Tribunal de première instance, 15 octobre 1987, Société de matériels de périphérie c/ S.A.M. C.O.M.E.P.

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Abstract🔗

Cessation des paiements

Clause de réserve de propriété - Inopposabilité à la masse des créanciers

Résumé🔗

La clause conventionnelle de réserve de propriété invoquée par le créancier qui a produit, postérieurement à la constatation de la cessation des paiements du débiteur ne saurait être opposée à la masse, en raison du principe d'ordre public de l'égalité des créanciers soumis à la loi du concours édictée par l'article 462 du Code de commerce.


Motifs🔗

LE TRIBUNAL,

Attendu que suivant exploit en date du 12 novembre 1986, la Société de matériels de périphérie, en abrégé S.O.M.A.P.E. a assigné la S.A.M. C.O.M.E.P. en cessation des paiements et prise en la personne de son syndic A. G., aux fins de s'entendre dire et juger que le matériel livré par ses soins courant 1985 à ladite société est demeuré sa propriété par suite de la résolution du contrat de vente et s'entendre autoriser le syndic à lui verser le montant du prix de revente dudit matériel ;

Attendu que la S.O.M.A.P.E. expose à l'appui de ses prétentions avoir vendu avec clause de réserve de propriété librement acceptée par la S.A.M. C.O.M.E.P. divers matériels qui lui ont été livrés et dont le coût total, soit 288 198 F T.T.C. fit l'objet de trois factures demeurées impayées ; que le 13 février 1986, la Société C.O.M.E.P. sollicitait un report d'échéances tout en proposant de restituer le matériel non payé en cas de nouvelle carence de sa part ; qu'en dépit d'un rappel de la S.O.M.A.P.E. en date du 17 mars 1987, la défenderesse ne se serait pas acquittée de cette promesse avant que ne soit rendu le 21 mars 1986 le jugement du Tribunal de première instance constatant sa cessation des paiements et désignant Monsieur G. en qualité de syndic ;

Que la S.O.M.A.P.E. indique avoir alors produit régulièrement entre les mains de ce dernier pour le montant de sa créance à savoir 288 198 F, et entend désormais revendiquer le prix de revente dudit matériel auprès du syndic qui en détient le produit ;

Qu'au soutien de cette demande, la S.O.M.A.P.E. précise que la résolution de la vente par application de la clause contractuelle a été acquise avant l'intervention du jugement constatant la cessation des paiements de la C.O.M.E.P., celle-ci s'étant déjà abstenue de payer le prix de vente et donc d'honorer ses propres engagements ; que dès lors, la S.O.M.A.P.E. s'estime fondée à exercer l'action en revendication prévue par les articles 485, 487, 488 et 489 du Code de commerce, et ce, en dépit de la suspension provisoire des poursuites individuelles édictée par l'article 461 du même code ;

Attendu que la Société C.O.M.E.P. a pour sa part conclu à l'irrecevabilité d'une telle demande et a sollicité reconventionnellement que la S.O.M.A.P.E. soit condamnée à verser à son syndic la somme de 10 000 F à titre de dommages-intérêts ; qu'elle fait valoir que les clauses de réserve de propriété sont considérées comme inopposables à la masse des créanciers, dont elles heurtent le principe d'égalité dès l'ouverture de toute procédure collective ; que, s'agissant en outre des dispositions des articles du Code de commerce relatifs à la revendication sur le prix des marchandises qu'a expressément invoquées la S.O.M.A.P.E., la défenderesse estime qu'elles ne sauraient recevoir application en l'espèce dès lors que ces marchandises n'existent plus en nature d'une part, et qu'elles n'ont, d'autre part, pas été consignées au débiteur à titre de dépôt ou pour être vendues pour le compte du propriétaire (articles 485 et 487 du Code de commerce) ;

Sur ce,

Attendu qu'il ressort des circonstances de la cause que selon bons de commande des 14 juin, 24 septembre et 9 octobre 1985 la S.O.M.A.P.E. a vendu à la S.A.M. C.O.M.E.P. divers matériels avec clause de réserve de propriété rédigée ainsi qu'il suit :

« Conformément à la loi du 12 mai 1980, il est convenu entre les deux parties que la propriété des marchandises ne sera transmise à l'acheteur qu'après l'entier paiement du prix. Jusque-là, le fournisseur en restera propriétaire » ;

Que lesdits matériels de périphérie ont bien été livrés à la Société C.O.M.E.P. qui n'a cependant pas honoré le montant des chèques et traites émis en contrepartie et a été successivement déclarée en cessation des paiements le 21 mars 1986, puis en liquidation de biens le 23 mai 1986 ; qu'il est en outre constant que la S.O.M.A.P.E. qui a régulièrement produit entre les mains du syndic pour le montant de sa créance, soit 210 590 F, a été provisionnellement admise pour 1 F au passif de la liquidation des biens de la C.O.M.E.P. ;

