Tribunal de première instance, 4 mai 1995, Veuve A. c/ SCI du .

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Abstract🔗

Procédure civile

Exploit d'assignation - Indication d'une date incomplète (ou erronée) dans la copie de l'assignation - Nullité de l'expert (C. pr. civ., art. 136 et 155) (1) - Signification de l'expert au Parquet général, en l'état du domicile à l'étranger - Formalité du visa du procureur général prévue exclusivement sur l'original (C. pr. civ., art. 150) et non sur la copie (2)

Propriété

Usucapion - Location : Impossibilité d'usucaper par prescription acquisitive (3)

Résumé🔗

Aux termes de l'article 136 du Code de procédure civile, tout exploit d'huissier doit contenir indication de ses « jour, mois et an » à peine de nullité prévue par l'article 155 dudit code.

Eu égard aux dispositions de l'article 966 du Code de procédure civile lesquelles disposent qu'aucune des nullités prononcées par le présent code n'est comminatoire, l'assignation querellée, portant une date incomplète : « l'an mil neuf cent quatre vingt onze et le vingt-sept du mois de ... » devrait donc être déclarée nulle.

Toutefois, il est de jurisprudence constante qu'il peut être suppléé à l'indication incomplète ou erronée, et même à l'omission de la date, lorsque celle-ci se dégage sans aucune incertitude de circonstances de faits extrinsèques à l'acte mais se rattachant étroitement à la remise de la copie d'exploit et permettant de lui donner une date certaine.

Tel est le cas en l'espèce dès lors qu'à la copie d'assignation signifiée à parquet (compte tenu de la domiciliation en France du gérant de la société défenderesse) et transmise par le Procureur général au Procureur de la République près du Tribunal de grande instance de Nanterre pour notification à la défenderesse, était normalement joint le bordereau de transmission prévu à l'article 5 de la Convention franco-monégasque d'aide mutuelle judiciaire du 21 septembre 1949, ledit bordereau portant bien indication de la date du 27 novembre 1991 comme étant celle de l'assignation à notifier. Cette indication émanant du Procureur général et contenue dans un acte officiel établi en exécution d'une convention internationale et joint à la transmission de l'assignation entre parquets, a nécessairement, dans l'esprit de la défenderesse, dû suppléer à la mention incomplète de la date de l'exploit(1).

Selon l'article 150 alinéa 1 du Code de procédure civile « la copie des exploits concernant des personnes qui habitent hors de la Principauté sera remise par l'huissier au Parquet du Procureur général, lequel l'enverra aux autorités compétentes après avoir visé l'original et fait mentionner, sur un registre spécial, la date du dépôt et celle de la transmission », ces dispositions étant prévues à peine de nullité.

Il importe peu que la copie d'assignation comme d'ailleurs la copie qui a fait l'objet d'un enrôlement ne comportent pas ce visa du procureur général, alors que l'original le contient, l'article 150 précité ayant été respecté puisque cette formalité ne concerne expressément que l'original de l'exploit(2).

Les qualités de locataire et de possesseur sont, par principe, antinomiques ; en effet en se reconnaissant locataire, celui qui occupe les lieux reconnaît en même temps le droit de propriété d'autrui ; il n'occupe donc pas les lieux avec la volonté de s'affirmer comme propriétaire puisque le pouvoir de fait qu'il exerce sur la chose a pour origine un titre conventionnel ou légal impliquant l'affirmation de la propriété d'autrui.

Le locataire, qui ne fait que posséder pour le compte d'autrui, n'est qu'un simple détenteur précaire et, à ce titre, ne peut prescrire (Cf. C. civ., art. 2056, al. 2).

Il n'en irait autrement qu'en cas d'interversion du titre de détention en titre de possession « soit pour cause venant d'un tiers, ou par la contradiction... opposée au droit du propriétaire (Cf. C. civ., art. 2058).

Les hypothèses d'interversion prévues à l'article 2056 précité sont limitatives, d'ailleurs, aux termes de l'article 2060 du même code » on ne peut prescrire contre son titre, en ce sens que l'on ne peut point se changer à soi-même la cause et le principe de la possession «.

