Tribunal de première instance, 13 mai 1993, Société Gold Coin Joailliers c/ B. et B., SAM Galerie Park Palace, B.

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Abstract🔗

Possession

Chose remise à la suite de manœuvres frauduleuses - Action en revendication du possesseur (C. civ., art. 2099, al. 2) (1)

Procédure civile

Recevabilité de l'action en revendication du possesseur de la chose - Objet d'un délit : délai de 3 ans pour agir (C. civ., art. 2099, al. 2) - Procédure pénale en cours en France concernant le délit - Sursis à statuer ordonné par la juridiction monégasque pour une bonne administration de la justice (2)

Résumé🔗

Si la demanderesse n'a pas cru devoir préciser le fondement juridique de son action, celle-ci, au regard de ses écritures judiciaires, s'avère implicitement mais nécessairement fondée sur les dispositions de l'article 2099 alinéa 2 du Code civil, dès lors qu'elle soutient avoir été privée de la chose lui appartenant à la suite d'un délit (escroquerie), étant ici relevé qu'une telle action apparaît recevable en la forme, puisqu'intentée dans le délai prévu par l'article susvisé (1).

En raison de ce que les faits qui servent de fondement aux droits de la demanderesse quant à son action en revendication font l'objet d'une procédure pénale en France pour délit d'escroquerie prévu par l'article 405 du Code pénal français, analogue à l'article 330 du Code pénal monégasque, il apparaît conforme à une bonne administration de la justice de surseoir à statuer d'office, sur l'ensemble des demandes dont le tribunal se trouve actuellement saisi par les parties, jusqu'à ce qu'il ait été définitivement statué par la juridiction pénale française quant à l'action publique mise en mouvement par la plaignante partie civile, ce, à l'effet de mettre en mesure celle-ci de communiquer au tribunal les éléments définitifs de preuve sur lesquels se fonde son action (2).


Motifs🔗

Le Tribunal,

Considérant les faits suivants :

  • Le 19 novembre 1990, la société anonyme de droit suisse dénommée Gold Coin Joailliers, propriétaire d'une parure de bijoux composée de cinq pièces en or jaune, serties de brillants bordés d'une frange de rubis taillés en poire, signée Avakian Genève, ladite parure comprenant un bracelet, une bague, un collier et deux pendentifs, s'en est dessaisie, sans recevoir cependant paiement de son prix, au profit de K. B. et de C. B. ;

  • Imputant à ceux-ci diverses manœuvres l'ayant déterminée à leur remettre la parure, faits constitutifs selon elle du délit d'escroquerie, elle a procédé, le 12 février 1991, au dépôt d'une plainte avec constitution de partie civile entre les mains du Doyen des Juges d'instruction du Tribunal de grande instance de Grasse ;

  • Dix jours plus tard, H. B. consentait à C. B., selon acte sous seing privé, en date du 29 novembre 1990, non enregistré, et qui devra l'être avec le présent jugement, un prêt d'un montant de 1 000 000 F, stipulé sans intérêts, devant lui être remboursé le 2 mars 1991, au plus tard ;

  • En garantie de ce prêt, C. B. remettait alors à H. B. la parure précédemment obtenue de la société Gold Coin, étant précisé « qu'en cas de défaillance de remboursement », les parties convenaient « que la parure serait définitivement conservée par le créancier B., à titre de » remboursement dation « ;

  • Considérant que la parure de bijoux lui avait été remise en gage, et était devenue sa propriété par l'effet de la clause susvisée, H. B. la confiait à la société anonyme monégasque dénommée » Galerie Park Palace « aux fins de vente aux enchères publiques ;

  • Ayant appris l'existence de cette vente par la publicité parue dans la presse, la société Gold Coin Joailliers a été autorisée, par Ordonnance présidentielle du 14 octobre 1991, à faire pratiquer une saisie-revendication auprès de la société Galerie Park Palace ;

  • Cette procédure permettait la saisie de la parure litigieuse ayant été saisie avant toute vente, ainsi qu'il ressort d'un exploit de Maître Notari, en date du 21 octobre 1991 ; la société Gold Coin Joailliers a, dès lors, suivant exploit du 26 novembre 1991, saisi le tribunal d'une action tendant à être reconnue propriétaire de ladite parure, dirigée à l'encontre tant de K. B. et C. B. que de la société Galerie Park Palace ; elle demande, ce faisant, la validation de la saisie-revendication pratiquée le 21 octobre 1991, et qu'il soit fait injonction à la société Galerie Park Palace de lui remettre la parure dont s'agit ;

  • K. B. et C. B. n'ayant pas comparu, le tribunal, par jugement du 9 janvier 1992, ordonnait leur réassignation en application de l'article 210 du Code de procédure civile ;

  • Suivant exploit du 20 janvier 1992, la société Gold Coin Joailliers a fait à nouveau assigner K. B. et C. B. qui ont persisté à faire défaut, en sorte que le jugement à intervenir dans la présente instance sera réputé contradictoire à l'égard de toutes les parties, conformément aux dispositions de l'article 217 du Code de procédure civile ;

