Tribunal de première instance, 23 janvier 1992, D.-C. c/ SAM Sefonil, M.

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Abstract🔗

Tribunal de première instance

Compétence : exception d'incompétence (rejet) - Contestation quant à l'application de l'article 35 de la loi n° 669 du 17 septembre 1959 - Compétence du juge de paix quant à l'appréciation des besoins normaux des locataires et occupants évincés - Article 95-1 alinéa 3 de la loi susvisée

Baux d'habitation

Obligation de relogement du propriétaire bailleur : démolition de l'immeuble pour reconstruire - Droit prioritaire des locataires et occupants évincés au relogement - Obligation de relogement incombant à tous les copropriétaires

Résumé🔗

La contestation née de l'application de l'article 35 de l'ordonnance-loi n° 669 du 17 septembre 1959 modifiée, mettant à la charge du propriétaire régulièrement autorisé à démolir son immeuble pour le reconstruire, l'obligation de reloger les locataires et occupants évincés, entre dans la compétence du Tribunal de première instance, ainsi que l'édicte l'article 50 de ladite ordonnance-loi.

Cette compétence de principe dévolue à ce tribunal par une loi spéciale, vient confirmer sa compétence générale de juge de droit commun qu'il tire de l'article 21 alinéa 1 ancien du Code de procédure civile pour connaître de toutes les actions qui ne sont pas attribuées par la loi à une autre juridiction, étant observé que les chefs de compétence reconnus au juge de paix par les troisièmes alinéas des articles 35-1 et 35-2 sont limités à des points précis, étrangers à la présente action.

Le propriétaire promoteur régulièrement autorisé a conformément à l'article 35, l'obligation de reloger le locataire ou occupant légalement protégé dans des locaux correspondant à ses besoins normaux ; ce relogement à Monaco peut être assuré, selon cet article soit définitivement si le promoteur est propriétaire d'autres locaux que ceux faisant l'objet des travaux, soit à titre provisoire pendant la durée des travaux.

Les dispositions de l'article 35-2 prévoient les conditions dans lesquelles le propriétaire ayant opté pour un relogement provisoire, doit mettre à la disposition définitive du locataire ou occupant des locaux dépendant de l'immeuble reconstruit, transformé ou réparé.

Il est manifeste que le relogement provisoire n'est qu'une étape avant le relogement définitif, lequel constitue la finalité de l'obligation de relogement édictée par la loi à l'article 35 précité.

Les locataires ou occupants ont un droit prioritaire à être relogés dans le nouvel immeuble, droit qui s'exerce sur l'ensemble de l'immeuble.

En cas de pluralité de propriétaires, lors de la phase d'offre et désignation des locaux devant intervenir après lance de l'autorisation d'habitabilité, il doit être décidé que chacun de ces copropriétaires à cette date, est tenu à l'accomplissement des formalités de l'article 35-2 alinéa 2 visant à mettre ses locaux à la disposition des locataires ou occupants évincés, sous réserve de l'appréciation des besoins normaux de ceux-ci laquelle relève de la compétence du juge de paix en vertu des articles 35-1 alinéa 3.


Motifs🔗

Le Tribunal,

Considérant les faits suivants :

Suite à une « promesse de vente et d'achat » du 25 juillet 1985, M. M. épouse M. et A. M. veuve G. ont vendu à la société anonyme monégasque Sefonil, représentée par D. M., selon acte de Maître Rey, notaire, en date du 12 décembre 1986, un immeuble dénommé « Villa M. » sis à Monaco (à l'exception toutefois du rez-de-chaussée ne leur appartenant pas), moyennant le prix de 3 600 000 F payable selon les modalités particulières ci-après précisées ;

Cette opération s'est inscrite dans le cadre d'une promotion immobilière menée à bien par la société Sefonil qui, après remembrement de divers immeubles, a édifié sur l'emplacement desdits immeubles démolis un nouvel ensemble immobilier, à usage principal d'habitation ;