En l'espèce, l'intéressée, qui ne dénie pas être entrée dans les lieux comme locataire, n'est que détenteur précaire ; n'ayant jamais été possesseur au sens de l'article 2047 du Code civil, elle ne saurait être devenue propriétaire par usucapion(3).


Motifs🔗

Le Tribunal,

Considérant les faits suivants

A. A. veuve G. a, par l'exploit susvisé du 27 novembre 1991, assigné la société civile particulière de droit monégasque dénommée » SCI du . « pour qu'il soit dit qu'elle a valablement pu prétendre à la prescription trentenaire de la villa C. sise à Monaco ; elle demande aussi que soit rescindée pour lésion la vente de ladite villa que le 27 décembre 1990, elle a consentie à la défenderesse ;

Elle expose à l'appui de sa demande que feu son mari s'était toujours considéré propriétaire de la villa C. dans laquelle il vivait, d'abord seul puis avec elle, et qu'au décès de celui-ci en 1985 elle-même a continué à vivre dans la villa, toujours en se comportant comme la propriétaire ; elle en déduit qu'ainsi que cela résulte d'un acte de notoriété notarié en date du 8 février 1990, elle doit être considérée comme propriétaire par voie de prescription acquisitive ;

Elle révèle qu'en date du 20 juillet 1990 elle a passé avec la société anonyme de droit français dénommée PROMO-FRANCE une promesse de vente et d'achat de la villa et du terrain environnant pour le prix de 28 000 000 francs payable le jour de la signature de l'acte authentique, le représentant de la société PROMOFRANCE ayant alors admis avoir parfaitement connaissance de l'origine de propriété de la villa par voie d'usucapion ;

Elle précise que, dans cet acte du 20 juillet 1990, la société PROMOFRANCE s'était expressément réservé la faculté de se voir substituer, dans le bénéfice du contrat par toutes personnes physiques ou morales de son choix ; elle insiste surtout sur le fait que l'acte de vente a finalement été passé le 27 décembre 1990 avec la » SCI du . « mais seulement pour le prix de 8 000 000 francs ;

La » SCI du . « a répliqué le 13 mai 1992, en concluant à la nullité de l'exploit d'assignation qui lui a été délivré, dans la mesure où il serait insuffisamment daté et où n'y figurerait pas le visa du Parquet ;

Elle fait ainsi valoir que l'exploit d'assignation qui lui a été délivré par l'intermédiaire du Parquet, compte tenu de la domiciliation en France de son gérant statutaire, ne comporte comme date qu'un jour (le 27) et une année (1991) ; elle en déduit que, faute d'indication du mois, cet acte est nul pour violation des dispositions de l'article 136 du Code de procédure civile ; elle ajoute que l'acte est également nul pour non-respect de l'article 150 du Code de procédure civile dans la mesure où le visa du Parquet n'y figure pas ;

A. A. veuve G. a, le 3 juillet 1992, conclu au rejet de l'exception de nullité ;

Elle fait valoir que la mention du mois de novembre figure bien sur l'original de l'exploit d'assignation en sa possession et sur l'exemplaire enrôlé au tribunal ; elle ajoute que, lorsque le représentant du gérant de la défenderesse s'est vu remettre en France l'acte d'assignation, il a expressément admis que celui-ci avait pour date le 27 novembre 1991 ; elle ajoute que la défenderesse n'a en toute hypothèse subi aucun préjudice puisqu'elle a normalement comparu et constitué avocat-défenseur dans les délais ;

Elle déclare, par ailleurs, que le visa du Parquet figure régulièrement sur l'original de l'acte d'assignation et que cela est suffisant au regard de l'article 150 du Code de procédure civile ;

Outre le rejet de l'exception de nullité, A. A. veuve G. demande qu'il lui soit donné acte de ce qu'elle entend rectifier le paragraphe du dispositif de son assignation relatif à la prescription acquisitive ; en effet, elle demande désormais que l'existence de celle-ci soit non plus jugée mais simplement constatée ;

Elle demande enfin qu'il soit enjoint à la société défenderesse de conclure au fond ;

Celle-ci a répliqué, le 25 novembre 1992, que la promesse de vente sous seing privé en date du 20 juillet 1990 est devenue caduque faute d'avoir été réitérée dans le délai prévu qui expirait le 30 octobre 1990, et ce en raison de l'opposition de l'État de Monaco ;

