Tribunal de première instance, 9 juin 1988, Époux R. c/ P.

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Abstract🔗

Bail à usage d'habitation

Exercice du droit de reprise - Locataire étranger résidant depuis plus de 10 ans - Conditions de l'article 30 de la loi n. 669 non remplies - Absence de résidence habituelle à Monaco depuis plus de 10 ans

Résumé🔗

Les époux demandeurs de nationalité italienne ayant un domicile en Italie, propriétaires d'un appartement situé à Monaco donné en location et disposant en Principauté d'une simple cave aménagée en pièce d'habitation qu'ils n'occupent pas de façon permanente et laquelle ne présente pas les critères normalement retenus pour être qualifiée de résidence habituelle, n'entrent pas dans l'une des catégories déterminées par l'article 30 de l'ordonnance-loi n. 669 du 17 septembre 1959 modifiée par la loi n. 888 du 25 juin 1970 pour pouvoir exercer un droit de reprise à l'encontre de leur locataire, notamment dans le cadre de la quatrième catégorie visant les étrangers résidant habituellement dans la Principauté depuis plus de 10 ans, et ce en raison du fait que le locataire est lui-même étranger y résidant habituellement depuis plus de 10 ans.


Motifs🔗

LE TRIBUNAL,

Attendu que suivant l'exploit susvisé, S. R. et son épouse J. G., tous deux de nationalité italienne, propriétaires à Monaco d'un appartement loué à P. P., de nationalité italienne, ont assigné ce dernier à l'effet que le tribunal :

  • les accueille en leur demande visant à bénéficier des dispositions de la loi n. 669 quant à la reprise de l'appartement loué ;

  • valide le congé pour ce délivré le 29 septembre 1979 à leur locataire ;

  • et prononce, en conséquence, l'expulsion de celui-ci de corps et de biens, ainsi que de tout occupant de son chef de l'appartement dont s'agit et ce, dans le mois de la signification du jugement à intervenir, au besoin avec le concours de la force publique sous astreinte de 200 F par jour de retard ;

Attendu qu'à l'appui de leur demande, les époux R. soutiennent :

  • qu'ils remplissent les conditions légales pour prétendre bénéficier des dispositions de la loi n. 669 du 17 septembre 1959 modifiée par la loi n. 888 du 25 juin 1970 ;

  • qu'en particulier, ils sont propriétaires de l'appartement qu'occupe P., suivant acte notarié du 8 mai 1972 ;

  • qu'après un délai de 6 ans, ils ont fait notifier à leur locataire un congé, par exploit d'huissier du 25 novembre 1979 d'avoir à quitter ledit appartement pour le 30 novembre 1980 ;

  • qu'ils résident habituellement dans la Principauté de Monaco depuis 1935 et y demeurent toujours à l'adresse suivante : Villa J., . ;

  • qu'à ce jour, le locataire P. refuse de quitter les lieux depuis 1980, bien qu'un échange de logement lui ait été proposé ;

Attendu que le défendeur P. s'oppose à l'exercice du droit de reprise par les demandeurs sur l'appartement dont il est locataire, en faisant observer que les époux R. ne remplissent plus la condition de résidence habituelle à Monaco depuis le 6 février 1973, date à laquelle ils ont vendu libre de tout occupant, l'appartement où ils résidaient alors, au ., pour se retirer en Italie, à Dolceacqua, ville sous la rubrique à laquelle ils figurent à l'annuaire téléphonique italien, en continuant de lui louer un appartement dont ils restaient propriétaires, mais après avoir pris soin de se réserver l'usage exclusif de la cave, ainsi qu'il en est fait état sur l'acte de vente notarié du 6 février 1973, et en avoir fait leur domicile fictif ;

Attendu qu'il verse aux débats un certain nombre de pièces par lesquelles il prétend établir que la résidence habituelle où les époux R. disent habiter est une cave sans fenêtre normale, sans boîte aux lettres, ni porte palière portant leur nom, ni téléphone, cave que le sieur R. considère comme telle, au vu des divers manuscrits datant de 1986, 1987 et 1988, versés aux débats et signés du demandeur ;

Attendu qu'enfin P. soutient que ses propriétaires, qui vivent en réalité en Italie depuis 15 ans, cherchent à effectuer une opération immobilière fructueuse en revendant, après avoir exercé leur droit de reprise par l'expulsion de son locataire de 84 ans, l'appartement libre de tout occupant ainsi qu'ils l'avaient déjà fait en février 1973 avec un autre appartement ;

Qu'en conséquence, il s'estime fondé à former une demande reconventionnelle en paiement de 50 000 F à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice moral et matériel subi par cette procédure abusive qui lui aurait causé un choc moral considérable, vu son âge, et lui aurait imposé un effort financier pour se défendre ;

Attendu que, par ailleurs, il déclare ne pas s'opposer en tant que de besoin, à une mesure avant dire droit ordonnant un transport sur les lieux du tribunal pour vérifier l'état de la cave où les demandeurs disent résider ;

Sur quoi,

Attendu qu'il est établi par les pièces versées aux débats :