Les portions de l'immeuble Villa M. ainsi vendues faisaient l'objet de locations soumises à l'ordonnance-loi n° 669 du 17 septembre 1959, modifiée, dont celle, concernant un appartement de trois pièces, situé au premier étage de la villa, consentie à M.-L. D., locataire de nationalité monégasque ;

Au titre des conditions particulières, l'acte Rey du 12 décembre 1986 prévoit que la société Sefonil pourvoira à ses frais exclusifs au relogement des locataires évincés jusqu'à l'achèvement des travaux de construction ; cette société s'oblige à acquitter tous les frais de déménagement occasionnés par ce relogement provisoire et la réintégration des locataires dans les nouveaux locaux de l'immeuble construit d'une part, ainsi que les suppléments de loyers engendrés du fait du relogement d'autre part ;

De leur côté, les venderesses déclarent faire leur affaire personnelle du relogement des locataires évincés dans les portions du nouvel ensemble immobilier dont elles deviendront propriétaires, dans les conditions de la loi n° 669, de manière que la société Sefonil ne soit plus inquiétée ni recherchée à quelque titre que ce soit ;

L'acte fait état d'un accord intervenu entre M. M. et A. G. aux termes duquel la première nommée sera chargée d'assurer le relogement de M.-L. D. ;

Dans une deuxième partie, l'acte Rey du 12 décembre 1986 organise la vente, en l'état futur d'achèvement par la société Sefonil à Mesdames M. et G. de six studios et de leurs dépendances, d'une superficie d'environ 30 m2 chacun, devant être construits dans le nouvel immeuble, pour le prix de 3 600 000 F payable à concurrence de moitié par chacune des deux acquéreurs lors de la mise à disposition des biens vendus ; lesdits biens, selon les prévisions des parties, sont envisagés comme devant être utilisés pour le relogement définitif des locataires évincés ;

Cette vente en l'état futur d'achèvement organise un transfert retardé de la propriété des portions d'immeuble vendues « au fur et à mesure de leur exécution et de leur édification » ; elle prévoit que les acheteuses auront la jouissance de ces biens lors de l'achèvement des travaux de construction, prévu pour intervenir 30 mois au plus tard après le début des travaux de terrassement et devant être constaté dès le dépôt auprès du service de l'urbanisme et de la construction, d'une demande en délivrance du certificat de conformité signée par l'architecte ;

Dans le prolongement de l'exposé préalable contenu dans l'acte - ledit exposé mentionnant que le prix des portions d'immeuble de la villa M. « devra être réglé (aux venderesses) par la dation en paiement d'une fraction du nouvel ouvrage à édifier » -, il est prévu, dans une 3e partie, que la dette de la société Sefonil et la dette de M. M. et A. G. se compenseront de plein droit à concurrence de leur montant réciproque de 3 600 000 F dès la constatation de l'achèvement de l'immeuble ; le principe d'une dation en paiement se trouvait d'ailleurs déjà énoncé dans la promesse précitée du 25 juillet 1985 ;

Il est constant qu'à la fin de l'année 1986, M.-L. D. a été provisoirement relogée dans un appartement de trois pièces à Monaco, aux frais de la société Sefonil qui a notamment assuré le paiement de la différence de loyers, entre celui payé à l'hoirie M. (que M.-L. D. a continué à régler à la société Sefonil) et celui dû pour le relogement temporaire ;

M.-L. D. a été avisée le 14 novembre 1986 par la société Sefonil qu'elle serait relogée, après la période de construction prévue, dans le nouvel immeuble « par Mesdames M. » ;

Ceci lui a été confirmé le 17 février 1987, dans un courrier mentionnant l'obligation des venderesses quant à son relogement dans l'immeuble et lui demandant d'exprimer son accord sur ce point, ce qui ne semble pas être intervenu ;

M.-L. D. se contentait en effet d'écrire, le 23 février 1987, à la société Sefonil :

... « J'accepte également le principe du relogement tel qu'il est défini par la loi n° 669 du 17 septembre 1959 modifiée par la loi n° 986 du 2 juillet 1976 ; les modalités resteront à définir dans environ 30 mois, ce qui représente la durée nécessaire à la reconstruction de l'immeuble... ;