Elle déclare, en effet, que le 30 octobre 1990 l'État de Monaco avait notifié à la société PROMOFRANCE, de même qu'au notaire instrumentaire, qu'il venait de faire défense à A. A. Veuve G. de se prétendre propriétaire de la villa C. et de passer l'acte de vente envisagé ;

Elle révèle que la société PROMOFRANCE avait alors essayé de prendre contact avec les demoiselles K., propriétaires en titre de la villa, mais que celles-ci, sur sommation interpellative du 8 décembre 1990, avaient déclaré qu'elles ne voulaient plus entendre parler de la villa dont, d'ailleurs, elles se seraient totalement désintéressées ;

Elle explique que c'est dans ces conditions que le 21 décembre 1990 la société PROMOFRANCE écrivait à l'État de Monaco pour lui faire savoir qu'elle était toujours désireuse de passer l'acte et qu'elle était disposée à céder gracieusement à l'ADMINISTRATION DES DOMAINES, conformément aux usages monégasques, une surface habitable de 200 m2 dès l'achèvement des travaux ;

Elle fait valoir qu'en suite de la réponse du 27 décembre 1990 du Directeur de l'Urbanisme, laquelle réponse ne contenait plus d'opposition au projet, le notaire avait ce même jour dressé un acte qui relatait tous ces événements et qui mentionnait, primo, que la société PROMOFRANCE renonçait aux diverses conditions suspensives qui pouvaient affecter l'acte du 20 juillet 1990 et, secundo, qu'avec la demanderesse, il avait été convenu de ramener le prix de vente de la villa de 28 000 000 francs à 8 000 000 francs ;

Elle précise que, par la suite, ce même 27 décembre 1990, l'acte de vente était passé à son profit, et non plus à celui de la société PROMOFRANCE ;

La » SCI du . « prétend qu'A. A. veuve G. serait irrecevable en sa demande dans la mesure où elle fonde celle-ci à la fois sur un vice du consentement et sur une lésion ;

Elle ajoute qu'en toute hypothèse la demanderesse ne prouve pas qu'elle ait pu faire l'objet de violences ou de pressions lorsqu'elle a signé l'acte de vente notarié du 27 décembre 1990 ;

Elle ajoute qu'A. A. veuve G. connaît parfaitement les raisons de fait pour lesquelles elle avait été amenée à réduire son offre d'achat de 28 000 000 francs à 8 000 000 francs ;

La société défenderesse prétend, par ailleurs, qu'il ne peut y avoir lésion dans la mesure où dans la détermination de la valeur de l'immeuble il doit être tenu compte des diverses potentialités de construction que celui-ci offre, ainsi que des charges et prestations de toute nature stipulées à la charge de l'acquéreur ; elle en déduit que, de 28 000 000 francs, on est normalement passé à 8 000 000 francs compte tenu de la prise en compte des éléments suivants :

  • frais afférents à l'établissement du droit à l'usucapion (1 430 000 francs) ;

  • dation à l'État de Monaco (12 000 000 francs) ;

  • manque à gagner dans le projet de construction du fait de cette dation (4 870 000 francs) ;

  • frais de déménagement d'A. A. veuve G. (1 500 000 francs) ;

  • frais de mainlevée d'inscription d'hypothèque (200 000 francs) ;

  • avances consenties à A. A. veuve G. (198 500 francs) ;

La » SCI du . « en déduit que c'est de façon abusive et vexatoire qu'A. A. veuve G. a agi en Justice ; elle réclame à ce titre 500 000 francs de dommages-intérêts ;

Elle demande, par ailleurs, qu'il lui soit donné acte de ses réserves quant à la réparation du préjudice qui pourrait résulter pour elle d'une contradiction au droit à l'usucapion invoqué par la demanderesse ;

A. A. veuve G. a une nouvelle fois conclu le 17 décembre 1992 ; elle déclare que c'est bien à la suite de pressions de la société PROMOFRANCE, laquelle la menaçait de ne pas donner suite à l'opération, qu'elle a accepté de vendre pour le prix de 8 000 000 francs ; elle maintient donc que la vente dont s'agit doit être annulée pour violence ; elle ajoute qu'elle est en droit de soutenir en même temps que la vente doit être rescindée en raison de la lésion qui la caractérise ;

