Tribunal de première instance, 12 janvier 1995, A. c/ Procureur général

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Abstract🔗

Nationalité

Action tendant à établir la nationalité monégasque - Compétence de la Chambre du conseil du tribunal. Ministère public partie principale - Conditions d'acquisition relatives à l'article 1er chiffre 3 de la loi n° 1155 du 18 décembre 1992 - Enfant né d'une mère monégasque et ayant un ascendant monégasque dans la même branche - Ascendant né à Roquebrune à l'époque où ce territoire dépendait de Monaco et où était applicable le jus soli

Résumé🔗

L'action ayant pour objet d'établir qu'une personne possède la nationalité monégasque d'origine conformément aux règles édictées par le chapitre 1er de la loi n° 1155 du 18 décembre 1992 relative à la nationalité, laquelle ne saurait être confondue avec le mode d'acquisition de la nationalité monégasque par déclaration, prévu à la section 1 chapitre II de la loi susvisée, relève de la compétence de la chambre du Conseil du tribunal, généralement désignée comme devant connaître des questions relatives à la nationalité (en particulier par l'Ordonnance concernant l'institution d'un sommier de la nationalité monégasque du 27 février 1929) tandis que le Ministère public, comme partie principale, apparaît être le contradicteur légitime en cette matière touchant à l'ordre public et à l'état des personnes.

En satisfaisant aux conditions du chiffre 3 de l'article 1 de la loi n° 1155 susvisée, l'action se trouve fondée dès lors qu'il est établi que l'intéressée est née d'une mère devenue monégasque pendant sa minorité à la suite de la naturalisation de ses parents et qu'elle a un ascendant de la branche maternelle né à Roquebrune à une époque où ce territoire était assimilé à celui de Monaco et où y était appliqué le jus soli, selon les principes du droit coutumier alors en vigueur dans la Principauté comme en France.


Motifs🔗

Le Tribunal,

Attendu que sur autorisation du Président de ce tribunal délivrée le 15 juillet 1994, H. A., agissant en sa qualité de représentant légal de sa fille C. née le 5 février 1994 à Monaco, issue de son union libre avec K. B., née le 16 mars 1972 à Monaco, de nationalité monégasque, a fait assigner le Procureur général pour qu'il soit jugé que C. A. est de nationalité monégasque, par application de l'article 1er-3° de la loi n° 1155 du 18 décembre 1992, comme étant née d'une mère monégasque et dont l'un des ascendants de la même branche est né monégasque ; qu'il demande en outre au Tribunal d'ordonner à l'officier d'état civil de procéder à la transcription de la déclaration prévue par l'article 14 de la loi n° 1155 précitée et de condamner tout contestant aux dépens ;

Que le demandeur fait valoir, au soutien de ses prétentions :

  • que la mère de l'enfant a acquis la nationalité monégasque suite à la naturalisation de ses parents A. B. et D. R. ;

  • que plusieurs des ascendants de la branche maternelle de K. B. (les R. ou R., l'orthographe variant avec les époques) sont nés monégasques ;

  • que lesdits ascendants sont nés à Roquebrune (A.M.) à l'époque où cette commune, avec celles de Menton et Monaco, faisaient partie intégrante du territoire de la Principauté ;

  • qu'ainsi F. R. et J. R., nés et domiciliés à Roquebrune respectivement aux environs de 1759 et 1789, sont nés monégasques en vertu du droit coutumier (jus soli), tandis que L. dit J. R. et A. R., respectivement nés les 5 mars 1821 et 12 novembre 1849 et domiciliés à Roquebrune sont nés monégasques en vertu de l'ordonnance du 1er avril 1815 (jus sanguinis) ;

Il indique par ailleurs que l'officier de l'état-civil a refusé, par lettre non motivée du 18 avril 1994, de transcrire la « déclaration de nationalité monégasque » faite au nom de C. A. le 4 mars 1994 ;

Attendu que le Procureur général, par conclusions du 21 novembre 1994, a déclaré ne pas s'opposer à la demande « sous réserve que soit établie la nationalité monégasque par naissance de l'un des ascendants de la branche maternelle » ;

Sur quoi,

Attendu, en la forme, que la présente action ayant pour objet de faire établir que la mineure C. B. dispose de la nationalité monégasque d'origine, conformément aux règles édictées par le chapitre premier de la loi n° 1155 du 18 décembre 1992, toute référence aux modes d'acquisition de cette nationalité, tels que prévus au chapitre II de ladite loi, apparaît dénuée de pertinence et, partant, sans objet ;

Que dès lors, la procédure de la déclaration faite auprès de l'État-civil, qui ne se conçoit qu'en vue de l'acquisition de la nationalité monégasque, a été suivie à tort en l'espèce ; qu'il s'ensuit que le grief fait à l'officier de l'état-civil, tenant au non respect de l'article 16 de ladite loi, s'avère inopérant ;

Attendu que, pour autant, la procédure suivie en la cause ne présente pas un caractère irrégulier ; que la Chambre du conseil du tribunal est en effet généralement désignée comme devant connaître des questions relatives à la nationalité (en particulier par l'ordonnance concernant l'institution d'un sommier de la nationalité monégasque du 27 février 1929), tandis que le Ministère public, comme partie principale, apparaît être le contradicteur légitime en cette matière touchant à l'ordre public et à l'état des personnes ;