Par lettre recommandée avec accusé de réception non datée mais reçue le 15 janvier 1990, adressée dans le respect des prescriptions de l'article 35-2 alinéa 2 de la loi n° 669 précitée, M. M. informait M.-L. D. de la délivrance du certificat d'habitabilité et lui faisait parvenir le plan de » l'appartement « (sic) lui étant destiné, constitué en fait par un studio d'une seule pièce, en lui demandant de faire savoir si elle entendait » utiliser (son) droit de priorité « ;

En réponse, par lettre recommandée avec accusé de réception du 8 mars 1990, M.-L. D. faisait part à M. M. des points suivants :

» ... Je confirme par la présente que j'entends, conformément aux prescriptions de l'article 35-2, alinéa 2 de l'ordonnance-loi n° 669... user de mon droit de priorité afin d'être relogée à titre définitif et à un loyer fixé conformément aux dispositions du titre IV de l'ordonnance-loi n° 669...

Cependant, j'attire votre attention sur le fait que je considère que je suis en droit d'exercer le droit de priorité que me confère l'article 35-2 alinéa 2 de l'ordonnance-loi n° 669... également à l'encontre de la SAM Sefonil, promoteur de l'immeuble.

Je vais initier une procédure devant la juridiction de droit commun afin de faire reconnaître mon droit d'être relogée à titre définitif, à la fois par la SAM Sefonil et vous-même.

Je devais vous le signaler à toutes fins utiles, la présente lettre... vous étant adressée pour confirmation de mon intention d'user de mon droit de priorité dans le délai légal, la saisine du juge de paix sur l'appréciation des besoins normaux, devant être différée jusqu'à ce qu'une décision définitive soit rendue par la juridiction de droit commun.

Je vous fais cependant observer, d'ores et déjà, qu'un studio de 30 m2 ne répond nullement à mes besoins normaux, alors que j'occupais dans votre immeuble un appartement de trois pièces au premier étage avec mon fils... « ;

Par assignation du 15 mars 1990, M.-L. D., a, en effet, fait assigner la SAM Sefonil et M. M. veuve M. pour que le tribunal juge que l'obligation de reloger le locataire évincé à titre définitif, mise à la charge du propriétaire par l'ordonnance-loi n° 669, incombe non seulement à M. M., propriétaire de l'appartement du secteur réglementé qu'elle occupait, mais également à la SAM Sefonil, propriétaire de la plus grande partie de l'immeuble reconstruit ;

Elle demande donc au tribunal de dire que la Société Sefonil devra, en conformité des prescriptions de l'article 35-2, alinéa 2 de l'ordonnance-loi n° 669, mettre en demeure la requérante de lui faire connaître dans le délai de deux mois si elle entend user de son droit de priorité, en désignant les locaux offerts et en les décrivant suffisamment pour lui permettre de se déterminer ;

Elle sollicite par ailleurs du tribunal qu'il mette à la charge de la société Sefonil l'obligation de continuer à assurer son relogement provisoire, dans les conditions actuelles, jusqu'à ce que la décision à intervenir ait acquis l'autorité de la chose jugée ;

M. M. veuve M., dans ses conclusions en défense, requiert du tribunal qu'il :

  • constate que la demanderesse n'a pas saisi le juge de Paix dans le délai de deux mois pour faire vider la contestation sur les besoins normaux ;

  • se déclare incompétent pour connaître de la demande, tant pour non-respect des règles imposées par l'article 35-2 que parce que » la saisine des juridictions de droit commun est exclue du champ de la loi « ;

  • constate qu'elle a elle-même rempli ses obligations légales, qu'elle n'a pas à ce jour exercé de droit de reprise sur le local objet du litige, et lui donne acte de ce qu'elle se réserve ce droit ;

  • déclare en tout état de cause irrecevable et infondée la demande de M.-L. D. ;

La SAM Sefonil, après avoir également soulevé l'incompétence du tribunal pour connaître de la demande, a subsidiairement conclu à l'irrecevabilité et au caractère infondé de ladite demande en ce qu'elle est dirigée à son encontre, en sollicitant le rejet de l'ensemble des prétentions formulées par M.-L. D. contre la Société Sefonil ;

