Tribunal de première instance, 23 juin 1988, M. c/ Consorts N., Crédit Lyonnais de Monaco.

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Abstract🔗

Prêt

Preuve non rapportée : absence d'acte authentique ou sous seing privé - Absence de promesse sous seing privé - Absence de commencement de preuve par écrit

Résumé🔗

Dès lors qu'en dépit des dispositions de l'article 1188 du Code civil aucun acte authentique ou sous seing privé ne constate le prêt allégué, qu'il n'est pas davantage produit aux débats un engagement unilatéral satisfaisant aux prescriptions de l'article 1173 dudit code, émanant du prétendu emprunteur et que le document manuscrit dont il est fait état, à défaut d'être sans conteste, rédigé ou signé par celui-ci ne peut constituer un commencement de preuve par écrit, la preuve du prêt litigieux n'apparaît pas établie.


Motifs🔗

LE TRIBUNAL,

Attendu que P. M., qui se présentait dans sa requête du 2 juin 1986 comme créancier de H. E. N., décédé le 14 octobre 1983, pour lui avoir prêté de son vivant la somme non remboursée de 2 270 639,50 shillings autrichiens (soit environ 1 000 000 F français), a obtenu le 3 juin 1986 du président du Tribunal de première instance de Monaco l'autorisation de saisir-arrêter entre les mains du Crédit Lyonnais à Monaco toutes sommes pouvant appartenir à H. E. N. à concurrence de la somme de 1 100 000 F ;

Que M. a fait pratiquer cette saisie-arrêt par exploit du 19 juin 1986 contenant assignation du tiers-saisi, en vue de la déclaration affirmative prévue par la loi, et de D. N. épouse G. et de H. N., enfants légitimes du défunt, en vue d'obtenir paiement de la somme de 1 100 000 F avec intérêts au taux légal à compter du 14 octobre 1983, outre 100 000 F à titre de dommages-intérêts ;

Qu'au soutien de ses demandes, M., qui dirige son action contre les héritiers de son prétendu débiteur, explique que le de cujus lui a emprunté la somme précitée de 2 270 639,50 shillings en vue de faire face à ses frais d'installation en Autriche où il souhaitait fixer son domicile et exercer des activités financières ; qu'il indique que cet emprunt se trouve « matérialisé » par un télex émanant de feu N., confirmé par écrit de sa main, qui donne instructions à son banquier pour apurer la dette ;

Attendu que, sur la réassignation ordonnée par le Tribunal le 9 octobre 1986 en l'état du défaut de D. G. née N. et alors que le Crédit Lyonnais tiers-saisi déclarait régulièrement, dès le 27 juin précédent, détenir pour l'essentiel la somme de 142 000 dollars US (outre 594,73 US D et 418,45 F français) pour le compte de H. E. N., les défendeurs se sont opposés aux demandes de M. en faisant valoir :

1° D. N., que les instructions qui auraient été données par télex en vue d'un transfert de fonds quelques jours seulement avant sa mort par H. E. N., décédé des suites d'un cancer généralisé, sont suspectes, en raison des circonstances les entourant ; que le de cujus n'a pu exprimer une volonté claire et consciente ; que les « services exceptionnels » dont le télex fait état pour justifier le legs en faveur de M. ne sont nullement justifiés ;

Qu'en conséquence, cette défenderesse sollicite à titre principal la production par le Crédit Lyonnais et M. des originaux des documents versés aux débats et la désignation d'un expert chargé de déterminer si ces documents sont ou non de la main de feu E. N. ; qu'à titre subsidiaire, elle poursuit la nullité du télex contesté et, plus subsidiairement encore, la nullité du legs, faute de preuve des services exceptionnels allégués ;

2° H. N. (représenté par sa mère P. C. en l'état de sa minorité), que les circonstances troubles des ordres donnés par le télex litigieux laissent penser que M. tente de s'accaparer de l'un des actifs de la succession au détriment des héritiers du sang ;

Que ce défendeur, qui dénie toute valeur probante aux pièces produites, s'associe à la demande d'expertise graphologique, préalable production des pièces originales, formulée par la défenderesse et sollicite par ailleurs la production de l'acte matérialisant l'emprunt et de tous les documents retenus par le Crédit Lyonnais quant aux comptes de feu H. E. N., tous droits des parties étant réservés ;

