Tribunal de première instance, 12 novembre 1987, Société des Bains de Mer c/ L.

  • Consulter le PDF

Abstract🔗

Contrat de travail

Pouvoir disciplinaire de l'employeur - Notion - Contrôle des juridictions du travail - Recours en annulation et non en réformation - Vice de la procédure disciplinaire : seule sanction : dommages-intérêts

Résumé🔗

La fonction de direction confère, comme corollaire, au chef d'entreprise le droit d'exercer, outre un pouvoir réglementaire, un pouvoir disciplinaire, qui, en tant qu'il est principalement fondé sur des exigences de nature institutionnelle, propres à l'activité économique de l'entreprise - encore qu'il puisse être régi dans ses modalités d'application par des conventions collectives ou particulières, d'essence contractuelle - s'exerce librement sous la seule réserve du contrôle ultérieur des tribunaux.

Le législateur a consacré, en son principe, l'existence d'un tel pouvoir dans la loi n. 711 du 18 décembre 1961, laquelle prévoit une simple faculté pour l'employeur de déterminer par un règlement intérieur les mesures d'ordre et de discipline applicables à son personnel, - à moins qu'il n'utilise les services de plus de dix salariés - et le laisse, même en ce dernier cas, libre des incriminations, sinon des sanctions, applicables aux salariés placés sous sa direction, sauf pour l'application d'amendes.

Le contrôle judiciaire de l'exercice par le chef d'entreprise de son pouvoir disciplinaire ne saurait, par principe, être limité aux seuls abus de droit relevant d'une intention de nuire ou d'une légèreté blâmable, mais est destiné, selon la jurisprudence, à sanctionner tout exercice du pouvoir disciplinaire dont l'objet ne serait pas le bon fonctionnement de l'entreprise, ce qui implique, notamment, le contrôle de l'existence matérielle de la faute invoquée au soutien de la mesure disciplinaire appliquée, et celui de la corrélation de principe devant exister entre la sanction prononcée et la faute commise, étant cependant précisé que le fait que le grief allégué serait ou non suffisant pour justifier la sanction, est laissé par la jurisprudence à la seule appréciation de l'employeur, sauf détournement de pouvoir de sa part.

Dans cette perspective interdisant aux juridictions de se substituer au chef d'entreprise, le recours judiciaire contre les mesures disciplinaires d'un employeur s'analyse en une voie d'annulation et non de réformation dont seules peuvent être saisies les juridictions du travail, en vertu des articles 1er et 54 de la loi n. 446 du 16 mai 1946.

Il est de règle jurisprudentielle que la méconnaissance par l'employeur des dispositions relatives aux procédures disciplinaires prévues, comme en l'espèce par des conventions collectives, expose celui-ci à des dommages-intérêts dans le cadre de la responsabilité contractuelle et non point à l'annulation de la mesure disciplinaire.


Motifs🔗

LE TRIBUNAL,

Attendu que J. L., qui est, depuis août 1980, lié à la « Société des bains de mer et du cercle des étrangers » (S.B.M.) par un contrat de travail reconduit, en vertu duquel il occupait en 1985 un emploi d'« inspecteur au secrétariat des entrées » du Casino de Monte-Carlo, a, sous la date du 21 janvier 1986, saisi le bureau de jugement du Tribunal du travail d'une demande, dirigée contre son employeur, tendant :

  • d'une part, à l'annulation d'une décision de celui-ci prise le 7 juin 1985 sous le n° 71-85 (et non pas le 5 juin 1985 sous le n° 71-83, comme indiqué par erreur) par laquelle, sur le vu d'un procès-verbal, daté du 5 juin précédent, de la commission du personnel siégeant disciplinairement, il avait été mis à la disposition du chef de département du bureau central d'exploitation en qualité de manutentionnaire, avec le salaire de base correspondant ;

  • et, d'autre part, à ce que soit en conséquence ordonnée, sous astreinte, sa réintégration dans ses précédentes fonctions, avec le salaire y afférent et à partir, rétroactivement, du 12 juin 1985 ;

