Tribunal de première instance, 11 janvier 1990, N. c/ D. R. et Société anonyme de Construction Monégasque

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Abstract🔗

Propriété

Droit absolu : droit du dessus - Absence de conventions et de servitudes légales - Autorisation nécessaire pour le survol de l'espace aérien par la contre-flèche d'une grue

Référés

Pouvoirs du juge des référés - Autorisation donnée pour le survol d'une propriété par la contre-flèche d'une grue - Entrave sous garantie du droit de propriété

Résumé🔗

Le propriétaire d'une villa avec jardin attenant, survolé par la contre-flèche d'une grue opérant sur un terrain voisin, pour les besoins d'un chantier de construction, apparaît recevable et fondé à se prévaloir, en vertu de l'article 446 du Code civil, de la propriété du dessus comportant l'espace aérien qui surplombe son sol de quelques dizaines de mètres.

Le caractère absolu de ce droit ne saurait se trouver restreint en droit interne, à défaut de conventions particulières, que par l'existence de servitudes et limitations légales, non invoquées en l'espèce.

Il s'ensuit que le consentement à l'emprise, même momentanée, de l'espace aérien considéré, doit être sollicité par le voisin.

Cependant l'autorisation de procéder à ce survol peut être octroyée en référé, eu égard aux impératifs d'urgence patents, tenant au bon déroulement du chantier, sans préjudice de l'indemnisation pouvant être accordée par le juge du fond au propriétaire, dès lors que ce survol n'entrave le droit de propriété d'une manière suffisamment grave.

Juridiction des référés.


Motifs🔗

Le Tribunal,

L'an 1989 et le 13 du mois de novembre ;

A la requête de Monsieur J.-M. N., demeurant à . ;

Élisant domicile en l'étude de Maître Jean-Charles Marquet, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco ;

Ai assigné :

1° Monsieur J. D. R., pris tant en propre qu'en qualité de mandataire de la Société Batirente, dont le siège est sis ., prise, tant en propre qu'en qualité de gérante de la Société Civile Coopérative « Résidence Sparare Qui », sise . où étant

2° La SAM de Construction Monégasque, dont le siège est sis à ., prise en la personne de son représentant légal y demeurant, où étant et parlant à

A comparaître le mercredi quinze novembre mil neuf cent quatre vingt-neuf à dix heures quinze du matin, à l'audience par devant Monsieur le Président du Tribunal de Première Instance de la Principauté de Monaco, tenant l'audience des référés, sis au Palais de Justice, rue Colonel Bellando de Castro audit Monaco ;

Pour :

Les requis, chacun en ce qui les concerne, participent à la construction d'un immeuble, édifié pour la plus grande partie avenue d'Alsace en territoire français, et pour le reste en territoire monégasque ;

Que le terrain sur lequel va être édifié cet immeuble est contigu de celui sur lequel s'élève la villa T., dont l'un des copropriétaires, Monsieur J.-M. N., occupe le rez-de-jardin, formant duplex, jardin compris avec le premier étage, dont une terrasse est une annexe ;

Que dans le courant du mois d'août 1989, mon requérant a constaté l'installation d'une grue de plus de 30 mètres sur la partie, en territoire monégasque, du terrain contigu et qu'il a pris conscience que cette grue ne pourrait fonctionner sans survoler, en permanence, la totalité de l'espace aérien de la villa T., et plus particulièrement du jardin et de la terrasse qui prolonge, au premier étage, l'appartement où habitent ses petits-enfants ;

Sans délai, mon requérant a mis en demeure la Société de Construction Mécanique d'avoir à prendre en considération l'interdiction formelle de survoler sa propriété, et qu'il a fait réitérer son opposition à Batirente et aux autres requis ;

Attendu en effet, qu'il s'agisse de tirants dans le tréfonds des propriétés voisines, ou de l'utilisation d'engins élévateurs, personne, dans la Principauté de Monaco, ne peut pénétrer, sans autorisation, dans la propriété d'autrui, serait-ce même à titre provisoire ;