  • que les demandeurs, les époux R., ont acquis le même jour, suivant actes notariés de l'étude de Maître Rey, en date du 8 mai 1972, deux appartements différents, situés au même étage de l'immeuble dénommé « Villa J. » sis au ., avec deux caves distinctes, le premier (le lot n° 16) étant celui qu'ils occupaient depuis de nombreuses années en qualité de locataires, le second (le lot n° 17) étant loué au sieur P., l'actuel défendeur ;

  • qu'ils ont vendu à un tiers, libre de tout occupant, suivant acte notarié de l'étude de Maître Rey, en date du 6 février 1973, l'appartement (lot n° 16) qu'ils avaient continué d'occuper jusqu'alors, ainsi que la cave afférente au logement, et ont conservé, en qualité de bailleurs, l'autre appartement (n° 17) avec le même locataire en obtenant l'accord de celui-ci pour qu'il leur laisse la libre disposition de la cave réservée à ce logement, et ce, à compter de février 1973 ;

Attendu que si les époux R. qui entendent se voir reconnaître pour eux-mêmes le droit de reprendre l'appartement occupé par leur locataire remplissent effectivement les conditions exigées par l'article 28 de l'ordonnance-loi n. 669 du 17 septembre 1959 modifiée par la loi n. 888 du 25 juin 1970, il n'apparaît pas, au vu des documents produits et des débats, qu'ils entrent dans l'une des catégories déterminées par l'article 30 de ladite ordonnance-loi, pour pouvoir exercer ce droit, notamment dans la 4e catégorie visant les étrangers résidant habituellement dans la Principauté depuis plus de 10 ans, et ce, en raison du fait que le locataire est lui-même étranger résidant habituellement depuis plus de 10 ans dans la Principauté ;

Attendu qu'en effet les demandeurs qui reconnaissent ne disposer depuis 1973 dans l'immeuble sis au . que « d'une pièce avec toilette » selon les termes du congé délivré au locataire en date du 29 novembre 1979, ne justifient pas qu'ils aient occupé ce local à Monaco de façon permanente depuis au moins 10 ans, alors qu'il est constant, au vu des notes manuscrites émanant de R. et adressées à P. P. dans les premiers jours de chaque trimestre pendant les années 1986 à 1988 dans les termes suivants, notamment : « P., je suis à la cave, voici le total des charges locatives », ainsi qu'au vu du relevé établi par le Cabinet de gestion S. fixant les charges locatives du 1er semestre 1987 calculées sur 65/10 000e pour la cave, à la somme de 36,65 F dont 12,60 F pour un forfait de 2 m3 d'eau froide, que les demandeurs ne résidaient qu'épisodiquement dans la pièce qu'ils s'étaient réservée dans cet immeuble ;

Attendu qu'il est également établi que ce local, défini dans les actes notariés et ministériels comme étant la cave d'un des appartements, ne présente pas les critères normalement retenus pour pouvoir être qualifié de résidence habituelle d'un couple en l'état d'un procès-verbal de constat dressé le 8 février 1988 par Maître Escaut-Marquet, huissier, relevant que ledit local n'est éclairé que par une ouverture grillagée, ne dispose d'aucune porte d'appartement, ni de boîte aux lettres avec le nom des occupants, ni de parlophone comme tous les appartements de l'immeuble, alors par ailleurs qu'un certificat, délivré le 24 novembre 1983 par le Docteur S. à la dame J. R. elle-même, précise que le local où celle-ci déclare demeurer, est en sous-sol, humide et insalubre ;

Attendu que le certificat de résidence délivré à S. R. le 20 novembre 1979 par la Direction de la sûreté publique aux fins de constitution d'un dossier ne peut être valablement retenu en l'espèce pour justifier d'une résidence habituelle pendant plus de dix ans au sens de l'ordonnance-loi n. 669 sur les locaux à usage d'habitation ;

Attendu qu'il s'ensuit que les époux R., de nationalité italienne, qui ne contestent pas être domiciliés en Italie à Dolceacqua (Imperia) ne peuvent bénéficier du droit de reprise qu'ils invoquent, faute de justifier à Monaco de la résidence habituelle requise par la loi susvisée ;

Attendu que la demande principale n'est pas, dès lors, fondée ;

Qu'il convient en conséquence de déclarer non avenu le congé délivré à P. le 29 septembre 1979 et de rejeter, en l'état, la demande tendant à faire prononcer l'expulsion du défendeur des lieux loués ;

Attendu, sur la demande reconventionnelle en dommages-intérêts présentée par P., que le tribunal estime abusive l'action exercée par les R. par son caractère manifeste de légèreté, qui est la cause d'un préjudice certain et actuel pour ce défendeur qui apparaît ainsi fondé en sa demande en dommages-intérêts ;

Attendu qu'il y a lieu, au vu des éléments d'appréciation dont dispose le tribunal, de condamner les époux R. à verser à P. la somme de 10 000 F à titre de dommages-intérêts ;

Dispositif🔗

PAR CES MOTIFS,

Le Tribunal,

Statuant contradictoirement,

Déclare les époux R. mal fondés en leur demande tendant à bénéficier pour eux-mêmes d'un droit de reprise sur un appartement loué à P. ;

Les en déboute ;

Condamne les demandeurs à payer à P. la somme de 10 000 F à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice subi ;

Déboute les parties du surplus de leur demande ;

Composition🔗

MM. Landwerlin, prés. ; Serdet, subst. ; MMe Sbarrato et Marquilly, av. déf.

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