Tribunal de première instance, 9 février 1989, Demoiselle C. c/ P., Compagnie d'assurance Eagle Star L'indépendance

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Abstract🔗

Responsabilité civile

Victime ayant perçue des prestations d'un organisme social : Caisse de Compensation des Services Sociaux - Remboursement de l'avance - Recours de la victime contre le tiers responsable - Non exigence de la mise en cause de l'organisme social : rejet de la demande de sursis à statuer du tiers responsable - Application de l'article 43 de l'ordonnance n° 4.739 du 22 juin 1971

Caisse de Compensation des Services Sociaux

Application des articles 42 et 43 de l'ordonnance n° 4.739 du 22 juin 1971 - Non exigence de la mise en cause de cet organisme au cas de recours de la victime contre le tiers responsable

Résumé🔗

Aux termes de l'article 42 de l'ordonnance n° 4.739 du 22 juin 1971, la victime, qui a bénéficié d'une avance sur son droit aux prestations par un organisme social, n'est tenue qu'au remboursement de ladite avance dans l'hypothèse où elle intente un recours contre le tiers responsable, étant précisé que ce remboursement intervient à concurrence de l'indemnité imputable à la réparation des chefs de préjudice ayant donné lieu au service des prestations.

Le législateur n'a pas exigé une mise en cause de l'organisme social dans le cadre d'un recours exercé par son affilié contre le tiers responsable, mais a seulement prévu l'accomplissement des deux formalités mentionnées à l'article 43 de l'ordonnance précitée, lesquelles ont pour but d'informer le tribunal sur l'existence d'une telle avance.

La victime ayant produit aux débats un état des prestations qui lui ont été versées par la Caisse de Compensation des Services Sociaux, a ainsi satisfait aux obligations de l'article 43, de sorte que le tiers responsable et son assureur doivent être déboutés de leur demande de sursis à statuer pour la mise en cause de l'organisme social.


Motifs🔗

Le Tribunal,

Attendu que, par assignation du 25 septembre 1987, H. C. demande que M. P. soit déclaré entièrement responsable de l'accident de la circulation dont elle a été victime le 3 septembre 1983 ;

Qu'elle sollicite, par ailleurs, que ce dernier et son assureur, la S.A. Eagle-Star-L'indépendance soient condamnés in solidum à payer, avec exécution provisoire, les sommes de :

  • 200 000 F. au titre de l'l.P.P. ;

  • 75 000 F. en réparation de son préjudice esthétique ;

  • 50 000 F. en réparation de son pretium doloris ;

  • 50 000 F. en réparation de son préjudice d'agrément ;

  • 5 100 F. en remboursement des frais médicaux ;

Attendu qu'à l'appui de ses prétentions, H. C. expose que, selon le rapport de Police du 4 septembre 1983, versé aux débats, elle était passagère du véhicule BMW n° 3599 C appartenant et conduit par M. P. quand ce dernier en a perdu le contrôle alors qu'ils se trouvaient sur l'Autoroute del Sole, sur le territoire de la Commune de Giove (Terni) ;

Que la responsabilité du sieur P. est, selon elle, incontestable ;

Attendu que cette dernière précise que, sous l'effet du choc du véhicule avec la glissière de sécurité, elle a été éjectée par la lunette arrière et a subi de nombreuses blessures ;

Qu'à cet égard, le Dr Boiselle, commis par Ordonnance de référé du 26 juin 1986, indiquait dans son rapport du 6 octobre 1986 et son complément de rapport du 25 février 1987 qu'H. C. avait été victime de trois fractures du bassin, d'une fracture du bras, d'un traumatisme crânien et de nombreuses blessures sur le corps et sur le visage ;

Que, selon cet expert, I'I.T.T. était fixée à 6 mois, I'I.P.P. évaluée à 20 %, le préjudice esthétique apprécié à 5,5/7, le quantum doloris à 5/7 et le préjudice d'agrément qualifié de certain ;

Attendu que la demanderesse précise qu'elle ne réclame rien au titre de I'I.T.T., les indemnités journalières lui ayant été versées par son employeur et la Caisse de Compensation des Services Sociaux ;

Attendu qu'H. C. souligne que son préjudice esthétique est particulièrement important, tel qu'il résulte notamment d'un devis de 40 000 F. du 11 décembre 1986 du Docteur D. (chirurgie plastique) pour la reprise d'une cicatrice seulement ;

Qu'enfin, elle verse aux débats deux attestations de Mme F. du 27 février 1988, et de Mme D. du 28 janvier 1988, dans lesquelles il est mentionné qu'elle pratiquait le ski et suivait des cours de gymnastique rythmique ;

