Tribunal de première instance, 25 février 1988, S. c/ Dame M.

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Abstract🔗

Bail de locaux d'habitation

Démolition pour reconstruire - Droit de priorité des locataires évincés : article 35-2 de l'ordonnance-loi n. 669 - Droit ayant pour objet des locaux d'une importance supérieure aux anciens. - Prohibition - Nullité d'ordre public des conventions contraires

Résumé🔗

Aux termes du premier alinéa de l'article 35-2 de l'ordonnance-loi n. 669 du 17 septembre 1959 le droit de priorité reconnu aux locataires évincés provisoirement relogés s'applique à la location de locaux correspondant à leurs besoins normaux, sans que ces locaux soient d'une importance supérieure à ceux dont ils avaient été évincés.

Ces dispositions, comme l'ensemble du texte qui sont d'ordre public et n'autorisent pas de conventions contraires, font obstacle à une demande de mise à disposition d'un appartement d'une importance supérieure à celui qu'occupaient les locataires à l'origine.


Motifs🔗

LE TRIBUNAL,

Attendu qu'il n'est pas contesté que R. M., propriétaire d'un appartement sis ., a donné congé le 29 mars 1982 à ses locataires, les époux L. S., et les a relogés à titre provisoire dans des locaux sis ., conformément aux dispositions de l'article 25, modifié, de l'ordonnance-loi n. 669 du 17 septembre 1959, encore que ces locaux soient d'une importance supérieure à ceux dont les époux S. ont été évincés ;

Que, par lettre du 7 janvier 1983, R. M. s'est engagée à leur offrir, dans le cadre de l'article 35-2 de l'ordonnance-loi précitée « un droit de priorité... sur un appartement d'angle situé au 8e étage (de l'immeuble reconstruit) d'une superficie, balcons inclus, de 184 m2 », cette offre de relogement définitif ayant fait l'objet d'un accord de principe, selon lettre du même jour émanant de L. S. ;

Que, selon lettre avec demande d'avis de réception du 26 février 1987, R. M. en même temps qu'elle faisait connaître à S. l'achèvement de l'immeuble reconstruit et la délivrance du certificat d'habitabilité, lui proposait l'appartement ci-dessus décrit à la vente, au titre du droit de préemption de l'article 40 de l'ordonnance-loi n. 669, puis, sur son refus, lui précisait, selon lettre du 26 mars 1987, que les besoins normaux de sa famille pouvaient être estimés à 100 m2, en sorte qu'au-delà de cette superficie, le montant du loyer à prévoir pour la location du nouvel appartement devait être librement fixé et non plus calculé en fonction des règles relatives à la surface corrigée ;

Attendu que ces conditions de location - estimées contraires à la législation applicable - ont été contestées par les époux S. qui, par l'exploit susvisé, ont fait assigner R. M. devant le Tribunal de première instance auquel ils demandent de constater que les parties se sont accordées, selon échange de lettres du 7 janvier 1983, sur la mise à disposition à titre définitif de l'appartement d'angle du 8e étage de l'immeuble « . » reconstruit, de juger que cet accord est conforme aux dispositions légales et qu'il doit être considéré comme faisant la loi des parties, de constater - l'immeuble étant aujourd'hui habitable - que rien ne s'oppose à la délivrance de ces locaux à leur bénéfice, en qualité de locataires, mais que R. M. refuse de remplir ses obligations, de la condamner en conséquence à délivrer l'appartement sous huitaine et à défaut, au paiement d'une astreinte de 1 000 F par jour pour l'y contraindre, l'exécution provisoire du jugement à intervenir étant en outre sollicitée ;

Attendu que R. M., qui analyse ce contentieux en une contestation sur le prix du loyer - et donc sur les « besoins normaux », puisque ceux-ci conditionnent celui-là - dans la mesure où les époux S. prétendent obtenir un calcul du loyer à la surface corrigée pour l'ensemble des locaux proposés à titre de relogement définitif alors que cette méthode ne peut s'appliquer pour la partie desdits locaux excédant leurs besoins normaux, soulève l'incompétence de ce tribunal au profit de la juridiction du juge de paix ; qu'elle estime en effet que la connaissance des questions relatives aux besoins normaux ou à l'importance des locaux offerts est exclusivement attribuée par l'ordonnance-loi n. 669 au juge de paix, saisi à la requête de la partie la plus diligente, et qu'il appartient donc aux demandeurs - si, bien que propriétaires de biens à La Turbie, ils remplissent encore les conditions pour se prévaloir de la qualité de prioritaires - de faire trancher ce contentieux ;

