Tribunal de première instance, 25 janvier 1996, L. c/ SARL « K » Concept-R.

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Abstract🔗

Appel

Jugement du juge de paix - Appel dirigé contre une personne n'ayant pas été partie en première instance - Irrecevabilité

Résumé🔗

Si le droit positif français, inapplicable en la cause, admet, ainsi qu'il est soutenu, l'intervention forcée en appel aux fins de condamnation, et ce, lorsque l'évolution du litige implique la mise en cause du tiers, force est en l'occurrence de constater que les règles du Code de procédure civile monégasque, résultant de la loi n° 1135 du 16 juillet 1990, interdisent toujours la formulation de demandes nouvelles en cause d'appel et n'admettent que l'intervention volontaire des tiers ayant le droit de former tierce opposition à l'arrêt, sans autoriser l'intervention forcée aux fins de condamnation d'une personne non partie à l'instance originaire.

En l'état, d'une part, de l'absence de toute dérogation légale au principe du double degré de juridiction, s'agissant d'une personne qui n'a pas été appelée devant le premier juge, et compte tenu, d'autre part, des règles procédurales spécifiques inhérentes à la justice de paix (cf. article 24 du Code de procédure civile) qui imposent, à peine de nullité de la demande, la tentative préalable de conciliation - sauf dispense au demeurant non alléguée - il y a lieu de déclarer irrecevable le recours formé contre le jugement du juge de paix, de même que les conclusions prises en qualité d'intimé devant la juridiction d'appel.


Motifs🔗

Le Tribunal

Attendu que par jugement du 12 octobre 1994 - auquel il y a lieu de se référer pour plus ample exposé des faits de la cause - le juge de paix, saisi du contredit formé par R. L. à l'encontre d'une ordonnance d'injonction de payer du 17 mars 1994, a :

  • déclaré ledit contredit recevable mais non fondé,

  • maintenu en tous ses points l'ordonnance d'injonction de payer prononcée le 17 mars 1994 condamnant R. L. à payer à la société à responsabilité limitée dénommée « K » Concept la somme principale de 23 694,40 francs avec intérêts de droit à compter du 18 mars 1994,

  • débouté les parties du surplus de leurs demandes ;

Attendu que, suivant l'exploit susvisé, R. L. a régulièrement interjeté appel dudit jugement, signifié le 15 novembre 1994, aux fins de voir :

« Accueillir Monsieur L. en son appel, l'y déclarer fondé,

Infirmer le jugement entrepris et faisant ce que le premier juge aurait dû faire,

Mettre à néant l'ordonnance d'injonction de payer du 17 mars 1994,

Dire et juger que Monsieur L. n'est pas redevable de la somme de 24 194,40 F réclamée en principal par la société » K « Concept du fait de l'avoir émis par la Société » K « Concept le 25 novembre 1992 sur facture n° 5307/104 du 27 juillet 1992,

En conséquence, mettre Monsieur L. hors de cause et condamner la Société » K « Concept à payer la somme de 10 000 F pour procédure injustifiée,

À titre tout à fait subsidiaire, si par impossible Monsieur L. devait être déclaré redevable de quelque somme que ce soit, condamner Madame R. à relever et garantir Monsieur L. de toute condamnation pouvant intervenir à son encontre. »

Attendu qu'au soutien de son appel, R. L. fait pour l'essentiel valoir que l'avoir émis par la société « K » Concept au bénéfice de R. L. constitue l'engagement contractuel de la société « K » Concept de lui régler la somme de 24 194,40 francs tandis que parallèlement, l'émission de la facture n° 5307/104 par la société « K » Concept envers R. L. caractérise la réclamation par cette personne morale de sa créance de 24 194,40 francs sur ce dernier ; qu'ainsi, l'émission de l'avoir a bien eu pour effet d'effacer ladite dette par le jeu de la compensation ; qu'en outre, une seconde facturation émise au nom de B. R. démontre qu'il s'agissait là du réel débiteur ;

