Tribunal de première instance, 18 février 1988, Société des bains de mer et du cercle des étrangers c/ Dame S.

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Abstract🔗

Contrat de travail

Licenciement - Faute grave du salarié

Résumé🔗

Constituent une grave inconséquence s'analysant en une faute lourde motivant le licenciement, les agissements d'une employée d'un établissement hôtelier de grand luxe, expérimentée et exerçant la responsabilité de chef-gouvernante laquelle pénètre à l'improviste dans une chambre qu'elle savait occupée et met d'une manière équivoque la main sur un sac, de telle sorte que ces faits ont été susceptibles d'être perçus par les clients comme une violation de leur intimité voire de leur propriété et ont exposé l'employeur de la part de ceux-ci à des reproches justifiés portant atteinte à la réputation de l'établissement et altérant, après la répétition d'incidents sérieux, la confiance accordée à cette employée.


Motifs🔗

LE TRIBUNAL,

statuant comme juridiction d'appel du Tribunal du travail,

Attendu que, par jugement du 27 juin 1987, auquel il y a lieu de se reporter pour l'exposé des circonstances du litige, le Tribunal du travail, saisi par C. S. de demandes tendant à obtenir paiement de la somme globale de 196 299,50 F (dont 57 806 F et 72 257,52 F respectivement réclamés à titre d'indemnité de licenciement et de dommages-intérêts pour préjudice moral et matériel) par son ancien employeur, la Société des bains de mer, ci-après S.B.M., a dit que les griefs allégués par la S.B.M. ne constituent pas une faute grave, a jugé valable et non abusif le motif du licenciement de l'employée, a condamné la S.B.M. à lui payer :

  • 36 128,76 F à titre de préavis de 3 mois ;

  • 3 612,80 F à titre de congés payés sur préavis ;

  • 12 042,92 F à titre de 13e mois pour l'année 1986 ;

  • 14 451,50 F à titre d'indemnité de congédiement ;

soit : 66 235,98 F au total, a débouté C. S. du surplus de ses demandes et a condamné la S.B.M. aux dépens ;

Attendu que pour statuer ainsi, le Tribunal du travail, sur la faute grave alléguée par l'employeur, a relevé que le licenciement a essentiellement été provoqué par l'incident survenu le 30 septembre 1986 mais a considéré que « les débats et les pièces du dossier » montraient que l'honnêteté et l'honneur de l'intéressée n'étaient pas mis en cause par l'employeur ; que le tribunal a cependant estimé que C. S., en se plaçant dans une situation délicate et équivoque pouvant être mal interprétée par la clientèle, avait commis une faute, incontestable mais dénuée de gravité, qui, ajoutée aux « erreurs » commises depuis 1984, - certes constitutives de fautes, mais légères - lui ont fait perdre la confiance de la S.B.M. dont la décision de licenciement a, par conséquent, été dictée par un motif valable privatif de l'indemnité de licenciement et exclusif de dommages-intérêts pour rupture abusive du contrat, dès lors qu'il ne s'agissait pas d'un faux motif ou d'une sanction arbitraire ou préméditée ;

Que le tribunal a donc, sur le fondement des textes en vigueur, alloué les sommes précitées aux titres de l'indemnité de préavis, de l'indemnité de congés payés sur préavis et de l'indemnité de congédiement ;

Que, par ailleurs, le tribunal a déclaré fondé le chef de demande tendant à obtenir paiement du 13e mois, au motif que l'intéressée devait être considérée comme ayant travaillé toute l'année 1986, y compris pendant les trois derniers mois couverts par la période de préavis ;

Attendu que, par l'exploit susvisé du 15 juillet 1987, la S.B.M. a régulièrement fait appel dudit jugement - qui n'apparaît pas avoir été signifié - et sollicite la réformation de la décision du 25 juin 1987 en ce qu'elle a alloué les sommes précitées, alors que l'ensemble des manquements et comportements de C. S. au regard des responsabilités qui lui étaient confiées constitueraient, selon elle, une faute lourde exclusive de toute indemnité ; que la S.B.M. poursuit la confirmation du jugement pour le surplus et conclut au rejet des demandes de C. S. ;

Que la S.B.M. insiste sur l'importance des fonctions dont celle-ci était investie pour en déduire que la méconnaissance de ses obligations les plus élémentaires ne pouvait qu'entraîner la perte de confiance invoquée au soutien de la rupture du contrat de travail ;

Attendu que, pour sa part, C. S. demande la confirmation du jugement en ce qu'il n'a relevé aucune faute grave à son encontre (puisqu'il n'était pas dans ses intentions de fouiller le sac de la cliente, et que les autres griefs ne sont relatifs qu'à des incidents peu sérieux) et lui a par conséquent alloué les indemnités de préavis, de congés payés sur le préavis, de 13e mois et de congédiement ;