Attendu que, rappelant qu'un contrôle de caisse avait eu lieu dans la nuit du 18 au 19 mai 1985 relatif à son service, L. a fait valoir à ce propos, au Tribunal du travail, qu'aucun fait fautif n'en était résulté à son encontre - contrairement à ce qu'avait soutenu la S.B.M. - susceptible de justifier la mesure de rétrogradation l'ayant frappé, et, par ailleurs, que celle-ci était le fruit d'une procédure irrégulièrement conduite comme ayant porté atteinte aux droits de sa défense ;

Attendu que, contestant ces deux moyens, la S.B.M. a, principalement, demandé au Tribunal du travail de se déclarer incompétent pour prononcer une annulation de la décision précitée n° 71-85 et, subsidiairement, de dire, pour l'essentiel, justifiée la sanction disciplinaire prise envers L. ;

Attendu que le Tribunal du travail a jugé, le 5 février 1987, qu'était irrecevable l'exception d'incompétence soulevée par la S.B.M. et, par ailleurs, prononcé, en la forme, l'annulation de la décision attaquée, (devant s'entendre au regard des motifs du jugement comme de celle susvisée n° 71-85) et dit, en l'état, n'y avoir lieu de statuer sur le fond ;

Attendu que par l'exploit susvisé la S.B.M. a régulièrement formé appel de ce jugement auquel elle fait grief d'avoir confondu la décision disciplinaire et l'avis préalable de la commission du personnel, d'avoir rejeté l'exception d'incompétence soulevée, et d'avoir, enfin, retenu l'existence d'un manquement aux dispositions de l'article 22 de la convention collective du 13 novembre 1946, applicable en l'espèce, pour annuler la décision dont s'agit alors que, si une irrégularité avait été commise de ce chef, seule la procédure préalable à cette même décision aurait pu être annulée ;

Attendu que, concluant en défense, J. L. a, pour sa part, demandé la confirmation du jugement entrepris, en reprenant en substance ses moyens de première instance ;

Sur quoi,

Attendu que l'entreprise constitue une communauté humaine hiérarchisée dans laquelle la fonction de direction confère, comme corollaire, au chef d'entreprise le droit d'exercer, outre un pouvoir réglementaire, un pouvoir disciplinaire qui, en tant qu'il est principalement fondé sur des exigences de nature institutionnelle, propres à l'activité économique de l'entreprise - encore qu'il puisse être régi dans ses modalités d'application par des conventions collectives ou particulières, d'essence contractuelle - s'exerce librement sous la seule réserve du contrôle ultérieur des tribunaux ;

Attendu que le législateur a consacré, en son principe, l'existence d'un tel pouvoir dans la loi n. 711 du 18 décembre 1961, laquelle prévoit une simple faculté pour l'employeur de déterminer par un règlement intérieur les mesures d'ordre et de discipline applicables à son personnel - sauf s'il utilise les services de plus de 10 salariés - et le laisse, même en ce dernier cas, libre des incriminations, sinon des sanctions, applicables aux salariés placés sous sa direction, sauf pour l'application d'amendes ;

Attendu qu'il en résulte que le contrôle judiciaire de l'exercice ce par le chef d'entreprise de son pouvoir disciplinaire ne saurait, par principe, être limité aux seuls abus de droit relevant d'une intention de nuire ou d'une légèreté blâmable, comme tel serait le cas en matière contractuelle, mais est destiné, selon la jurisprudence, à sanctionner tout exercice du pouvoir disciplinaire dont l'objet ne serait pas le bon fonctionnement de l'entreprise, ce qui implique, notamment, le contrôle de l'existence matérielle de la faute invoquée au soutien de la mesure disciplinaire appliquée, et celui de la corrélation de principe devant exister entre la sanction prononcée et la faute commise, étant cependant précisé que le fait que le grief allégué serait ou non suffisant pour justifier la sanction, est laissé par la jurisprudence à la seule appréciation de l'employeur, sauf détournement de pouvoir de sa part ;