Attendu que ces défendeurs, lors de l'audience des plaidoiries, ont en définitive soutenu que, selon eux, la créance de M. n'est pas établie ;

Sur quoi,

Attendu que les défendeurs, bien qu'ils ne l'aient pas expressément énoncé, apparaissent avoir accepté la succession de feu H. E. N. et entendre, à tous le moins dans la présente instance, continuer la personne de leur auteur ;

Que dans cette mesure, la demande introduite par M. à rencontre des héritiers du de cujus apparaît recevable en la forme ;

Attendu que pour être admise au fond, cette demande suppose que soit établie la preuve du prêt litigieux ;

Attendu cependant qu'en dépit des dispositions de l'article 1188 du Code civil aucun acte, authentique ou sous seing privé, ne constate en l'espèce le prêt dont s'agit ; qu'il n'est pas davantage produit aux débats un engagement unilatéral émanant de N. - par lequel il se serait obligé à rembourser une dette par lui reconnue - dont les formes satisfassent aux prescriptions de l'article 1173 dudit code ;

Attendu que de l'aveu même du demandeur, les seuls éléments soumis au Tribunal à titre de preuve consistent dans le télex, ne comportant aucune indication de date, rédigé en langue anglaise et apparemment adressé par feu N. à son banquier, par lequel il est donné instruction de verser à M., en cas de décès de N., « le solde » de son compte en dollars après diverses opérations, ce transfert de fonds devant comporter comme motif « transfert dû à changement de résidence », ainsi que dans un document manuscrit, également en anglais, portant la date du 5 octobre 1983 et revêtu de la signature de N. (selon ce que M. prétend) qui se présente comme un projet du télex précité et reprend l'instruction selon laquelle « le solde » du compte de N., après les mêmes opérations décrites par le donneur d'ordres, doit être « payé » en dollars US à M. « pour compensation de services rendus » ;

Attendu, alors que le télex proprement dit ne revêt en l'espèce aucune valeur probante, que le document manuscrit daté du 5 octobre 1983, à supposer qu'il émane de H. E. N., c'est-à-dire qu'il ait été sinon rédigé de sa main du moins revêtu de sa signature, - ce que les défendeurs contestent - ne saurait pour autant constituer un commencement de preuve par écrit qui rendrait admissible la preuve par témoins qu'au demeurant, doit-il être constaté, le demandeur n'offre pas même d'administrer ; qu'en effet ce document ne rend pas vraisemblable au sens de l'article 1194 du Code civil l'existence du prêt allégué dont notamment la date, les conditions de remboursement ou le taux d'intérêts éventuellement convenus demeurent ignorés ; qu'en particulier, il y a lieu de relever l'incompatibilité opposant la précision du montant du prêt allégué dont le remboursement est poursuivi (2 270 639,50 shillings autrichiens) et l'incertitude du montant offert en remboursement dudit prêt (correspondant au solde indéterminé d'un compte, après réalisation d'un portefeuille de valeurs, placement d'une partie des fonds réalisés et paiement de diverses dettes) ;

Attendu en conséquence que la créance alléguée n'est pas établie ; qu'il y a donc lieu de débouter M. de sa demande en remboursement du prêt et de celle tendant à obtenir des dommages-intérêts ;

Que, dès lors, la saisie-arrêt apparaît avoir été pratiquée irrégulièrement et n'a plus d'objet ; qu'il convient d'en ordonner d'office la mainlevée ;

Attendu, par ailleurs, que les défendeurs n'ont pas lieu d'être suivis en leurs autres prétentions devenues sans objet ;

Attendu que les dépens suivent la succombance ;

Dispositif🔗

PAR CES MOTIFS,

Le Tribunal,

Statuant contradictoirement,

Déboute P. M. de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions ;

Ordonne la mainlevée de la saisie-arrêt pratiquée à la requête de M. entre les mains de l'établissement bancaire dénommé Crédit Lyonnais, sur les fonds appartenant à feu H. E. N., suivant exploit de Maître Escaut-Marquet en date du 19 juin 1986 ;

Dit n'y avoir lieu de faire droit aux prétentions formulées par les défendeurs ;

Composition🔗

MM. Landwerlin, prés. ; Serdet, prem. subst. ; MMe Karczag-Mencarelli, Blot et J.-Ch. Marquet, av. déf. ; Jacquier, av. (Barreau de Paris) ; Lizzani, av. (Barreau de Nice).

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