Tribunal de première instance, 29 octobre 1987, Dame veuve F. c/ Époux F.

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Abstract🔗

Locaux d'habitation

Exercice du droit de reprise (ordonnance-loi n. 669) - Appréciation des besoins normaux au jour du congé régulièrement notifié - Opposition à l'exercice de ce droit - Preuve incombant au locataire dans le cadre de l'article 30

Résumé🔗

C'est au jour de la notification du congé régulièrement donné conformément à l'article 28 de l'ordonnance-loi n. 669 que le tribunal doit apprécier si le propriétaire qui exerce le droit de reprise justifie que l'occupation du local répond pour lui ou le bénéficiaire à des besoins normaux, condition requise à peine de nullité de la procédure par le paragraphe 3 de l'article susvisé.

Le locataire, se fondant sur l'article 30 de l'ordonnance-loi n. 669 pour faire échec au droit de reprise, doit rapporter la preuve que le propriétaire aurait pu utilement exercer son droit à l'encontre d'un autre locataire d'un appartement, soumis à cette législation, n'entrant pas dans l'une des catégories visées à l'article 30.


Motifs🔗

LE TRIBUNAL,

Attendu que par acte de Maître Escaut-Marquet, huissier à Monaco, N. M. veuve F., propriétaire d'un appartement sis au premier étage de l'immeuble dénommé « Villa M. », a fait donner congé à ses occupants, les époux F., pour la date du 31 août 1985, et manifesté son intention de reprendre ledit appartement pour le faire occuper par son fils S. F. et sa famille ;

Attendu que les époux F. s'étant maintenus dans les lieux, la dame F. les a fait assigner selon exploit du 22 janvier 1986, pour obtenir la « validation », avec toutes conséquences de droit, du congé précité et leur expulsion de l'appartement dont s'agit, ainsi que celle de tous occupants de leur chef, ce, sous le bénéfice de l'exécution provisoire du jugement à intervenir ;

Que la demanderesse sollicite en outre qu'il lui soit donné acte de ses réserves de réclamer ultérieurement réparation du préjudice que lui cause la résistance abusive des époux F. ;

Attendu qu'en réponse, les époux F. font valoir principalement que la demanderesse qui invoque son état de santé déficient et la nécessité de bénéficier de la présence à ses côtés de membres de sa famille réside en fait elle-même toute seule dans un très grand appartement de 6 pièces où elle pourrait loger son fils et sa famille ;

Qu'ils exposent en outre que N. F. est propriétaire dans le même immeuble d'un troisième appartement qui a été récemment libéré et dans lequel elle aurait pu loger son fils et les siens ;

Que les époux F. considèrent dès lors que les conditions légales édictées par les articles 29 et 30 de la loi n. 669 du 17 septembre 1959 n'ayant pas été respectées il y a lieu de ne pas valider le congé à eux signifié le 28 août 1984 et de débouter N. F. des fins de sa demande ;

Attendu qu'en réplique N. F. soutient que l'occupation du local dont s'agit répond pour son fils, sa belle-fille et leur enfant âgé de six ans, à des besoins normaux et qu'il ne saurait être imposé à ceux-ci de résider dans son propre appartement, lequel en dépit de ses dimensions ne peut satisfaire les besoins d'un couple avec un jeune enfant rentrant dans le cycle scolaire, qui doit avoir une chambre personnelle ;

Qu'elle précise en outre que si elle est bien propriétaire dans l'immeuble sis au . d'un autre appartement donné à bail, celui-ci ne relève nullement de la loi n. 669, ainsi qu'en attestent les divers contrats de bail versés par elle aux débats ; que dès lors, N. F. s'estime fondée à dire qu'à la date du congé elle ne possédait aucun autre locataire à l'encontre duquel elle aurait pu exercer utilement un droit de reprise, tel que régi par la loi du 17 septembre 1959 ;

Qu'elle rappelle enfin au plan du fait que tant son âge que son état de santé rendent de plus en plus nécessaire la présence de sa famille à ses côtés ;

Sur quoi,

Attendu qu'il convient au préalable de rappeler que N. F. est bien propriétaire de l'appartement loué aux époux F., sis au 1er étage de la « Villa M. », pour l'avoir acquis suivant acte passé par devant Maître Louis Aureglia, notaire à Monaco, le 16 janvier 1983, lequel est en outre soumis de l'aveu des parties aux dispositions de l'ordonnance-loi n. 669 du 17 septembre 1959 ;

Qu'elle justifie également avoir notifié le congé dont s'agit aux époux F. 12 mois à l'avance dans les formes de droit et l'avoir signifié, avec les pièces requises, au Ministère d'État ;

Attendu qu'il est par ailleurs de principe que c'est au jour de la notification du congé, soit au 28 août 1984, que le tribunal doit apprécier si le propriétaire justifie que l'occupation du local répond pour lui ou le bénéficiaire à des besoins normaux - condition requise à peine de nullité de la procédure par l'article 28 paragraphe 3 de l'ordonnance-loi du 17 septembre 1959 modifiée ;

