Tribunal de première instance, 27 octobre 1988, Société Olympic Maritime S.A. c/ W.

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Abstract🔗

Contrat de travail

Contrat à durée indéterminée. Licenciement, sans motifs fournis par l'employeur, non abusif.

Résumé🔗

La volonté manifestée par l'employeur de ne point donner les motifs du congédiement n'est pas constitutive à elle seule d'un abus de droit.


Motifs🔗

Le Tribunal, Statuant comme juridiction d'appel du Tribunal du Travail

En l'espèce les circonstances du licenciement intervenu ne permettraient de retenir une faute et, donc un exercice abusif du droit de rupture par l'employeur, que s'il était établi que celui-ci ait mensongèrement dénié la nature économique du licenciement, c'est-à-dire que si la preuve était faite par le salarié d'un licenciement d'une telle nature, et que ce faisant, l'employeur ait délibérément cherché à se soustraire aux dispositions de l'article 6 de la loi n° 629 du 17 juillet 1957, qui concerne les licenciements collectifs, en portant ainsi préjudice aux intérêts du salarié. Le Tribunal, Statuant comme juridiction d'appel du Tribunal du Travail

Attendu que, par jugement du 22 octobre 1987, signifié le 4 novembre suivant, auquel il y a lieu de se reporter pour plus ample exposé des circonstances de la cause, le Tribunal du Travail, saisi par H. W. d'une demande en paiement de 444 600 F à titre de dommages intérêts pour licenciement abusif dirigée contre son ancien employeur la Société Anonyme dénommée Olympic Maritime, a déclaré abusif le licenciement intervenu et alloué à W., eu égard aux éléments constitutifs de son préjudice, la somme de 60 000 F qui tient compte des sommes antérieurement versées par l'employeur lors du licenciement à titre de « bonus exceptionnel » ;

Attendu que, pour statuer ainsi, le Tribunal du Travail a fait grief à l'employeur, dont il a par ailleurs admis qu'il était libre de refuser d'indiquer le motif de licenciement, de ne pas avoir respecté son obligation de fournir des explications justifiées aux arguments avancés par le salarié licencié qui soutient avoir fait l'objet d'un licenciement pour cause économique dû à une compression de personnel dans l'entreprise ; qu'en relevant que l'employeur ne saurait se borner à dénier cette thèse par de simples allégations, le Tribunal du Travail a estimé que les justifications requises dudit employeur lui imposent, en définitive, de faire connaître le motif réel ayant entraîné la rupture du contrat de travail ; que dans ces conditions, le Tribunal du Travail a reproché à l'employeur ayant dénié la nature économique du licenciement de ne pas avoir fait la preuve de cette dénégation, alors que les circonstances de la cause laissent croire qu'il s'agit bien d'un licenciement pour motif économique que dissimule l'absence de motif de la rupture, et d'avoir ainsi adopté une attitude contradictoire à l'égard du salarié, relevant de la légèreté blâmable voire de l'intention de nuire et ouvrant droit de ce fait à des dommages intérêts ;

Attendu que la Société Olympic Maritime a relevé appel le 11 Novembre 1988 de cette décision dont elle poursuit l'infirmation ;

Qu'elle fait grief aux premiers juges de s'être contredits en admettant que le refus de fournir un motif de licenciement n'est pas abusif et en exigeant par ailleurs des explications justifiées de l'employeur sur les causes réelles de la rupture ; qu'elle leur reproche encore d'avoir entretenu une confusion juridique entre les différents textes applicables et prétend que le paiement du préavis dans le cadre de l'article 7 de la Loi 729 du 16 mars 1963 et de l'indemnité de licenciement prévue par l'article 2 de la Loi 845 du 27 juin 1968 lorsque la rupture n'est pas justifiée par un motif valable la dispense de fournir le motif du licenciement ; qu'elle soutient que les premiers juges ont à tort soutenu qu'elle a caché la cause économique du licenciement puis alloué des dommages intérêts puisque le sort fait au salarié apparaît plus favorable que celui qu'il aurait connu s'il était demeuré au service de la société jusqu'au 31 mai 1986, date de suppression du service auquel il appartenait ; qu'elle demande au Tribunal d'appel, dans le dispositif de ses conclusions, de juger :

  • qu'aux termes de l'article 6 de la Loi n° 729 précitée, le contrat de travail à durée indéterminée peut toujours cesser par la volonté de l'une des parties,

  • que l'article 7 de ladite loi définit la durée du préavis lorsqu'il est mis fin au contrat de travail par un employeur qui n'invoque aucune faute particulière,

  • qu'en vertu de l'article 2 de la Loi n° 845, lorsque le licenciement n'est pas justifié par un motif jugé valable, l'employeur est tenu au paiement d'une indemnité de licenciement,

  • que la Société Olympic Maritime a intégralement respecté ces textes et même largement dépassé ses obligations en versant un bon exceptionnel de 65 000 F,

  • que W. aurait perçu, lors de la suppression de son service le 31 mai 1986, une indemnité inférieure à celle qui lui a été allouée au moment de son licenciement en octobre 85, et qu'il n'a donc pas subi de préjudice ;