Il est évident que le survol, par la flèche de la grue, du jardin et de la terrasse, où mon requérant séjourne souvent et ainsi que ses deux petits fils, apporte un trouble permanent qui n'est pas seulement d'ordre psychologique et subjectif, mais parfaitement objectif puisque le contrepoids fixé à l'extrémité de la contre-flèche et les boulons qui fixent les éléments métalliques de la flèche et de la contre-flèche sont susceptibles de se détacher un jour ;

Un exemple récent a démontré que les engins élévateurs utilisés, cependant par des spécialistes, tombent sur les immeubles voisins et les endommagent gravement ;

Mon requérant n'a aucune raison d'accepter de s'exposer ou d'exposer ses petits-fils à des risques, et même seraient-ils limités, alors que pour les éviter, il lui suffit d'invoquer simplement son droit ;

La défense de sa propriété, la protection de sa personne et celle de ceux qui lui sont chers ou de visiteurs, est d'autant plus légitime qu'il existe des moyens techniques qui permettraient la construction entreprise par les requis sans comporter aucun survol de la propriété de mon requérant ;

Attendu qu'il y a urgence et que Monsieur Le Président du Tribunal statuant en matière de référé est compétent ;

PAR CES MOTIFS :

Au principal, voir renvoyer les parties à se pourvoir ainsi qu'il appartiendra, mais dès à présent, par mesure provisoire et urgente, tous droits et moyens des parties demeurant réservés ;

Entendre ordonner les requis, chacun en ce qui les concerne, que, dès le prononcé de l'ordonnance à intervenir, le survol de la villa T. et plus particulièrement de la terrasse au premier étage et du jardin prolongeant le rez-de-jardin, ne devra plus avoir lieu, même sporadiquement ;

Entendre ordonner le démontage de la grue actuellement implanté sur la propriété voisine, en territoire monégasque, ce, dans la quinzaine de l'ordonnance à intervenir qui sera exécutoire sur minute nonobstant appel sans caution et par provision ;

Entendre dire que faute par les requis, chacun en ce qui les concerne, de ce faire, il sera procédé, s'il plaît à mon requérant, audit démontage, sous le contrôle de tel expert qu'il plaira au Tribunal de désigner, et aux frais avancés par Monsieur J.-M. N., pour le compte de qui il appartiendra et sous préjudice de toute action en dommages et intérêts ;

S'entendre les requis condamner conjointement et solidairement aux dépens dont distraction au profit de Maître Jean-Charles Marquet, avocat-défenseur sous son affirmation de droit ;

Leur déclarant que faute par eux de comparaître, il sera requis défaut à leur encontre, soit au jour de l'ajournement, soit à telle autre audience utile qu'il appartiendra ;

Sous toutes réserves, et aux fins qu'ils n'en ignorent, je leur ai remis et laissé copie du présent, étant et parlant comme devant.

Ordonnance de référé,

Vu l'assignation qui précède ;

Après avoir entendu :

  • Maître Jean-Charles Marquet, avocat-défenseur, en ses observations présentées au soutien de la demande formulée dans les termes de l'assignation susvisée par J.-M. N. et tendant à ce qu'il soit mis fin au survol de la « villa T. » dont ce dernier est copropriétaire, par la contre-flèche d'une grue de chantier voisine,

  • d'autre part, Maître Etienne Léandri, avocat-défenseur, au nom de la Société anonyme monégasque dénommée « Société de Construction Monégasque » (SCM) et de la Société Civile Coopérative « Résidence Sparare Qui » lesquelles ont conclu, principalement, à l'irrecevabilité de la demande de J.-M. N. tirée de ce que ce dernier ne pourrait agir aux lieu et place d'autres copropriétaires ou coindivisaires, et, subsidiairement, au débouté de ce demandeur des fins de son assignation car le droit de propriété dont il se prévaut ne serait nullement absolu ni de nature à entraver le survol incriminé, sous réserve d'indemnisation, et que, d'autre part, notre incompétence devrait être déclarée à défaut en l'espèce de trouble manifestement illicite permettant d'ordonner le démontage réclamé de la grue, ce sans préjudice de toute éventuelle expertise pouvant s'avérer nécessaire pour caractériser le fait prétendu que ladite grue respecterait dans ses configurations et fonctionnement l'ensemble des règles techniques imposées notamment pour les besoins de la sécurité des tiers,