Attendu que la Société S.O.M.A.P.E. fonde sa présente demande de revendication sur le caractère acquis de la résolution du contrat de vente avant l'intervention du jugement ayant constaté la cessation des paiements de la défenderesse ;

Que cette action actuellement poursuivie dans le cadre d'une liquidation de biens prononcée à Monaco se trouve exclusivement soumise aux dispositions du Livre III du Code de commerce, d'application territoriale, et gouvernant en l'espèce le déroulement de la liquidation de biens de la S.A.M. C.O.M.E.P. ;

Que les droits d'un vendeur de meubles y sont régis, dans les relations de celui-ci avec la masse des créanciers, par l'article 485 du Code de commerce qui lui impose en effet pour aboutir en son action en revendication de meubles, objet d'une vente résolue, de s'appuyer sur une résolution antérieure au jugement ayant constaté la cessation des paiements du débiteur acquéreur ;

Que s'agissant toutefois du cas particulier de l'espèce, soit la revendication de meubles vendus avec réserve de propriété du vendeur, il convient de relever qu'aucune disposition légale ne régissant une telle vente, les effets de celle-ci dans les relations du vendeur et de la masse des créanciers sont analogues à ceux d'une vente conclue sous la condition résolutoire du non-paiement du prix ; qu'en l'occurrence, la réalisation d'une telle condition résultant du non-paiement du matériel de périphérie livré par la S.O.M.A.P.E. à la C.O.M.E.P. aurait pour effet d'exclure du patrimoine de cette dernière certains biens qui constituaient aux yeux des tiers un élément objectif de sa solvabilité ;

Qu'ainsi, s'il était fait droit à la demande en revendication poursuivie par la société, et ce, postérieurement à la constatation de la cessation des paiements de la S.A.M. C.O.M.E.P., ce vendeur bénéficierait d'une situation privilégiée exceptionnelle que le législateur de 1977 n'a pas prévu d'instaurer et qui heurterait le principe de l'égalité des créanciers soumis à la loi du concours édictée par l'article 462 du Code de commerce ;

Qu'il s'ensuit que la clause de réserve de propriété conventionnellement prévue entre les parties ne saurait être opposée à la masse des créanciers compte tenu des observations qui précèdent et des dispositions d'ordre public régissant à Monaco la matière des procédures collectives ;

Attendu en outre qu'à supposer même résolu pour toute autre cause le contrat de vente avant l'intervention du jugement de cessation des paiements, il apparaît que la présente demande de revendication ne saurait prospérer dès lors qu'elle est exercée par la S.O.M.A.P.E. sur le prix de revente du matériel de périphérie livré à la C.O.M.E.P. ;

Qu'il suffit en effet de se référer à l'énoncé très limitatif des voies de droit ouvertes par les articles 485 et suivants du Code de commerce pour observer que les meubles n'existant plus par hypothèse en nature dans le patrimoine du débiteur, leur prix de revente par le syndic ès qualités ne pouvait être utilement revendiqué que si lesdites marchandises avaient été remises à la C.O.M.E.P. à titre de dépôt ou pour être vendues pour le compte du propriétaire, ce qui n'est pas le cas de l'espèce ;

Attendu en conséquence qu'eu égard à ces éléments de fait et aux dispositions légales applicables, il y a lieu de débouter la Société S.O.M.A.P.E. de l'ensemble de ses demandes ;

Attendu s'agissant de la demande formée reconventionnellement par la Société C.O.M.E.P. tendant à l'allocation d'une somme de 10 000 F à titre de dommages-intérêts que cette société ne justifie, ni même n'allègue, la réalisation d'un quelconque préjudice et s'abstient également d'exposer quel en serait le fait générateur ; qu'il suit qu'il y a lieu de débouter la S.A.M. C.O.M.E.P. de ce chef de demande qui n'apparaît pas en l'état justifié ;

Et attendu que les dépens suivent la succombance ;

Dispositif🔗

PAR CES MOTIFS,

Le Tribunal, statuant contradictoirement,

Déboute la Société S.O.M.A.P.E. de l'ensemble de ses demandes ;

Déboute la S.A.M. C.O.M.E.P. de sa demande de dommages-intérêts ;

Composition🔗

MM. Landwerlin, prés. ; Serdet, subst. ; MMe Sbarrato et Lorenzi, av. déf. ; Moreau, av. (Barreau de Lyon) ; Gorra, av. (Barreau de Nice).

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