Qu'il ressort à cet égard des pièces produites qu'à cette date, le fils de la propriétaire S. F. était marié et père d'un enfant alors âgé de trois ans, et demeurait avec ces derniers au ., ainsi qu'en atteste le certificat de résidence versé à la procédure ; qu'en outre, l'exiguïté dudit local qui contraignait S. F. à faire dormir son fils dans la salle à manger n'a pas été contestée par les défendeurs ;

Qu'il est également constant que les locaux actuellement occupés par les époux F. sont constitués par un salon, trois chambres, une cuisine et un W.C. et apparaissent plus en mesure de répondre aux besoins normaux d'un couple ayant un enfant actuellement d'âge scolaire devant posséder sa propre chambre ;

Attendu par ailleurs qu'en alléguant que N. F. avait dans le même immeuble d'autres locataires à l'encontre desquels elle aurait pu exercer son droit de reprise, les époux F. apparaissent se fonder sur les dispositions de l'article 30 de la loi n. 669 du 17 septembre 1959, et ce, bien qu'ils ne précisent nullement les circonstances de fait s'opposant à la reprise que vise cet article, et notamment la catégorie dans laquelle ils estiment rentrer en leur qualité d'occupant de nationalité étrangère ;

Attendu néanmoins qu'il s'induit des dispositions de ce texte - lequel inséré dans une loi d'exception doit faire l'objet d'une interprétation stricte - que le droit de reprise ne saurait être en l'espèce exercé à l'encontre des époux F. si la propriétaire avait, à Monaco, un locataire n'entrant pas dans l'une des catégories prévues par la loi à l'encontre duquel la reprise pourrait être utilement exercée ;

Attendu que le terme de « reprise » ainsi visé ne doit s'entendre que du droit édicté et défini par l'article 26 de l'ordonnance-loi n. 669 devant permettre au propriétaire d'un local régi par ladite loi de faire échec au droit au maintien dans les lieux de l'occupant ;

Qu'il convient dès lors de déterminer si N. F. avait à Monaco un autre locataire d'un appartement soumis aux dispositions de la même loi n. 669 à l'encontre duquel elle aurait pu utilement exercer son droit de reprise, dès lors que celui-ci ne serait pas pour sa part - et ce, contrairement aux époux F. - rentré dans une des catégories visées à l'article 30 ;

Attendu à cet égard que si la demanderesse est bien propriétaire au . d'un autre appartement loué jusqu'à l'année 1986 aux époux J., il s'évince toutefois des circonstances de l'espèce que ledit local ne relève pas des dispositions de l'ordonnance-loi n. 669 du 17 septembre 1959 et donc du secteur dit « protégé », ce qui ressort en effet tant de l'acte de bail en date du 15 juin 1981, régulièrement enregistré, que des quittances de loyer produites aux débats par la demanderesse ;

Qu'il s'ensuit que les époux F. n'établissent nullement au regard de l'analyse qui précède que N. F. aurait pu utilement exercer à l'encontre d'un autre locataire le droit de reprise régi par l'ordonnance-loi n. 669, et ce, dès lors qu'il n'est pas même démontré en l'état que la demanderesse soit propriétaire d'un autre local soumis auxdites dispositions légales ;

Qu'il n'y a dès lors pas lieu de faire droit à l'exception de déchéance tirée de l'article 30 et soulevée par les défendeurs pour faire échec au droit de reprise exercé à leur encontre par N. F. ;

Attendu en conséquence qu'en l'état des éléments soumis à l'appréciation du tribunal, il apparaît que la procédure en vue d'exercer le droit de reprise a été régulièrement suivie par les codemandeurs dans le respect des dispositions légales applicables et qu'il doit être fait droit aux fins de la demande de N. F. ;

Attendu enfin que l'urgence n'apparaissant pas caractérisée en l'espèce, il n'y a pas lieu de faire droit à la demande d'exécution provisoire de la présente décision formulée par la dame F. ;

Attendu que les dépens suivent la succombance ;

Dispositif🔗

PAR CES MOTIFS,

Le Tribunal,

Statuant contradictoirement,

Déclare régulier et valide avec toutes conséquences légales le congé aux fins de reprise signifié le 28 août 1984, à effet du 31 août 1985, par N. F. aux époux F. pour l'appartement qu'ils occupent au 1er étage de l'immeuble sis au . ;

Accorde aux époux F. un délai de 4 mois à compter de la signification du présent jugement pour libérer les lieux ;

Ordonne qu'à l'expiration de ce délai, à défaut de ce faire, ils pourront être expulsés de corps et de bien ainsi que tous occupants de leur chef, au besoin avec l'assistance de la force publique ;

Composition🔗

MM. Landwerlin, prés. ; Serdet, subst. ; MMe Lorenzi et Sbarrato, av. déf.

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