Attendu que, par conclusions du 27 novembre 1987, P. et son assureur reconnaissent que l'accident dont s'agit incombe entièrement au conducteur du véhicule, en l'occurrence P. ;

Attendu néanmoins qu'ils soulignent l'insuffisance des éléments versés aux débats permettant l'évaluation des divers chefs de préjudice en indiquant que la plupart des conséquences pécuniaires de l'accident ont été prises en charge par la Caisse de Compensation des Services Sociaux ;

Qu'ils précisent qu' « il est indispensable pour le Tribunal de connaître tant le montant que le détail de la réclamation que cet organisme social ne manquera pas de formuler, avant de pouvoir chiffrer les sommes auxquelles la victime apparaît en droit de prétendre, ces sommes étant en effet fonction de l'éventuel recours formé par la Caisse de Compensation des Services Sociaux » ;

Qu'ils concluent par conséquent à titre principal à ce qu'il soit sursis à statuer jusqu'à ce que la Caisse de Compensation des Services Sociaux soit appelée en la cause ;

Attendu que les défendeurs offrent toutefois à titre subsidiaire de payer :

  • 80 000 F. au titre de I'I.P.P. ;

  • 15 000 F. au titre du pretium doloris ;

  • 20 000 F. en réparation du préjudice esthétique ;

Attendu qu'ils indiquent que la victime ne peut prétendre à une quelconque indemnisation pour le préjudice d'agrément dans la mesure où elle ne verse aucun document établissant la pratique d'une activité sportive ou artistique ;

Que, par ailleurs, la demande de remboursement des frais médicaux n'est pas davantage justifiée ;

Qu'enfin, les défendeurs s'opposent à la demande d'exécution provisoire ;

Attendu que par écritures du 4 mai 1988, H. C. fait remarquer que les offres, d'un montant total de 115 000 F., sont dérisoires eu égard aux graves blessures dont elle a été victime ;

Attendu que la demanderesse indique que la demande de sursis à statuer ne constitue qu'un moyen dilatoire dans la mesure où elle ne sollicite aucune indemnité du chef de I'I.T.T. ;

Qu'en ce qui concerne sa demande au titre de I'I.P.P., elle précise qu'outre les conclusions du Dr Boiselle, il convient de prendre en considération un certificat médical du 22 janvier 1988 du Dr V.-M., gynécologue, aux dires duquel « elle devrait subir, en cas de grossesse, une césarienne pour cause de dystocie » ;

Que par ailleurs, sa demande formulée au titre du pretium doloris est justifiée par l'existence d'une perte de connaissance et de plusieurs interventions chirurgicales ;

Qu'enfin, la demanderesse fait valoir que l'accident lui a causé de nombreuses cicatrices sur le corps et le visage alors qu'elle est célibataire et âgée de 35 ans ;

Attendu qu'H. C. conclut au rejet des offres comme non satisfactoires et à la condamnation in solidum de P. et son assureur à lui payer la somme de 380 100 F. avec intérêts de droit à compter de l'accident, le tout avec exécution provisoire à concurrence de la somme de 200 000 F. ;

Sur la responsabilité de l'accident du 3 septembre 1983,

Attendu qu'il résulte des éléments du dossier, et notamment du rapport de police, que M. P. a perdu le contrôle de son véhicule à la suite de l'éclatement du pneu arrière gauche ;

Attendu que ce dernier ne conteste pas être entièrement responsable de l'accident dont s'agit ;

Qu'il convient donc de le déclarer entièrement responsable de l'accident du 3 septembre 1983 dont a été victime H. C., dans le cadre des dispositions des articles 1229 et 1230 du Code Civil ;

Sur la demande de sursis à statuer,

Attendu qu'aux termes de l'article 42 de l'Ordonnance n° 4739 du 22 juin 1971, la victime, qui a bénéficié d'une avance sur son droit aux prestations par un organisme social, n'est tenue qu'au remboursement de ladite avance dans l'hypothèse où elle intente un recours contre le tiers responsable, étant précisé que ce remboursement intervient « à concurrence de l'indemnité imputable à la réparation des chefs de préjudice ayant donné lieu au service des prestations » ;

Qu'à cet égard, il convient de souligner que les prestations versées par la Caisse de Compensation des Services Sociaux, d'un montant de 94 902,71 F., selon un état de cet organisme en date de 3 décembre 1986, correspondent à la prise en charge des frais médicaux, pharmaceutiques et au paiement d'indemnités journalières ;

Mais attendu qu'H. C. ne sollicite précisément aucune indemnité pour la réparation de ce chef de préjudice ;

