n'a pas permis de prévenir l'utilisation objectivement dangereuse du ballon par l'enfant ; que compte tenu de la surveillance dès lors déficiente du personnel d'encadrement chargé de veiller à la sécurité des enfants et eu égard au degré de prévisibilité du dommage, il y a lieu de constater en l'espèce un mauvais fonctionnement de la halte-garderie, ayant été de nature à engager la responsabilité de la commune de Monaco du fait d'une faute de service ;

Attendu que, par voie de conséquence, A. N. est en définitive fondée à solliciter la réparation du préjudice causé du fait de l'accident subi par son enfant mineur, et dont les conséquences directement rattachables ont consisté en une perturbation notable de la vie de la famille N. ;

Que le Tribunal estime à cet égard devoir prendre en considération tant la gêne éprouvée par la demanderesse dans ses activités quotidiennes, compte tenu de l'immobilisation plâtrée de son jeune fils durant un mois entier, que les frais et les troubles moraux engendrés par l'annulation d'un voyage familial en Irlande prévu pour l'été 1993 ;

Qu'il ne saurait en revanche être tenu compte des conséquences du refus par son mari J. N. d'accepter une offre de travail émanant de la société britannique Sterling Software, lesquelles s'avèrent sans lien nécessaire de cause à effet avec l'accident causé au jeune B. ;

Attendu que, dans ces conditions et compte tenu des éléments d'appréciation dont il dispose, le Tribunal estime devoir chiffrer à la somme de 20 000 francs le montant de la réparation que la commune de Monaco et la compagnie UAP - qui garantit sa responsabilité - devront être solidairement tenues à payer à A. N., toutes causes de préjudices confondues ;

Et attendu que les codéfenderesses devront être tenues aux dépens sous la même solidarité ;

Dispositif🔗

PAR CES MOTIFS,

Le Tribunal,

Statuant contradictoirement,

Déclare la commune de Monaco responsable de l'accident subi par B. N. dans les locaux de la halte-garderie de Monte-Carlo ;

Dit la commune de Monaco et la compagnie dénommée Union des assurances de Paris solidairement tenues de réparer toutes les conséquences dommageables qui en sont résultées ;

Les condamne de ce chef à payer à A. N. la somme de 20 000 francs à titre de dommages-intérêts et toutes causes de préjudice confondues ;

Composition🔗

MM. Landwerlin Prés. ; Serdet prem. Subst. Gén. Mes Escaut, Pastor av. déf. ; Boisbouvier av.

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