Tribunal de première instance, 20 avril 1989, Consorts H. c/ Dame S., Consorts H. et Standard Chartered Bank Limited.

  • Consulter le PDF

Abstract🔗

Trust

Remplacement du trustee et co-trustee - Loi monégasque applicable

Action en justice

Défaut de qualité : irrecevabilité de l'action

Résumé🔗

Dès lors que la constitution de trusts, opérée selon un testament et par acte public, conformément aux articles 837 du Code civil et de la loi n° 214 du 27 février 1936, comporte la clause permettant à un protecteur des trusts de remplacer le trustee et le co-trustee, les conditions de validité de ce remplacement relèvent de la loi monégasque et non point de la loi britannique de 1925 (Trustee Act). La nomination des remplaçants étant régulière, il s'ensuit que l'action des contestataires qui sont dépourvus de qualité, se trouve irrecevable.


Motifs🔗

Le Tribunal,

...

Attendu que, par l'exploit susvisé du 31 décembre 1984, J. J. H., marquis de B., et Lord N. H., issus respectivement, du 1er et 2e mariage de feu V., F., C., marquis de B., sujet britannique décédé à Monaco, où il était domicilié, le 10 Mars 1985, ont fait assigner la veuve de ce dernier, Y. S. prise, tant en son nom propre qu'en sa qualité de tutrice et représentante légale de ses trois enfants mineurs V., F. et I. H., ainsi que la société dénommée « Standard Chartered Bank Limited », prise en qualité de trustee :

  • d'une part, en déclaration de nullité des Trusts constitués par le défunt marquis de B. suivant testament authentique dressé le 18 décembre 1980 par Maître Jean-Charles Rey, Notaire à Monaco, et complété dans la même forme, notamment, par codicille du 15 juin 1983, au motif que la désignation par cet acte d'Y. S. en qualité de co-Trustee ne respecterait pas les dispositions de l'article 3 de la loi n° 214 du 27 février 1936,

  • d'autre part, en nomination d'expert à l'effet de déterminer l'existence de donations consenties de son vivant à Monaco par le constituant des Trusts, susceptibles de tomber sous le coup de la loi monégasque instituant une réserve héréditaire, laquelle loi serait, selon les demandeurs, applicable à la succession mobilière du de cujus, par l'effet du renvoi qu'opère à la loi du domicile de celui-ci la loi anglaise, désignée comme loi successorale par la règle monégasque de conflits, en tant que loi nationale du défunt ;

Attendu qu'en réponse à l'assignation ainsi délivrée, les défendeurs, motif pris de ce qu'ils ne seraient pas actuellement trustees, pour avoir été remplacés postérieurement au testament précité, Y. S. par A. H. et la Standard Chartered Bank par la société Rothschild Trust Management AG à laquelle s'est en dernier lieu substituée la société « Radcliffes Trustee Cie SA », ont conclu à l'irrecevabilité de la demande, en considérant que les sieurs H. ne sauraient poursuivre la nullité des Trusts dont s'agit hors du contradictoire des trustees en exercice à la date de l'introduction de l'instance par l'exploit susvisé ;

Attendu qu'en réplique et après avoir appelé en intervention forcée les nouveaux trustees par un deuxième exploit d'assignation délivré le 3 novembre 1987, les demandeurs, maintenant les termes de leurs prétentions initiales, sollicitent par conclusions du 13 janvier 1988 la jonction des deux instances résultant de chacune des deux assignations susvisées pour qu'il soit sur leur ensemble statué par un seul et même jugement, tout en se défendant d'avoir agi irrégulièrement dès lors qu'ils ignoraient, soutiennent-ils, le défaut de qualité invoqué par les défendeurs puisque celui-ci résulterait d'un changement de Trustees - sur lequel, au demeurant, ils émettent des réserves - qui n'avait pas été porté à leur connaissance antérieurement à la présente instance, ce qui est constant ;

Attendu qu'ayant, avec la Standard Chartered Bank Limited, déclaré par conclusions déposées dans l'instance sur appel en cause, s'opposer à la jonction ainsi sollicitée, ce qu'ils ont tous deux maintenu à l'audience, Y. S. a, par voie de conclusions additionnelles datées du 2 novembre 1988, sollicité que les défendeurs - auxquels elle reproche d'avoir à tort formé leurs demandes en nullité, d'appel en cause et de jonction - soient solidairement condamnés à lui payer la somme d'un million de francs à titre de dommages-intérêts pour procédure abusive et vexatoire ;

