Tribunal de première instance, 15 juillet 1993, SAM Patricia c/ C.-R. ès qualités Sociétés Entreprise Baret

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Abstract🔗

Faillite

Suspension des poursuites individuelles - Règle française applicable à Monaco : Convention franco-monégasque du 13 septembre 1950 (1)

Contrat d'entreprise

Garantie décennale (C. civ., art. 1630) - Conditions : vice affectant le gros œuvre - Notion (2)

Résumé🔗

Une action tendant à obtenir une condamnation au paiement d'une créance de somme d'argent dirigée contre une société dont le redressement judiciaire a été prononcé par un jugement d'un tribunal de commerce français, doit être déclarée irrecevable, en vertu de la règle de la suspension des poursuites individuelles édictée par l'article 47 de la loi française n° 85-98 du 25 janvier 1985, ayant effet à Monaco, conformément aux dispositions de l'article 3 de la Convention franco-monégasque du 13 septembre 1950 rendue exécutoire à Monaco par l'Ordonnance souveraine n° 692 du 9 janvier 1953.

Si le créancier a régulièrement déclaré sa créance au représentant des créanciers du redressement judiciaire de la société débitrice, conformément à l'article 50 de la loi française précitée, l'accomplissement de cette formalité ne l'autorisait pas davantage à obtenir une condamnation judiciaire à l'encontre de sa débitrice.

Toutefois, la demande qui tend à la constatation d'une créance et à la fixation de son montant, s'appuyant sur un rapport d'expertise, en l'état, un fait dommageable, ne fait pas partie des poursuites individuelles suspendues par l'article 47 de la loi française du 25 janvier 1985, analogue à l'article 461 du Code de commerce monégasque, en sorte que ladite demande s'avère recevable de ce chef (1).

L'entreprise qui a pris à sa charge d'assurer tant la fourniture que l'installation des éléments d'équipement de production d'eau chaude d'un immeuble, parmi lesquels des ballons de stockage litigieux, en vertu du contrat de louage la liant au propriétaire de cet immeuble, et qui était ainsi tenue en sa qualité de professionnel en la matière d'exécuter un ouvrage exempt de tout vice, s'avère entièrement responsable des conséquences dommageables des malfaçons ayant affecté ladite installation, qui ne sont apparues qu'à son usage et ont constitué un vice caché, dès lors que les défauts inhérents aux matériaux utilisés ne constituaient pas une cause étrangère de nature à l'exonérer de sa responsabilité envers le maître de l'ouvrage. À cet égard, la responsabilité de cette entreprise doit être retenue sur le fondement de la garantie décennale édictée par l'article 1630 du Code civil, étant donné que les désordres qui affectaient l'installation litigieuse matériellement rattachés au gros œuvre de l'immeuble, ont eu pour effet essentiel, en compromettant l'utilisation de l'ensemble des locaux le comprenant, de porter atteinte à la destination de cet immeuble (2).


Motifs🔗

Le Tribunal

Considérant les faits suivants :

Selon acte sous seing privé intitulé « Protocole d'accord », en date à Monaco du 2 octobre 1984 - dont la copie versée aux débats n'apparaît pas avoir été enregistrée, en sorte qu'elle devra l'être avec le présent jugement - la société anonyme monégasque dénommée Patricia, propriétaire de l'immeuble « Formentor », sis à Monaco, a confié à la société anonyme de droit français dénommée « Entreprise Baret », la réfection totale des installations de production et de distribution d'eau chaude sanitaire desservant l'ensemble des appartements dudit immeuble, moyennant le prix global et forfaitaire de 2 300 000 F hors taxes ;

Ces travaux de réfection, comportaient notamment la fourniture et l'installation dans la chaufferie située au 2e sous-sol de l'immeuble, de 9 ballons en acier spécial inox, livrés à la société Entreprise Baret par leur fabricant, la société anonyme de droit français dénommé Zapirain, moyennant le prix de 450 860 F TTC ;

Après que ces ballons eurent été mis en service par la société Entreprise Baret dans le courant du mois de septembre 1985, il fut constaté l'existence d'anomalies dans leur fonctionnement, des fuites étant apparues, notamment au niveau des soudures, dès le mois de juillet 1986 ;

