Tribunal de première instance, 26 mars 1987, Société Junil Sicoc c/ N.

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Abstract🔗

Contrat de travail

Indemnité de licenciement - Rupture abusive - Faute grave de l'employé : non rapportée

Résumé🔗

Il appartient à l'employeur qui entend se soustraire au paiement, d'une part, de l'indemnité de licenciement d'autre part, des dommages-intérêts réclamés pour rupture abusive du contrat de travail, d'établir que l'employé a commis une faute grave.

Les griefs dont fait état l'employeur pour motiver le licenciement doivent être appréciés à l'instant de celui-ci, tous autres reproches formulés postérieurement ne pouvant être pris en considération que dans la mesure où ils corroborent les motifs de la rupture.


Motifs🔗

LE TRIBUNAL,

Attendu que par jugement du 6 novembre 1986 signifié le 17 du même mois, - jugement auquel il y a lieu de se reporter pour l'exposé des faits et circonstances de la cause - le Tribunal du travail, saisi par G. N. d'une demande tendant au paiement, par son ancien employeur la S.A.M. dénommée « Junil Sicoc », des sommes de 116 896,05 F à titre d'indemnité de licenciement calculée par application de la convention collective de l'habillement, et de 250 736 F à titre de dommages-intérêts pour rupture abusive du contrat de travail, a jugé que les griefs allégués par la Société « Junil Sicoc » ne constituent ni un motif valable de licenciement ni la faute grave privative de l'indemnité de licenciement prévue par la convention collective applicable, a déclaré abusive la rupture du contrat du fait de la société employeur, a condamné cette société à payer à N. l'indemnité de licenciement réclamée (116 896 F) et la somme de 150 000 F à titre de dommages-intérêts, toutes causes de préjudice confondues, a ordonné l'exécution provisoire du jugement à concurrence de la somme de 60 000 F, a débouté N. du surplus de ses prétentions et a condamné la défenderesse aux dépens ;

Attendu que pour statuer ainsi qu'ils l'ont fait, les premiers juges :

Sur l'indemnité de licenciement,

Ont rappelé les termes de la convention collective - dont les parties ont admis l'applicabilité en la cause - selon lesquels tout cadre licencié après deux ans de présence dans l'entreprise a droit, sauf en cas de faute grave, au paiement d'une indemnité de licenciement calculée selon des modalités particulières ;

Qu'ils ont considéré que les allégations de la Société « Junil Sicoc » en vue de caractériser la faute grave (perte de confiance de l'employeur envers son chef des ventes, insubordination de celui-ci à l'égard des directives de l'administrateur-délégué) n'étaient pas justifiées quant aux mauvais résultats prétendus et au refus d'exécuter les consignes de travail reproché à N. ;

Qu'à défaut d'éléments de preuve, ils ont estimé n'être pas en mesure d'apprécier la réalité ou la gravité de la faute imputée au demandeur et en ont déduit que l'indemnité de licenciement lui était due, en relevant l'absence de contestation sur le calcul du montant de celle-ci ;

Que pour ce qui concerne :

Les dommages-intérêts pour rupture abusive,

Les premiers juges ont constaté que le contrat de travail, liant les parties, du 2 février 1976 modifié par avenant du même jour, ne prévoit la possibilité de rupture par l'employeur qu'au cas de faute grave de l'employé, cette clause n'ayant pas été modifiée par le nouvel avenant du 14 avril 1983 ;

Qu'ils ont déduit « du manque de consistance, de précision et de preuve » des griefs invoqués à l'encontre de N. ; que l'employeur n'a pas établi la faute grave qui aurait pu justifier la rupture du contrat ; que cette rupture a été en conséquence jugée par eux abusive, dès lors que l'employeur a commis une faute contractuelle dans l'exercice de son droit de licenciement ;