  • La société Galerie Park Palace a, sur ce, conclu qu'il lui soit donné acte de ce qu'elle détient la parure, objet du procès-verbal de saisie-revendication, tout en déclarant s'en rapporter à la justice quant au fond du litige ;

H. B., intervenant volontairement à l'instance, dénie tout droit de propriété de la société demanderesse sur la parure litigieuse et soutient qu'en sa qualité de créancier gagiste devenu propriétaire de cette même parure, par suite de la défaillance de sa débitrice, C. B., comme le stipulait l'acte de prêt qu'il avait consenti à celle-ci, il était fondé à se prévaloir des dispositions de l'article 2099 du Code civil, en vertu desquelles » en fait de meubles possession vaut titre " ;

Il fait, par ailleurs, valoir, pour le cas où le Tribunal estimerait fondée l'action de la société Gold Coin, qu'il bénéficie d'un droit de rétention sur la parure revendiquée par la demanderesse, affectée au remboursement du prêt par lui consenti à C. B., tant en principal qu'en intérêts ayant couru à compter du 2 mars 1991 ;

La société Gold Coin Joailliers, réitérant les termes de son exploit introductif d'instance, a conclu au rejet des prétentions du défendeur, tout en formant une demande additionnelle à son encontre en paiement de la somme de 20 000 F, à titre de dommages-intérêts, pour procédure abusive ;

Elle soutient, à cet effet, que le prêt consenti par B. avec constitution de gage à son profit, n'ayant pas été enregistré, ne lui est pas opposable, en sorte que cet intervenant ne saurait se prévaloir, en l'espèce, d'un quelconque droit de rétention sur la chose remise en gage ;

Elle ajoute, enfin, que la clause du prêt stipulant à l'avance que la parure de bijoux remise en gage par l'emprunteur serait attribuée de plein droit à B., si celui-ci n'était pas remboursé à l'échéance, s'avère dépourvue de toute validité ;

Sur quoi,

Attendu que, si la société Gold Coin Joailliers n'a pas cru devoir préciser le fondement juridique de son action, celle-ci, au regard de ses écritures judiciaires, s'avère implicitement mais nécessairement fondée sur les dispositions de l'article 2099 deuxième alinéa du Code civil, dès lors que la demanderesse soutient avoir été privée de la chose lui appartenant à la suite d'un délit, étant ici relevé qu'une telle action apparaît recevable, en la forme, puisqu'intentée dans le délai prévu par l'article susvisé ;

Attendu qu'à cet égard, il résulte tout d'abord des pièces produites par la demanderesse que celle-ci possédait à titre de propriétaire la parure de bijoux qu'elle revendique, pour l'avoir acquise de la société Diamperl, selon facture du 30 octobre 1990 ;

Qu'il est, par ailleurs, constant que la société Gold Coin Joailliers a déposé une plainte avec constitution de partie civile devant le Doyen des juges d'instruction près le Tribunal de grande instance de Grasse, le 12 février 1991, à l'encontre de K. B. et de C. B., pour délit d'escroquerie prévu et réprimé par l'article 405 du Code pénal français, analogue à l'article 330 du Code pénal monégasque ;

Qu'au travers de cette plainte, la société demanderesse expose les manœuvres frauduleuses employées par ces deux personnes pour la persuader de l'existence d'un crédit imaginaire et faire naître en elle l'espérance d'un succès aux fins de remise de la parure de bijoux qu'elle revendique dans le cadre de la présente instance ;

Attendu qu'en raison de ce que les faits objet de la procédure pénale susvisée servent de fondement aux droits de la demanderesse quant à son action en revendication, il apparaît conforme à une bonne administration de la justice de surseoir à statuer, d'office, sur l'ensemble des demandes dont le tribunal se trouve actuellement saisi par les parties, jusqu'à ce qu'il ait été définitivement statué par la juridiction pénale française quant à l'action publique mise en mouvement par la société Gold Coin Joailliers, ce, à l'effet de mettre en mesure celle-ci de communiquer au tribunal les éléments définitifs de preuve sur lesquels se fonde son action ;

Dispositif🔗

PAR CES MOTIFS,

Le Tribunal,

Statuant par jugement réputé contradictoire à l'égard de toutes les parties,

Reçoit H. B. en son intervention volontaire ;

Surseoit à statuer au fond jusqu'à ce que la juridiction pénale française se soit définitivement prononcée sur l'action publique mise en mouvement par la plainte avec constitution de partie civile déposée par la société Gold Coin Joailliers à l'encontre de K. B. et C. B. ;

Ordonne le maintien de la présente instance au rôle général du tribunal et dit qu'elle pourra être rappelée, pour conclusions et éventuel jugement au fond, à la requête de la partie la plus diligente ;

Composition🔗

MM. Landwerlin, prés. ; Serdet, prem. subst. proc. gén. ; Mes Brugnetti et Escaut, av. déf.

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