Tribunal de première instance, 2 mars 1995, Société des Bains de Mer et du Cercle des étrangers à Monaco (SBM) c/ Dame M.

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Abstract🔗

Contrat de travail

Contrats intermittents, à durée déterminée, avec clause d'entière disponibilité envers l'employeur - Convention collective de l'industrie hôtelière - Salarié considéré comme titulaire d'un contrat à durée indéterminée après deux ans de présence continue

Résumé🔗

Étant constant que l'intéressée a été employée comme femme de chambre du 2 mai 1989 au 15 février 1992 date de son licenciement, soit par contrats saisonniers, soit par contrats intermittents (avec un salaire proportionnel à la durée effective du travail) en qualité de vacataire alors que les contrats dits intermittents établis pour une durée déterminée prévoyaient, en l'une de leurs clauses, que cette employée s'engageait à accomplir ses fonctions de manière exclusive et totale au service de son employeur et s'interdisait toute participation directe ou indirecte à une quelconque activité professionnelle rémunérée ou bénévole, extérieure à la société employeur, une telle clause a pour conséquence nécessaire de maintenir cette employée à la disposition exclusive de l'employeur.

Cette situation contractuelle conduit à considérer que, pendant les périodes où il n'est pas fait appel au salarié, les relations de travail ne sont pas rompues mais seulement suspendues dans leurs effets, en sorte que le contrat de travail à durée déterminée, bien qu'intermittent, se poursuit jusqu'à son terme.

L'intéressée est donc fondée à se prévaloir en la cause de l'article 9 de la convention collective de l'industrie hôtelière de Monaco du 1er juin 1968 aux termes duquel les titulaires de contrats à durée déterminée sont considérés comme employés à durée indéterminée après deux ans de présence continue dans l'établissement.


Motifs🔗

Le Tribunal

Considérant les faits suivants :

Saisi par G. M., ayant occupé l'emploi de femme de chambre auprès de la Société des Bains de Mer et du Cercle des étrangers à Monaco (ci-après S.B.M.), de demandes dirigées contre son ancien employeur en paiement de préavis, congés payés sur préavis, d'indemnités de congédiement et de licenciement et de dommages-intérêts pour rupture abusive du contrat de travail, totalisant 90 508,38 francs, le Tribunal du travail, par jugement du 11 novembre 1993 auquel il y a lieu de se reporter, a jugé que le contrat de travail de G. M. était en réalité un contrat de travail à durée indéterminée et a renvoyé la SMB à conclure au fond en réservant les dépens en fin de cause ;

Pour statuer ainsi, le Tribunal du travail a retenu comme constant que G. M. a travaillé sans interruption pour le compte de la SBM de mai 1987 à février 1993 (en réalité février 1992) ;

Il a ensuite relevé qu'entre les périodes où elle a été employée en vertu de contrats qualifiés tantôt de saisonniers, d'extras ou encore d'intermittents, ont existé des intervalles de temps comportant plusieurs mois pendant lesquels elle a continué à exercer son emploi sans être régie par un quelconque document contractuel, notamment du 1er novembre 1989 au 31 mars 1990 ;

Analysant les fiches de paye délivrées pendant cette période, le Tribunal a constaté que sous la qualification de « Femme de chambre VA », G. M. a perçu néanmoins un excédent de masse, « alors que cette notion est incompatible avec la qualification d'emploi d'extra, mais est au contraire réservée au contrat saisonnier entre autres non conclu en l'espèce » ;

Le Tribunal en a tiré la conséquence que G. M. ne doit pas souffrir de préjudice d'une situation née de la carence de son employeur qui l'a employée et payée comme si elle avait conclu un contrat à durée déterminée saisonnier, en dehors de tout document contractuel ; relevant qu'elle comptait plus de deux années de présence continue dans l'établissement, il a estimé qu'elle devait être considérée comme titulaire d'un contrat à durée indéterminée ;

Par l'exploit susvisé du 6 janvier 1994, la SBM a relevé appel de ce jugement, non signifié ;

Elle en poursuit la réformation en ce qu'il a dit que le contrat de G. M. est un contrat de travail à durée indéterminée et sollicite, « au besoin », que lui soient adjugées les demandes contenues dans ses conclusions de première instance, en concluant au rejet de l'ensemble des prétentions de G. M. ;

