Tribunal de première instance, 18 février 1988, L. et S. c/ S.C.I. Fortunelli, C.

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Abstract🔗

Enrichissement sans cause

Action « de in rem verso » - Conditions - Remboursement des impenses au locataire (non)

Résumé🔗

L'action « de in rem verso » fondée sur un principe d'équité s'oppose à ce que l'on puisse s'enrichir aux dépens d'autrui dans le cas où le patrimoine d'une personne s'étant trouvé, sans cause légitime, enrichi au détriment de celui d'une autre personne, cette dernière ne dispose, pour obtenir ce qui lui est dû, d'aucune action naissant d'un contrat ou d'un quasi contrat, d'un délit ou d'un quasi délit.

Lorsqu'un locataire réclame le remboursement des impenses qu'il s'était engagé contractuellement à exécuter à ses frais sans indemnisation, il demeure qu'une telle action ne saurait être admise, étant donné que l'enrichissement incriminé trouve son origine dans un titre juridique qui le justifie et que, par ailleurs, l'appauvrissement qui lui serait corrélatif procède de faits volontairement accomplis par le demandeur à l'action dans son intérêt personnel.


Motifs🔗

LE TRIBUNAL,

Attendu qu'à la suite d'une requête qu'ils avaient présentée sous la date du 16 décembre 1986 - dans laquelle ils exposaient avoir pris à bail, suivant acte enregistré, souscrit le 24 septembre 1980, un appartement de cinq pièces propriété de leur bailleresse, la Société Fortunelli, et y avoir effectué pour environ 120 000 F de travaux destinés à le rendre habitable - G. L. et son épouse, G. S., ont obtenu, d'une ordonnance présidentielle en date du 18 décembre 1986, l'autorisation de procéder à une saisie-arrêt des deniers détenus par Maître C., notaire, pour le compte de ladite société, à concurrence de la somme de 100 000 F correspondant au montant provisoirement évalué de la créance qu'ils invoquaient contre celle-ci au titre du remboursement des travaux ;

Attendu que, par l'exploit susvisé, signifié au tiers-saisi aux fins de sa déclaration affirmative, les époux L. ont assigné la Société Fortunelli en validité de la saisie pratiquée par le même exploit et en paiement du montant des causes de celle-ci ;

Que, dans leurs dernières conclusions, précisant de ce chef leur action, qu'ils ont déclarée fondée sur la théorie de l'enrichissement sans cause au motif que la société saisie avait, en vendant l'appartement qu'elle leur avait loué, tiré profit des aménagements qu'ils y avaient apportés, ils ont demandé paiement à cette société d'une somme de 120 000 F correspondant selon eux au coût des travaux dont s'agit (sauf l'abattement pouvant être appliqué pour tenir compte du temps passé depuis leur réalisation) et, par ailleurs, d'une somme de 30 000 F à titre de dommages-intérêts devant sanctionner la mauvaise foi dont la Société Fortunelli aurait fait preuve, dans l'exécution de ses relations contractuelles avec eux, en ne tenant pas compte de promesses verbales qu'ils allèguent de sa part et dont ils auraient escompté, ont-ils soutenu, un dédommagement de leurs débours ;

Attendu qu'en défense et selon le dernier état de ses écritures, la Société Fortunelli, niant toute réalité aux promesses verbales lui étant ainsi opposées, conclut au rejet des demandes des époux L., motif pris, essentiellement, de ce que ces derniers, auxquels elle réclame par ailleurs 50 000 F à titre de dommages-intérêts pour abus de procédure, avaient souscrit la location de l'appartement dont s'agit en déclarant accepter celui-ci dans l'état où il se trouvait, et de ce que la théorie de l'enrichissement sans cause ne saurait en l'espèce recevoir application en l'état de la convention de bail conclue, faisant la loi des parties, et alors, par ailleurs, que l'amélioration alléguée de l'appartement aurait eu pour objet premier de profiter d'abord aux locataires ;

Attendu que, pour sa part, Maître C. a déclaré, sous la date du 24 décembre 1986, qu'il ne détenait, depuis le 9 décembre précédent, aucune somme pour le compte de la Société Fortunelli ;

