Tribunal de première instance, 10 décembre 1987, Société Parfums Stern c/ B.

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Abstract🔗

Contrat de travail

Contenant une période déterminée suivie d'une période indéterminée - Interprétation - Possibilité de mettre fin au contrat à l'expiration de la première période

Résumé🔗

Le contrat par lequel les parties ont conclu un contrat de travail pour une période déterminée, d'une durée d'un an, sans période d'essai, à l'expiration de laquelle se poursuivra un contrat à durée indéterminée, ne saurait signifier que l'engagement initial devait être suivi, de manière obligatoire et automatique d'un contrat à durée indéterminée, mais bien au contraire, au regard du principe de la liberté des conventions, que consacre en la matière l'article 2 de la loi n° 729 du 16 mars 1963, et des règles gouvernant l'interprétation des contrats, que les parties, après avoir convenu d'un contrat à durée déterminée d'une année, ont, envisagé à l'expiration de cette période et dans un second temps la poursuite de leurs relations pour une durée indéterminée, cette fois, mais seulement dans la mesure où chacune d'elles l'aurait souhaitée.


Motifs🔗

LE TRIBUNAL,

statuant comme juridiction d'appel du Tribunal du travail,

Attendu que saisi du litige opposant Y. B. à son ancien employeur la société dénommée Parfums Stern, le Tribunal du travail, par jugements en dates des 13 juin 1985 et 26 juin 1986 auxquels il y a lieu de se reporter pour plus ample exposé des éléments de la cause, après s'être déclaré compétent pour connaître dudit litige, a déclaré fondée la demande en paiement de l'indemnité contractuelle et forfaitaire de licenciement équivalente à six mois de salaires bruts, a donc condamné la Société Parfums Stern à payer à ce titre à B. la somme de 188 000 F, mais a débouté le demandeur du surplus de ses prétentions visant à obtenir une indemnité compensatrice de préavis, une indemnité de congés payés et des dommages-intérêts pour licenciement abusif ;

Attendu que le jugement précité du 26 juin 1986 énonce :

  • que l'engagement contractuel prévu pour une durée d'une année constituait une convention à durée déterminée prenant fin à l'arrivée du terme convenu, sans nécessité d'un congé, conformément aux dispositions de l'article 12 de la loi n° 729 du 16 mars 1963 sur le contrat de travail ;

  • que ce contrat a pris fin de plein droit le 31 octobre 1980 ;

  • que l'employeur s'était d'autre part engagé à renouveler ce contrat à son expiration, pour une durée indéterminée cette fois, avec faculté de résiliation sans préavis de 6 mois ;

  • que ce préavis de 6 mois ne s'appliquant qu'au contrat renouvelé pour une durée indéterminée, la demande formée de ce chef par B., à qui l'employeur a notifié suffisamment à l'avance que les liens de travail ne se poursuivraient pas au-delà du 31 octobre 1980, n'avait pas lieu d'être accueillie ;

  • que le fait, pour la société employeur, de n'avoir pas poursuivi après cette date la relation de travail pour une durée indéterminée constituait une rupture ouvrant droit en revanche à l'indemnité forfaitaire de licenciement prévue au contrat ;

  • mais que les dommages-intérêts réclamés n'étaient pas dus en l'absence de contrat à durée indéterminée effectivement conclu entre les parties ;

Attendu que la Société Parfums Stern, qui, en appel, poursuit l'infirmation du jugement du 26 juin 1986 en ce qu'il l'a condamnée à payer à B. l'indemnité de 188 000 F précitée, reproche aux premiers juges d'avoir dénaturé la convention des parties en y décelant à tort un engagement de l'employeur de renouveler le contrat pour une durée indéterminée à l'issue de la première année, et estime que l'article 4-3° de ladite convention prévoyant une indemnité forfaitaire de licenciement ne devait s'appliquer qu'au cas de rupture du contrat - à distinguer de celui de l'espèce, constituant un non-renouvellement à l'expiration du terme -, soit dans la seule hypothèse où, après l'expiration de sa durée déterminée, le contrat aurait été reconduit pour une durée indéterminée pour être ensuite rompu par l'employeur ;

Attendu que B. considère pour sa part que la convention conclue entre les parties s'analyse de façon incontestable en un contrat à durée indéterminée dès l'origine, ayant pour effet de lui garantir pendant une année emploi et salaire, toute idée de renouvellement étant exclue et s'effaçant devant celle de confirmation du contrat à durée indéterminée ;

Qu'il conclut en conséquence au maintien du jugement entrepris en ce qu'il lui a alloué l'indemnité conventionnelle de licenciement et forme appel incident pour le surplus, à l'effet d'obtenir paiement des autres indemnités et dommages-intérêts initialement réclamés ;

Qu'à titre subsidiaire, si le tribunal estimait que le contrat de travail traite à la fois d'un contrat à durée déterminée d'une année et d'un engagement formel de l'employeur de poursuivre la relation de travail, pour une durée indéterminée, à l'expiration de cette période, B. demande alors la confirmation pure et simple du jugement du 26 juin 1986 ;