Que l'appelant estime dès lors que les conditions de la novation se sont trouvées remplies dans la mesure où un nouveau débiteur a en l'espèce été substitué à l'ancien qui s'est trouvé de ce fait déchargé par le créancier grâce à l'émission de l'avoir précité ;

Attendu que la société « K » Concept entend pour sa part, en réponse, voir :

« Déclarer irrecevable l'appel formé à titre subsidiaire par le sieur L. tendant à être relevé et garanti par Madame R. de toute condamnation qui pourrait être prononcée à son encontre ;

Au fond, débouter le sieur L. des fins de son exploit d'appel et Assignation en date du 13 décembre 1994 et de sa demande en paiement de la somme de 10 000 francs à titre de dommages-intérêts ;

Confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a déclaré non fondé le contredit formé par le sieur L. à l'encontre de l'ordonnance d'injonction de payer en date du 17 mars 1994 et maintenu en tous ses points ladite ordonnance l'ayant condamné à payer à la société Z » K « Concept la somme principale de 23 694,40 francs avec intérêts de droit à compter du 18 mars 1994 ;

Recevoir la Société concluante en son appel incident et l'y déclarer bien fondée ;

Réformer le jugement entrepris en ce qu'il a débouté la Société Z » K « Concept de sa demande en dommages-intérêts ;

Condamner le sieur L. au paiement de la somme de 10 000 francs à titre de dommages-intérêts pour résistance abusive et préjudice subi du fait du caractère dilatoire de l'appel » ;

Qu'au soutien de telles prétentions, la société intimée expose, sur l'appel principal, que R. L. lui apparaît tout d'abord irrecevable à assigner B. R. en intervention forcée et garantie en cause d'appel, dès lors que cette partie serait alors privée du double degré de juridiction ; que la société « K » Concept fait quant au fond valoir qu'elle a, suivant la livraison effectuée le 20 juillet 1992 au destinataire Print office, émis une facture de 24 194,40 francs adressée au même destinataire, soit R. L. ; que toutefois, sur les insistances de ce dernier qui disait ne pas devoir acquitter cette facture, la société intimée en adressait une copie à B. R. citée par son client, laquelle refusait de payer ;

Que c'est alors seulement qu'elle donnait son dossier à la SCRL aux fins de recouvrement de la créance à l'encontre de R. L., lequel devait d'ailleurs verser un acompte de 500 francs le 16 mars 1993, reconnaissant par là même sa dette ;

Que ce n'est en fait que par suite d'une erreur de service que R. L. se serait trouvé en la possession d'un avoir qui n'aurait été déposé qu'à titre de projet dans le dossier de recouvrement et qui n'aurait, selon la société « K » Concept, aucune valeur juridique ; qu'elle en déduit que le premier juge a à bon droit écarté l'argument tiré de la novation et confirmé l'ordonnance d'injonction de payer du 17 mars 1994 ;

Que, compte tenu de l'ancienneté de sa propre créance et du caractère dilatoire de l'appel interjeté par R. L., la société « K » Concept s'estime fondée à solliciter la condamnation de ce dernier au paiement d'une somme de 10 000 francs à titre de dommages-intérêts pour résistance abusive ;

Attendu que B. R. se référant à diverses jurisprudences de la Cour d'appel monégasque et aux principes respectifs du double degré de juridiction et de la tentative préalable de conciliation devant le Juge de paix, estime que l'appel en garantie dirigé à son encontre par R. L. en cause d'appel s'avère radicalement irrecevable ; qu'à titre subsidiaire, B. R. rappelle que « la novation ne se présume point » et que l'avoir produit par R. L. ne peut à lui seul permettre d'établir que la société « K » Concept ait entendu décharger ce dernier du paiement, alors en outre que l'on ne trouve dans les pièces produites aucun document attestant de l'intention non équivoque de B. R. de s'engager envers la société « K » Concept ;

Que tout en sollicitant dès lors le débouté pur et simple de R. L. de l'ensemble de ses demandes, B. R., estimant abusive la procédure introduite à son encontre, sollicite une somme de 5 000 francs à titre de dommages-intérêts pour procédure abusive ;

