Tribunal de première instance, 16 décembre 1988, Z. c/ S.A. Olympic Maritime

  • Consulter le PDF

Abstract🔗

Contrat de travail

Licenciement sans motif - Rupture abusive (non)

Résumé🔗

L'omission, même volontaire, de donner les motifs de congédiement n'est pas constitutive, à elle seule, d'un abus de droit.

Le licenciement intervenu dans le cadre de la décision d'une entreprise, - dont elle est maître -, de supprimer l'un de ses services consécutivement à l'abandon d'une partie de ses activités, n'apparaît point fautif, alors qu'il n'a pas eu pour objet de soustraire l'employeur aux dispositions de l'article 6 de la loi n° 629 du 17 juillet 1957 qui institue un ordre en cas de licenciement par suppression d'emploi, puisque, en tout état de cause, l'entreprise a réglé l'indemnité de licenciement constituant, aux termes de l'article 7, alinéa 4, de ladite loi, la sanction de l'inobservation de l'ordre des congédiements qu'elle instaure ; il ne saurait être davantage reproché à l'employeur de n'avoir point proposé à l'employé licencié un emploi similaire dans une société qui constitue une entité juridique autonome.


Motifs🔗

Le Tribunal,

Statuant comme juridiction d'appel du Tribunal du Travail

Attendu que, par jugement du 19 mars 1987 signifié le 13 avril suivant, auquel il y a lieu de se reporter pour plus ample exposé des circonstances de la cause, le Tribunal du Travail, saisi par I. Z. d'une demande en paiement de la somme totale de 1 962 167,80 F. ainsi décomposée :

  • indemnité de licenciement : 132 900 F,

  • dommages-intérêts pour licenciement abusif : 865 000 F,

  • paiement des jours fériés travaillés de janvier 1981 à décembre 1985 : 431 925 F,

  • paiement des heures supplémentaires travaillées de janvier 1981 à décembre 1985 : 532 342,80 F,

dirigée à l'encontre de son ancien employeur la société anonyme dénommée Olympic Maritime, a déclaré irrecevable la demande en paiement de l'indemnité de licenciement, a jugé mal fondées les demandes en paiement de jours fériés, de jours de repos hebdomadaires et d'heures supplémentaires, a estimé régulière et légitime la rupture du contrat de travail et a en conséquence débouté Z. de l'ensemble de ses demandes ;

Attendu que, pour statuer ainsi, les premiers juges ont constaté, sur la demande en paiement de l'indemnité de licenciement, que l'employeur a réglé cette indemnité lors de la rupture, en versant une somme d'ailleurs supérieure à celle réclamée ;

Qu'en ce qui concerne les jours et heures supplémentaires qui auraient été travaillés et non réglés, les premiers juges, sans en contester la réalité, ont considéré que ces sujétions étaient partiellement compensées par les frais de déplacement perçus par Z. qui les a librement acceptées comme inhérentes à la nature de ses fonctions de cadres ;

Qu'ils ont relevé que la preuve d'une contestation à ce sujet par Z. et d'un refus que lui aurait opposé l'employeur n'était pas rapportée ;

Que, sur la demande en paiement de dommages-intérêts, ils ont énoncé les principes applicables puis ont estimé que le défaut de communication du motif de licenciement par l'employeur en octobre 1985 n'était pas fautif dès lors que règlement des indemnités légales de rupture était assuré ;

Qu'ils ont ensuite observé que n'était pas rapporté la preuve :

  • d'un licenciement effectué au mépris de l'article 6 de la loi n° 629 du 17 juillet 1957,

  • d'une embauche de personne dans le service de Z. consécutivement à son licenciement,

  • d'une obligation de l'informer des offres d'emploi d'une société grecque dénommée Springfield,

et ont considéré que le licenciement de Z. est intervenu pour cause de suppression de poste, sans que l'on puisse reprocher de légèreté blâmable ou d'intention de nuire à la société Olympic Maritime qui, en l'espèce, a respecté la réglementation en vigueur ;

Que sur le mode de déclaration du licenciement aux Assedic par l'employeur, le Tribunal du Travail, après avoir analysé les circonstances ayant entouré cette déclaration, a relevé qu'il ne pouvait s'agir d'un motif de licenciement pouvant rendre abusif ledit licenciement, en constatant à cet égard l'absence de toute contrariété dans l'attitude adoptée par l'employeur ;

Attendu que, par l'exploit susvisé, Z. a régulièrement formé appel de ce jugement, excepté du chef de l'indemnité de licenciement qu'il déclare avoir perçue, et reprend ses demandes initiales tendant au paiement de 865 000 F. à titre de dommages-intérêts pour licenciement abusif, de 431 925 F. et 532 342,80 F. au titre de complément de salaire devant compenser les jours fériés et heures supplémentaires travaillés et sollicite en outre les intérêts de ces sommes, calculés au taux légal à compter de la saisine du Tribunal du Travail ;

