Tribunal de première instance, 7 juillet 1988, S. c/ F.

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Abstract🔗

Compétence internationale

Action en divorce - Exception de litispendance non admise - Exception d'incompétence - Preuve non rapportée d'un domicile à l'étranger - Compétence de la juridiction monégasque

Résumé🔗

Selon un principe jurisprudentiel constant l'exception de litispendance n'est pas admise par les juridictions monégasques dans les rapports internationaux, de sorte que celles-ci saisies en second lieu d'une action en divorce ne doivent nullement se dessaisir au profit d'une juridiction étrangère ou se déclarer incompétentes à seule fin d'éviter un éventuel conflit de décisions.

La compétence territoriale du Tribunal de Monaco peut être déclinée par un défendeur de nationalité étrangère (suédois) conformément aux dispositions des articles 4 et 262 du Code de procédure civile s'il justifie, ce qui n'est pas le cas en l'espèce, avoir conservé un domicile de droit et de fait à l'étranger (Suède) où la demande en divorce pourrait être utilement portée, condition également requise par l'article 4 susvisé.


Motifs🔗

LE TRIBUNAL,

La cause ayant été débattue hors la présence du public ;

La cause ayant été débattue hors la présence du public ;

Attendu que le 21 octobre 1987 S., née le 24 mai 1937 à Voronej (Union Soviétique), de nationalité suédoise, présentait une requête auprès du président du Tribunal de première instance de Monaco tendant à voir prononcer le divorce d'avec son époux F., né le 19 août 1945 à Stockholm, également de nationalité suédoise ;

Qu'après comparution régulière des parties, le magistrat conciliateur constatait toutefois que l'instance sur les mesures provisoires n'était pas en état d'être jugée et renvoyait l'affaire devant le Tribunal de céans selon ordonnance en date du 11 novembre 1987 ;

Attendu que S. et F. comparaissaient alors à l'audience du 26 novembre 1987, afin qu'il soit statué sur lesdites mesures provisoires ;

Attendu par ailleurs que, suivant exploit du 18 novembre 1987, S. assignait régulièrement en divorce F. qu'elle avait épousé à Stockholm le 19 août 1982, après avoir adopté un régime matrimonial suédois assimilable à la séparation de biens ;

Attendu que dans le cadre de l'instance sur les mesures provisoires, F. soulevait, avant toutes conclusions au fond, l'incompétence du Tribunal de céans en invoquant le fait que les deux époux sont de nationalité suédoise et qu'ils ont saisi les juridictions de leur pays d'origine à l'effet d'obtenir un jugement de divorce ;

Attendu que, s'opposant, pour sa part, à ladite exception, S. invoquait le fait que son époux n'avait nullement soulevé l'incompétence du Tribunal de première instance de Monaco pour connaître de l'action en divorce intentée au fond, et que celui-ci était donc irrecevable à en faire état en ce qui concerne les seules mesures provisoires ; que, faisant par ailleurs valoir la localisation en Principauté de Monaco du domicile de droit et de fait de son époux, la demanderesse estimait le Tribunal de céans seul compétent pour connaître de l'action intentée conformément aux dispositions de l'article 2 du Code de procédure civile ; qu'elle concluait dès lors au débouté de F. des fins de son exception d'incompétence.

Sur ce,

Sur la jonction et l'exception d'incompétence :

Attendu qu'au regard de l'exception d'incompétence soulevée par F. dans le cadre de l'instance sur les mesures provisoires, qui constitue en fait l'accessoire de l'action principale en divorce, il apparaît conforme à une bonne administration de la justice de joindre ces deux instances - ainsi que les parties en ont convenu à l'audience - pour qu'il soit statué par un seul et même jugement sur la compétence du Tribunal de première instance à en connaître ;

Attendu, sur ladite compétence, qu'il ne saurait être valablement argué en premier lieu de ce que les juridictions suédoises auraient déjà été saisies de l'action en divorce intentée par F. à l'encontre de son épouse pour soutenir que le Tribunal de première instance de Monaco devrait se déclarer incompétent ;

Qu'il résulte en effet d'un principe jurisprudentiel constant que l'exception de litispendance n'est pas admise par les juridictions monégasques dans les rapports internationaux ; que ces dernières saisies en second lieu du présent litige ne doivent dès lors nullement se dessaisir au profit d'une juridiction étrangère ou se déclarer incompétentes, à seule fin d'éviter un éventuel conflit de décision, étant au demeurant observé que F. produit des décisions judiciaires suédoises très diverses n'ayant pas réglé la totalité des dissensions opposant les parties, notamment en ce qui concerne le versement de la pension alimentaire sollicitée par l'épouse, au sujet de laquelle aucune décision définitive n'a à ce jour été rendue ;

Qu'au demeurant, aucune desdites décisions n'apparaît revêtue à Monaco de l'exequatur ;