G. M., reprenant les demandes qu'elle a formées devant le Tribunal du travail, conclut à la confirmation du jugement entrepris et demande le renvoi de la cause devant les premiers juges pour qu'il soit statué sur la légitimité ou non du licenciement dont elle a fait l'objet le 15 février 1992 ;

La position respective des parties peut être ainsi résumée :

  • La SBM affirme avoir eu recours par intermittence aux services de G. M., en qualité de femme de chambre à l'hôtel H., pour des périodes d'activité continues, au cours des saisons d'été des années 1987 à 1991, et ponctuelles, pendant les inter-saisons en « extra » ou « vacataire » ;

Elle reproche donc aux premiers juges d'avoir considéré que G. M. avait travaillé sans interruption, alors que ses écrits judiciaires précisaient bien, tableaux à l'appui, que celle-ci ne peut se prévaloir d'une quelconque continuité dans l'emploi, dès lors que durant les inter-saisons, il était fait appel à cette employée en fonction des besoins de l'exploitation, de manière ponctuelle, pour des périodes distinctes les unes des autres ;

La SBM soutient qu'en dehors des contrats de travail saisonniers, à durée déterminée, consentis à G. M., elle a conclu non pas des contrats de travail - même si cette terminologie a été utilisée, dans un souci de simplification - mais des « accords d'intention » portant sur des relations de travail éventuelles, suivant les nécessités de l'exploitation de l'hôtel, et impliquant pour le salarié une exclusivité totale donnée au service de la SMB ; elle explique que cet accord permet de « maintenir un contact » avec un personnel non fixe sans toutefois engager les parties, une véritable relation contractuelle de travail n'étant conclue et exécutée qu'au cas où il est fait appel aux services de l'employé ;

La SBM fait encore grief au Tribunal du travail d'avoir jugé que les parties étaient liées par contrat de travail à durée indéterminée au motif que G. M. a perçu un excédent de masse ; elle précise à cet égard avoir décidé en 1989, en accord avec les délégués du personnel, de faire participer les employés intermittents à la répartition de l'excédent de masse ; elle mentionne toutefois que pour les inter-saisons 1987-1988 et 1988-1989, G. M. a été rémunérée forfaitairement conformément à son statut d'extra, avant de devenir employée intermittente ou vacataire durant la période du 1er novembre 1989 au 31 mars 1990 et ouvrir droit à ce titre à une participation à la masse ;

La SBM dénie toute valeur à la jurisprudence française citée par l'intimée et rappelle lui avoir consenti divers contrats à durée déterminée en sollicitant à chaque fois des demandes d'autorisation d'embauchage ; à l'appui de cette pratique, elle fait état du caractère fluctuant de la fréquentation de l'hôtel H. et de son obligation de moduler la gestion du personnel en fonction des activités du moment ; elle estime que la disparité constatée suivant le nombre d'heures effectuées au cours des mois concernés s'oppose à la qualification d'activité continue ;

  • G. M. soutient avoir travaillé sans interruption au service de la SBM du 1er mai 1987 au 29 février 1992 nonobstant la signature de divers contrats à durée déterminée ; elle observe être entrée à la SBM en mai 1987 sans qu'un contrat écrit soit établi, ce qui permettrait de la considérer comme embauchée à durée indéterminée, d'autant qu'à l'expiration de ce premier contrat le 30 octobre 1987, elle est demeurée au service de la SBM sans signer un autre contrat ; quant aux conventions conclues à la saison, elle estime que leur succession dans le temps détermine une relation de travail d'une durée globale indéterminée, ainsi que l'a jugé la Cour de cassation en France ;

Réaffirmant avoir travaillé dans le cadre de l'activité permanente et non pas saisonnière de l'Hôtel H., elle considère que le fait d'avoir effectué moins d'heures de travail durant certaines périodes est sans incidence sur le caractère de son emploi ;

Elle se prévaut en conséquence de l'article 9 de la Convention collective de l'industrie hôtelière de Monaco aux termes duquel les titulaires de contrats à durée déterminée sont considérés comme employés à durée indéterminée après deux ans de présence continue dans l'établissement, en relevant que cette disposition n'exige pas un nombre d'heures de travail identique pour chaque mois de présence ;

