Tribunal de première instance, 1 décembre 1988, S.C.I. Saint-Joseph c/ Société M. et Compagnie, Agence M. et Sieur G.

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Abstract🔗

Responsabilité civile

I. - Action en responsabilité de la victime dirigée contre l'employé d'une agence ayant personnellement reçu mandat. Faute de ce mandataire dans l'exécution du mandat. Fondement contractuel de l'action (oui)

II. - Action concomitante en responsabilité de la même victime contre l'employeur. Absence de lien contractuel entre ces deux parties. Fondement délictuel de l'action (oui). Absence de responsabilité de l'employeur du fait de son préposé ayant agi en dehors de ses attributions

Mandat

Mandat spécial limité à la vente d'un appartement - Responsabilité du mandataire - Dépassement par le mandataire des limites de ses pouvoirs - Absence de responsabilité délictuelle du commettant du mandataire

Agent d'agent d'affaires

Responsabilité contractuelle de l'employé d'une agence immobilière ayant reçu personnellement mandat de vendre - Absence de responsabilité de l'agence

Résumé🔗

L'employé d'une agence immobilière qui ayant personnellement reçu un mandat verbal limité à la vente d'un appartement, y introduit un occupant en y faisant effectuer des transformations, outrepasse les pouvoirs qu'il tenait de son mandat spécial, au sens de l'article 1826 du Code civil, d'interprétation restrictive, et engage par son comportement fautif, sa responsabilité envers son mandant, en application de l'article 1828 du même code (I).

L'action concomitante engagée contre l'agence immobilière employeur du mandataire ne saurait prospérer ni sur le terrain contractuel, à défaut pour la victime de rapporter la preuve, selon les règles édictées par l'article 1824 du Code civil, de l'existence d'un mandat verbal, qui la lierait à cette agence, ni sur le fondement délictuel de l'article 1231 du Code civil, en l'état de la nature contractuelle de la responsabilité de l'employé, alors de surcroît que celui-ci a agi sans autorisation, à des fins étrangères à ses attributions, se plaçant ainsi hors des limites de ses fonctions (II).


Motifs🔗

Le Tribunal,

Attendu que des éléments de la cause résulte la relation suivante des faits, de la procédure, des prétentions et moyens des parties ;

La société civile immobilière dénommée « Saint-Joseph » est propriétaire à Monaco-Ville dans un immeuble sis ., d'un appartement dont elle prétend avoir confié la vente à la société en commandite simple M. et Compagnie, exerçant l'activité d'agence immobilière, par l'intermédiaire de son courtier, G. G., auquel en furent remises les clefs afin qu'il puisse le faire visiter aux éventuels acquéreurs ;

La S.C.I. Saint-Joseph ayant fait état, aux termes d'un constat dressé à sa requête par Maître Escaut-Marquet, Huissier, en date du 2 octobre 1985, de ce que ledit local était occupé par un certain H. G. et avait en outre fait l'objet de divers travaux de transformation, sans son autorisation, une expertise a été prescrite par ordonnance de référé du 10 décembre 1985, à l'effet de décrire les causes et les remèdes des désordres allégués par la propriétaire et fournir tous éléments à l'évaluation de son préjudice ;

Aux termes de son rapport, l'expert Jarry a notamment conclu :

  • que le local se compose de deux pièces l'une, d'une surface de 25 M2 environ, l'autre de 29 M2 environ ; dans la première, une chape de ciment a été exécutée au sol et recouverte d'une peinture plastique bleu clair, par ailleurs, les murs, le plafond et les poutres ont été recouverts d'un crépi blanc, dans la seconde, une cloison a été démolie ;

  • que les travaux nécessaires pour remettre les lieux en leur état initial, peuvent être évalués à la somme de 15 410,58 F ;

  • que la clé du local a été remise par G. à G. qui l'a occupé du mois de mai 1985 au mois de septembre de la même année, sans que l'Agence M., ni la propriétaire n'en aient été informées ;

  • que le préjudice éventuellement subi par la S.C.I. Saint-Joseph réside dans le fait que la clé dudit local n'avait été remise à G. que pour le faire visiter alors que ce dernier l'a fait occuper et transformer sans en avoir reçu l'autorisation de la propriétaire qui lui avait seulement donné mandat de vente ;