Attendu par ailleurs, s'agissant d'une instance relative à l'état des personnes, que la compétence territoriale du Tribunal de Monaco peut être déclinée par le défendeur de nationalité suédoise conformément aux dispositions des articles 4 et 262 du Code de procédure civile, et qu'il ne saurait être à cet égard valablement conclu à l'irrecevabilité de ladite exception au motif qu'après avoir été assigné à comparaître dans le cadre de l'action principale en divorce, il appartenait dès lors à F. de soulever aussitôt l'incompétence ratione loci du Tribunal de céans ;

Qu'il est, en effet, constant d'une part que l'époux n'a pas conclu au fond - préalablement à ladite exception -, et qu'il ne peut d'autre part être déduit du silence gardé par celui-ci quant à la compétence du tribunal, durant la tentative de conciliation, que cet époux aurait de la sorte définitivement renoncé à se prévaloir ultérieurement lors de l'instance au fond de l'exception tirée de l'incompétence internationale du Tribunal ;

Qu'il suit que F. apparaît bien avoir décliné en l'espèce la compétence du Tribunal de Monaco dans les formes prescrites par l'article 262 du Code de procédure civile, mais qu'il n'apparaît cependant pas avoir justifié, ni même offert de prouver qu'il conserve un domicile de droit et de fait en Suède, où la demande pourrait être utilement portée, condition également requise par l'article 4 du Code de procédure civile ;

Qu'il ressort au contraire des pièces versées aux débats que l'époux est actuellement domicilié en Principauté de Monaco, où il réside de façon effective et habituelle dans l'appartement qu'il loue dans l'immeuble « Le Bermuda » - [adresse] -, élément de fait qu'il n'a au demeurant jamais contesté et que confirme même le Tribunal de Stockholm par décision du 1er décembre 1987 versée à la procédure, dans laquelle F. est mentionné comme étant domicilié non en Suède où se déroule pourtant l'instance, mais à Monaco, [adresse] ;

Attendu en conséquence qu'il y a lieu de rejeter comme infondée l'exception d'incompétence soulevée par F. et de dire les juridictions monégasques compétentes pour connaître tant de l'action principale en divorce que de l'instance sur les mesures provisoires ;

Sur tes mesures provisoires :

Attendu que S. faisant valoir l'importance de ses besoins et le caractère tout à fait insuffisant de ses revenus, corrélativement aux ressources importantes de son époux, s'estime fondée à solliciter le versement d'une pension alimentaire mensuelle de 10 000 F à compter du 1er novembre 1987 ; qu'elle expose au soutien de ses prétentions de ce chef qu'aux termes d'une convention écrite en date du 1er juin 1985, F. s'était déjà engagé à lui verser une pension alimentaire de 3 500 F, alors qu'elle demeurait au domicile conjugal et ne devait acquitter aucun loyer ; qu'elle estime dès lors très raisonnable le montant de sa demande actuelle tenant compte de ses nouvelles charges locatives qui s'élèvent à 3 200 F par mois, alors qu'elle ne dispose d'aucune ressource professionnelle, étant sans emploi avec un enfant d'un premier lit à charge, et ne disposant comme seul revenu que d'une modeste rente viagère de 4 300 F par mois, qui lui est versée par une compagnie d'assurances suédoise au titre de la réparation du préjudice corporel occasionné par un accident de la circulation survenu il y a plusieurs années ;

Attendu qu'à titre subsidiaire, S. déclare ne pas s'opposer à la désignation d'un expert ayant pour mission d'évaluer la nature et l'importance des besoins et facultés respectives des époux et de fournir au Tribunal tous éléments d'appréciation de nature à lui permettre de chiffrer le montant de la pension alimentaire mensuelle que F. devra lui verser ;

Attendu que F. s'est pour sa part formellement opposé à la demande de pension alimentaire ainsi formulée, en relevant que son épouse ne justifiait à son avis nullement des besoins invoqués et qu'elle possédait par ailleurs des revenus suffisants lui permettant d'y subvenir ; qu'il évoque à cet égard tant la vente par elle effectuée de biens immobiliers sis en Suède, que la perception de loyers afférents à un appartement situé à Stockholm, et la rente mensuelle versée par la compagnie d'assurances suédoise ;

Que F. entend néanmoins qu'il soit donné acte de ce qu'il ne s'oppose pas à la demande d'expertise formulée par S.

Et sur ce,

Attendu qu'il convient en premier lieu de tenir compte de la situation de S. venue en 1983 sur le territoire de la Principauté de Monaco, où l'obstacle de la langue et son absence de formation professionnelle particulière l'ont empêchée jusqu'à ce jour de trouver un travail ; qu'il ressort des pièces produites aux débats que celle-ci ne dispose à l'heure actuelle pour uniques revenus que d'une rente viagère mensuelle de 4 415 F français qui lui est versée par une compagnie d'assurances suédoise en réparation de l'importante I.P.P. dont elle demeure atteinte à la suite d'un accident de la circulation ;

Qu'il convient d'y ajouter le montant du modeste loyer mensuel relatif à la location d'un petit studio situé à Stockholm, lequel s'élève au vu des quittances produites à la somme de 1 500 couronnes suédoises, soit environ 675 F ramenés à la somme de 340 F après déduction des impôts et charges ;

