Tribunal de première instance, 13 février 1992, P. c/ C. et Société European Promoters et Advisers

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Abstract🔗

Contrat de travail

Notion - Lien de dépendance et de subordination (non) - Incompétence du Tribunal du Travail (oui)

Résumé🔗

Dès lors qu'il n'apparaît pas des éléments de la cause que les activités exercées par la partie demanderesse, soient empreintes vis-à-vis de son prétendu employeur, de la dépendance et de la subordination et qu'elles s'insèrent dans des rapports de collaboration, voire d'association donnant vocation à participer dans une proportion non négligeable, au bénéfice net réalisé, l'existence d'un contrat de louage de services, au sens de l'article 1er de la loi n° 446 du 16 mai 1946, modifiée, ne saurait être établie, de sorte que le Tribunal du Travail est incompétent pour connaître du litige tendant à l'obtention du paiement de salaires, de congés-payés, de dommages-intérêts pour licenciement abusif.


Motifs🔗

Le Tribunal,

Attendu que, par jugement du 10 mai 1990 auquel il y a lieu de se reporter, le Tribunal du Travail, saisi par P. P. de demandes dirigées contre E. C. et la société EPA, tendant au paiement de salaires, de congés payés, de dommages-intérêts pour licenciement abusif et au remboursement de frais de voyage, de frais d'hôpitaux et médicaux (totalisant 225 000 francs), ainsi qu'à l'indemnisation d'une incapacité permanente à déterminer par expertise, après avoir constaté que P. réside en Italie et que la société EPA était inconnue du Répertoire du Commerce et de l'Industrie de Monaco à la date du 16 décembre 1988, s'est déclaré incompétent ratione loci pour connaître de ces demandes formulées par un étranger contre une société ayant son siège à Londres, ou contre le représentant de celle-ci dont il n'est pas soutenu qu'il aurait à titre personnel engagé P. en vertu d'un contrat conclu à Monaco, sans examiner si les parties se trouvaient ou non liées par un contrat de travail ;

Que P. a donc été renvoyé à se mieux pourvoir et condamné aux dépens ;

Attendu que, par l'exploit susvisé, P. a fait appel de ce jugement, non signifié ; qu'il prétend avoir été engagé par C. le 1er février 1988 en qualité de directeur commercial, moyennant un salaire mensuel de 15 000 francs, sans avoir fait l'objet d'une déclaration aux organismes sociaux ni avoir reçu de bulletins de salaire, mais affirme avoir travaillé à Monaco, en toute bonne foi, dans un bureau, jusqu'au 30 septembre 1988, date de cessation de son emploi ; qu'il précise avoir exercé une activité commerciale importante dans le domaine de l'optique, département dont il avait la charge du développement, ce que confirme le « projet de contrat de travail » élaboré par les parties ; qu'il explique s'être déplacé tous les jours entre son domicile de Savone (Italie) et son lieu de travail à Monaco et indique avoir été victime d'un accident du travail à l'aéroport d'Orly le 1er juillet 1988, lequel a entraîné des frais et lui a occasionné des séquelles corporelles ;

Qu'il critique l'interprétation - erronée selon lui - donnée par les premiers juges aux faits de la cause et précise avoir attrait C. aussi bien à titre personnel qu'en sa qualité de représentant de la Société EPA qui dispose d'un bureau administratif à Monaco ; qu'il soutient que le contrat de travail a été conclu et exécuté à Monaco, même s'il nécessitait certains déplacements, et s'estime fondé, par application de l'article 53 de la loi n° 446 du 16 mai 1946 modifiée, à s'adresser aux Juridictions du travail monégasques ;

Que par infirmation de la décision entreprise du chef de la compétence, P. demande au Tribunal d'appel de renvoyer la cause devant le Tribunal du Travail pour qu'il soit statué au fond ;

Attendu que pour leur part, E. C. et la Société EPA concluent à la confirmation du jugement du 10 mai 1990 en ce qu'il a déclaré l'incompétence « ratione loci » des juridictions monégasques ; que subsidiairement, ils demandent au tribunal d'appel de retenir leur incompétence « ratione materiae » et sollicitent en tout état de cause le rejet de l'ensemble des prétentions de P. ;

Qu'ils font valoir pour l'essentiel que la société European Promoters & Advisers LTD n'a pas son siège social à Monaco mais au Royaume-Uni (à Londres), et n'exerce aucune activité commerciale à Monaco où elle n'entretient qu'un bureau administratif, dirigé par C. ; qu'ils prétendent que celui-ci n'exerce personnellement pas d'activité commerciale en Principauté et n'a pu engager un cadre commercial ;

Qu'ils indiquent que les obligations commerciales liant P. à la société EPA ne relèvent pas des juridictions de Monaco dès lors que le contrat a été conclu par une société de droit anglais et s'est exécuté en Italie et en France ; qu'ils estiment par ailleurs que ce contrat ayant envisagé de confier la direction commerciale d'un département optique à P. est un contrat de collaboration conclu avec un apporteur d'affaires percevant des honoraires et non un salaire ;

Qu'ils relatent que les agissements de P. dans ce cadre contractuel ont occasionné à la société EPA un préjudice de 400 000 francs qu'ils se réservent le droit de demander devant les juridictions compétentes, sans préjudice du remboursement des sommes avancées pour le compte de l'appelant ;

Sur quoi,

Attendu que l'appel, qui apparaît avoir été régulièrement formé, doit être déclaré recevable ;