Se référant aux constatations expertales, la société civile immobilière Saint-Joseph, a, suivant exploit en date du 24 Septembre 1987, fait assigner la société en commandite simple Y. M. et Compagnie, par abréviation, Agence M., et G. G. en responsabilité et en paiement solidaire des sommes suivantes, avec intérêts de droit à compter de l'assignation en référé du 11 novembre 1985 :

  • 15 410,58 F au titre des travaux de remise en état des lieux,

  • 8 672,03 F montant des frais et honoraires d'expertise,

  • 10 000 F à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice tant matériel que moral qui lui a été occasionné par le détournement de la finalité du mandat de vente ;

Elle fait notamment valoir au soutien de sa demande que G. ayant reçu un mandat verbal de vente, en sa qualité de démarcheur de l'Agence M., a par ses agissements fautifs engagé la responsabilité de son employeur ;

La société en commandite simple Y. M. et compagnie, Agence M., a conclu au débouté et à sa mise hors de cause en soutenant n'avoir jamais reçu de la S.C.I. Saint-Joseph un quelconque mandat de vente, fut-il verbal, cette dernière ayant traité directement et à titre personnel avec son courtier, G., ainsi que l'a expressément reconnu ce dernier, qui de plus lui en a laissé ignorer jusqu'à son existence ;

G., sans contester ni le principe, ni le montant de la demande dirigée à son encontre, s'est borné à faire état de ses relations d'affaires avec les gérants successifs de la S.C.I. dont il serait créancier pour la somme de 16 355,10 F, tout en reconnaissant que cette dernière lui avait donné mandat de vendre le local litigieux, en soutenant que c'est dans le seul but de parvenir à une telle vente qui nécessitait au préalable l'amélioration des lieux, du fait de leur mauvais état qu'il y avait introduit H. G., un de ses amis, lequel en échange de l'occupation durant deux mois de ce même local y avait effectué des travaux de remise en état ;

Il a par ailleurs conclu en sollicitant qu'il lui soit donné acte de ce qu'il renonçait à réclamer la somme de 16 355,10 F à la S.C.I. Saint-Joseph si cette dernière en faisait autant à son égard, que dans le cas contraire il formait à son encontre une pareille demande ;

La S.C.I. Saint-Joseph a réitéré sa demande originaire en faisant observer à l'encontre de G., que ce dernier a reconnu sa faute aux termes de ses écritures tant privées que judiciaires et qu'il a par la même engagé sa responsabilité envers elle sur le fondement des dispositions de l'article 1229 du Code Civil ;

Elle en déduit en conséquence à l'encontre de l'Agence M., que celle-ci doit, en sa qualité de commettant, être déclarée responsable des fautes commises par son préposé G. en application de l'article 1231 du même Code, quand bien même les agissements de ce dernier constitueraient un abus ou un détournement de fonctions ;

Sur ce,

Attendu que dans le dernier état de la procédure, le Tribunal se trouve saisi par la demanderesse de deux actions successives et distinctes dirigées tant contre G. que contre l'Agence M. et fondées, la première sur la responsabilité contractuelle du mandataire, la seconde sur sa responsabilité délictuelle, envers son mandant ;

Attendu, sur la responsabilité de G. qu'il résulte des éléments de la cause et des pièces versées aux débats, que la S.C.I. Saint-Joseph avait donné mandat verbal à G. de rechercher un acquéreur et de négocier la vente de l'appartement dont elle est propriétaire, la réalité et l'étendue de ce mandat résultant de l'aveu de G. contenu dans la lettre qu'il adressait à sa mandante le 2 juillet 1985, puis réitéré dans ses écritures judiciaires ;

Qu'en l'état du contrat de mandat liant ainsi les parties, il échet, de constater que sont réunies les conditions qui donnent à la responsabilité invoquée une nature contractuelle, dès lors qu'il n'est pas établi ni même allégué que le dommage invoqué résulterait d'un fait distinct de la violation du contrat ;

Attendu, qu'en conséquence, le cumul des responsabilités contractuelles et délictuelles ne pouvant s'opérer sur la tête de la même personne, il échet d'observer que les dispositions de l'article 1229 du Code Civil sont sans application dans le présent litige, la responsabilité de G. à l'égard de la S.C.I. Saint-Joseph devant être recherchée sur le terrain contractuel ;