Dans des conclusions ultérieures, cette société a formé en outre une demande reconventionnelle tendant à obtenir la condamnation de M.-L. D. à lui payer :

  • 131 201,10 F représentant la partie supplémentaire du loyer de l'appartement dans lequel elle se maintient abusivement et illégalement depuis le 30 novembre 1989, et qu'elle a dû acquitter depuis cette date ;

  • 50 000 F à titre de dommages-intérêts devant réparer le préjudice causé sur les plans commercial, financier et moral, par l'attitude abusive et dilatoire adoptée par la demanderesse ;

  • 10 000 F représentant les frais de justice irrépétibles qu'elle a dû assumer ;

Pour sa part, M.-L. D. a maintenu l'ensemble de ses demandes en estimant que le tribunal de ce siège est bien compétent pour en connaître ;

Au soutien de ses prétentions, cette demanderesse, qui indique que son relogement provisoire est effectivement assuré par la société Sefonil, s'estime fondée à user du droit de priorité qui lui est conféré par l'article 35-2, alinéa 2 de l'ordonnance-loi n° 669 à l'encontre à la fois de la société et de M. M. ; elle considère en effet que l'obligation de relogement du locataire évincé mise à la charge du » propriétaire « par la loi n'incombe pas nécessairement au seul propriétaire de l'appartement démoli qu'occupait ce locataire, mais doit également être exécutée par le promoteur de l'opération immobilière de démolition - reconstruction qui devient propriétaire de la plus grande partie de l'immeuble reconstruit ;

Partant de la constatation que son ancien propriétaire n'entend mettre à sa disposition qu'un simple studio dans le nouvel immeuble, elle constate qu'en décider autrement reviendrait en l'espèce à rendre illusoire le droit de priorité de relogement qui lui est reconnu ; En revanche, elle observe que la société Sefonil dispose d'un nombre de locaux suffisants répondant à ses besoins normaux ;

Quant aux conventions particulières passées entre l'hoirie M. et la société Sefonil dans l'acte de vente du 12 décembre 1986, M.-L. D. estime qu'elles ne lui sont pas opposables car contraires aux prescriptions d'ordre public des articles 35 et 35-2 de l'ordonnance-loi n° 669, en relevant, de façon concrète, qu'elles ne lui permettent pas d'être relogée à titre définitif de telle sorte qu'il est fait échec à son droit de priorité légal ;

D'après elle, ce n'est pas là la finalité des prescriptions législatives d'ordre public de l'ordonnance-loi n° 669 tendant à assurer effectivement le relogement du locataire évincé ;

Elle constate qu'en l'espèce, ce droit au relogement ne peut être exercé que dans l'immeuble reconstruit dont la société Sefonil demeure pour l'essentiel propriétaire ;

Elle prétend que le Tribunal de première instance est seul compétent pour connaître de la présente action, dès lors qu'une contestation est née sur la détermination des propriétaires de l'immeuble reconstruit auxquels incombe l'obligation de relogement, le juge de paix ne devant se prononcer qu'ultérieurement, sur la seule question des besoins normaux ;

M. M. veuve M. fait valoir pour sa part que la loi, qui doit être interprétée restrictivement, ne prévoit pas que le locataire évincé a un droit au relogement mais lui reconnaît seulement un droit de priorité pour obtenir une nouvelle location ; elle considère qu'en ne respectant pas la procédure légale, c'est-à-dire en ne saisissant pas le juge de paix de sa contestation sur les besoins normaux, la demanderesse s'est placée hors du cadre légal instauré à son profit et ne peut plus saisir le juge de droit commun ;

Elle affirme en fait n'avoir pu obtenir mieux que trois studios au titre de sa part, en contrepartie de la vente de ses droits, et explique en avoir mis deux à disposition de ses deux locataires, en acceptant elle-même de vivre dans le troisième, alors qu'elle aurait pu se faire remettre en dation un seul appartement en y exerçant un droit de reprise à son seul bénéfice ;

Elle soutient enfin que la législation n'a pas instauré d'obligation de relogement ;