Attendu, au fond, qu'il résulte des pièces régulièrement versées aux débats de part et d'autre que C. et P. - qui entretenaient des relations amicales s'évinçant en particulier des pièces n° 42 et 50 produites par Maître Évelyne Karczag-Mencarelli -, ont envisagé vers la fin de l'année 1987 de collaborer en vue de permettre à la société EPA de diffuser en exclusivité dans certains pays d'Europe, des montures de lunettes produites par une entreprise italienne dénommée Gipierre (présentée par P.), ce qui nécessitait la mise en place d'une structure de vente et de distribution ;

Que des relations d'affaires se sont ainsi nouées entre C., personnellement ou es-qualité de représentant de la société EPA, et P. P., sans aboutir pour autant à une convention dûment signée par les parties ; que toutefois, celles-ci - qui s'y sont à certains égards référé - n'ont pas sérieusement contesté que le projet de contrat qu'elles ont envisagé de conclure (pièce n° 15 de Maître Karczag-Mencarelli) reflète pour l'essentiel les engagements respectivement pris ;

Attendu qu'aux termes de ce projet de contrat, P. apparaît comme l'intermédiaire ayant permis à la société EPA de conclure avec l'entreprise Gipierre un contrat de distribution des montures de lunettes commercialisées par ce fournisseur ; que P., dont les liens personnels avec l'entreprise Gipierre sont mis en évidence, se voit confier la direction commerciale du département optique devant être créé par la société EPA pour la bonne exécution du contrat Gipierre ; que ce rôle, prévu pour être exercé suivant les directives et instructions de la société EPA, consiste à prospecter les marchés convoités, à proposer des distributeurs, à conclure avec eux des contrats d'exclusivité et à suivre le bon déroulement de leurs activités ; qu'en contrepartie de « ses apports, de son rôle et de son activité », il est prévu de payer à P. des honoraires mensuels de 15 000 francs, de lui rembourser ses frais professionnels et de lui octroyer 25 % de la marge globale nette réalisée par EPA, après déduction des frais propres du département optique «, cette participation étant maintenue même dans le cas de cessation des activités de P. après une période probatoire de 6 mois, pour rémunérer son rôle » d'apporteur (d'affaire) et d'agent de liaison avec le fournisseur « ;

Attendu que les activités effectivement exercées par P., au vu des pièces produites, montrent que des contacts ont été pris avec des distributeurs pressentis, essentiellement en France, dont il informait C. ;

Attendu que ces activités n'apparaissent pas empreintes, vis-à-vis de l'employeur prétendu, de la dépendance et de la subordination caractéristiques du contrat de travail ;

Qu'en effet, il ressort des éléments versés aux débats (cf. en particulier pièces de Maître Karczag-Mencarelli, n° 44, 50, 52 et de Maître Blot, n° 8 - 3 feuillets, 9, 10 et 11) que P. :

  • intervenait dans les relations financières des sociétés EPA et Gipierre, notamment en recommandant à C. de prendre des engagements précis et en lui conseillant de faire parvenir certaines informations relatives à une ouverture de crédit à la banque de la société Gipierre ;

  • était consulté par C. qui sollicitait son avis sur des documents à adresser à la société Gipierre ;

  • se présentait vis-à-vis de cette société comme le représentant de la société EPA et concluait des conventions sans être spécialement mandaté, dont certaines comportaient des engagements financiers importants à la charge de la société EPA ;

Attendu que ces circonstances de fait dénotent une indépendance certaine de P. vis-à-vis de C. et ne le font nullement apparaître comme son subordonné ;

Qu'au contraire, il peut être avancé que leurs relations, à l'origine amicales, s'inscrivaient dans des rapports de collaboration, voire d'association, que confirment à la fois les termes » d'apporteur d'affaire " s'appliquant à P. et sa vocation à participer, dans une proportion non négligeable, au bénéfice net réalisé ;

Qu'en outre, il n'est pas convenu le paiement de salaires mais d'honoraires ;

Qu'enfin, il n'est pas vraisemblable que P., qui n'a jamais manifesté son intention d'être traité comme un salarié, en particulier en ce qui concerne les obligations légales s'attachant, aussi bien d'ailleurs dans son pays d'origine qu'en Principauté, au statut de salarié, ait eu la volonté de se placer sous l'autorité d'un employeur dans le cadre d'un contrat de travail salarié ;

Attendu, dans ces conditions, que P. n'établit pas l'existence d'un contrat de louage de services, au sens de l'article 1 de la loi n° 446 du 16 mai 1946, modifiée, le liant à la société EPA ou à C. ; qu'il s'ensuit que pour ce motif, substitué à celui des premiers juges, le Tribunal du Travail, qui s'est à juste titre déclaré incompétent, ne pouvait connaître du litige opposant P. aux intimés, étant observé que les critères de lieu édictés par l'article 53 de la loi n° 446 susvisée sont inopérants en l'espèce ;

Attendu en conséquence, que le jugement entrepris doit être confirmé en ce que le Tribunal s'est déclaré incompétent, et P. tenu aux dépens d'appel ;

Dispositif🔗

PAR CES MOTIFS,

Le Tribunal,

Statuant contradictoirement, comme juridiction d'appel du Tribunal du Travail,

Déclare l'appel recevable en la forme ;

Confirme le jugement entrepris en ce que le Tribunal s'est déclaré incompétent pour connaître des demandes de P. et l'a condamné aux dépens ;

Composition🔗

MM. Landwerlin prés. ; Serdet prem. subst. proc. gén. Mes Karczag-Mencarelli et Blot av. déf.

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