Sur quoi,

Attendu que la régularité des appels, tant principal qu'incident, n'a pas été contestée ; qu'il y a donc lieu de les déclarer recevables en la forme ;

Attendu, au fond, que la clause par laquelle les parties ont convenu que l' « engagement (de B.) prendra effet le 1er novembre 1979, pour une durée déterminée d'une année, sans période d'essai » ne souffre aucune discussion, par la clarté de ses termes, et montre que dans un premier temps, les parties ont entendu conclure un contrat de travail à durée déterminée pour la période du 1er novembre 1979 au 31 octobre 1980 ;

Attendu que les dispositions qui font suite à cette clause, ainsi conçues :

« à l'expiration de cette période, il se poursuivra pour une durée indéterminée à laquelle il pourra être mis fin... à l'expiration d'un préavis de six mois... Au cas où la rupture du contrat de travail serait due au fait de (la) société et hors les cas... de faute grave, ...une indemnité forfaitaire de licenciement (serait allouée à l'employé) »

ne permettent en aucune manière de déduire que l'employeur s'est engagé à poursuivre les relations de travail pour un temps indéterminé à l'expiration de la période s'achevant le 31 octobre 1980 ;

Que, par ailleurs, aucun élément du dossier n'autorise à penser que les parties ont entendu - contrairement à ce qu'elles ont clairement convenu - conclure dès l'origine un contrat à durée indéterminée, ou encore que l'employeur se soit obligé, advenant le terme du 31 octobre 1980, à conclure un tel contrat au bénéfice de B. ; qu'à cet égard, les premiers juges ne sauraient être suivis en leur analyse, dès lors que la poursuite de l'engagement au-delà de la première période ne revêt pas le caractère obligatoire qu'ils lui ont conféré, en procédant d'ailleurs par simples affirmations de ce chef ;

Qu'il doit, au contraire, être déduit à la fois du principe de la liberté des conventions - que consacre en la matière l'article 2 de la loi n° 729 précitée - et des règles gouvernant l'interprétation des contrats, que les parties, après avoir convenu d'un contrat à durée déterminée d'une année, ont, à l'expiration de cette période et dans un second temps, contractuellement envisagé la poursuite de leurs relations, pour une durée indéterminée cette fois, mais seulement dans la mesure où chacune d'elles l'aurait souhaité ;

Qu'aucun argument sérieux ne saurait être avancé pour soutenir la thèse selon laquelle l'engagement initial devait être suivi, de manière obligatoire et automatique, d'un contrat à durée indéterminée ;

Que, si les parties ont pris soin de convenir d'abord de relations limitées dans le temps, c'est pour se réserver au contraire la faculté de part et d'autre de cesser sans formalité lesdites relations à leur terme contractuel et de ne pas alors conclure de façon tacite un contrat distinct à durée indéterminée ;

Qu'en décider autrement reviendrait à priver de sens et d'effet la clause relative à l'engagement déterminé dans le temps, ainsi d'ailleurs que celle ayant trait à l'indemnité contractuelle de licenciement allouée en cas de rupture du fait de l'employeur ;

Attendu, en conséquence, qu'à défaut d'obligation pour l'employeur de poursuivre les relations contractuelles après la première période annuelle, il ne saurait lui être imputé la responsabilité d'une quelconque rupture, le contrat de travail liant les parties ayant cessé à son terme, comme il a été dit, et aucun lien contractuel n'unissant plus les parties après le 31 octobre 1980, date au-delà de laquelle l'employeur a estimé ne plus devoir poursuivre de relations avec B., qu'il avait pris le soin de prévenir suffisamment à l'avance ;

Qu'il s'ensuit que le jugement entrepris doit être infirmé en ce qu'il a alloué 188 000 F à titre d'indemnité contractuelle de licenciement et confirmé pour le surplus, mais sur la base de la présente motivation ;

Attendu que les dépens de première instance et d'appel doivent être laissés à la charge de B. en l'état de sa succombance ;

Dispositif🔗

PAR CES MOTIFS,

Le Tribunal,

Statuant comme juridiction d'appel du Tribunal du travail par jugement contradictoire,

Déclare les appels, tant principal qu'incident, recevables en la forme ;

Au fond, infirme le jugement du 26 juin 1986 en ce qu'il a déclaré fondée la demande en paiement de l'indemnité contractuelle de licenciement et condamné la Société Parfums Stern à payer à ce titre à Y. B. la somme de 188 000 F ;

Le confirme, au bénéfice des motifs ci-dessus énoncés, pour le surplus ;

Composition🔗

MM. Landwerlin, prés. ; Serdet, subst. ; MMe Boéri et Sbarrato, av. déf. ; Cohen et Martin-Comnène, av. (Barreau de Paris).

Note🔗

Par arrêt du 14 juin 1988, la Cour de révision a déclaré B. déchu de son pourvoi.

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