La SAM Sefonil observe en premier lieu qu'il n'existe aucun lien de droit entre elle-même et M.-L. D., son seul engagement envers cette demanderesse s'étant limité à la prise en charge de la différence de loyer de son relogement pendant la durée des travaux de construction ;

Elle s'étonne que M.-L. D., parfaitement informée dès l'origine des conditions envisagées pour son relogement, ait attendu trois ans avant d'introduire la présente action ;

La société Sefonil remarque, en tout état de cause, être un tiers au contrat de location liant M. M. à la demanderesse et prétend n'être pas tenue à une obligation de relogement à son égard, d'autant qu'elle n'est pas propriétaire des lots qui lui sont loués ;

Elle affirme que M.-L. D. n'a pas usé de son droit de priorité dans les conditions prévues par la loi et fait une interprétation contestable de l'article 35-2 ; elle ne lui reconnaît l'usage d'un droit de priorité qu'à l'égard de M. M. et soutient qu'il faut distinguer entre le droit au relogement, qui est provisoire, et le » droit de priorité définitif « qui devait être exercé dans les deux mois à compter du 15 janvier 1990 puis aboutir, le cas échéant, à une contestation devant le juge de paix ;

Elle fait valoir que M.-L. D. n'a pas respecté la procédure légale et ne peut donc plus se prévaloir de son droit de priorité ;

Elle décline en tout état de cause la compétence du tribunal cette juridiction étant selon elle » exclue des procédures prévues par les textes précités « ;

Quant à ses demandes reconventionnelles, la société Sefonil rappelle s'être simplement engagée à un relogement provisoire pendant la durée de reconstruction de l'immeuble, prévue pour 30 mois environ ; elle indique avoir conclu, pour ce faire, un bail avec les consorts D. au profit de M.-L. D., ledit bail devant expirer le 30 novembre 1989 ; elle prétend que celle-ci devait libérer à cette date l'appartement ainsi loué provisoirement mais constate qu'à la faveur du présent litige l'opposant à M. M. - qui ne concernerait pas la société Sefonil -, M.-L. D. se maintient abusivement dans les lieux, en lançant des procédures abusives lui permettant de continuer à être logée dans les meilleures conditions ;

Elle s'estime donc fondée à lui demander remboursement de la différence existant entre les sommes qu'elle est contrainte de continuer à payer aux consorts D. et la part de loyer réglée par la demanderesse, depuis le 30 novembre 1989, à raison de 7 288,95 F par mois ;

Sur quoi,

Attendu que le présent litige, qui commande pour l'essentiel de déterminer à qui incombe, en l'espèce, l'obligation de relogement d'un locataire - appartenant à l'une des catégories mentionnées par l'article 35 de l'ordonnance-loi n° 669 précitée - que ledit article met à la charge du » propriétaire «, révèle une contestation, relative notamment à l'application de cet article 35, qui entre dans la compétence du Tribunal de première instance ainsi que l'édicte l'article 50 de ladite ordonnance-loi ; que cette compétence de principe, attribuée au tribunal par une loi spéciale, vient confirmer sa compétence générale de juge de droit commun qu'il tire de l'article 21 alinéa 1 ancien du Code de procédure civile pour connaître de toutes les actions qui ne sont pas attribuées par la loi à une autre juridiction, étant observé que les chefs de compétence reconnus au juge de paix par les 3e alinéas des articles 35-1 et 35-2 sont limités à des points précis ne faisant pas l'objet de la présente action ;

Qu'il s'ensuit qu'il doit être passé outre l'exception d'incompétence soulevée par les défenderesses ;

Attendu que si, aux termes de l'article 34 de l'ordonnance-loi n° 669, les locataires protégés par les dispositions de ladite ordonnance-loi modifiée ne peuvent plus opposer leur droit au maintien dans les lieux lorsque les travaux projetés rendent toute occupation impossible, il doit être observé que ceux-ci doivent être entrepris à l'initiative du propriétaire » régulièrement autorisé « de l'immeuble et aboutir, dans les quatre hypothèses envisagées par cet article, à la construction de surfaces habitables au moins égales sinon supérieures à celles existant avant travaux, afin de permettre l'exécution de l'obligation ci-après analysée ;