Elle insiste par ailleurs sur le fait que la villa avait bien une valeur de 28 000 000 francs et qu'en aucun cas les divers frais allégués par la défenderesse (à l'exception de l'avance de 198 500 francs) ne sauraient venir réduire cette valeur, ce qui reviendrait à dire que ce serait elle-même qui aurait à les supporter ;

Elle demande que la société défenderesse lui paie la somme de 18 000 000 francs (outre intérêts) qui correspondrait au solde restant dû et, à défaut, que soit prononcée l'annulation de la vente ; elle demande, dans cette dernière hypothèse, que lui demeurent acquis à titre de dommages-intérêts les 8 000 000 francs qu'elle a déjà perçus ;

A. A. veuve G. a maintenu sa position dans des écritures en date du 29 avril 1993 ; elle y ajoute que la défenderesse qui a accepté d'acquitter la TVA sur le prix de 28 000 000 francs a implicitement admis que c'était bien là la valeur de la villa C. ;

La » SCI du . « a une nouvelle fois répliqué le 1er juillet 1993, en réitérant ses précédentes écritures et en rappelant que l'acte d'assignation serait nul ; au fond elle maintient que l'acte de promesse du 20 juillet 1990 est devenu caduc faute d'avoir été réitéré dans les délais et, notamment, faute pour A. A. veuve G. d'avoir fourni en temps utile, comme elle s'y était engagée, les éléments nécessaires à l'établissement d'une origine de propriété certaine ; elle ajoute que c'est uniquement pour éviter que l'État de Monaco puisse exercer son droit de préemption qu'elle a convenu avec le notaire instrumentaire que l'assiette de la TVA devait demeurer fixée à la somme de 28 000 000 francs ;

A. A. veuve G. a conclu en réponse le 21 octobre 1993, en maintenant que l'exploit délivré à la défenderesse n'est pas nul dès lors qu'aucun grief n'aurait été subi par celle-ci du fait de l'irrégularité de l'acte ;

Elle ajoute qu'elle a valablement pu faire état à la fois d'un vice en consentement et d'une lésion ; elle déclare par ailleurs contester la méthode d'évaluation de la villa, retenue par la » SCI du . « ; elle ne fonde toutefois plus sa demande que sur la lésion ;

Elle conclut au rejet de la demande reconventionnelle de dommages-intérêts et sollicite le bénéfice de l'exécution provisoire ;

La société défenderesse a répliqué pour la dernière fois le 16 février 1994 ;

Elle déclare maintenir intégralement ses précédentes écritures et prétend que, contrairement à ce que soutient A. A. veuve G., il n'y a pas eu continuation mais novation entre l'acte de vente notarié et la promesse de vente antérieure ;

Elle ajoute que l'acte de promesse était de toutes façons devenu caduc faute de réitération dans le délai convenu ;

Elle maintient que c'est bien compte tenu de l'évolution de la situation, et notamment de la position de l'État monégasque, qu'elle avait été amenée à réduire le montant de son offre d'achat à 8 000 000 francs ; elle soutient que de toutes façons, A. A. veuve G. était libre d'accepter ou de refuser de vendre à ce prix ;

Elle insiste sur le caractère abusif et vexatoire de la procédure introduite par A. A. veuve G. et réitère sa demande reconventionnelle tendant au paiement de 500 000 francs de dommages-intérêts ;

Sur quoi,

A) Sur l'exception de nullité de l'assignation pour indication incomplète de la date

Attendu qu'il est constant que la copie d'assignation destinée à la » SCI du . « porte comme date » l'an mil neuf cent quatre-vingt-onze et le vingt-sept du mois de... « ;

Que le mois de la délivrance de l'acte n'est donc pas mentionné cependant que l'original détenu par A. A. veuve G., ainsi que la copie qui a fait l'objet d'un enrôlement devant le Tribunal sont, eux, correctement datés de » l'an mil neuf cent quatre-vingt-onze et le vingt-sept du mois de novembre « ;