Elle dénie toute valeur aux contrats dits « intermittents » qu'elle a pu conclure, dès lors qu'une clause de ces contrats édicté à sa charge l'obligation d'accomplir ses fonctions de manière exclusive et totale au service de la SBM, avec interdiction d'exercer une quelconque activité professionnelle extérieure à la société ;

G. M. tire argument du fait qu'à partir de novembre 1989, elle a perçu l'excédent de la masse, effectivement dû pour les contrats saisonniers, même lors des périodes où elle était employée en qualité d'extra ou de vacataire ; elle en déduit qu'elle y avait droit en sa qualité de salariée à durée indéterminée et rappelle que le Tribunal n'est pas lié par la qualification donnée par les parties aux contrats ;

Elle prétend que si le Tribunal ne devait pas appliquer l'article 9 de la convention collective à son profit, elle pourrait néanmoins prétendre au bénéfice d'un contrat indéterminé dès lors que son ancienneté, considérée du seul point de vue des cinq contrats saisonniers accomplis, s'établit à 32 mois ;

Sur quoi,

Attendu que l'appel de la SBM, dont la régularité n'est pas contestée, doit être déclaré recevable ;

Attendu, dans le domaine des faits, qu'il ressort des pièces produites aux débats que la SBM a eu recours aux services de G. M., pour des fonctions de femme de chambre :

1° - du 22 mai 1987 au 14 juin 1987, sans établissement d'un contrat écrit ;

2° - du 15 juin 1987 au 30 octobre 1987, en vertu d'un contrat à durée déterminée s'achevant à cette dernière date ;

3° - du 1er novembre 1987 au 9 mai 1988, sans établissement d'un contrat écrit, pour des périodes intermittentes de l'ordre de 15 jours par mois, à l'exception du mois de mars 1988 (3 jours), totalisant 81 jours payés sur 189 jours que compte la période ;

4° - du 10 mai 1988 au 20 novembre 1988, en vertu d'un contrat à durée déterminée s'achevant à cette dernière date (en l'état d'un avenant) ;

5° - du 21 novembre 1988 au 1er mai 1989, sans établissement d'un contrat écrit, pour des périodes intermittentes de l'ordre de 9 jours par mois, à l'exception des mois de mars 1989 (3 jours) et avril 1989 (20 jours), totalisant 57 jours payés sur 157 jours que compte la période ;

6° - du 2 mai 1989 au 31 octobre 1989, en vertu d'un contrat à durée déterminée s'achevant à cette dernière date ;

7° - du 1er novembre 1989 au 31 mars 1990, sans établissement d'un contrat écrit, pour des périodes intermittentes variables selon les mois, totalisant 74 jours payés sur 150 que compte la période ;

8° - du 1er avril 1990 au 31 octobre 1990, en vertu d'un contrat à durée déterminée, s'achevant à cette dernière date mais s'étant en réalité prolongé jusqu'au 30 novembre 1990, au vu de la fiche de paye produite ;

9° - du 1er décembre 1990 au 30 juillet 1991, en vertu d'un contrat de travail qualifié d'intermittent lui conférant la qualité de « vacataire », devant s'achever le 31 octobre 1991 (en l'état d'un avenant) mais ayant été remplacé à compter du 1er août 1991 par le contrat visé au chiffre 10°, pour des périodes intermittentes variables totalisant 85 jours payés sur 240 que compte la période ;

10° - du 1er août 1991 au 31 octobre 1991, en vertu d'un contrat à durée déterminée s'achevant à cette dernière date mais s'étant en réalité prolongé jusqu'au 30 novembre 1991, au vu de la fiche de paye produite ;

11° - du 10 décembre 1991 au 29 février 1992, en vertu d'un contrat de travail qualifié qu'intermittent lui conférant la qualité de « vacataire », devant s'achever à cette dernière date, pour des périodes intermittentes de 10 jours en décembre 1991, 21 jours en janvier 1992, et 3 jours en février 1992 (licenciement intervenu le 3 février 1992) ;

Attendu qu'au regard de ces éléments, il y a lieu de constater que jusqu'au 1er mai 1989, G. M. a été engagée selon contrats de travail à durée déterminée pour les saisons 1987 (cf. chiffre 2°) et 1988 (cf. chiffre 4°) ;

Qu'antérieurement et postérieurement à ces activités saisonnières, il est constant qu'elle a travaillé nettement moins que la moitié (cf. chiffre 3°) voire environ le tiers (cf. chiffre 5°) des périodes considérées, en fonction des besoins de la SBM et sans qu'ait été établi de contrat écrit ;