Attendu, alors qu'il est constant que c'est la société Sefonil qui se trouvait en l'espèce dans la situation de propriétaire-promoteur autorisé - l'acte du 12 décembre 1986 précisant que les dames M. et G. ne souhaitaient pas participer personnellement à cette opération de promotion immobilière -, et entendait se prévaloir de l'article 34 lui permettant d'éluder le maintien dans les lieux d'ordinaire reconnu aux locataires protégés par la loi, que cette société avait l'obligation, prescrite par l'article 35 de l'ordonnance-loi n° 669, de reloger M.-L. D. dans des locaux correspondant à ses besoins normaux ; que ce relogement à Monaco peut être assuré, selon cet article, soit définitivement si le promoteur est propriétaire d'autres locaux que ceux faisant l'objet des travaux soit à titre provisoire pendant la durée des travaux ;

Attendu que sont par la suite énoncées, dans les dispositions de l'article 35-2, les conditions dans lesquelles le propriétaire ayant opté dans un premier temps pour un relogement provisoire, doit mettre à disposition définitive du locataire des locaux dépendant de l'immeuble reconstruit, transformé ou réparé ;

Qu'en effet, il est manifeste que le relogement provisoire n'est qu'une étape avant le relogement définitif, lequel constitue la finalité de l'obligation de relogement édictée par la loi à l'article 35 précité ;

Attendu qu'en ayant convenu avec ses venderesses, dans l'acte du 12 décembre 1986, qu'elle se bornerait à prendre à sa charge le seul relogement temporaire de M.-L. D., la société Sefonil n'apparaît pas avoir satisfait aux prescriptions de la loi ; qu'elle ne pouvait, en effet, sans violer les dispositions de l'article 35, se soustraire à l'obligation de relogement définitif qui lui incombe en sa qualité de propriétaire-promoteur ;

Attendu qu'à cet égard, la convention du 12 décembre 1986 à laquelle M.-L. D. n'est pas partie, ne peut lui être opposée et apparaît en tout état de cause contraire aux règles d'ordre public de l'ordonnance-loi n° 669 ;

Qu'il importe peu que, par suite des circonstances de la cause, la société Sefonil ait vendu certains lots de l'immeuble construit aux dames M. et que celles-ci soient donc devenues propriétaires de ces lots, au demeurant au fur et à mesure seulement de leur édification ; que cette qualité de propriétaires lors de la livraison de l'immeuble reconstruit n'a pas eu pour effet de libérer la société Sefonil de l'obligation de relogement définitif qui lui incombe, par l'effet de la loi, depuis le début de l'opération immobilière ; qu'en outre cette transaction n'est intervenue que pour assurer le paiement du prix de la villa M. et constituait en fait une dation en paiement ;

Attendu que si l'article 35-2 reconnaît aux locataires évincés, dans sa rédaction, un » droit de priorité pour obtenir... la location de locaux ", cette expression doit au premier chef être étendue, eu égard aux objectifs poursuivis par cette législation, comme instituant une priorité, par rapport aux éventuels preneurs du secteur libre, pour parvenir au relogement effectif dans le nouvel immeuble et signifiant que les personnes évincées doivent y être logées par priorité, au bénéfice du droit au relogement dont elles disposent dès leur éviction à l'égard du propriétaire autorisé à démolir pour reconstruire ;

Attendu que le domaine d'application d'un tel droit, devant s'exercer sur l'entier immeuble, ne saurait être restreint aux locaux que M. M. a reçu en paiement de la vente de ses droits dans la villa M. ;

Qu'en cas de pluralité de propriétaires, comme c'est le cas en l'espèce, lors de la phase d'offre et désignation des locaux devant intervenir après la délivrance de l'autorisation d'habitabilité, il doit être décidé que chacun de ces copropriétaires à cette date est tenu à l'accomplissement des formalités de l'article 35-2, alinéa 2 visant à mettre ses locaux à disposition des locataires ou occupants évincés, sous réserve de l'appréciation des besoins normaux de ceux-ci ;