Attendu que selon l'article 966 du Code de procédure civile, » aucune des nullités, amendes et déchéances prononcées par le présent code n'est comminatoire «, ce qui revient à dire que la nullité prévue n'est pas une simple menace mais a un caractère péremptoire ;

Que, comme en France avant la réforme du 30 octobre 1935 (cf. article 1029 ancien du Code de procédure civile français), le Tribunal n'est donc pas maître de la nullité et se doit de la prononcer chaque fois que, prévue par un texte, elle est constatée ;

Attendu que le non-respect des dispositions de l'article 136 du Code de procédure civile est justement prévu » à peine de nullité « par l'article 155 dudit code ;

Que selon cet article 136, tout exploit d'huissier doit contenir indication de ses » jour, mois et an « ;

Que, compte tenu des dispositions de l'article 966 précité, l'assignation notifiée à la » SCI du . « et portant comme date » l'an mil neuf cent quatre-vingt-onze et le vingt-sept du mois de... « devrait donc être déclarée nulle ;

Attendu, toutefois, qu'ainsi qu'il était de jurisprudence constante en France jusqu'à la réforme précitée du 30 octobre 1935, il peut être suppléé à l'indication incomplète ou erronée, et même à l'omission de la date, lorsque celle-ci se dégage sans aucune incertitude de circonstances de fait extrinsèques à l'acte mais se rattachant étroitement à la remise de la copie d'exploit et permettant de lui donner une date certaine ;

Attendu qu'en l'espèce, il est justifié qu'à la copie d'assignation signifiée à Parquet (compte tenu de la domiciliation en France du gérant de la défenderesse) et transmise par le Procureur général au procureur de la République près le Tribunal de grande instance de Nanterre pour notification à la défenderesse, était normalement joint le bordereau de transmission prévu à l'article 5 de la Convention franco-monégasque d'Aide Mutuelle Judiciaire du 21 septembre 1949, rendue exécutoire à Monaco par Ordonnance du 2 décembre 1949, ledit bordereau portant bien indication de la date du 27 novembre 1991 comme étant celle de l'assignation à notifier ;

Que cette indication, émanant du Procureur général, est contenue dans un acte officiel établi en exécution d'une convention internationale et joint à la transmission de l'assignation entre Parquets, a nécessairement, dans l'esprit de la défenderesse, dû suppléer à la mention incomplète de la date sur l'exploit ;

Que, d'ailleurs, soit à la lecture de ce bordereau de transmission, soit sur la relation que lui en donnaient les services de gendarmerie de Sèvres chargés de la remise de l'acte, le représentant du gérant de la défenderesse a, avant d'apposer sa signature sur le » carnet de déclarations «, fait les déclarations suivantes devant le gendarme (APJ) O. C. : » je reconnais prendre possession ce jour de l'assignation émanant du Tribunal de première instance de Monaco en date du 27 novembre 1991... Lecture faite par moi... de la déclaration ci-dessus, j'y persiste et n'ai rien à y changer, à y ajouter ou à y retrancher « (cf. PV de gendarmerie produit par la demanderesse et portant la référence CU 05008 - PV 00593/91) ;

Attendu que cette reconnaissance expresse par la défenderesse, dans un procès-verbal de gendarmerie, de la connaissance qu'elle avait de la date de l'assignation qui lui était remise, confirme qu'il a bien été, et de manière satisfaisante, suppléé à l'indication incomplète de la date sur l'exploit alors transmis ;

Qu'il s'ensuit que la copie d'assignation entre les mains de la » SCI du . « n'est pas nulle et que donc cette défenderesse doit être déboutée de cette première exception de nullité de l'assignation ;

B) Sur l'exception de nullité de l'assignation pour défaut de visa du Parquet

Attendu que selon l'article 150 (alinéa 1) du Code de procédure civile » la copie des exploits concernant des personnes qui habitent hors de la Principauté sera remise par l'huissier au Parquet du Procureur général, lequel l'enverra aux autorités compétentes après avoir visé l'original et fait mentionner, sur un registre spécial, la date du dépôt et celle de la transmission... « ;

Attendu que ces dispositions sont, elles aussi, prévues » à peine de nullité « ;