Attendu que W. poursuit pour sa part la confirmation du jugement entrepris qui a fait, selon lui, « une parfaite appréciation des faits de la cause et une parfaite application de la loi » ; qu'il soutient, en particulier, que la Société Olympic Maritime, en versant spontanément l'indemnité de licenciement, a implicitement reconnu, eu égard aux dispositions de l'article 2 de la Loi n° 845, que le motif du licenciement n'était pas valable ; qu'il prétend que l'article 13 de la Loi n° 729 impose dans son deuxième alinéa à l'auteur de la rupture d'en indiquer le motif et que la juridiction saisie doit mentionner ledit motif ; qu'il observe que le silence de l'employeur sur ce point est suspect, que la dénégation selon laquelle il ne s'agirait pas d'un licenciement économique n'est pas prouvée par l'employeur tandis que les pièces du dossier démontrent au contraire la réalité d'un licenciement de cette nature et que cette contradiction participe d'un comportement fautif de l'employeur ouvrant droit à réparation ;

Qu'il fait valoir, par ailleurs, qu'il n'a tiré aucun avantage matériel des circonstances de la rupture de son contrat puisqu'il est faux de prétendre que le licenciement aurait dû intervenir, en tout état de cause, le 31 mai 1986 et que son rang de priorité, comme la possibilité pour lui d'être affecté dans une catégorie inférieure, lui auraient permis - si l'employeur les avait respectés - de continuer à travailler en percevant un salaire ;

Sur quoi,

Attendu que l'appel de la S.A.M. Olympic Maritime, qui apparaît avoir été régulièrement formé, doit être déclarée recevable ;

Attendu que c'est à tort que les premiers juges, tout en énonçant justement le principe selon lequel l'employeur est libre de refuser de fournir le motif du licenciement, ont cependant mis en l'espèce à la charge de celui-ci, non sans contradiction, l'obligation de renseigner le salarié sur les véritables motivations de la rupture et de faire la preuve de ces motivations, dès lors que W. alléguait avec sérieux selon les premiers juges qu'il avait fait l'objet d'un licenciement pour motif économique ;

Attendu en effet que la volonté manifestée par l'employeur de ne point donner les motifs du congédiement n'est pas constitutive à elle seule d'un abus de droit (Trib. Première Inst. 27 juill. 1979, B. c. Lœws Hôtel) ;

Qu'en l'espèce les circonstances du licenciement intervenu ne permettraient de retenir une faute et donc un exercice abusif du droit de rupture par l'employeur que s'il était établi que celui-ci a mensongèrement dénié la nature économique du licenciement, c'est-à-dire que si la preuve était faite par W. d'un licenciement d'une telle nature, et que ce faisant l'employeur a délibérément cherché à se soustraire aux dispositions de l'article 6 de la Loi n° 629, en portant ainsi préjudice aux intérêts du salarié ;

Mais attendu que les éléments du dossier - dont les premiers juges ont relevé qu'ils étaient de nature à « laisser croire » qu'il s'agissait d'un licenciement pour motif économique tels que suppression d'emploi ou compression de personnel - ne permette pas d'affirmer de manière certaine que le congédiement de W. ait été dicté par ces considérations d'ordre économique ;

Qu'il apparaît en particulier que la décision de suppression du service « purchasing » (achat) de l'entreprise auquel W. appartenait comme opérateur a été prise en février 1986 et a conduit l'employeur à annoncer le licenciement du personnel affecté à ce service - ainsi d'ailleurs qu'au Service Technique - à effet du 31 mai 1986, tandis que W. était avisé de son licenciement personnel dès octobre 85 ;

Qu'ainsi il ne peut être considéré comme établi, en l'absence de production d'éléments suffisamment probants, que le congédiement de W. - isolé, à la date où il est intervenu - était dicté par un motif économique qui aurait justifié l'application de l'article 6 de la Loi n° 629 du 17 juillet 1957, texte qui ne concerne, doit-il être relevé, que les licenciements collectifs et dont la sanction normale au cas d'inobservation de l'ordre des congédiements qu'il instaure est, aux termes de l'article 7 alinéa 5 de la loi précitée, le paiement de l'indemnité de licenciement - auquel l'employeur a satisfait en l'espèce - ;

Attendu en conséquence qu'il n'est pas justifié d'un comportement fautif de l'employeur dans l'exercice de son droit de rupture du contrat de travail, ni même d'ailleurs - eu égard aux sommes versées spontanément lors du licenciement - d'un préjudice qui en serait résulté pour W. ;

Attendu que le jugement du Tribunal du Travail doit donc être infirmé en toutes ses dispositions et W. tenu aux entiers dépens, en raison de sa succombance ;

Dispositif🔗

PAR CES MOTIFS,

Le Tribunal,

statuant contradictoirement comme juridiction d'appel du Tribunal du Travail,

Déclare l'appel recevable en la forme,

Au fond, infirme le jugement entrepris du 22 octobre 1987 en toutes ses dispositions.

Note🔗

L'absence de motifs du licenciement n'est pas à elle seule constitutive d'une rupture abusive (v. Trib. Première Inst. Jugement 27 juill. 1979, aff. B. c. Loews Hôtel).

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