Que les dommages-intérêts qu'ils ont alloués à N. ont notamment eu pour objet de compenser le préjudice matériel et moral consécutif à l'impossibilité de retrouver un emploi par N. et l'obligation dans laquelle il s'est trouvé de faire valoir ses droits à la retraite par anticipation ;

Attendu que par l'exploit susvisé du 25 novembre 1986, la S.A.M. « Junil Sicoc » a régulièrement formé appel de ce jugement dont elle poursuit l'infirmation en soutenant que les éléments qu'elle fournit démontrent que N. a commis des fautes graves dans l'exercice de ses fonctions et que son licenciement est intervenu pour un motif valable, en sorte qu'il ne saurait prétendre à l'indemnité conventionnelle de licenciement ou à des dommages-intérêts ;

Que cette société reproche aux premiers juges d'avoir inexactement apprécié les faits de la cause et prétend :

  • que le chiffre d'affaires réalisé dans les zones placées sous la responsabilité directe de N., de même que les éléments comptables, ont été produits aux débats et constituent des éléments sérieux de preuve de la diminution d'activités dont il lui est fait grief ;

  • que N. a refusé de suivre les directives de son employeur et a commis de multiples fautes dûment attestées, en particulier, par le témoignage relatant les propos, constitutifs d'un acte d'insubordination, qu'il a tenus à l'égard d'un responsable de la société ;

  • que le tribunal n'a pas statué sur les circonstances dans lesquelles N. a refusé la proposition, formulée par l'employeur dans le cadre de l'article 11 du contrat de travail, qui lui aurait permis de demeurer dans l'entreprise en qualité de représentant, et n'a pas tiré les conséquences juridiques de cette situation justifiant en l'espèce, en présence d'un refus non valablement motivé, qu'il soit considéré comme démissionnaire ;

  • que N. a en réalité cherché à provoquer son licenciement, par un grave désintérêt dans le travail et une attitude provoquante à l'égard de l'employeur, afin de bénéficier prématurément d'une retraite obtenue dans des conditions plus favorables ;

Attendu qu'en réponse G. N. refute l'ensemble des moyens développés par la Société « Junil Sicoc » et, se portant appelant parte inqua à titre incident, réitère sa demande initiale en paiement de 116 896 F à titre d'indemnité conventionnelle de licenciement et de 250 736 F à titre de dommages-intérêts, sous déduction toutefois de la provision de 60 000 F qui lui a été versée ;

Qu'il rappelle en particulier, tout en se prévalant de ses écrits judiciaires de première instance, que les pièces produites en cause d'appel ne permettent pas de caractériser l'insubordination alléguée ou le désintérêt dans le travail que lui reproche l'employeur ; qu'à cet égard, il conteste la valeur probante des fiches comptables versées aux débats en appel et souligne que l'exploitation qui en est faite ne peut être retenue dans la mesure où les pourcentages avancés seraient inexacts, la baisse du chiffre d'affaires s'établissant en réalité pour les années 1984-1985, non pas à 16,62 % pour la région I et 36,39 % pour la zone II, mais respectivement à 2,20 % et 3,53 %, résultats qui ne sont pas critiquables selon lui ;

Qu'il estime par ailleurs que le reclassement proposé à l'expiration du préavis ne pouvait faire l'objet d'une acceptation de sa part, eu égard aux conditions de cette offre, sans pour autant que ce refus puisse lui être utilement opposé ;

Sur quoi,

Attendu, alors qu'il est constant et non contesté que les parties se trouvent liées par les dispositions tant de la convention collective de l'habillement que du contrat de travail tel que modifié en son article 6 par avenant du 2 février 1976, qu'il appartient en l'espèce à l'employeur qui entend se soustraire au paiement de l'indemnité conventionnelle de licenciement et des dommages-intérêts réclamés au titre d'une faute dans l'exercice du droit contractuel de rupture, d'établir que G. N. s'est rendu coupable d'une faute grave privative des indemnités qu'il sollicite ;