Attendu que R. L., répliquant aux moyens ainsi développés, se réfère à la jurisprudence récente de la Cour de cassation française qui retient la mise en cause en appel d'un tiers non partie en première instance, et ce, par la voie de l'intervention forcée, dans le cas où l'évolution du litige justifie sa mise en cause ; qu'il invoque également les dispositions des articles 435 et 380 du Code de procédure civile et en déduit qu'aucune disposition légale n'interdit l'appel en garantie d'un tiers en cause d'appel ; que R. L. conclut dès lors au rejet des exceptions soulevées par B. R. et la société « K » Concept et fait quant au fond valoir que B. R. n'a émis aucune contestation à la réception de la facture litigieuse et aurait de la sorte accepté sa qualité de débiteur et destinataire réel des produits livrés ; que R. L. sollicite en définitive le bénéfice intégral de son exploit du 13 décembre 1994 ;

Sur ce,

Attendu que si l'appel interjeté selon exploit du 13 décembre 1994 à l'encontre du jugement précité, signifié le 15 novembre 1994, apparaît régulièrement formé, en tant qu'il est dirigé à l'encontre de la société « K » Concept partie à l'instance initiale, il convient toutefois de déterminer si l'appel dirigé contre B. R. tendant à sa mise en cause aux fins de condamnation se trouve recevable, dès lors que cette dernière partie n'a pas été citée devant le Juge de paix ;

Attendu que, si le droit positif français, inapplicable en la cause, admet, ainsi que le soutient R. L., l'intervention forcée en appel aux fins de condamnation, et ce, lorsque l'évolution du litige implique la mise en cause du tiers, force est en l'occurrence de constater que les règles du Code de procédure civile monégasque résultant de la loi n° 1135 du 16 juillet 1990 interdisent toujours la formulation de demandes nouvelles en cause d'appel et n'admettent que l'intervention volontaire des tiers ayant le droit de former tierce opposition à l'arrêt, sans autoriser l'intervention forcée aux fins de condamnation d'une personne non partie à l'instance originaire ;

Attendu qu'en l'état, d'une part, de l'absence de toute dérogation légale au principe du double degré de juridiction, s'agissant d'une personne qui n'a pas été appelée devant le premier juge, et compte tenu d'autre part des règles procédurales spécifiques inhérentes à la justice de paix - (cf. l'article 24 du Code de procédure civile) - qui imposent, à peine de nullité de la demande, la tentative préalable de conciliation - sauf dispense au demeurant non alléguée en l'état - il y a lieu de déclarer irrecevable le recours dirigé par R. L. à l'endroit de B. R., laquelle apparaît également irrecevable à conclure en qualité d'intimée devant la juridiction d'appel ;

Attendu qu'à l'appui de l'appel interjeté à l'encontre de la société « K » Concept, R. L. invoque la novation par changement de débiteur qui serait en l'espèce résultée de l'émission par la société susvisée :

  • d'une part, d'une nouvelle facture à l'adresse de Madame R. de même montant que la facture initiale n° 5307/104 en date du 27 juillet 1992, soit 24 194,40 francs,

  • d'autre part, d'un avoir toujours de même montant établi le 25 novembre 1992 au bénéfice du sieur L. qui aurait permis, par l'effet de la compensation, d'annuler la créance résultant de la facture n° 5307/104 précitée qui lui aurait été adressée par erreur ;

Attendu qu'il résulte cependant de la chronologie des faits constants de la cause qu'un avoir - dont les circonstances ne permettent pas d'établir comment R. L. en prit vraiment possession - fut établi le 25 novembre 1992 par le secrétariat de la société « K » Concept à titre de projet et à l'effet de corriger une éventuelle erreur de facturation ; qu'en dépit de ce document, dont il est par voie de conséquences certain qu'il n'en avait pas encore connaissance, R. L., sollicité par la SCRL, société de recouvrement de la société « K » Concept, payait à cette dernière un acompte de 500 francs suivant chèque du 16 mars 1993, se reconnaissant de la sorte seul débiteur de la facture litigieuse ainsi que l'a à bon droit relevé le Juge de paix ;

