Tribunal de première instance, 18 avril 1991, Cie d'assurance La Mutuelle et T. c/ P. et SAM Smetra

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Abstract🔗

Accident du travail

Recours de l'assureur-loi ou de l'employeur de la victime contre le tiers auteur de l'accident et son employeur

Responsabilité civile

Responsabilité des commettants du fait de leurs préposés - Blessures volontaires causées par un ouvrier à un employé d'une autre société, sur un chantier - Auteur ayant agi hors du lieu de préposition l'unissant à son employeur - Absence de responsabilité civile de celui-ci

Résumé🔗

Étant constant qu'une employée a commis volontairement des violences, sur un chantier de travail, à l'encontre d'un tiers au service d'un autre employeur, celui-ci ou l'assureur-loi est recevable en application de l'article 13 de la loi n° 636 du 11 janvier 1958 concernant les accidents du travail, à engager une action en responsabilité contre l'auteur du dommage et contre le commettant de celui-ci sur le fondement respectif de l'article 1229, et de l'article 1231 du Code civil.

Cependant si le caractère fautif d'un tel acte n'apparaît pas douteux, encore faut-il pour établir la responsabilité du commettant, démontrer l'existence d'un lien de préposition, d'un dommage causé à un tiers, et d'un lien entre le fait dommageable et les fonctions.

Cette troisième condition ne se trouve pas remplie dès lors que l'auteur de l'agression qui a quitté ses propres camarades de travail pour rejoindre sans autorisation la victime en agissant sous le coup de la colère et en faisant preuve d'un comportement fautif étranger à ses attributions, s'est placé hors du lien de préposition ce qui exclut la responsabilité du commettant fondée sur l'article 1231 du Code civil.


Motifs🔗

Le Tribunal,

Attendu que, suivant exploit du 5 juillet 1988 la Compagnie la Mutuelle assureur-loi de J.-C. M., exploitant des Établissements MI, et D. T., son employé ont fait assigner A. P. et la société Smetra aux fins de s'entendre A. P. déclarer coupable des violences qu'il a exercées sur la personne de D. T. le 15 octobre 1986 alors qu'il travaillait en sa compagnie sur le chantier du cimetière de Monaco et donc responsable des conséquences dommageables qui en sont résultées pour le sieur T., s'entendre condamner P. et la Smetra in solidum à payer à la Compagnie la Mutuelle au titre du remboursement du capital constitutif de la rente viagère la somme de 25 030,36 F avec intérêts de droit à compter du 3 novembre 1986, date de la consolidation, outre la somme de 5 000 F à titre de dommages-intérêts pour résistance abusive et vexatoire ;

Qu'au soutien de sa demande, la Compagnie la Mutuelle expose que le 15 octobre 1986 A. P. a assené un coup sur la tête D. T., et a, de ce fait commis une faute, alors qu'il était tenu par un lien de préposition vis-à-vis de la société Smetra et qu'il a trouvé les moyens lui ayant permis la commission du dommage à l'occasion de ses fonctions ; Que de la sorte, le préposé P. n'a pu selon les co-demandeurs qu'engager la responsabilité de son commettant par application de l'article 1231 du Code Civil et doit dès lors être tenu in solidum avec celui-ci, soit la Smetra, à réparer l'entier dommage résulte de sa faute ;

Attendu que la société Smetra estimant pour sa part que son employé P. a agi sans autorisation lors des faits du 15 octobre 1986, et à des fins totalement étrangères à ses attributions, en déduit que ce préposé s'est placé de la sorte hors des fonctions auxquelles il était employé, et que sa propre responsabilité de commettant ne saurait dès lors être engagée ;

Que la Smetra conclut au rejet des fins de la demande formulée par la Compagnie la Mutuelle et D. T. à son encontre ;

Attendu que le conseil d'A. P. a, quant à lui, déclaré se trouver sans pièces ni moyens pour assurer la défense de celui-ci, tout en précisant qu'étant déjà l'avocat de la société Smetra, il lui apparaissait qu'un conflit d'intérêt commandait à ce préposé de faire le choix d'un nouvel avocat-défenseur ; qu'il ressort toutefois des pièces de la procédure que ce défendeur n'a pas constitué d'autre avocat et que Maître Blot demeure dès lors constitué pour la défense de ses intérêts ; Qu'il s'ensuit qu'il y a lieu de faire application des dispositions de l'article 215 du Code civil sous la rédaction qui était la sienne avant la loi n° 1135 du 16 juillet 1990 et qu'il doit être statué par jugement de défaut faute de conclure ;

SUR CE,

Attendu que la présente action trouve son fondement dans les principes tirés de l'article 13 de la loi n° 636 du 11 janvier 1958 dont l'alinéa 5 permet à l'assureur-loi ou l'employeur d'une victime accidentée du travail de faire valoir ses droits propres à l'encontre du tiers auteur de l'accident ;

Attendu qu'il convient dès lors, pour la mise en œuvre de cette action directe, de déterminer si la responsabilité de ce tiers est entière, étant rappelé que l'article 13 alinéa 2 prévoit qu'en un tel cas l'indemnité qui sera allouée exonérera l'employeur ou l'assureur-loi des indemnités mises à sa charge et devra comporter, en cas d'incapacité permanente, une rente ou des rentes égales à celles fixées par ladite loi ;

