Tribunal de première instance, 29 octobre 1992, SARL « Charcuterie D. » c/ D.

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Abstract🔗

Mandat

Mandat apparent - Engagement du mandant à l'égard des tiers - Condition : croyance légitime de ceux-ci

Résumé🔗

Un mandant peut être engagé sur le fondement d'un mandat apparent, même en l'absence d'une faute susceptible de lui être reprochée, si la croyance du tiers à l'étendue des pouvoirs du mandataire est légitime.

Ainsi, un fournisseur, qui, ayant livré à un magasin, des marchandises correspondant son objet, sur la commande faite par un employé, reçoit en paiement de sa facture un chèque sans provision portant la dénomination du magasin, se trouve fondé à réclamer le montant de celle-ci au commerçant propriétaire de ce fonds, bien que celui-ci conteste avoir commandé et réceptionné les marchandises ; en effet le fournisseur a pu légitimement considérer que l'employé avait valablement engagé son employeur, les différends nés dans leurs propres rapports, ne pouvant lui être opposés.


Motifs🔗

Le Tribunal

Attendu que, suivant l'exploit susvisé, la SARL dénommée Charcuterie D., qui expose avoir fourni au magasin dénommé « A. J. S.-D. », les 6 et 7 mai 1990 des marchandises pour un montant total de 84 000 F, sous déduction d'un acompte de 4 000 F déjà versé, en règlement desquelles elle reçut le 22 juin 1990 un chèque qui devait s'avérer être sans provision, a assigné Y. D., alors propriétaire de ce fonds de commerce, aux fins de s'entendre cette dernière condamner au paiement du solde de facture s'élevant à 80 000 F, outre 5 000 F à titre de dommages-intérêts ;

Attendu que de son côté Y. D. rétorque, par conclusions du 12 décembre 1991, que s'il est exact qu'au moment de rétablissement de la facture litigieuse elle était propriétaire, du fonds exploité sous l'enseigne « A. J. S.-D. » à Monaco, elle y avait engagé une dame L. laquelle, profitant d'une certaine autonomie dans son activité, s'était comportée comme la véritable propriétaire dudit fonds en n'hésitant pas à faire ouvrir un compte à ce nom dans les livres de la Société Marseillaise de Crédit et à passer commande, auprès de la Société demanderesse, de marchandises destinées à son usage personnel qu'elle paya au moyen d'un chèque sans provision dont la défenderesse ne s'estime pas redevable, en sorte qu'elle sollicite le rejet des prétentions de la SARL Charcuterie D., dirigées à son encontre et qu'elle forme une demande reconventionnelle aux fins d'obtenir, d'une part, mainlevée de l'opposition formulée par la demanderesse auprès de Maîtres Aureglia et Crovetto, notaires chargés de la vente de son fonds et, d'autre part, condamnation de la SARL D. à lui payer la somme de 20 000 F à titre de dommages-intérêts pour procédure abusive, et ce avec le bénéfice de l'exécution provisoire ;

Qu'enfin la Charcuterie D. maintient, dans le dernier état de ses écritures judiciaires, ses demandes dirigées à l'encontre d'Y. D., employeur de la dame L., laquelle apparaissait, selon elle, à tout le moins en qualité de mandataire apparent de la défenderesse, pour la commande de marchandises correspondant à l'objet social du commerce « A. J. S.-D. » ;

Sur quoi :

Attendu, dans le domaine des faits, qu'il est constant que la SARL Charcuterie D. a fourni les 6 et 7 mai 1990 des marchandises pour deux buffets de cent personnes et qu'elle adressa le 30 mai suivant, la facture correspondant à cette prestation au nom du fonds de commerce dénommé « A. J. S.-D. », s'élevant à 80 000 F, déduction faite d'un acompte de 4 000 F déjà versé ;

Attendu qu'il est également constant que cette commande fut passée par une dame L., alors employée d'Y. D., laquelle était à cette époque propriétaire du fonds de commerce, ainsi que cela résulte de l'extrait du Répertoire du Commerce et de l'Industrie ;

Attendu que celle-ci soutient ne pas avoir commandé les marchandises litigieuses ni les avoir réceptionnées mais au contraire que celles-ci ont été acquises par sa préposée indélicate pour son usage personnel ;

Mais attendu que lesdites marchandises se présentent comme ayant été livrées à la dame L. pour le compte du fonds de commerce, ainsi que cela résulte de la facture établie le 30 mai 1990 et qu'un chèque à l'intitulé de ce fonds fut adressé en paiement de cette facture, lequel s'est avéré sans provision ;

Attendu, d'autre part, que les marchandises livrées, destinées à la confection de deux buffets de 100 personnes, correspondent à l'objet du commerce litigieux ;

Attendu que ces circonstances établissent suffisamment que la dame L. s'est présentée, et pouvait légitimement être considérée par la Société demanderesse, comme la mandataire apparente de Y. D. ;

Attendu en droit qu'un mandant peut être engagé sur le fondement d'un mandat apparent, même en l'absence d'une faute susceptible de lui être reprochée, si la croyance du tiers à l'étendue des pouvoirs du mandataire est légitime ;

Attendu que tel est bien le cas en l'espèce et que la dame L., alors employée de Y. D., doit être considérée comme ayant valablement engagé son employeur à l'égard de la SARL Charcuterie D., à laquelle ne peuvent être opposés les différends nés dans leurs propres rapports ;

Qu'il convient, dès lors, de condamner Y. D. à payer à la SARL Charcuterie D. la somme de 80 000 F à titre de solde de la facture du 30 mai 1990, avec intérêts au taux légal à compter du jour de l'exploit introductif d'instance, faute par la demanderesse de justifier d'une mise en demeure préalable ;

Attendu qu'il n'est pas établi que Y. D. ait commis une faute à l'égard de la SARL Charcuterie D. en s'opposant au paiement de la facture réclamée par cette Société en sorte qu'il n'y a pas à accorder de dommages-intérêts ;

Attendu que les dépens suivent la succombance ;

Attendu que les dépens suivent la succombance ;

Dispositif🔗

PAR CES MOTIFS,

Le Tribunal, statuant contradictoirement,

Condamne Y. D. à payer à la SARL Charcuterie D. la somme de 80 000 francs avec intérêts au taux légal à compter de l'assignation du 2 août 1991 ;

Dit n'y avoir lieu à dommages-intérêts ;

Déboute Y. D. de ses demandes reconventionnelles ;

Composition🔗

M. Landwerlin, prés. ; Serdet, prem. subst. proc. gén. ; Mes Sbarrato et Brugnetti, av. déf.

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