Suivant ordonnance de référé en date du 10 avril 1987, une expertise a été prescrite à la requête de la société Entreprise Baret du contradictoire des établissements Zapirain, à l'effet de déterminer l'existence, les causes et les remèdes des désordres allégués par la société Patricia, laquelle mesure d'instruction a été déclarée commune à ladite société aux termes d'une nouvelle ordonnance de référé du 21 mars 1988 ;

Dans son rapport en date du 25 octobre 1989, déposé au greffe général le 27 octobre 1989, l'expert Gilbert Guglielmi a notamment conclu :

  • que la centrale de production d'eau chaude sanitaire est constituée de trois batteries de trois ballons chacune, soit neuf ballons d'une contenance individuelle de 4 000 litres :

• 3 ballons en basse pression (6 bars),

• 3 ballons en moyenne pression (8 bars),

• 3 ballons en haute pression (11 bars) ;

  • que tous ces ballons en acier inoxydable habillés avec jaquettes calorifuges présentent des fuites et des traces d'écoulement d'eau au niveau des soudures reliant entre elles les plaques d'inox de confection desdits ballons ;

  • que l'origine des fuites d'eau, ainsi constatées, est liée à un phénomène de micro-fissurations affectant le cordon de soudure, de part et d'autre, ainsi que dans les zones avoisinant celle-ci, qui ne met en cause ni la qualité des métaux utilisés, ni celle de l'eau employée ;

  • que ce phénomène est en relation directe avec « la présence de contraintes résiduelles consécutives au cintrage des tôles, à la préparation des chanfreins et au sondage, en l'absence de traitement thermique de détensionnement des tôles » ;

  • qu'outre ce facteur mécanique, est intervenu également un facteur physico-chimique impliquant « des zones d'amorce de fissurations à cause de rayure de meulage ou de piqûres locales, en l'absence d'un traitement de passivation des tôles avant mise en service » ;

  • qu'en résumé, la genèse des désordres peut être ainsi décrite : « l'élaboration des assemblages sondés de tôles composant le ballon, de par ses imperfections, a présenté une sensibilité à une corrosion sous tension entraînant l'apparition de leur fissuration » ;

  • que la morphologie particulière de ce phénomène à l'origine d'une perte d'étanchéité et d'une corrosion dissolvante par effet secondaire, ne permet pas d'envisager une réparation quelconque ;

  • que les travaux de réfection nécessaires à la remise en état de la centrale d'eau chaude devant notamment entraîner le remplacement de tous les ballons, outre les travaux nécessités par leur dépose, leur découpe pour les extraire du local et la mise en place de nouveaux ballons, peut être évalués à la somme de 2 501 259,76 F TTC ;

  • que, s'agissant de travaux délicats, leur exécution devra être dirigée, coordonnée et surveillée, pour être par la suite contrôlés après leur achèvement, ce qui entraînera des frais supplémentaires, soit 250 000 F hors taxes au titre de la maîtrise d'œuvre, outre 10 000 F hors taxes, pour l'intervention de la société chargée de leur contrôle.

Faisant état de ce qu'elle avait déclaré sa créance « à titre provisionnel » auprès de Me H. C.-R., prise en sa qualité de représentant des créanciers de la société Entreprise Baret en redressement judiciaire, et se référant aux conclusions de l'expert Guglielmi dont elle a sollicité l'homologation du rapport, la société Patricia a, suivant exploit en date du 5 juillet 1990, fait assigner d'une part, la société Entreprise Baret en responsabilité des désordres affectant les travaux de réfection des installations de production d'eau chaude sanitaire de l'immeuble « Le Formentor », d'autre part, Me H. C.-R., mandataire liquidateur, en sa qualité de représentant des créanciers au redressement judiciaire de la société « Entreprise Baret », ainsi que la Société mutuelle d'assurances du bâtiment et de²&s travaux publics, en sa qualité d'assureur de la société Entreprise Baret, en paiement solidaire des sommes suivantes :

  • 2 500 529,76 F, montant des frais de remise en état de l'installation de production d'eau chaude de l'immeuble « Le Formentor », « avec actualisation à la date d'exécution des travaux à intervenir » ;