Attendu, s'agissant en outre du fondement juridique invoqué par R. L. à l'appui de son recours, qu'il s'évince des dispositions de l'article 1119 (2°) du Code civil que la novation par changement de débiteur s'opère lorsqu'un nouveau débiteur est substitué à l'ancien qui est déchargé par le créancier ; que la novation ne se présumant pas (article 1121), il faut que la volonté de l'opérer résulte clairement de l'acte, et ce, même si sa réalisation n'implique pas nécessairement le concours du premier débiteur ;

Attendu qu'en l'occurrence, le seul acte produit est un projet d'avoir - qui ne caractérise tout au plus qu'un crédit accordé au client R. L. - mais ne démontre nullement la volonté du créancier, la société « K » Concept, d'accepter un nouveau débiteur en la personne de B. R., qui ne s'y trouve d'ailleurs pas mentionnée, et de libérer R. L., soit le premier débiteur, de son obligation, dont il s'acquittera au demeurant pour partie quelques mois plus tard avec l'accord du même créancier ;

Qu'enfin, il convient principalement d'observer que la convention novatoire repose sur un accord de volonté établi entre le créancier et le nouveau débiteur, lequel fait en l'espèce totalement défaut dans la mesure où B. R. a toujours contesté le principe même de sa dette ; qu'il doit en définitive être admis que la simple indication faite par R. L., débiteur de la société « K » Concept, qu'une personne devait selon lui payer à sa place, ne saurait caractériser l'existence d'une obligation nouvelle, ni opérer aucune substitution de débiteur, et ce, conformément aux dispositions de l'article 1125 du Code civil ;

Attendu en conséquence que le Juge de paix ayant à bon droit rejeté le contredit et confirmé l'ordonnance d'injonction de payer rendue le 17 mars 1994, il convient de confirmer de ce chef sa décision ;

Attendu, sur l'appel incident régulièrement interjeté par la société « K » Concept, tendant à voir réformer le jugement du 12 octobre 1994 en ce qu'il l'a déboutée des fins de sa demande additionnelle en dommages-intérêts, qu'il y a lieu de tenir compte de l'ancienneté de la dette comme de son exigibilité et du préjudice éprouvé par la société susvisée pour faire droit à sa demande de réparation à concurrence d'une somme de 6 000 francs ;

Attendu enfin que l'appel dirigé à l'encontre de B. R. ayant été déclaré irrecevable et cette partie ayant été obligée d'assurer sa défense devant la présente juridiction, il y a lieu de réparer le préjudice qui a pu en résulter pour celle-ci en condamnant R. L. à lui payer une somme de 3 000 francs à titre de dommages-intérêts ;

Et attendu que les dépens de première instance et d'appel resteront à la charge de R. L. ;

Dispositif🔗

PAR CES MOTIFS,

Le Tribunal,

Statuant contradictoirement comme juridiction d'appel du Juge de paix,

Déclare R. L. irrecevable en son appel à l'encontre de B. R. et celle-ci irrecevable à conclure en qualité d'intimée en la cause ;

Reçoit en revanche R. L. en son appel à l'encontre de la société à responsabilité limitée dénommée « K » Concept et, l'en déboutant quant au fond,

Confirme le jugement rendu le 12 octobre 1994 par le Juge de paix en ce qu'il a rejeté le contredit de R. L. et confirmé l'ordonnance d'injonction de payer du 17 mars 1994 ayant condamné ce dernier à payer à la société « K » Concept la somme principale de 23 694,40 francs, avec intérêts de droit à compter du 18 mars 1994 ;

Le réformant du chef de la demande de réparation formée par la société « K » Concept, condamne R. L. à payer à cette société la somme de 6 000 francs à titre de dommages-intérêts ;

Condamne en outre R. L. à payer à B. R. la somme de 3 000 francs à titre de dommages-intérêts ;

Composition🔗

MM. Landwerlin Prés. ; Serdet prem. Subst. Proc. Gén. ; Mes Pastor, Escaut, Sanita, Sbarrato av. déf. ; Pasquier, Licari, av.

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