Qu'en l'espèce, il est constant que le mandat donné à G. s'analyse en un mandat exprès limité à la vente d'un bien immobilier au sens de l'article 1826 du Code Civil ;

Que dès lors, en introduisant un tiers dans l'appartement dont les clés ne lui avaient été remises que pour le faire visiter en vue de sa vente et en y faisant de plus effectuer des travaux de transformation, G. a incontestablement outre-passé les pouvoirs qu'il tenait de son mandat spécial, d'interprétation restrictive, son comportement fautif engageant sa responsabilité envers son mandant en application de l'article 1828 du Code Civil ;

Attendu, sur le préjudice de la S.C.I. Saint-Joseph, que l'expert ayant évalué le coût des travaux de remise en état des lieux à la somme non contestée de 15 410,58 F, G. demeure tenu au paiement de cette somme ; qu'en outre l'existence des désordres constatés et la gêne inhérente à l'exécution des travaux de reprise sont à l'origine d'un trouble de jouissance certain, dont l'indemnisation, compte tenu de la vacuité des locaux, doit être fixée à la somme de 2 000 F à la charge de G. ;

Que les sommes ainsi allouées à la demanderesse, tant en réparation des désordres immobiliers que du trouble de jouissance, revêtant un caractère indemnitaire et n'étant liquidées qu'à la date de ce jour, seront productives d'intérêts au taux légal à compter du présent jugement ;

Qu'en revanche, la S.C.I. Saint-Joseph ne peut obtenir condamnation au paiement des frais d'expertise qui seront inclus dans les dépens du présent jugement ;

Attendu, sur la responsabilité de l'Agence M., que celle-ci ne saurait être utilement recherchée sur le terrain contractuel dès lors que la S.C.I. Saint-Joseph ne rapporte pas la preuve, dont la charge lui incombe, selon les règles édictées par l'article 1824 du Code Civil, de l'existence du mandat verbal qu'elle invoque à l'encontre de cette dernière qui en dénie l'existence ;

Que c'est tout aussi vainement que la demanderesse entend se prévaloir des dispositions de l'article 1231 du Code Civil en prétendant faire déclarer l'Agence M., en sa qualité de commettant, civilement responsable de son préposé G., ce texte étant inapplicable en l'espèce en l'état de la nature contractuelle de la responsabilité de G. ayant agi en son nom propre, alors que le commettant ne répond que de la faute délictuelle de son préposé en vertu de ce texte ;

Qu'en tout état de cause, les dispositions de l'article 1231 du Code précité ne sauraient être appliquées au commettant en cas de dommages causés par un proposé qui, comme G. en l'espèce, a agi sans autorisation à des fins étrangères à ses attributions, se plaçant ainsi hors des fonctions auxquelles il était employé, qu'en conséquence l'Agence M. ne pouvant être civilement responsable des agissements de ce dernier, il échet d'ordonner sa mise hors de cause ;

Attendu, sur la demande reconventionnelle de G., que celle-ci n'étant pas connexe à la demande principale mais ayant au contraire un objet différent puisque relative à une créance étrangère à l'activité de la S.C.I. Saint-Joseph, il convient de la déclarer irrecevable en application des dispositions de l'article 382 du Code de Procédure Civile dont les conditions ne sont pas remplies en l'espèce ;

Dispositif🔗

PAR CES MOTIFS,

Le Tribunal,

Statuant contradictoirement ;

Ordonne la mise hors de cause de la société en commandite simple Y. M. et Compagnie, Agence M. ;

Déclare G. G. entièrement responsable des conséquences dommageables des fautes commises par lui dans l'exécution de son mandat à l'égard de la société civile immobilière Saint-Joseph ;

Condamne en conséquence G. G. à payer à la société civile immobilière Saint-Joseph à titre de dommages-intérêts, avec intérêts au taux légal, à compter de ce jour, la somme de quinze mille quatre cent dix F. cinquante huit centimes (15 410,58 F), au titre des frais de remise en état des lieux et celle de trois mille (3 000 F) à titre de troubles de jouissance ;

Déboute la société civile immobilière de toute autre demande ;

Déclare G. G. irrecevable en sa demande reconventionnelle en paiement ;

Composition🔗

MM. Landwerlin prés., Serdet prem. subst. proc. gén., MMes Léandri, Sanita et Blot av. déf.

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