Attendu que les griefs allégués au soutien du licenciement notifié le 16 septembre 1985 et non assorti de l'indemnité de licenciement, sont relatifs « aux résultats négatifs de (l')activité professionnelle (de N.) constatés le 30 juin 1985 » et aux reproches réitérés ( « à plusieurs reprises » ) concernant l'absence d'assistance in situ des candidats représentants chez les clients ;

Qu'en cours de procédure, le tribunal constate que d'autres reproches ont été formulés à l'égard de N., tels que le refus caractérisé de suivre les instructions et réformes prescrites par l'administrateur-délégué de la Société « Junil Sicoc » ou l'absence d'intérêt porté au travail ;

Attendu que ces derniers reproches ne sauraient être pris en considération qu'en ce qu'ils tendent à corroborer les griefs dont il est fait état dans la lettre de rupture du 16 septembre 1985, date à laquelle il convient de se placer pour rechercher si l'employeur était alors fondé à invoquer une faute grave au soutien du licenciement ;

Attendu, sur le premier grief relatif aux mauvais résultats de l'activité professionnelle, que la Société « Junil Sicoc » a admis à l'audience que les pourcentages d'ordre statistique énoncés dans son acte d'appel n'étaient fournis qu'à titre indicatif et n'a pas contesté, eu égard aux critiques contenues dans les écrits judiciaires de N., que les chiffres avancés par celui-ci dans les « bilans d'activité » qu'il produit pouvaient être considérés comme reflétant avec exactitude la baisse effectivement constatée pour les zones dont il avait la responsabilité ;

Qu'il s'évince dès lors de la comparaison des résultats de l'année 1985 par rapport à ceux de l'année 1984 - étant ici observé que l'employeur s'est borné à faire état des résultats arrêtés au 30 juin 1985, soit sur un semestre seulement - que l'activité dont N. assumait la responsabilité n'a pas subi le net infléchissement allégué qui aurait pu faire présumer de sa part une faute professionnelle grave ou un désintérêt manifeste dans le travail ; que si, dans l'intérêt de l'entreprise, des résultats négatifs caractérisés auraient pu constituer une cause admissible de licenciement, aucun élément n'autorise en la circonstance à considérer la baisse du chiffre d'affaires - sur laquelle les parties se sont accordées - comme traduisant une faute grave de la part de N., de nature à le priver de l'indemnité conventionnelle de licenciement ;

Attendu, sur le grief tendant au refus de suivre les instructions données par la direction, notamment quant à l'assistance « sur le terrain » des représentants fraîchement recrutés en vue de leur formation, que pour en établir la réalité, la Société « Junil Sicoc », qui apparaît avoir prescrit des réformes à la direction des ventes par note du 31 mars 1977 intéressant notamment N., produit une attestation datée du 20 novembre 1986 émanant de J.-P. B. qui aurait été le témoin de reproches et suggestions émis par l'administrateur-délégué de la société sur le travail de N., auxquels celui-ci aurait le 10 septembre 1985 opposé un refus catégorique pour s'exposer volontairement à un licenciement jugé par lui plus avantageux que l'indemnité de fin de carrière ;

Attendu, alors qu'aucune autre pièce n'établit que la note du 31 mars 1977 n'ait pas été suivie d'effet et que N. se soit délibérément refusé à suivre les instructions de la direction, que la relation des faits qui seraient survenus le 10 septembre 1985, telle que contenue dans ce témoignage ne revêt pas la valeur probante requise en l'espèce ; qu'en effet cette attestation unique nouvellement produite en appel, entièrement dactylographiée et authentifiée par la seule signature de son auteur, en ce qu'elle ne permet pas d'affirmer que les « reproches et suggestions » de l'administrateur-délégué se seraient rapportés au grief mentionné dans la lettre de licenciement ni de tenir pour acquis que les propos qui lui sont prêtés ont été effectivement tenus par N., est insuffisante à caractériser la faute grave invoquée en second lieu dans la lettre de licenciement ;