  • 258 000 F, représentant les frais de maîtrise d'œuvre et de contrôle technique nécessités par la nature des travaux de réfection susvisés ;

  • 8 421 F, au titre du coût du contrôle des soudures par radiographie ;

  • 1 000 000 F en réparation du trouble de jouissance subi depuis cinq années, du fait de l'exécution défectueuse des travaux, à titre de dommages-intérêts ;

Maître H. C.-R. et la Société mutuelle d'assurances du bâtiment et des travaux publics ayant seuls comparu sur cette assignation, le tribunal constatant le défaut de la société Entreprise Baret, ordonnait la réassignation de celle-ci par jugement du 4 octobre 1990 ;

La société Patricia a, en conséquence, fait à nouveau assigner la société Entreprise Baret, suivant exploit en date du 23 octobre 1990, laquelle a persisté à faire défaut, en sorte que le présent jugement ne sera plus susceptible d'opposition en application de l'article 214 ancien du Code de procédure civile ;

Maître H. C.-R., mandataire liquidateur, a, en sa qualité de représentant des créanciers au redressement judiciaire de la société Entreprise Baret, conclu, au principal au rejet des demandes formées par la société Patricia, en faisant valoir qu'il est établi par les constatations de l'expert Guglielmi que les désordres qui ont affecté l'installation de production d'eau chaude de l'immeuble « Le Formentor » provenaient exclusivement de défauts qui se sont révélés dans la fabrication des ballons imputables aux établissements Zapirain qui en avaient assuré la fourniture à la société Entreprise Baret qui les lui avaient commandés ;

Elle a fait observer, à titre subsidiaire, que les travaux de remise en état de cette installation ne sauraient excéder la somme de 1 448 221 F TTC, sans que la société Patricia puisse prétendre, en outre, à des dommages-intérêts, en l'absence de troubles réels de jouissance, et qu'en tout état de cause, la Société mutuelle d'assurances du bâtiment et des travaux publics devra relever et garantir la société Entreprise Baret, son assurée, de toute condamnation qui viendrait à être éventuellement prononcée à l'encontre de cette dernière ;

La société Mutuelle d'assurances du bâtiment et des travaux publics a conclu, à titre principal, à l'irrecevabilité de la demande formée à son égard, au motif que les opérations d'expertise ne s'étant pas déroulées à son contradictoire, le rapport de l'expert Guglielmi lui était inopposable et ne pouvait en conséquence servir de base à sa condamnation ;

Elle fait valoir, à titre subsidiaire, qu'elle ne saurait, en aucune manière, être tenue de garantir la société Entreprise Baret, dès lors que la responsabilité de celle-ci ne saurait être engagée, les désordres dont fait état la demanderesse étant imputables aux établissements Zapirain, s'agissant de défauts de fabrication des ballons ;

Elle fait par ailleurs observer, que pour le cas où la responsabilité de la société Entreprise Baret serait établie, celle-ci serait exclue de sa garantie, en l'absence de justification de la réception des ouvrages par la société Patricia, seule susceptible d'engager la responsabilité décennale couverte par la police souscrite par cette entreprise ;

Que par ailleurs, si la réception des travaux venait à être établie, elle serait fondée, en tout état de cause, à refuser sa garantie à la société Entreprise Baret, en application de cette même police, laquelle exclut les ouvrages de bâtiments construits hors du territoire français, ce qui est le cas en l'espèce ;

Qu'en outre, aux termes de l'avenant numéro 2, en date du 19 avril 1988, lequel stipule dans son article II paragraphe 3 : « que demeurent exclus du présent contrat, les sinistres dont la première manifestation serait connue du sociétaire à la date de signature de l'avenant », ce qui est également le cas, en l'espèce ;

Qu'enfin, pour le cas où le tribunal croirait devoir retenir sa garantie, la Société mutuelle d'assurances du bâtiment et des travaux publics fait valoir que celle-ci est limitée à une somme de 2 572 510 F et ne concerne que les dommages matériels à l'ouvrage, ce qui exclut d'ores et déjà l'indemnisation du trouble de jouissance dont a fait état la société Patricia, s'agissant d'un dommage immatériel ;