Que, ce faisant, convient-il de relever, Y. S. et la « Standard Chartered Bank Limited » se sont abstenues de conclure au fond dans la présente instance, ainsi que leur conseil l'a confirmé à l'audience, en précisant ne l'avoir fait et à titre subsidiaire que dans l'instance procédant de l'assignation d'appel en cause dont ils refusent la jonction avec la présente ;

Sur quoi,

Attendu qu'il ne saurait être procédé par voie de jonction que relativement à deux instances s'avérant, chacune séparément, recevables en la forme ;

Qu'il convient dès lors, sans préjudice de la cause objet de l'assignation susvisée du 3 novembre 1987, d'apprécier en premier lieu la fin de non-recevoir invoquée tant par la Standard Chartered Bank Limited que par Y. S. en son nom propre et en celui de ses trois enfants mineurs susnommés ;

Attendu qu'il est constant que la constitution de Trusts opérée selon le testament susvisé et par acte public, conformément aux articles 837 du Code civil et 2 de la loi n° 214 du 27 février 1936, comporte à la clause 16 dudit acte, l'indication d'un protecteur des trusts dont s'agit en la personne du sieur H. H. T. D. B., lequel a expressément reçu pouvoir du constituant de désigner de nouveaux trustees conformément à la clause 18 subséquente, étant précisé que le codicille au testament authentique, du 15 juin 1983 a eu pour objet de substituer au protecteur susnommé K. J. W. I. ;

Attendu que la clause 18 précitée dispose en particulier que tout trustee se retirera de sa charge dès que cela lui sera ordonné par le protecteur auquel cas il sera dépossédé de son droit au Fonds du Trust ;

Attendu que l'action dont le Tribunal est saisi ayant en substance pour objet une contestation de la validité des trusts constitués par l'acte public susvisé et, partant de la propriété légale, selon la loi des trusts, conférée aux trustees par ledit acte, mais qui devrait revenir aux héritiers du de cujus en vertu de la loi monégasque instituant une réserve héréditaire selon ce que prétendent les demandeurs, il s'en déduit que, pour défendre à une telle action, les défendeurs doivent avoir la qualité de trustees quant aux biens concernés par ce même acte ;

Attendu que, pour se prétendre dépourvus de cette qualité la « Standard Chartered Bank Limited » et Y. S. se fondent sur deux actes en date respectivement des 4 décembre 1985 et 18 août 1986 (non enregistrés et qui devront dès lors l'être avec le présent jugement) dont il ressort, selon la traduction, non contestée en langue française qui en a été produite, que Lord I., en sa qualité de protecteur des trusts constitués par feu le marquis de B., a d'abord procédé, à la nomination de deux nouveaux trustees, se substituant aux anciens, en la personne du sieur H. et de la société Rotschild Trusts Management AG, puis pourvu au remplacement de celle-ci par la société Radcliffes Trustee Company SA ;

Attendu que les demandeurs n'ont pas contesté que les actes susvisés des 4 décembre 1985 et 18 août 1986 aient eu pour objet de décharger les défendeurs de leur mission originaire de trustee et co-trustee, mais soutiennent, pour s'opposer à la fin de non-recevoir invoquée par ces mêmes défendeurs, que ceux-ci n'ont pas été valablement remplacés faute pour le protecteur des trusts d'avoir en l'occurrence respecté le droit anglais et en particulier la loi sur les trusts de 1925 (Trustee Act) ;

Qu'il est à ce propos prétendu, sur le fondement d'une attestation sous serment émanant de J. N. S., sollicitor, que la Standard Chartered Bank Limited et Y. S., trustees originaires, ne peuvent être considérés comme ayant été démis de leurs fonctions dès lors que la désignation comme trustee de la société Rotschild Trusts Management AG, qui est de droit suisse, n'a pas satisfait aux conditions requises par la loi sur les trusts de 1925 - paragraphes 37 (1) et 68 (18) - telle qu'elle se trouve complétée par la réglementation de 1975 sur les trusts publics, dont il résulterait que, sauf dans les cas ou seul un trustee a été initialement désigné, il ne peut être mis fin aux fonctions d'un trustee que s'il se trouve pour le remplacer soit une société de trust (trust corporation) soit au moins deux co-trustees personnes physiques, étant précisé que la « société de trust » doit être en l'occurrence soit un trustee public (Public Trustee), soit une personne morale désignée en justice soit une société apte à remplir les fonctions de curateur de Trust (Custodian Trustee) ce qui inclut le cas de toute société dûment enregistrée et constituée selon les lois du Royaume-Uni ou de tout autre État membre de la Communauté Économique Européenne, d'un capital déterminé, ayant plusieurs bureaux dans le Royaume-Uni et pouvant de par sa constitution gérer des trusts en Angleterre et dans le Pays de Galles, qualités que n'a pas la société « Rotschild Trust Management AG », en sorte que, par suite de la première des substitutions opérée par M. d'I. en 1985, les Trusts constitués par le de cujus n'étaient plus gérés que par une personne privée (H.) et par une société non habilitée à le faire (« Rotschild Trusts Management AG ») ce qui aurait fait obstacle à ce qu'intervienne valablement la démission d'Y. S. et de la Standard Chartered Bank Limited ;