Qu'il est enfin constant et admis par l'époux que S. a vendu fin 1983 un appartement dont elle était propriétaire à Stockholm pour une somme de 125 000 couronnes suédoises, soit environ 105 000 F, dont elle n'établit cependant pas l'affectation immédiate qu'elle allègue aux activités professionnelles de son époux ; qu'il ressort en fait de la reconnaissance de dettes versée à la procédure qu'à la date du 25 mai 1984, c'est en réalité une somme supérieure de 150 000 couronnes suédoises, que S. a prêtée à F., laquelle ne présente aucun lien de cause à effet avec le produit de la vente des immeubles précités ; qu'il doit dès lors être tenu pour acquis que la somme de 105 000 F susvisée a constitué une fraction des ressources de l'épouse, et ce, quelque soit le placement qu'elle ait entendu en faire ultérieurement ;

Attendu enfin que S., qui réside dans un studio sis au « Panorama », doit acquitter un loyer mensuel de 3 200 F et faire face à ses dépenses alimentaires, vestimentaires et de santé, étant à cet égard rappelé que l'épouse ne dispose à Monaco d'aucune couverture sociale et doit assumer elle-même sur ses propres deniers tous les frais médicaux et pharmaceutiques la concernant ;

Attendu en contrepartie que F. ne perçoit aucune rémunération mensuelle officielle, mais n'en exerce pas moins la profession lucrative de promoteur immobilier, ainsi qu'en atteste la carte de séjour délivrée par les autorités monégasques ; qu'il ressort en effet des pièces produites que F. a réalisé sur la Côte d'Azur et en Provence d'importantes opérations de promotion immobilière, et ce, au travers de diverses sociétés civile dont il détient la quasi totalité des parts, tous éléments de fait qu'il n'a nullement contestés ;

Qu'il est par ailleurs établi par les photographies versées aux débats que F. est propriétaire d'une splendide villa sise à Vence de 1 500 m2 de superficie et dotée d'une piscine, dont il admet qu'il la donnait en location, sans dénier formellement les indications fournies par S. selon lesquelles le loyer mensuel moyen en serait de l'ordre de 10 000 à 12 000 F ;

Attendu enfin que F. a vendu le 4 juillet 1983 son véhicule Ferrari [numéro] pour la somme de 150 000 F, et ne conteste pas avoir acquis une Renault 5 Turbo II de même valeur, ainsi qu'une moto Honda 500 évaluée à 45 000 F ;

Attendu, s'agissant en contrepartie de ses charges fixes, que F. ne produit aucune pièce et se contente de déclarer qu'il doit acquitter mensuellement un loyer de 4 800 F au titre de l'appartement qu'il occupe au « Bermuda » [adresse] ;

Attendu néanmoins que les pièces produites permettent au tribunal d'apprécier la nature et l'importance des facultés respectives de chacun des époux ; que si le montant exact des ressources de F. ne peut en effet être présentement chiffré, son mode de vie n'en est pas moins suffisamment caractérisé par les pièces et éléments de la procédure qu'il n'a au demeurant nullement contestés ;

Attendu en conséquence qu'au regard des besoins de l'épouse, en ceux exclus ceux relatifs à l'enfant d'un premier lit, et des charges fixes auxquelles elle doit faire face, il apparaît équitable - afin de lui permettre de ne pas subir durant le cours de l'instance en divorce de modifications dans ses conditions d'existence - de fixer à 8 000 F la pension alimentaire mensuelle qui lui sera allouée par l'époux à compter du présent jugement ;

Attendu que S. a, par d'ultimes conclusions du 15 juin 1988, sollicité l'exécution provisoire du jugement à intervenir ; qu'il apparaît toutefois, s'agissant d'une décision portant au fond sur les mesures provisoires, que l'exécution provisoire n'a pas lieu d'être ordonnée, mais est de droit en application de l'article 203 du Code civil ;

Et attendu que F. qui succombe en son exception d'incompétence doit être condamné aux dépens de la présente instance ;

Dispositif🔗

PAR CES MOTIFS,

Le Tribunal,

Statuant contradictoirement,

Joint les instances numéro de rôle 209/87 (assignation du 18 novembre 1987) et numéro 239/87 (ordonnance du 11 novembre 1987), et statuant par un seul et même jugement ;

Rejette l'exception d'incompétence soulevée par F. ;

Accueille en la forme la demande en divorce présentée par S. contre son époux, et, statuant uniquement sur les mesures provisoires, tous droits et moyens des parties demeurant, quant au fond, expressément réservés ;

Fixe à la somme de 8 000 F (huit mille francs) la pension alimentaire mensuelle que F. devra payer à son épouse pendant la durée du divorce, ou jusqu'à ce qu'il en soit autrement ordonné ;

Dit le présent jugement exécutoire par provision en application de l'article 203 du Code civil ;

Renvoie la cause et les parties à l'audience du 13 octobre 1988 pour être conclu et statué ce qu'il appartiendra ;

Composition🔗

MM. Landwerlin, prés. ; Serdet, prem. subst. ; MMe Clérissi et Sbarrato, av. déf.

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