  • enfin, le sieur J. D. R., comparaissant en personne pour la défense tant de ses intérêts propres que de ceux de la Société Batirente, en tant que de besoin, lequel a déclaré s'en rapporter à justice en contestant la demande sur la base des arguments développés à l'audience par les deux sociétés défenderesses précitées ;

Attendu qu'en l'état de la situation de fait, apparaissant constante, et qu'expose en son assignation J.-M. N., lequel a, en dernier lieu précisé, sans contestation adverse, qu'il était seul propriétaire du jardin attenant à la villa « T. » survolé par la contre-flèche de grue litigieuse, ce demandeur s'avère recevable et fondé à se prévaloir de la propriété du dessus prévue par l'article 446 du Code civil et portant, en particulier, sur l'espace aérien surplombant son sol de quelques dizaines de mètres ;

Qu'une telle propriété - dont le caractère absolu ne saurait se trouver actuellement restreint en droit interne, et, à défaut de conventions particulières, qu'en vertu des articles 536 et 537 du Code civil, comme tel est le cas notamment des dispositions des articles 558 (dernier alinéa) dudit Code, 23 de la loi n° 622 du 5 novembre 1956 et 1er de l'Ordonnance souveraine du 7 juin 1902 - emporte pour son titulaire, à défaut d'une telle restriction non invoquée en l'espèce, le droit d'exiger son consentement à l'emprise même momentanée par un tiers de l'espace aérien considéré ;

Attendu cependant qu'il peut être passé outre en référé à l'absence d'un tel consentement dès lors que l'entrave qui serait occasionnée à la jouissance dudit espace, serait, sans faire échec de manière absolue et permanente à une telle jouissance, instamment utile à l'exercice d'un droit de propriété voisin, ce sans préjudice de l'indemnisation pouvant ultérieurement revenir au propriétaire lésé du chef d'un tel exercice opéré à ses dépens, laquelle ne saurait au demeurant être arbitrée en ses principes et montant que par la juridiction compétente éventuellement appelée à connaître du fond ;

Qu'il est de principe, selon la jurisprudence française et monégasque, que, notamment, des réparations urgentes peuvent être autorisées en référé pour indépendamment de toute servitude de passage, une présence d'ouvriers ou de matériel sur un fonds voisin qui aurait été préalablement interdite en ce lieu par le propriétaire dudit fonds (Cass. civ. I, 14 déc. 1955 : Gaz. Pal. 1956, 2, 153. - Trib. Inst. Metz, 11 juin 1964 ; JCP 64, IV, éd. G, 135, Prés. Réf. Monaco, 21 juill. 1989, Le Cherif c/ Royer) ;

Qu'en l'espèce, et de la même manière le survol d'une contreflèche de grue au-dessus du jardin de la villa T. pour les besoins du chantier de construction voisin n'apparaît pas entraver le droit de propriété du demandeur de manière suffisamment grave pour que l'autorisation de procéder à ce survol, qui est présentement sollicitée ainsi que les parties défenderesses le manifestent implicitement mais nécessairement en s'opposant à la demande, ne puisse être octroyée en référé, sans préjudice des droits des parties quant au fond, lorsque des impératifs d'urgence tenant au bon déroulement du chantier sont patents comme il est de fait en l'occurrence ;

Qu'une telle autorisation ne saurait au demeurant être tenue comme préjugeant du fond puisqu'ainsi qu'il a été dit, les droits éventuels à réparation du demandeur demeurent entiers et pourront être ultérieurement exercés s'il y a lieu devant la juridiction compétente ;

Dispositif🔗

PAR CES MOTIFS,

Statuant contradictoirement,

Renvoyons les parties à se pourvoir au principal, mais, dès à présent, par mesure provisoire et urgente de référé, tous leurs droits demeurant quant au fond réservés,

Autorisons le survol du fonds du demandeur par la contre-flèche de grue litigieuse ;

Composition🔗

MM. Landwerlin, prés. ; MMes Marquet et Léandri, av déf.

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