Que cette règle, rendue nécessaire du fait de la vente des locaux à laquelle la société Sefonil a procédé sans réserve, avant même qu'elle soit légalement autorisée à en disposer librement dans le cadre envisagé par le troisième alinéa de l'article 35-2, permet ainsi de satisfaire au vœu de la loi, en rendant possible en l'espèce l'exercice du droit à relogement prioritaire dont dispose M.-L. D., sans que ledit droit puisse être vidé de tout contenu ;

Attendu que si M. M. a satisfait aux obligations de l'article 35 alinéa 2, il n'en va pas de même de la société Sefonil ;

Que cette société devra en conséquence, dans le mois suivant la signification du présent jugement, faire connaître dans les formes et délais de la loi à M.-L. D. - qui a déjà exprimé son intention d'exercer son droit de priorité - les locaux qu'elle entend offrir, en les décrivant suffisamment, pour permettre l'application de l'article 35-2 alinéa 3 ;

Attendu qu'il s'ensuit que la demanderesse, qui n'a pas été mise en mesure d'exercer pleinement son droit à la fin des travaux, était donc fondée à soumettre le litige à l'appréciation du tribunal avant de prendre parti sur la mise à disposition de locaux par la seule M. M. ; que le juge de paix n'avait donc pas lieu d'être saisi à ce stade mais pourra l'être, conformément à l'article 35-2, alinéa 3, si une contestation s'élève sur les besoins normaux ou l'importance des locaux devant être offerts par la société Sefonil ;

Attendu que, cette société se trouvant par sa carence, à l'origine de la situation locative actuelle de M.-L. D. et de la persistance du caractère provisoire de ladite situation, il y a lieu de la contraindre à continuer à assurer le relogement provisoire de M.-L. D. dans les conditions actuellement en vigueur jusqu'au relogement définitif, ainsi qu'elle s'y était d'ailleurs obligée ;

Qu'il s'ensuit que la demande de la société Sefonil, tendant à obtenir le remboursement de la partie du loyer restant à sa charge, doit être rejetée ;

Attendu que cette société doit de même être déboutée de ses demandes en paiement de dommages-intérêts et frais irrépétibles, dès lors que l'action de la demanderesse a été jugée fondée ;

Attendu, quant à la prétention de M. M. visant à ce qu'il lui soit donné acte de ses réserves d'exercer un droit de reprise sur le local qu'elle a offert, qu'il n'y pas lieu de statuer dès lors que ce point est étranger au présent litige et qu'il ne peut donc s'agir d'une demande reconventionnelle recevable, au sens de l'article 382 du Code de procédure civile ;

Attendu que les dépens suivent la succombance ;

Dispositif🔗

PAR CES MOTIFS,

Le Tribunal,

Statuant contradictoirement,

Rejette l'exception d'incompétence soulevée par les défenderesses ;

Constate qu'en sa qualité de propriétaire de lots dans l'immeuble, M. M. veuve M. a satisfait vis-à-vis de la demanderesse aux prescriptions de l'article 35-2 alinéa 2 de l'ordonnance-loi n° 669, modifiée, du 17 septembre 1959 ;

Dit qu'en cette même qualité, la SAM Sefonil est tenue à l'accomplissement des formalités prévues par ledit article 35-2, alinéa 2 en vue d'offrir à la location, à M.-L. D., des locaux correspondant à ses besoins normaux ;

La condamne en conséquence, dans le mois suivant la signification du présent jugement, à faire connaître à la demanderesse, dans les formes et délais de la loi, les locaux qu'elle entend offrir, en les décrivant suffisamment pour permettre l'application de l'article 35-2, alinéa 3 ;

Dit que la société Sefonil devra continuer à assurer aux conditions actuelles, le relogement provisoire de M.-L. D. jusqu'à son relogement définitif ;

Déboute les défenderesses de leurs demandes, fins et conclusions ;

Composition🔗

MM. Landwerlin, prés. ; Serdet, prem. subst. proc. gén. ; Mes Sanita, Clérissi, Blot, av. déf. ; Vidau, av. barr. de Nice.

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