La société Patricia réitérant sa demande initiale, a rétorqué, quant aux moyens qu'on fait valoir les défenderesses :

En ce qui concerne la société Entreprise Baret, qu'il résulte des documents contractuels la liant au maître de l'ouvrage, que celle-ci avait accepté de prendre à sa charge la totalité de l'installation destinée à la production d'eau chaude de l'immeuble, laquelle comprenait la fourniture du matériel que sa mise en œuvre, en sorte qu'elle s'avère responsable envers sa cocontractante des défectuosités dont étaient atteints les ballons, sous réserve de son éventuelle action récursoire à l'encontre des établissements Zapirain qui en avaient assuré la fabrication ;

Que par ailleurs la société Entreprise Baret s'avère mal fondée à discuter l'évaluation du coût des travaux de reprise fixée par l'expert à la somme de 2 501 589,76 F ; valeur octobre 1989, alors qu'elle avait elle-même facturé le coût de l'installation à 2 300 000 F ; hors taxes, en octobre 1984 ;

En ce qui concerne la Société mutuelle d'assurances du bâtiment et des travaux publics, que celle-ci s'avère infondée à invoquer un quelconque refus de garantie, en la cause, alors qu'il résulte de l'attestation d'assurance produite par la société Entreprise Baret, lors de l'ouverture du chantier, que celle-ci était titulaire auprès de la Société mutuelle d'assurances du bâtiment et des travaux publics d'une police d'assurances couvrant notamment les chantiers ouverts entre le 1er janvier 1984 et le 31 décembre 1987 et précisant d'autre part, que la police dont s'agit garantissait également la responsabilité de cette entreprise dans les conditions posées par les articles 1792 et 1792-2 du Code civil français ;

Que cette compagnie d'assurances n'est pas davantage fondée à se prévaloir de l'exclusion de garantie visée par l'avenant au contrat d'assurances, en date du 19 avril 1988, celle-ci étant inopposable à la victime, dès lors qu'elle trouverait son origine dans des faits postérieurs au sinistre ;

La Société mutuelle d'assurances du bâtiment et des travaux publics, réitérant ses précédentes écritures, a fait valoir que si la société Entreprise Baret était effectivement titulaire d'une police d'assurances « construction » souscrite auprès d'elle, cette police, aux termes de l'article 3 de ses conditions générales, ne s'appliquait qu'aux travaux de bâtiments construits en France (Métropole et Départements d'outre-mer) et ne pouvait donc garantir des travaux exécutés sur le territoire de la Principauté de Monaco, tels les travaux litigieux ;

Elle ajoute que ce n'est que par l'effet d'un avenant à la police susvisée, signé le 18 avril 1988, que la société Entreprise Baret a obtenu de la Société mutuelle d'assurances du bâtiment et des travaux publics l'extension de la garantie de cette compagnie d'assurances pour les travaux exécutés à Monaco dans l'immeuble Le Formentor ;

Elle précise par ailleurs que les sinistres existants à la date de signature de cet avenant et connus de l'assuré demeuraient exclus du contrat d'assurances, en sorte que les désordres affectant les travaux litigieux qui se sont manifestés à la connaissance de la société Entreprise Baret avant la signature de l'avenant étaient exclus de sa garantie ;

La société Patricia, réitérant sa demande initiale, a soutenu que l'avenant souscrit auprès de la Société mutuelle d'assurances du bâtiment et des travaux publics avait pour objet de garantir les travaux qu'elle a réalisés à Monaco, sur le chantier de l'immeuble « Le Formentor » entre le mois de janvier 1984 et le mois de janvier 1985, sans que cette compagnie d'assurances puisse se prévaloir de l'exclusion de garantie stipulée au dernier alinéa de l'article 2 dudit avenant, laquelle est inopposable aux tiers victimes, ainsi qu'en dispose l'article 124-1 du Code des assurances français ;

Sur ce,

Quant à la demande de la société Entreprise Baret :