Qu'il ne saurait par ailleurs être déduit de la correspondance adressée par N. à son épouse que celui-ci ait, par un comportement délibéré et une intention arrêtée par avance, provoqué le licenciement dont il a fait l'objet ;

Attendu en conséquence que c'est à bon droit que les premiers juges ont considéré que l'employeur n'administrait pas la preuve de la faute grave dont il entend se prévaloir à l'encontre de G. N. ;

Qu'aucune faute ne saurait davantage être déduite de ce que N. n'a pas donné suite à la proposition de remise en vigueur du contrat de représentant le liant à la société antérieurement au contrat du 2 février 1976, telle que cette offre semble avoir été formulée par lettre du 16 janvier 1986 à l'expiration de la période de préavis ;

Qu'il est clair en effet que les dispositions de l'article 11 du contrat du 2 février 1976 ont été convenues dans l'intérêt exclusif de G. N. en vue de lui assurer une garantie ; qu'alors que l'employeur avait estimé quatre mois plus tôt que les relations de travail ne pouvaient plus être maintenues en l'état des fautes graves dont N. s'est selon lui rendu coupable, il était loisible à l'employé, qui a pu légitimement considérer cette proposition comme peu sérieuse, de ne pas l'accepter, sans pour autant que ce refus de contracter revête la portée décrite par la Société « Junil Sicoc » ;

Attendu qu'en l'absence de faute grave prouvée, c'est également à juste titre que le Tribunal du travail, faisant application des règles conventionnelles auxquelles les parties se sont soumises, a alloué l'indemnité de licenciement réclamée ;

Attendu par ailleurs que le tribunal a fait une exacte application des dispositions de l'article 6 du contrat de travail interdisant à l'employeur d'en décider la rupture, sauf en cas de faute grave de l'employé ; qu'en effet, la rupture du contrat par l'employeur apparaît fautive, par l'effet de cet article, du seul fait qu'elle n'est pas motivée par une faute grave de N. dûment établie ;

Attendu toutefois que si la faute commise par la Société « Junil Sicoc » dans l'exercice de son droit de licenciement a bien été à l'origine du préjudice invoqué par N., il apparaît des circonstances de la cause que les premiers juges en ont fait une évaluation excessive ; qu'au regard des éléments d'appréciation qui lui sont fournis, le tribunal d'appel estime équitable de réduire à 100 000 F toutes causes de préjudice confondues, le montant des dommages-intérêts devant revenir à G. N. ;

Attendu qu'il y a lieu de prendre acte de ce que la provision ordonnée par les premiers juges a été effectivement versée ;

Attendu que les dépens suivent la succombance ;

Dispositif🔗

PAR CES MOTIFS,

Et ceux non contraires des premiers juges,

Le Tribunal,

Statuant contradictoirement comme juridiction d'appel du Tribunal du travail,

Confirme le jugement entrepris du 6 novembre 1986 en ce qu'il a condamné la S.A.M. Junil Sicoc à payer à G. N., en l'absence de faute grave prouvée de sa part, la somme de 116 896 F à titre d'indemnité conventionnelle de licenciement ;

Le confirme également en ce qu'il a déclaré abusive la rupture du contrat du fait de la société employeur ;

Réformant ledit jugement sur le quantum des dommages-intérêts alloués ;

Condamne la S.A.M. Junil Sicoc à payer à G. N. la somme de 100 000 F à titre de dommages-intérêts ;

Donne acte à N. de ce qu'il déclare avoir reçu paiement de l'indemnité provisionnelle de 60 000 F ordonnée par les premiers juges et dit que cette somme viendra en déduction des condamnations ci-dessus prononcées ;

Confirme le jugement pour le surplus ;

Composition🔗

MM. Landwerlin, vice-prés. ; Truchi, prem. subst. ; Me Sbarrato, av. déf.

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