Attendu qu'il est de fait que la copie d'assignation détenue par la défenderesse, comme d'ailleurs la copie qui a fait l'objet d'un enrôlement, ne comportent pas ce visa du Procureur général ;

Qu'en revanche, l'original de l'acte d'assignation, détenu par A. A. veuve G., contient bien ledit visa des services du Procureur général ;

Attendu que l'article 150 précité a donc normalement été respecté puisque la formalité du visa ne concerne expressément que l'original de l'exploit ;

Que l'exception de nullité soulevée sur ce point par la » SCI du . « doit donc, elle aussi, être rejetée ;

C) Sur la prescription acquisitive

Attendu qu'A. A. veuve G. demande très précisément au tribunal de constater, en l'état des éléments de la cause, qu'elle justifiait bien au sens de l'article 2048 du Code civil » d'une possession continue et non interrompue, paisible, publique, non équivoque, à titre de propriétaire de la villa « C. », et que, de ce fait, elle a pu prétendre à la prescription trentenaire sur ledit bien, telle que prévue par l'article 2082 du Code civil « (cf. conclusions rectificatives du 3 juillet 1992) ;

Attendu, toutefois, qu'à l'appui de cette demande, A. A. veuve G., à qui incombait la charge de la preuve de cette prétention, ne fournit aucun élément, autre que celui de son occupation de la villa, permettant d'établir que pendant au moins trente ans elle a, et avant elle son mari, possédé la villa au sens des articles 2047 et suivants du Code civil ;

Qu'A. A. veuve G. se contente, en effet, de procéder par affirmations et de renvoyer à l'acte de notoriété dressé par Me Louis-Constant Crovetto, Notaire à Monaco, le 8 février 1990 et dans lequel on peut lire sous la plume de cet officier ministériel : » et que de tout ce que dessus, les conditions exigées par l'article 2048 du Code civil pour acquérir la propriété par la prescription trentenaire sont réunies et Madame veuve G. née A. doit être considérée comme propriétaire de ladite villa C. plus haut désignée « ;

Attendu, toutefois, que cette opinion qui n'engage que son auteur, ne peut avoir force de décision judiciaire exécutoire et s'imposer au tribunal ;

Que, notamment, il est constaté, ainsi que ce notaire l'a lui-même admis en page 3 de son acte du 8 février 1990, que c'est en qualité de locataire que feu J. G. était entré dans les lieux à la suite d'un affichage légal du 1er octobre 1949 ;

Que, non seulement la demanderesse ne conteste pas ce point, mais que de surcroît, il ressort de la notification du 30 octobre 1990 de l'État de Monaco aux parties intéressées, que lorsque le 13 octobre 1976 J. G. écrivait au Directeur du Service de l'Urbanisme et au Directeur du Banco di Roma, il le faisait expressément en qualité de » locataire de la villa C. « ;

Qu'il ressort de la même notification que le 12 octobre 1980, à l'occasion de l'établissement d'un acte d'huissier, A. G. déclarait sans ambages à l'huissier instrumentaire que son mari était » locataire principal « de l'immeuble ;

Attendu qu'A. A. veuve G. paraît n'avoir contesté aucune de ces énonciations de la notification du 30 octobre 1990 ;

Attendu, cependant, que les qualités de locataire et de possesseur sont, par principe, antinomiques ;

Attendu, en effet qu'en se reconnaissant locataire, celui qui occupe les lieux reconnaît en même temps le droit de propriété d'autrui ;

Qu'il n'occupe donc pas les lieux avec la volonté de s'affirmer comme propriétaire (» animus domini «) puisque le pouvoir de fait qu'il exerce sur la chose (» corpus «) a pour origine un titre conventionnel ou légal impliquant l'affirmation de la propriété d'autrui ;

Que le locataire, qui ne fait que posséder pour le compte d'autrui, n'est donc qu'un simple détenteur précaire et, à ce titre, ne peut prescrire (cf. article 2056, alinéa 2 du Code civil) ;

Qu'il n'en irait autrement qu'en cas d'interversion du titre de détention en titre de possession » soit pour cause venant d'un tiers, soit par la contradiction... opposée au droit du propriétaire « (cf. article 2058 du Code civil) ;