Attendu que s'agissant d'une action tendant à obtenir la condamnation de ladite société à un paiement de sommes d'argent, une telle demande dirigée à l'encontre d'une société dont le redressement judiciaire a été prononcé par jugement du Tribunal de commerce de Nice du 7 juillet 1988, doit être déclarée irrecevable, et ce, en vertu de la règle de la suspension des poursuites individuelles édictée par l'article 47 de la loi française n° 85-98 du 25 janvier 1985, ayant effet à Monaco, conformément aux dispositions de l'article 3 de la Convention franco-monégasque du 13 septembre 1950 rendue exécutoire à Monaco par l'Ordonnance souveraine n° 692 du 9 janvier 1953 ;

Que si la société Patricia a régulièrement déclaré sa créance au représentant des créanciers du redressement judiciaire de la société Entreprise Baret, conformément à l'article 50 de la loi française précitée, l'accomplissement de cette formalité ne l'autorisait pas davantage à obtenir une condamnation judiciaire à l'encontre de sa débitrice ;

Attendu toutefois, que la société Patricia ayant par ailleurs sollicité l'homologation du rapport de l'expert Guglielmi, une telle demande qui tend à la constatation d'une créance et à la fixation de son montant, en l'état du fait dommageable dont elle a été victime lui ouvrant droit à réparation, ne fait pas partie des poursuites individuelles suspendues par l'article 47 de la loi française du 25 janvier 1985, analogue à l'article 461 du Code de commerce monégasque, en sorte que ladite demande s'avère recevable de ce chef :

Attendu, quant à la responsabilité qu'il est constant que la société Entreprise Baret a été chargée par la société Patricia de procéder à la réfection totale de l'équipement de production d'eau chaude de l'immeuble Le Formentor, suivant protocole d'accord en date du 2 octobre 1984 ;

Qu'aux termes de cette convention la société Entreprise Baret reconnaissait avoir été à même d'apprécier l'importance et les suggestions découlant d'une telle exécution, a proposé, de par sa compétence technique et sa qualification, l'installation de ballons en acier spécial inox au nombre de neuf, dont elle a passé commande au fabricant, les établissements Zapirain ;

Qu'il résulte, à cet égard, des constatations de l'expert Guglielmi à l'encontre desquelles les parties n'ont formulé aucune critique, que ces ballons, aussitôt après leur mise en service, dans le courant du mois de septembre 1985, ont présenté de graves anomalies se manifestant notamment par des fuites d'eau, au niveau des soudures, reliant entre elles les plaques d'inox de confection de ces ballons ;

Que l'expert a notamment relevé dans son rapport, que l'origine de ces fuites déterminée par le résultat d'analyses morphologiques et chimiques auxquelles il a été procédé par le laboratoire « Cemerex », est dû à un phénomène de micro-fissurations qui s'est développé de part et d'autre du cordon de soudure par l'effet de la corrosion sous tension liée à une imperfection dans la mise en œuvre des assemblages soudées des tôles composant chaque ballon ;

Que la morphologie particulière de ce phénomène destructif à l'origine d'une perte d'étanchéité et d'une corrosion dissolvante par effet secondaire, ne permet pas d'envisager une réparation, en sorte qu'il y aura lieu de procéder au remplacement de tous les ballons ;

Attendu qu'il s'évince de l'ensemble de ces constatations, que la société Entreprise Baret qui a pris à sa charge d'assurer tant la fourniture que l'installation des éléments d'équipement de production d'eau chaude de l'immeuble « Le Formentor », parmi lesquels les ballons de stockage litigieux, en vertu du contrat de louage d'ouvrage la liant à la société Patricia, propriétaire de l'immeuble dont s'agit, et qui était ainsi tenue en sa qualité de professionnel en la matière d'exécuter un ouvrage exempt de tout vice, s'avère entièrement responsable des conséquences dommageables des malfaçons ayant affecté ladite installation, qui ne sont apparues qu'à son usage et ont constitué un vice caché, dès lors que les défauts inhérents aux matériaux utilisés ne constituaient pas une cause étrangère de nature à l'exonérer de sa responsabilité envers le maître de l'ouvrage ;

Qu'à cet égard, la responsabilité de la société Entreprise Baret doit être retenue sur le fondement de la garantie décennale édictée par l'article 1630 du Code civil, dès lors que les désordres ci-dessus analysés qui affectaient l'installation litigieuse, matériellement rattachée au gros œuvre de l'immeuble dont s'agit, ont eu pour effet essentiel, en compromettant l'utilisation de l'ensemble des locaux le composant, de porter atteinte à la destination de ce même immeuble ;