Attendu que ces circonstances ne sont pas de nature à établir que les parties, jusqu'à la date précitée du 1er mai 1989, aient eu l'intention de se lier par des relations de travail à durée indéterminée ; qu'en tout état de cause, G. M. ne saurait se prévaloir de deux années de présence continue au sein de la SBM dès lors qu'une telle période de deux ans ne s'est pas écoulée entre sa première embauche et le contrat conclu à compter du 2 mai 1989 ;

Attendu qu'à partir de cette date, G. M. a été employée soit par contrats saisonniers (cf. chiffres 6°, 8° et 10°) soit par contrats intermittents en qualité de vacataire (cf. chiffres 9°et 11°), à l'exception de la période du 1er novembre 1989 au 31 mars 1990 n'ayant pas fait l'objet d'un écrit où il est constant qu'elle a travaillé environ la moitié du temps ;

Attendu que les contrats dits intermittents, établis pour une durée déterminée, prévoient en leur clause 7° que pendant la durée du contrat G. M. « s'engage à accomplir ses fonctions de manière exclusive et totale au service de la société » et s'interdit « toute participation directe ou indirecte à une quelconque activité professionnelle rémunérée ou bénévole, extérieure à la société » ;

Attendu qu'est ainsi convenue une disponibilité entière de l'employée au bénéfice de l'employeur, alors que l'engagement intermittent n'ouvre droit qu'à des salaires proportionnels à la durée effective du travail ;

Attendu qu'une telle clause, en ce qu'elle prohibe toute autre activité extérieure de l'employée pendant toute la durée du contrat, a pour conséquence nécessaire de maintenir cette employée à la disposition exclusive de l'employeur durant la même période ;

Que cette situation contractuelle conduit dès lors à considérer que pendant les périodes où il n'est pas fait appel au salarié, les relations de travail ne sont pas rompues mais seulement suspendues dans leurs effets, en sorte que le contrat de travail à durée déterminée, bien qu'intermittent, se poursuit jusqu'à son terme sans solution de continuité ;

Attendu que G. M. est donc fondée à se prévaloir en la cause, à compter du 2 mai 1989 jusqu'à son licenciement, d'une succession de contrats à durée déterminée lui ayant assuré une présence continue dans l'établissement hôtelier de la SBM, au sens de l'article 9 de la Convention collective de l'industrie hôtelière du 1er juin 1968 applicable en l'espèce, étant observé que pour la période du 1er novembre 1989 au 31 mars 1990, le Tribunal estime qu'il n'y a pas eu rupture des relations de travail pendant le temps où G. M. n'a pas travaillé, compte tenu du nombre équivalent de journées de travail effectuées et de la disponibilité avérée de l'employée pendant cette période ;

Attendu qu'il s'ensuit que par application de l'article 9 précité, il y a lieu de considérer G. M., au regard du temps de présence continue dans l'établissement que le Tribunal lui reconnaît, comme titulaire d'un contrat de travail à durée indéterminée ;

Attendu que pour ces motifs substitués à ceux des premiers juges, il y a lieu d'émender le dispositif du jugement du Tribunal du travail comme il est dit ci-après et de le confirmer pour le surplus, excepté en ce qui concerne, la date de l'audience de renvoi, laquelle sera déterminée par le Tribunal du travail ;

Attendu que les dépens doivent être réservés en fin de cause ;

Dispositif🔗

PAR CES MOTIFS,

Le Tribunal,

Statuant contradictoirement comme juridiction d'appel du Tribunal du travail dans les limites de sa saisine,

Déclare l'appel recevable ;

Émendant le jugement entrepris du 11 novembre 1993,

Dit et juge qu'au regard de la durée de présence continue au sein de la société des Bains de Mer et du Cercle des étrangers à Monaco dont elle est fondée à se prévaloir, G. M. doit être considérée comme titulaire d'un contrat à durée indéterminée à compter du 2 mai 1989, par l'effet de la convention collective applicable ;

Confirme ledit jugement pour le surplus, excepté quant à la date de l'audience de renvoi ;

Composition🔗

MM. Landwerlin, Prés., Serdet Prem. subst. Proc. gén., Mes Sanita et Pastor, av. déf., Rieu, av. Bar. de Nice.

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