Qu'au soutien de son appel, Z. fait essentiellement valoir :

  • que la société Olympic Maritime n'a pas fourni le motif du licenciement, à tout le moins lors de la rupture, alors que l'article 13 de la loi n° 729 du 16 mars 1963 lui impose d'énoncer ce motif,

  • que ce refus, opposé par l'employeur dans le dessein de ne pas respecter l'article 6 de la loi n° 629 précitée en ce qu'il impose un ordre de licenciement, présente un caractère abusif, même si à la barre Z. a admis que, la sanction de l'inobservation de ce texte consiste dans le paiement - assuré en l'espèce - de l'indemnité de licenciement ;

  • que le motif implicitement avancé par l'employeur - relatif à la suppression du poste qu'il occupait - est un motif économique non réel et fallacieux puisque le service technique auquel il appartenait a été transféré, avec d'autres, en Grèce ; qu'à cet égard Z. affirme que la S.A.M. Olympic Maritime n'est qu'une « succursale » du groupe de sociétés constituées aux États-unis, en Grande-Bretagne ou en Grèce appartenant à la famille O. et dirigée par elle, et insiste sur l'unité de ce groupe au sein duquel les sociétés - dont la société grecque Springfield - sont très dépendantes les unes des autres ; que Z. indique encore que le transfert en Grèce au sein de la Springfield du service technique a été effectué à compter du 1er Juin 1986 et a donc conduit à sa suppression à la même date dans la société Olympic Maritime ; qu'il fait grief à cette société de l'avoir volontairement licencié le 30 octobre 1985, c'est-à-dire avant cette date, de telle façon qu'aucune mutation ne lui a été proposée alors que les autres agents du service technique en place lors de son « transfert » se sont vus offrir de travailler en Grèce, circonstances qui caractériseraient l'intention de lui nuire puisqu'il a été privé ainsi de plusieurs mois de salaires ;

  • qu'en définitive, son licenciement intervenu sans fournir de motif pour une cause économique non alléguée a permis à l'employeur de tourner la loi sur l'ordre des licenciements et de ne pas le maintenir au service du groupe O., de telle sorte qu'il a connu un sort différent de celui réservé aux autres ingénieurs techniques à qui l'on a proposé de travailler en Grèce ;

  • que le préjudice qu'il subit doit se calculer par rapport à la perte de ses salaires dont la moyenne mensuelle s'élève à 24 000 F. environ, et aux difficultés qu'il éprouve dans la recherche et l'obtention d'un nouvel emploi ;

  • que les jours fériés et heures supplémentaires travaillées doivent lui être payés puisque son contrat de travail prévoyait une durée hebdomadaire de 40 heures seulement et que le remboursement de ses nécessaires frais de déplacement ne rémunère pas ces déplacements ; que Z. dément avoir accepté ces contraintes, avoir exprimé son accord ou s'être interdit de formuler toute réclamation dans les bulletins de paye qu'il a signés ; qu'il constate que certains ingénieurs, ne se déplaçant que rarement, percevaient le même salaire que lui et en déduit que le montant de sa rémunération n'explique ni ne justifie ces sujétions particulières ;

Attendu que pour sa part la société Olympic Maritime conclut au rejet de ces prétentions et à la confirmation de la décision entreprise ; qu'en particulier, elle se défend d'avoir commis de faute dans l'exercice de son droit de rupture et n'indiquant pas le motif du licenciement puisqu'elle a réglé les indemnités légales ; qu'elle affirme que le département technique a été supprimé et que, comme Z., les ingénieurs qui y étaient rattachés ont tous été licenciés ; qu'elle prétend d'autre part que le salaire élevé perçu par Z. compensait les heures supplémentaires ou jours fériés travaillés, ce que lui-même a admis en signant ses bulletins de paye comportant une mention aux termes de laquelle il s'abstenait de toute réclamation ;

Sur quoi,

Attendu que l'appel de Z., qui apparaît régulier en la forme, doit être déclaré recevable ;

Sur la demande en paiement des jours fériés et heures supplémentaires :

Attendu qu'il résulte des documents produits aux débats que Z. a effectué de nombreux déplacements à l'étranger, dont il était d'ailleurs défrayé, et qui ne donnaient lieu, à leur terme, à aucune contestation ; que les attestations versées aux débats, si elles font présumer que Z. effectuait régulièrement au cours de ces déplacements son travail pendant certains jours fériés ou au delà des horaires normaux, ne permettent nullement d'affirmer comme le fait le demandeur que 1980 heures supplémentaires ont été accomplies et que 195 jours fériés ont été travaillés, une telle précision ne résultant pas des éléments du dossier ;

Qu'à cet égard, rien ne permet le contrôle des heures et jours réellement travaillés en sus des périodes normales, de même que leur éventuelle récupération sur place ;