Attendu cependant que l'opinion ainsi rapportée du sieur S. a eu seulement pour objet, selon ses dispositions liminaires, d'éclairer le Tribunal quant au contenu de la législation britannique sur les trusts que le déclarant a estimée devoir être appliquée en l'espèce au regard de la loi n° 214 du 27 février 1936 ;

Qu'en cette matière, toutefois, et ainsi que l'ont soutenu à juste titre les défendeurs en leurs plaidoiries il est de principe que la loi britannique de 1925 n'a qu'une valeur supplétive, dès lors, notamment, que l'acte constitutif d'un trust peut en tout état de cause exclure ou modifier les pouvoirs que les trustees tiennent de ladite loi (J.-CI. Droit Comparé V° Grande-Bretagne, Fasc. 2) ;

Attendu qu'il s'en déduit ainsi que les défendeurs n'ont plus vocation, selon les principes mêmes du droit anglais, dans le contexte duquel est intervenue la législation britannique sur les trusts, à gérer les trusts constitués par le de cujus, ce qui milite en faveur de l'admission de la fin de non-recevoir par eux soulevée pour autant, toutefois, que les nouveaux trustees satisfassent quant à leur désignation, et sous peine de fraude à la loi, aux exigences de la loi monégasque seule compétente, par application de l'article 3 de la loi n° 214 précitée, pour la détermination et la désignation des trustees ;

Attendu qu'à cet égard il résulte des énonciations de la liste des trustees et co-trustees visée par l'article 3 alinéa 1er de ladite loi et qui a été versée aux débats, que la société Rothschild Trust Management AG, tout comme d'ailleurs la société Radcliffes Trustee Company Sa et A. H., remplissaient lorsqu'ils ont été désignés comme trustees ou co-trustee en exécution du testament susvisé, les qualités requises par la loi monégasque pour remplir les fonctions auxquelles ils ont été appelés par M. d'I. ;

Qu'ainsi leur nomination à ces fonctions ne peut être en définitive contestée, ce qui prive les défendeurs de qualité, dans l'instance introduite par assignation du 31 décembre 1986, laquelle doit être, dès lors, déclarée irrecevable ; qu'en conséquence il ne saurait être procédé à la jonction sollicitée ;

Attendu qu'en l'état de l'irrecevabilité de la demande principale, qui dès lors ne sera pas examinée au fond - notamment quant à la légitimité des droits invoqués par les demandeurs principaux - la demande reconventionnelle d'Y. S., trouvant sa source dans l'action prétendument injustifiée de ces derniers à laquelle elle survit de par son autonomie propre due en particulier à ce qu'elle ne forme pas une défense contre cette action, doit être rejetée alors surtout que celle-ci a été introduite sans préalable connaissance par ses auteurs de la substitution de trustees intervenue comme il a été dit, ce qui est de nature à priver la demande principale du caractère abusif qui lui est prêté ;

Et attendu que les demandeurs principaux, qui succombent en leur action, doivent supporter les dépens du présent jugement, par application de l'article 231 du Code de Procédure Civile ;

Dispositif🔗

PAR CES MOTIFS,

Le Tribunal,

Statuant contradictoirement ;

Déclare J., J. H. et N. H. irrecevables en leurs demandes formées par assignation du 31 décembre 1986 ;

Dit n'y avoir lieu de joindre la présente instance à celle procédant de l'assignation du 3 novembre 1987 ;

Déboute Y. S. de sa demande reconventionnelle ;

Composition🔗

MM. Landwerlin prés., Serdet prem. subst. proc. gén., MMes Clérissi et Léandri av. déf., Berdah av. barreau de Nice.

  • Consulter le PDF