Attendu, quant au préjudice, qu'il résulte des constatations de l'expert Guglielmi, que le remplacement de la totalité des ballons de stockage d'eau chaude s'avère nécessaire pour assurer le bon fonctionnement de l'équipement de production d'eau chaude sanitaire de l'immeuble « Le Formentor » ;

Qu'aux termes des évaluations auxquelles l'expert judiciaire a procédé, non contestées par les parties, le coût de la nouvelle installation qui nécessitera la confection de neuf nouveaux ballons d'un prix de 1 244 760 F hors taxes, de même que des travaux de dépose et de découpe des neuf ballons existants devant être remplacés, ainsi que de mise en place des ballons neufs pour un montant de 846 228 F hors taxes, s'élèvera à la somme totale de 2 501 259,76 F toutes taxes comprises ;

Que l'expert a, par ailleurs, souligné dans son rapport, que s'agissant de travaux délicats, leur exécution devra être dirigée, coordonnée et surveillée par un maître d'œuvre dont l'intervention nécessitera une dépense au titre de ses honoraires, de la somme de 250 000 F ; qu'en outre le contrôle de ces mêmes travaux devra être effectué par le bureau de contrôle SOCOTEC pour en vérifier la conformité aux normes et documents techniques unifiés en vigueur, ce qui entraînera une dépense de l'ordre de 10 000 F ;

Attendu qu'il convient, au vu de ces considérations, de constater que la société Patricia s'avère créancière à l'égard de la société Entreprise Baret, en redressement judiciaire, de la somme totale de :

2 501 259,76 + 250 000 + 10 000 = 2 761 259,76 F ;

Que cette somme, représentant le coût de travaux non encore exécutés, devant être actualisée à la date du présent jugement, doit être portée à celle de 3 150 000 F pour tenir compte du temps écoulé depuis octobre 1989, date du rapport de l'expert, eu égard aux éléments d'appréciation dont le tribunal dispose ;

Que cette créance indemnitaire qui correspond à la réparation du préjudice subi par le maître de l'ouvrage, étranger à sa réalisation, ne saurait comme l'a prétendu le mandataire liquidateur de la société Entreprise Baret, être supportée, fût-ce en partie, par la demanderesse, au prétexte d'un enrichissement sans cause, dès lors qu'elle n'aura pour effet que d'assurer la stricte conformité des prestations de la société Entreprise Baret à son obligation de délivrer un ouvrage exempt de vices envers la société Patricia ;

Attendu, qu'en revanche, la société Patricia qui ne produit aucune pièce de nature à justifier la réalité du trouble de jouissance qu'elle aurait personnellement subi, doit être déboutée de sa demande en paiement de dommages-intérêts, de ce chef ;

Quant à la demande contre la Société mutuelle d'assurances du bâtiment et des travaux publics

Attendu que la société Patricia est recevable à exercer contre cette compagnie d'assurances l'action directe instituée par l'article 124-3 du Code des assurances français, loi contractuelle des parties, dès lors d'une part que sa demande formée en vertu d'un droit propre contre la compagnie « SMABTP », qu'elle tient pour assureur de la société Entreprise Baret, échappe au régime de la suspension individuelle des poursuites dirigées contre ladite société et que, d'autre part, cette dernière, assistée du représentant des créanciers de son redressement judiciaire, a été régulièrement mise en cause, en vue de la détermination contradictoire de l'existence de la créance de réparation et de l'indemnité due par l'assureur ;

Attendu que si cette action directe est fondée sur une expertise judiciaire à laquelle la compagnie « SAMBTP » n'a pas été partie, il n'en demeure pas moins que ladite compagnie d'assurances ne saurait utilement exciper de l'inopposabilité de ce rapport d'expertise régulièrement versé aux débats, dès lors qu'elle a été à même d'en discuter contradictoirement les résultats dans ses écritures judiciaires et a conclu au fond sur ledit rapport ;