Attendu que les époux S. considèrent, en réponse, qu'il s'agit d'apprécier une difficulté découlant de l'exécution d'une convention conforme à la loi et librement conclue le 7 janvier 1983 - laquelle ressortit à la compétence de ce tribunal -, convention par laquelle les parties ont admis que les besoins normaux de la famille S. impliquaient la mise à disposition de l'appartement précité de 184 m2 dont la superficie, comprenant les terrasses, n'est pas éloignée de celle de 130 m2 couverte par l'appartement du . dont ils ont été évincés ;

Que l'argumentation relative à leurs résidences secondaires leur apparaît dénuée de toute valeur pour l'appréciation du litige ;

Qu'ils demandent, dès lors, l'exécution de l'accord intervenu conformément aux textes en vigueur, en réitérant les termes de leur acte d'assignation ;

Sur quoi,

Attendu que le présent litige, qui commande d'apprécier la portée de l'accord conclu par lettre du 7 janvier 1983, ne s'inscrit pas dans le cadre envisagé par le dernier alinéa de l'article 35-2 de l'ordonnance-loi n. 669, en sorte que la procédure devant être menée devant le juge de paix, à laquelle renvoie cette disposition, n'a pas lieu d'être mise en œuvre en l'espèce et que l'exception d'incompétence soulevée par la défenderesse doit donc être rejetée ;

Attendu qu'aux termes du premier alinéa de l'article 35-2 précité, le droit de priorité reconnu aux locataires évincés provisoirement relogés s'applique à « la location de locaux correspondant à leurs besoins normaux, sans que ces locaux soient d'une importance supérieure à ceux dont ils avaient été évincés » ;

Attendu qu'à supposer établi - ce qui ne ressort pas des éléments du dossier, et en particulier de sa lettre du 7 janvier 1983 - que R. M. ait entendu mettre l'appartement, sis au 8e étage de l'immeuble reconstruit, à disposition des époux S. selon un prix de loyer calculé pour l'ensemble de sa superficie en fonction des règles édictées par les articles 14 et suivants de l'ordonnance-loi n. 669, et qu'elle ait donc implicitement admis que cet appartement correspond à leurs besoins normaux, cette défenderesse aurait ainsi conféré aux époux S. un droit que ne reconnaît pas l'article 35-2 aux locataires évincés puisqu'il est constant que l'appartement offert est d'une importance supérieure à celui qu'ils occupaient à l'origine ;

Attendu en conséquence que l'interdiction énoncée à ce propos par l'article 35-2, alinéa 1er - dont les dispositions, comme l'ensemble du texte, sont d'ordre public et n'autorisent pas de conventions contraires -, ferait en tout état de cause obstacle à la demande de mise à disposition de l'appartement sis au 8e étage de l'immeuble « . » formulée par les époux S. ;

Qu'il y a donc lieu de les débouter de ladite demande et de celles qui en sont la suite nécessaire ;

Attendu qu'il demeure que les demandeurs appartiennent - ce qui n'est pas contesté - à l'une des catégories visées à l'article 35 et que leur relogement doit être assuré par R. M., étant observé que la discussion relative à la qualité de prioritaires des époux S. apparaît hors de propos en la cause et par là même inopérante ;

Que le tribunal relève que la défenderesse admet que les époux S. ont un droit à relogement définitif dans l'immeuble « . » (cf. conclusions du 10 décembre 1987, p. 5 § IX) ;

Qu'il y a donc lieu de la renvoyer à l'accomplissement régulier des formalités prescrites par l'article 35-2, alinéa 2, en particulier quant à la désignation des locaux offerts, et de permettre ainsi aux parties de se conformer désormais aux dispositions légales prévues en la matière ;

Attendu que l'urgence incontestable en la cause commande d'ordonner l'exécution provisoire du présent jugement ;

Attendu que les parties, qui succombent respectivement en leurs prétentions, doivent être tenues par parts égales des dépens de l'instance ;

Dispositif🔗

PAR CES MOTIFS,

Le Tribunal,

Statuant contradictoirement,

Rejette l'exception d'incompétence soulevée ;

Déboute les époux S. de leurs demandes, fins et conclusions ;

Constate que R. M. offre de reloger les époux S. à titre définitif dans l'immeuble dénommé « . » ;

La renvoie à l'accomplissement régulier des formalités prescrites par l'article 35-2, alinéa 2, de l'ordonnance-loi n. 669, modifiée, du 17 septembre 1959, et à leur suite nécessaire ;

Ordonne l'exécution provisoire du présent jugement, nonobstant appel et sans caution ;

Composition🔗

MM. Landwerlin, prés. ; Serdet. subst. ; MMe Sbarrato et Léandri, av. déf.

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