Attendu que dans cette perspective interdisant aux juridictions de se substituer au chef d'entreprise, le recours judiciaire contre les mesures disciplinaires d'un employeur s'analyse en une voie d'annulation, et non de réformation, dont seules peuvent être saisies les juridictions du travail, ce, en vertu des articles 1er et 54 de la loi n. 446 du 16 mai 1946 ;

Attendu qu'il s'ensuit qu'en l'espèce l'exception d'incompétence soulevée devant les premiers juges n'était pas fondée en tant qu'elle tendait, selon les conclusions de la S.B.M., datées du 12 décembre 1986, à dénier compétence au Tribunal du travail pour prononcer l'annulation d'une décision relevant d'un pouvoir disciplinaire régulièrement exercé, étant ici observé, cependant, que la méconnaissance par l'employeur des dispositions relatives aux procédures disciplinaires prévues, comme en l'occurrence, par des conventions collectives, n'est sanctionnée par la jurisprudence que sur la base des règles de la responsabilité contractuelle ce qui s'oppose, au cas où une telle méconnaissance serait établie, à l'annulation de la mesure disciplinaire irrégulière puisque seuls des dommages-intérêts pourraient être alors alloués pour réparer le préjudice prouvé du salarié ;

Que dès lors, et sous cette réserve, le jugement entrepris doit être confirmé du chef du rejet de l'exception d'incompétence précitée ;

Et sur ce,

En la forme

Attendu qu'ainsi qu'il vient d'être rappelé, l'irrégularité procédurale de la sanction l'ayant frappé, qui résulterait de l'inobservation, retenue par les premiers juges, des dispositions de l'article 22 de la convention collective du 13 novembre 1946 applicable en l'espèce, ne saurait se traduire pour L. que par des dommages-intérêts - au demeurant non réclamés dans la présente instance - à supposer qu'un préjudice de ce chef soit expressément allégué, ce qui n'est pas le cas en l'occurrence puisque L. s'est borné, en cause d'appel, à invoquer à cet égard une tardiveté de sa convocation devant la commission du personnel pour en déduire que la sanction proposée par cette commission, et prononcée en définitive, serait nulle ; que sa demande d'annulation ainsi formulée doit être en conséquence rejetée, le jugement entrepris devant être, de ce chef, infirmé ;

Au fond

Attendu que, par ailleurs, la nullité de la décision dont s'agit, n° 71-85, ne saurait être présentement prononcée, comme il a été demandé, pour défaut de justification de la sanction qu'elle comporte, dès lors qu'en l'absence de tout détournement de pouvoir de l'employeur qui serait avéré, et qui n'a pas été, au demeurant, allégué, une telle sanction apparaît correspondre à un comportement fautif établi, de la part de L., par la vérification comptable opérée dans son service durant la nuit du 18 au 19 mai 1985 qui a incontestablement révélé une absence de correspondance entre, d'une part, le montant des recettes de ce service découlant de la vente d'entrées et le nombre d'entrées vendues, en sorte que l'employeur a pu légitimement estimer devoir écarter L. du contact de la clientèle ;

Que la décision des premiers juges ayant dit n'y avoir lieu de statuer au fond doit être en conséquence pareillement infirmée ;

Et attendu que L. qui succombe doit supporter les dépens ;

Dispositif🔗

PAR CES MOTIFS,

Le Tribunal,

Statuant comme juridiction d'appel du Tribunal du travail,

Reçoit la Société des bains de mer et du cercle des étrangers (S.B.M.) en son appel du jugement du Tribunal du travail rendu le 5 février 1987 ;

L'y disant partiellement fondée ;

Confirme le jugement entrepris en ce qu'il a rejeté l'exception d'incompétence formulée par la Société des bains de mer dans les termes ci-dessus rapportés ;

L'infirmant pour le surplus ;

Déclare J. L. mal fondé en sa demande d'annulation de la décision disciplinaire susvisée, n° 71-85 du 7 juin 1985 ;

Composition🔗

MM. Landwerlin, prés. ; Serdet, subst. ; MMe J.-Ch Marquet et Lorenzi, av. déf.

  • Consulter le PDF