Attendu qu'A. A. veuve G. n'invoque aucune de ces deux hypothèses, qui, au demeurant, ne paraissent effectivement pas avoir existé en l'espèce ;

Qu'elle se contente de soutenir, implicitement, que feu J. G., certes locataire à l'origine, ne serait à un moment donné considéré comme propriétaire, ce qui aurait réalisé l'interversion de titre nécessaire ;

Attendu, toutefois, que les hypothèses d'interversion prévues à l'article 2056 précité sont limitatives et que d'ailleurs, aux termes de l'article 2060 du même code » on ne peut prescrire contre son titre, en ce sens que l'on ne peut point se changer à soi-même la cause et le principe de la possession « ;

Attendu, en définitive, que feu J. G. et A. A. veuve G., simples détenteurs précaires de la villa, n'ont jamais été possesseurs de celle-ci au sens de l'article 2047 du Code civil ; qu'en conséquence, la demanderesse doit être déboutée de sa demande tendant à ce qu'il soit constaté qu'elle a possédé la villa et qu'elle en est devenue propriétaire par usucapion (prescription acquisitive trentenaire) ;

D) Sur le reste des demandes

Attendu qu'il ressort tant des explications des parties que de l'acte de notoriété précité du 8 février 1990 que les derniers propriétaires de la villa pourvus d'un titre de propriété seraient M. K. veuve K., S. K. et H. K. ;

Que ces trois personnes seraient bénéficiaires du legs à titre particulier consenti par H. K. veuve A. le 14 juin 1940 (testament olographe déposé aux minutes de Me Settimo, notaire à Monaco, le 31 janvier 1947), les légataires universels ayant eux-mêmes consenti à la délivrance de ce legs à titre particulier le 7 février 1950 (acte aux minutes de Me Settimo), après leur envoi en possession par Ordonnance présidentielle du 14 février 1948 (grosse déposée aux minutes de Me Settimo le 27 février 1948) ;

Attendu que ces légataires à titre particulier ne semblent nullement s'être manifestés de quelque sorte que ce soit à Monaco ;

Qu'on ne peut cependant déduire du contenu de la sommation interpellative dressée en Yougoslavie le 8 décembre 1990 que ces personnes auraient renoncé au legs ;

Que, celles-ci, ou les survivantes d'entre elles, qui apparaissent n'avoir ni domicile ni résidence à Monaco, n'assurent à l'évidence plus la gestion de leurs intérêts dans la Principauté ;

Attendu que cette carence, par l'incertitude qu'elle instaure quant à la solution du litige, est de nature à mettre en péril les intérêts d'autrui, et particulièrement ceux de l'État éventuellement intéressé à la dévolution d'une succession vacante ;

Attendu qu'il y a, dès lors, lieu, avant-dire-droit sur le surplus des demandes présentées par les parties, d'ordonner la réouverture des débats et la communication du dossier au Ministère public en vue de l'éventuelle désignation d'un administrateur provisoire de la villa C. par application de la loi n° 907 du 17 mars 1971 relative à la » protection d'intérêts situés à Monaco « ;

Que la cause et les parties doivent être, en conséquence, renvoyées à une audience ultérieure ;

Dispositif🔗

PAR CES MOTIFS,

Le Tribunal,

Statuant contradictoirement,

Rejette les exceptions de nullité d'assignation soulevées par la » SCI du . " ;

Constate que feu J. G. et A. A. veuve G. n'ont jamais été possesseurs de la villa C. ;

Constate qu'A. A. veuve G. n'est pas devenue propriétaire de cette villa par prescription acquisitive ;

Déboute en conséquence A. A. veuve G. de sa demande formulée de ce chef ;

Avant-dire-droit sur le surplus des demandes,

Ordonne la réouverture des débats ;

Ordonne la communication du dossier au Ministère public aux fins éventuelles de désignation d'un administrateur provisoire de la villa C., par application de la Loi n° 907 du 17 mars 1971 ;

Renvoie la cause et les parties à l'audience du jeudi 18 mai 1995 à 9 heures ;

Composition🔗

MM. Landwerlin prés. ; Serdet prem. subst. proc. gén. ; - Mes Sbarrato et Léandri av. déf. ; Pradignac av. bar. de Grasse

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