Attendu, au fond, qu'il est constant et établi par les pièces produites que C. A. est née de K. B., elle-même étant devenue monégasque pendant sa minorité à la suite de la naturalisation de ses parents selon ordonnance souveraine du 11 mai 1982 ; que l'enfant C. satisfait donc à la première des conditions du chiffre 3° de l'article 1 de la loi n° 1155 du 18 décembre 1992 ;

Attendu qu'il importe donc de vérifier si cette enfant remplit la seconde de ces conditions, c'est-à-dire si elle peut se prévaloir d'un ascendant de sa branche maternelle étant né monégasque ;

Attendu que le Traité de Péronne du 14 septembre 1641 a officialisé et garanti la souveraineté de la Principauté, tant pour le territoire de Monaco que pour ceux de Menton et Roquebrune ; qu'après l'annexion de la Principauté à la France au cours de la période révolutionnaire, le premier Traité de Paris (1814) remit la Principauté dans sa situation du 1er janvier 1792 et le second Traité de Paris (1815) confirma la restauration de la souveraineté des Princes de Monaco sur les communes de Menton et Roquebrune ;

Que les événements ayant affecté ces communes en 1848 trouvèrent leur aboutissement dans le traité conclu le 2 février 1861 les plaçant sous souveraineté française ;

Attendu qu'il s'ensuit que durant les périodes considérées, les territoires de Menton et de Roquebrune doivent être assimilés à celui de Monaco, en particulier en matière de nationalité, comme le laissent implicitement entendre les dispositions de l'article 7 du traité précité du 2 février 1861 ;

Attendu qu'il est constant que C. A. a pour ascendant de la branche maternelle le nommé F. R. dit « C. », dont l'acte de décès mentionne qu'il est né (aux environs de l'année 1759) dans la commune de Roquebrune et y était domicilié, y exerçant l'activité de cultivateur, avant de décéder dans cette même commune le 15 février 1821 ;

Attendu qu'à la date de naissance de cet ascendant, il est admis par la doctrine que les principes de droit coutumier en vigueur dans la Principauté étaient identiques à ceux appliqués en France ;

Qu'en matière de nationalité prédominait, comme mode d'acquisition, le système du jus soli selon lequel l'individu né sur le territoire d'un État jouissait de la nationalité de cet État, ce principe étant généralement admis dans toute l'Europe occidentale et affirmé en particulier dans l'ancien droit français par de nombreux auteurs tels Bacquet au XVIe siècle, Pothier au XVIIIe siècle (cités par A. De Lapradelle et J.-P. Niboyet in « Répertoire de droit international Tome IX 1931 p. 268) ou encore Domat au XVIIe siècle qui écrivait : » Les enfants des étrangers, s'ils naissent dans un État où leur père était étranger, se trouvent originaires de cet État ; ils en naissent sujets et y ont des droits de naturalité... « (Droit public Liv. I, tit. 6, section 4) ; que selon Pothier » la seule naissance dans le royaume donne les droits de naturalité indépendamment de l'origine des père et mère et de leur demeure « (Traité des personnes Part. I, Titre II, n° 45) ;

Attendu qu'il s'ensuit que par application du principe du jus soli, la seule naissance sur le territoire de la Principauté, qui comprenait alors la commune de Roquebrune, de F. R. dit » C. " a eu pour effet de lui conférer la qualité de sujet du Prince, c'est-à-dire la nationalité monégasque ;

Attendu qu'étant ainsi né monégasque, cet ascendant autorise C. B., née d'une mère monégasque, à prétendre au bénéfice des dispositions du chiffre 3° à l'article 1 de la loi n° 1155 du 18 décembre 1992 ; qu'il convient dès lors de faire droit à sa demande principale ;

Attendu toutefois qu'il ne saurait être ordonné la transcription sollicitée sur le fondement de l'article 14 de la loi n° 1155, pour les motifs précédemment énoncés ;

Attendu que les dépens de la présente instance, qui profite à la demanderesse, doivent être laissés à sa charge ;

Dispositif🔗

PAR CES MOTIFS,

Le Tribunal,

Statuant publiquement après débats en Chambre du conseil, Dit que C., D., F. A., née à Monaco le 5 février 1994, est monégasque d'origine en vertu de l'article 1 du chiffre 3° de la loi n° 1155 du 18 décembre 1992 ;

Composition🔗

MM. Marmino V. prés., Serdet, prem. Subst. av. gén. ; Mes Pastor, av. déf., Licari, av.

Note🔗

Il ressort des énonciations du jugement que l'ascendant de la branche maternelle, selon son acte de décès, était né à Roquebrune aux environs de 1759 et y était décédé le 15 février 1821.

Or, ainsi que le rappellent les motifs :

Le Traité de Rome du 14 septembre 1641 conclu entre la France et Monaco avait officialisé et garanti la Souveraineté de la Principauté, tant pour le territoire de Monaco que pour ceux de Menton et Roquebrune ; après l'annexion de la Principauté à la France au cours de la période révolutionnaire, le premier Traité de Paris (1814) avait remis la Principauté dans sa structure du 1er janvier 1792 et le second Traité de Paris (1815) avait confirmé la restauration de la Souveraineté des Princes de Monaco sur les communes de Menton et Roquebrune ; les événements ayant affecté ces communes en 1843 ont trouvé leur aboutissement dans le traité conclu le 2 février 1861 les plaçant sous souveraineté française :

Il s'ensuit que, durant les périodes considérées (1759 - 1792 et 1814 - 1821) les territoires de Menton et Roquebrune doivent être assimilés à celui de Monaco, en particulier en matière de nationalité comme le laissent implicitement entendre les dispositions de l'article 7 du traité précité du 2 février 1861.

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