Qu'au surplus, si tel était le cas, la demande de sursis à statuer ne serait pas davantage justifiée dans la mesure où le législateur n'a pas exigé une mise en cause de l'organisme social dans le cadre d'un recours exercé par son affilié contre le tiers responsable, mais a seulement prévu l'accomplissement des deux formalités mentionnées à l'article 43 de l'Ordonnance précitée, lesquelles formalités ont pour but d'informer le Tribunal sur l'existence d'une telle avance ;

Qu'en l'occurrence, il y a lieu de constater que la victime, en versant aux débats un état de la Caisse de Compensation des Services Sociaux en date du 3 décembre 1986, susmentionné, a au surplus satisfait aux obligations de l'article 43 susvisé ;

Qu'il convient, dans ces conditions, de débouter P. et son assureur de leur demande de sursis à statuer ;

Sur l'évaluation de l'indemnité réparant le préjudice subi par H. C. :

Attendu que le rapport d'expertise du Dr Boiselle et son complément en date des 26 octobre 1986 et 25 février 1987, dont les conclusions ne sont pas contestées par les défendeurs, permettent au Tribunal, avec les autres documents versés aux débats, de fixer les indemnités réparant les divers chefs de préjudice subis par H. C. ;

Sur I'I.P.P.

Attendu que l'allocation d'une somme de 140 000 F. réparera intégralement ce préjudice, eu égard à l'âge de la victime, à sa qualité professionnelle, ainsi qu'au taux d'incapacité retenu par l'expert ;

Sur le pretium doloris.

Attendu qu'il y a lieu de fixer cette indemnité à la somme de 30 000 F., compte tenu des souffrances endurées pendant l'hospitalisation et des séances de rééducation, étant observé que la victime a subi plusieurs interventions chirurgicales, notamment en septembre 1983 et en février 1985 ;

Sur le préjudice esthétique.

Attendu que le Tribunal possède les éléments suffisants pour évaluer ce préjudice à la somme de 40 000 F., compte tenu notamment de la qualification retenue par l'expert ;

Sur le préjudice d'agrément.

Attendu que le Dr Boiselle a indiqué que la victime avait subi un préjudice d'agrément certain ;

Que celui-ci résulte de l'impossibilité dans laquelle elle se trouve désormais de pratiquer les activités sportives qui étaient les siennes avant l'accident, en l'occurrence le ski et la gymnastique rythmique, tel qu'il résulte des deux attestations versées au dossier émanant de Mmes F. et D. ;

Attendu que la somme de 10 000 F. réparera intégralement ce chef de préjudice ;

Sur les demandes de remboursement de frais.

Attendu que la demanderesse ne rapporte pas la preuve du paiement par elle de la somme de 5 100 F. correspondant aux honoraires du Dr Boiselle, du Dr B. et de M. J.-L. F. ;

Qu'il convient de la débouter de ce chef ;

Attendu, dans ces conditions, qu'il échet de condamner, in solidum, M. P. et son assureur, la S.A. Eagle Star - L'Indépendance à payer la somme de 220 000 F. à H. C., en réparation de son préjudice global ;

Attendu que ladite indemnité produira intérêts au taux légal à compter du présent jugement, s'agissant d'une créance quasi-délictuelle ;

Sur l'exécution provisoire.

Attendu que les éléments de l'espèce justifient l'exécution provisoire du présent jugement à concurrence de la somme de 200 000 F. ;

Dispositif🔗

PAR CES MOTIFS,

Vu le rapport d'expertise et le complément de ce rapport du Dr Boiselle en date des 6 octobre 1986 et 25 février 1987 ;

Vu les articles 1229 et 1230 du Code Civil ;

1° / Déclare M. P. entièrement responsable de l'accident de la circulation du 3 septembre 1983 dont a été victime H. C. ;

2° / Déboute P. et son assureur de leur demande de sursis à statuer ;

3° / Condamne in solidum M. P. et son assureur, la S.A. Eagle-Star-L'Indépendance à payer à H. C., avec intérêts au taux légal à compter du présent jugement, la somme de 220 000 F. en réparation du préjudice global de cette dernière ;

4° / Déboute les parties du surplus de leurs demandes ;

5° / Ordonne l'exécution provisoire du jugement à concurrence de 200 000 F. ;

6° / Condamne M. P. et son assureur aux entiers dépens, y compris ceux de l'instance en référé et le coût de l'expertise, dont distraction au profit de Maître Jacques Sbarrato, avocat-défenseur, sous sa due affirmation.

Composition🔗

MM. Landwerlin prés., Serdet prem. subst. proc. gén., MMes Sbarrato, Clérissi, Lorenzi av. déf., Joselet av. barreau de Nice.

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