Attendu que les co-demandeurs invoquent au soutien de leurs prétentions tant les dispositions de l'article 1229 du Code civil et le fait fautif imputable à A. P. que l'article 1231 dudit code devant permettre d'engager la responsabilité de son commettant, soit la société Smetra ;

Attendu qu'il convient de se référer aux pièces, de l'enquête de police versées à la procédure et aux conditions des parties et témoins convoqués lors de l'enquête diligentée les 11 et 25 février 1987 par le magistrat chargé des Accidents du Travail pour connaître les faits de la cause, dont l'essentiel peut être résumé ainsi qu'il suit : Le 15 octobre 1986, D. T. « détaché » par les Établissements MI sur le chantier du cimetière de Monaco, commettait la maladresse d'asperger avec un manche d'arrosage un ouvrier d'une société tierce situé en contrebas ; ce dernier, soit A. P. employé de la Smetra alors irrité par les rires et moqueries de ses camarades se précipitait vers la planche supérieure, tout en ramassant un morceau de ferraille d'environ 30 cm de long qui se trouvait sur son passage et qu'il devait utiliser pour frapper à la tête D. T. ; Entendu dans le cadre de l'enquête diligentée par le magistrat chargé des Accidents de Travail, A. P. expliquait son geste par la colère soudaine et violente qui l'avait envahi du fait des railleries dont il avait fait l'objet ;

Attendu que si le caractère fautif d'un tel acte n'apparaît pas douteux, encore faut-il - pour établir la responsabilité du commettant de ce préposé - démontrer l'existence d'un lien de préposition, d'un dommage causé à un tiers, et d'un lien entre le fait dommageable et les fonctions ; Qu'en l'occurrence, il est constant qu'A. P. était bien détaché lors des faits par la Smetra son employeur sur le chantier du cimetière de Monaco et que son comportement a occasionné de graves blessures à un tiers ;

Qu'il doit cependant être admis que ce salarié a, sous le coup de la colère et d'une impulsion subite eu un comportement fautif, étranger à ses attributions et s'est, de la sorte, placé hors des fonctions auxquelles il était employé, quittant ses propres camarades de travail pour aller rejoindre sans autorisation l'employé d'une société tierce, afin d'assouvir un désir de vengeance et une volonté d'agression personnels sans lien avec la mission que lui avait assignée la société Smetra ; Que ce faisant, A. P. s'est placé hors du lien de préposition et ne peut être réputé avoir agi pour le compte de son commettant, dont la responsabilité ne saurait, dès lors être engagée sur la base de l'article 1231 du Code civil ;

Qu'il suit qu'eu égard à la demande de condamnation également formulée à son encontre, et compte tenu de la faute dont A. P. a été reconnu responsable, il y a lieu de faire application des seules dispositions de l'article 1229 et de condamner ce préposé à réparer le dommage qui est résulté de ses actes pour l'assureur-loi de la victime, la compagnie la Mutuelle, étant rappelé que D. T. ne sollicite pour lui aucune indemnité à titre personnel ;

Que, sur le fondement de la loi n° 636 et plus précisément de l'article 13 alinéa 4 de la Compagnie la Mutuelle est en droit d'obtenir le remboursement de la totalité des sommes versées au titre de l'accident du travail, ou au service desquelles elle est légalement tenue sous forme de rente, sans qu'il y ait lieu, dans le cas particulier de l'espèce, où la victime ne formule aucune demande en ce qui la concerne personnellement, de recourir à une expertise médicale ;

Attendu que la Compagnie la Mutuelle justifie être tenue de service à D. T. une rente annuelle et viagère de 1 714,29 F dont le capital constitutif s'élève à une somme de 25 030,36 F qu'elle apparaît fondée à réclamer ; Qu'A. P. doit en conséquence être condamnés à lui payer ladite somme, avec intérêts au taux légal à compter de l'assignation ainsi qu'il est demandé pour l'extinction de la créance indemnitaire de ladite compagnie telle que le Tribunal estime devoir le fixer à ce jour au regard de l'ancienneté de la demandé ;

Attendu que de la demande de dommages-intérêts par ailleurs formulée par cette partie n'apparaît pas dès lors justifiée, à défaut, de surcroît, de résistance abusive opposée par les co-défendeurs à l'action ;

Et attendu que les dépens suivent la succombance ;

Dispositif🔗

PAR CES MOTIFS,

Le Tribunal,

statuant par jugement de défaut faute de conclure ;

Déclare A. P. responsable des conséquences de l'acte fautif perpétré le 15 octobre 1986 à l'encontre de D. T. ;

Constate que le préposé P. s'est placé ce faisant, hors du lien de préposition et n'a pas engagé la responsabilité de son commettant ;

Met la SAM Smetra hors de cause ;

Faisant droit à la demande de la Compagnie la Mutuelle assureur-loi de la victime, condamne A. P. à lui payer la somme de 25 030,36 F montant des causes sus-énoncées avec intérêts aux taux légal à compter du 5 juillet 1988 ;

Déboute la Mutuelle du surplus de ses demandes ;

Composition🔗

MM. Landwerlin, prés. ; Serdet, prem. subst. proc. gén. ; Mes Léandri et Blot, av. déf.

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