Attendu, quant à la garantie de la « SMABTP », qu'il résulte des pièces produites, que si la société Entreprise Baret était titulaire auprès de ladite compagnie d'une police d'assurances « construction », numéro 130171W130/1201, souscrite le 1er janvier 1981, et garantissant les conséquences pécuniaires de sa responsabilité civile sur le fondement des articles 1792 et 2270 du Code civil français, il n'en demeure pas moins que les garanties de ce contrat s'appliquaient, aux termes de l'article 3 de ses conditions générales, uniquement aux travaux de bâtiment construits en France (Métropole et Départements d'outre-mer), ce qui excluait nécessairement la garantie de cet assureur relativement aux travaux exécutés sur le territoire de la Principauté de Monaco, tels ceux réalisés par la société Entreprise Baret dans l'immeuble « Le Formentor » ;

Que si, ultérieurement, la société Entreprise Baret a obtenu, aux termes d'un avenant en date du 19 avril 1988, une extension de la garantie de son assureur aux travaux de plomberie-sanitaire qu'elle avait réalisés en Principauté dans l'immeuble « Le Formentor », il résulte cependant de la clause insérée au dernier alinéa de l'article 2 de ce même avenant, que la « SMABTP » avait entendu expressément exclure de sa garantie « les sinistres dont la première manifestation serait connue du sociétaire à la date de la signature de l'avenant » ;

Qu'à cet égard, il est constant que la société Entreprise Baret avait eu nécessairement connaissance, avant la signature de cet avenant, de l'existence des désordres affectant l'installation de production d'eau chaude sanitaire réalisée par ses soins dans l'immeuble « Le Formentor », dès lors qu'aux termes de l'assignation en référé aux fins d'expertise, en date du 27 mars 1987, qu'elle a fait signifier à son fournisseur, la société Établissements Zapirain, elle a fait état de l'existence d'anomalies dans le fonctionnement de cette installation se manifestant notamment par des fuites dont la première était apparue, dès le mois de juillet 1986 ;

Attendu qu'il s'évince de ces considérations, nul ne pouvant assurer un risque qu'il sait déjà réalisé, que la compagnie « SMABTP », apparaît fondée à opposer à la société Patricia l'exclusion de sa garantie relative à la réparation des désordres objet de la présente instance, par l'effet de la clause insérée à l'avenant du 19 avril 1988 dont les conditions d'application sont réunies, en l'espèce, s'agissant d'une clause valable d'exclusion du risque, dès lors qu'elle était formelle et limitée, conformément aux dispositions de l'article L. 113-1 du Code des assurances français, loi contractuelle des parties ;

Qu'il s'ensuit, que la société Patricia doit être déboutée de sa demande en garantie dirigée contre la Société mutuelle d'assurances du bâtiment et des travaux publics ;

Et attendu que les dépens suivent la succombance de la société Entreprise Baret ;

Dispositif🔗

PAR CES MOTIFS,

Le Tribunal,

Statuant par jugement non susceptible d'opposition à l'égard de toutes les parties en cause,

Homologue le rapport de l'expert Guglielmi en date du 25 octobre 1989, déposé au greffe général le 27 octobre 1989 ;

Déclare la société anonyme de droit monégasque dénommée Patricia, irrecevable en ses demandes en paiement de sommes à l'encontre de la société anonyme de droit français dénommée Entreprise Baret, en redressement judiciaire ;

Déclare la société Entreprise Baret, responsable des conséquences dommageables des désordres ayant affecté les ballons de production d'eau chaude de l'immeuble « Le Formentor », propriété de la société Patricia ;

Constate, en conséquence, que la société Patricia demeure créancière à l'égard de la société Entreprise Baret de la somme de trois millions cent cinquante mille francs (3 150 000 F), montant des causes susénoncées ;

Déboute la société Patricia du surplus de ses demandes contre la société Entreprise Baret ;

Déboute la société Patricia de sa demande dirigée contre la Société mutuelle d'assurances du bâtiment et des travaux publics ;

Composition🔗

MM. Landwerlin, prés. ; Serdet, prem. subst. proc. gén. ; Mes Karczag-Mencarelli et Blot, av. déf. ; Berdah, Hancy, Lanzaro et Castillon, av. barr. de Nice.

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