Attendu par ailleurs, à supposer même que ces éléments soient déterminés avec précision et montrent que Z. a effectivement travaillé certains jours fériés et accompli certaines heures supplémentaires, la demande de ce chef n'en devrait pas moins être rejetée ;

Qu'en effet, l'absence de toute réclamation pendant plus de cinq années - alors que le nombre de jours et heures dont le paiement est actuellement demandé apparaît particulièrement important - laisse sérieusement présumer que Z. a accepté un aménagement des conditions d'exécution de son contrat de travail conclu le 31 octobre 1973 en ce qu'il prévoyait, sur un imprimé type réservé aux travailleurs étrangers, le même régime de travail que celui de la main-d'œuvre locale en matière de jours fériés et une durée de travail de 40 heures par semaine ;

Que cette acception résulte implicitement encore du memorandum adressé le 12 mars 1980 à la direction, dont il se prévaut, dès lors que, signataire de ce document qui tendait à obtenir une compensation pour heures supplémentaires et jours fériés travaillés, Z. est demeuré au service de la société Olympic Maritime malgré l'échec de cette démarche ;

Attendu enfin que le salaire perçu par lui, sa position de cadre et la nature de ses fonctions impliquaient nécessairement l'assujettissement à des contraintes de cette nature ;

Qu'il s'ensuit que Z. doit être débouté de ces chefs de demande ;

Sur la demande en paiement de dommages-intérêts :

Attendu que l'employeur, en manifestant le 30 Octobre 1985 son intention de mettre fin au contrat le liant à Z. à effet du 31 janvier 1986, n'a fait qu'user de la faculté qui lui est ouverte par l'article 6 de la loi n° 729 du 16 mars 1963 ;

Que l'omission, même volontaire, de donner les motifs du congédiement n'est pas constitutive, à elle seule, d'un abus de droit (Trib. Prem. Inst. 27 juill. 1979, Belloti/Lœws Hôtel) ;

Attendu cependant qu'il résulte des pièces produites ainsi que des écrits judiciaires pris par la S.A. Olympic Maritime tant en première instance qu'en appel que le congédiement de Z. était lié à la décision de supprimer à compter du 1er Juin 1986 le service « Technical department » auquel il appartenait, puisque les autres employés affectés à ce service ont également été licenciés, même s'ils l'ont été quelques mois plus tard ;

Qu'à cet égard et quelles que soient les relations qui apparaissaient en fait unir les différentes sociétés du groupe O., il demeure que cette suppression ne saurait être assimilée, comme le soutient l'appelant à un « transfert » dudit service, sauf à remettre en cause l'autonomie juridique des sociétés concernées dont Z. lui même a implicitement mais nécessairement admis la réalité en dirigeant son action contre la société Olympic Maritime qu'il considère comme son véritable employeur avec lequel il s'est trouvé contractuellement lié ;

Qu'il doit en être déduit que le licenciement de Z. est intervenu dans la cadre de cette décision de suppression d'un de ses services dont l'employeur, la société Olympic Maritime, demeurait maître dans la mesure où cette suppression, consécutive à l'abandon d'une partie de ses activités, s'inscrivait dans un contexte lié à la bonne marche et à l'intérêt de l'entreprise qu'il n'y a pas lieu d'apprécier ;

Qu'ainsi ce licenciement n'apparaît nullement fautif ; qu'en particulier, il n'a pas eu pour objet de soustraire l'employeur aux dispositions de l'article 6 de la loi n° 629 précitée qui institue un ordre en cas de licenciements par suppression d'emploi puisque, en tout état de cause, la société Olympic Maritime a spontanément réglé l'indemnité de licenciement constituant, aux termes de l'article 7 alinéa 5 de la loi, la sanction de l'inobservation de l'ordre des congédiements qu'elle instaure ; qu'aucune faute ne saurait davantage être reprochée à l'intimée pour n'avoir pas proposé à Z. d'occuper un emploi similaire dans la société Springfield, dès lors qu'ainsi qu'il a été dit, cette société constitue une entité juridique autonome - même s'il est regrettable que les propositions de cette société transmises aux ingénieurs en poste au 28 février 1986 n'aient été également faites à Z. - et qu'aucune obligation de ce type ne pesait sur la société Olympic Maritime ;

Attendu en conséquence que l'appelant doit également être débouté de ce chef de demande ;

Attendu que les dépens suivent la succombance ;

Dispositif🔗

PAR CES MOTIFS,

Et ceux non contraires des premiers juges,

Le Tribunal,

Statuant contradictoirement dans les limites de l'appel comme juridiction d'appel du Tribunal du Travail,

Confirme le jugement entrepris du 19 mars 1987 en ce qu'il a débouté I. Z. de ses demandes et l'a condamné aux dépens ;

Composition🔗

MM. Landwerlin prés., Serdet prem. subst. proc. gén., MMe Clérissi et Marquilly av. déf.

  • Consulter le PDF