Sur quoi,

Attendu que, si l'action « de in rem verso », fondée sur le principe d'équité s'opposant à ce que l'on puisse s'enrichir aux dépens d'autrui, est admise dans le cas où, le patrimoine d'une personne s'étant trouvé, sans cause légitime, enrichi au détriment de celui d'une autre personne, cette dernière ne jouit, pour obtenir ce qui lui est dû, d'aucune action naissant d'un contrat ou d'un quasi contrat, d'un délit ou d'un quasi délit, il demeure qu'une telle action ne peut être reçue, en particulier, lorsque l'enrichissement incriminé trouve son origine dans un titre juridique qui le justifie et que, par ailleurs, l'appauvrissement qui lui serait corrélatif procède de faits volontairement accomplis par les demandeurs à l'action dans leur intérêt personnel ;

Attendu qu'en l'espèce, la convention de location conclue entre les parties le 24 septembre 1980 dispose notamment que les distributions, améliorations, décors et embellissements quelconques faits par les preneurs resteront à la bailleresse sans indemnité aucune ;

Attendu que ces dispositions sont de nature à justifier l'enrichissement reproché à la Société Fortunelli en raison des travaux dont s'agit à supposer, comme celle-ci le soutient, qu'ils répondent aux critères qui viennent d'être rappelés, en sorte que, de ce premier chef, l'action des époux L. doit être rejetée ; qu'il ne peut être utilement retenu, en effet, comme ces derniers le prétendent, que lesdits travaux n'auraient pas consisté en de simples améliorations pour s'être en réalité avérés indispensables à l'usage de l'appartement loué, puisque, le caractère nécessairement subsidiaire de la présente action commanderait alors de rejeter pareillement celle-ci, les demandeurs ayant pu en ce cas disposer d'une action préalable fondée sur l'obligation de leur bailleresse d'entretenir ledit appartement en état de servir à l'usage pour lequel il avait été loué, sauf dérogation du bail à cette obligation, qui justifierait d'autant l'enrichissement incriminé, étant relevé que les parties ne se sont pas expliquées sur l'existence d'une telle obligation en raison des termes actuels du litige que le tribunal ne saurait modifier ;

Attendu, par ailleurs, que les aménagements effectués par les époux L. durant le cours de leur bail ont été destinés d'abord à satisfaire leur confort, comme l'a justement estimé leur bailleresse ; qu'ayant ainsi agi à leurs risques et périls, en connaissant le caractère temporaire de leur occupation des lieux, et dans leur propre intérêt, ils ne peuvent être nullement admis à demander compte à quiconque de l'appauvrissement que les travaux ainsi réalisés auraient infligé à leur patrimoine, alors surtout que, durant la location dont ils ont bénéficié, ils en ont seuls retiré le profit ;

Que de ce deuxième chef, l'action « de in rem verso » qu'ils ont exercée doit être, de même, rejetée ;

Qu'ils doivent être, dès lors, déboutés de l'ensemble de leurs demandes, aucune faute ne pouvant, en particulier, être relevée à l'encontre de la Société Fortunelli du fait de l'inobservation prétendue de ses promesses qui n'apparaissent pas établies dans leur existence et qui, si elles l'avaient été, auraient fait échec à l'action dont le tribunal est saisi par le caractère de subsidiarité que celle-ci doit par principe revêtir ;

Attendu que, pour autant, la Société Fortunelli n'apparaît pas fondée en sa demande reconventionnelle de dommages-intérêts dirigée contre les époux L., dès lors que ceux-ci ont légitimement pu se méprendre en l'espèce sur la portée de leurs droits et alors, d'autre part, que ladite société n'a pas vu ses fonds immobilisés par la saisie-arrêt pratiquée suivant l'exploit susvisé, en l'état de la déclaration négative du tiers-saisi ;

Qu'il n'y a dès lors pas lieu de prononcer la mainlevée de ladite saisie-arrêt, au demeurant non demandée, faute de créance saisie-arrêt ;

Et attendu que les dépens du présent jugement doivent être supportés par les demandeurs principaux qui y succombent ;

Dispositif🔗

PAR CES MOTIFS,

Le Tribunal,

Statuant contradictoirement,

Donne acte au tiers-saisi de sa déclaration ;

Déboute les époux G. L. et G. S. de l'ensemble de leurs demandes, et la Société Fortunelli de sa demande reconventionnelle de dommages-intérêts ;

Composition🔗

MM. Landwerlin, prés. ; Serdet, subst. ; MMe Léandri et Sbarrato, av. déf.

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