Qu'elle se porte appelante à titre incident pour obtenir paiement de l'indemnité de licenciement (57 806 F) et de dommages-intérêts pour rupture abusive (72 257,52 F) en reprochant à cet égard aux premiers juges une contradiction de motifs qui tiendrait à ce qu'ils ont à la fois reconnu qu'elle n'avait commis que des fautes légères et considéré ces mêmes fautes comme un motif valable de licenciement ; qu'elle relève encore le comportement abusif de l'employeur qui l'a licenciée arbitrairement avec effet immédiat en se prévalant d'incidents mineurs, alors que son travail donnait toute satisfaction par ailleurs ;

Sur quoi,

Attendu que les éléments du dossier ne permettent pas de tenir pour acquis, en dépit de ce qu'ont affirmé les premiers juges, que la S.B.M., eu égard aux agissements du 30 septembre 1986, n'avait pas mis en cause l'honnêteté et l'honneur de son employée ; que, toutefois, en l'absence de mention de plainte ou de dénonciation des faits aux autorités compétentes pourrait laisser présumer qu'il en était bien ainsi ;

Attendu, en tout état de cause, que C. S., en pénétrant sans annoncer sa venue et à l'insu des clients dans une chambre qu'elle savait occupée, puis en s'approchant du sac disposé dans la chambre, allant même jusqu'à y porter la main - et se faisant alors surprendre - a commis, quelles qu'aient pu être ses véritables intentions, une faute dont la nature apparaît avoir été mal appréciée par les premiers juges ;

Attendu en effet qu'au regard de son expérience et des fonctions à responsabilités qui lui étaient confiées en sa qualité de chef-gouvernante d'un établissement hôtelier de grand luxe, C. S. devait impérativement s'abstenir de commettre des agissements susceptibles d'être perçus par les occupants de la chambre comme une violation de leur intimité, voire de leur propriété, et faire au contraire en sorte de lever par avance, par un comportement approprié, toute équivoque de ce chef ; qu'en manquant à ces obligations élémentaires et en exposant par suite son employeur aux reproches, d'autant plus sérieux et graves qu'ils étaient justifiés, des clients concernés, avec les conséquences prévisibles résultant de cette atteinte à la réputation de l'hôtel, C. S. a fait montre à tout le moins d'une lourde inconséquence qui s'analyse en une faute grave au sens de la législation en vigueur, d'autant, pour le surplus, que cet épisode succédait à des incidents sérieux dont la répétition avait pu peu à peu altérer la confiance originaire de la S.B.M. en son employée ;

Attendu qu'il s'ensuit que cette faute grave, à juste titre considérée par les premiers juges comme essentiellement à l'origine de la rupture, constitue un motif valable de licenciement qu'il rend en l'espèce légitime, en sorte que c'est à bon droit que le Tribunal du travail a rejeté les demandes en paiement d'une indemnité de licenciement et de dommages-intérêts pour rupture abusive ;

Attendu que si le jugement doit donc être confirmé de ces chefs, il n'en va pas de même de ses autres dispositions qui, découlant de ce que le Tribunal du travail a jugé que les griefs invoqués ne constituaient pas une faute grave, encourent l'infirmation ;

Attendu, en effet, que l'existence d'une faute grave relevée à l'encontre d'un employé n'autorise pas à lui allouer l'indemnité de préavis ni celle de congés payés sur ledit préavis, pas d'avantage que l'indemnité de congédiement (art. 7 de la loi n. 729 du 16 mars 1963, art. 10, modifié par la loi n. 1054 du 8 novembre 1982, de la loi n. 619 du 26 juillet 1956, art. 1er de la loi n. 845 du 27 juin 1968) ;

Que, par ailleurs, il résulte du protocole d'accord versé aux débats, conclu le 11 mai 1971 entre l'Association de l'industrie hôtelière monégasque et le Syndicat des employés des hôtels, cafés, restaurants et bars que la prime dite de 13e mois, reconnue aux personnels des seuls « palaces », n'est pas due « à l'employé quittant volontairement son emploi en cours d'année ou licencié pour faute grave » ; qu'il n'est pas contesté que ce protocole, conclu au vu du procès-verbal de la Commission de conciliation des conflits collectifs du travail du 20 avril 1971, s'applique au cas d'espèce ; qu'il ne permet donc pas à C. S. de revendiquer le bénéfice de ladite prime ;

Attendu que les dépens suivent la succombance ;

Dispositif🔗

PAR CES MOTIFS,

Le Tribunal,

Statuant contradictoirement comme juridiction d'appel du Tribunal du travail,

Déclare les appels tant principal qu'incident réguliers en la forme ;

Au fond, confirme le jugement entrepris du 25 juin 1987 en ce qu'il a jugé valable le motif de licenciement de C. S. et non abusive la rupture du contrat de travail la liant à la S.B.M. ;

L'infirmant pour le surplus ;

Dit que C. S. a commis une faute grave ayant justifié son licenciement sans indemnité ;

La déboute en conséquence de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions ;

Composition🔗

MM. Landwerlin, prés. ; Serdet, subst. ; MMe J.-Ch. Marquet et Karczag-Mencarelli, av. déf.

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