Tribunal de première instance, 19 mars 1987, C. c/ Société française de recours.

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Abstract🔗

Contrat de travail - licenciement

Non-respect de l'ordre des licenciements - Non-respect de la mutation dans une catégorie inférieure - Rupture abusive

Résumé🔗

Aux termes de l'article 6 de la loi n. 629 du 17 juillet 1957, le licenciement par suppression d'emploi ou compression de personnel ne peut être effectué, pour une catégorie professionnelle déterminée, que dans l'ordre légalement indiqué ; si le licenciement n'affecte qu'une catégorie professionnelle, le salarié concerné sera versé, s'il le demande, dans une catégorie inférieure dans la mesure où il possède les aptitudes nécessaires à son nouvel emploi.

L'employé licencié qui avait la qualité de rédacteur comme un autre employé non licencié ne peut invoquer le non-respect de l'ordre légal de licenciement dès lors qu'il apparaît que ces deux emplois de rédacteur, correspondaient chacun, dans l'organisation interne de l'entreprise relevant des agences générales d'assurances, à des catégories professionnelles spécifiques, l'un concernant la rédaction du contentieux, l'autre la rédaction de production.

Il ne peut être reproché à l'employeur de n'avoir pas muté le salarié atteint par la mesure de licenciement dans une catégorie inférieure, une telle obligation ne s'imposant à l'employeur que si le licenciement n'affecte qu'une catégorie professionnelle et si le salarié en fait la demande, conditions qui ne se trouvaient pas réunies en l'espèce dès lors que d'autres employés relevant de catégories distinctes de celle de l'intéressé ont été licenciés et qu'à aucun moment celui-ci n'a demandé à occuper un poste de catégorie inférieure.

Dès lors que la motivation économique du licenciement apparaît traduire une situation réelle qui a conduit l'employeur à opérer des compressions de personnel, l'invocation d'une rupture abusive du contrat de travail ne saurait être fondée.


Motifs🔗

LE TRIBUNAL,

Statuant sur l'appel, régulier en la forme, interjeté par C. à l'encontre d'un jugement auquel il y a lieu de se référer, rendu le 15 mai 1986 par le Tribunal du travail, lequel, dans l'instance opposant le demandeur à son ancien employeur, la « Société française de recours » (S.F.R.), après avoir donné acte à la S.F.R. de son offre de régler à C. la somme de 4 148,44 F à titre de complément d'indemnité de congédiement, a estimé que C. n'administrait pas la preuve de ce qu'il appartenait à la même catégorie professionnelle que l'employée F. qui, domiciliée à l'étranger, aurait dû selon lui être licenciée avant lui pour respecter l'ordre de priorité établi par l'article 6 de la loi n. 629 du 17 juillet 1957, a déduit des circonstances de la cause que C., unique employé au service « contentieux », a été le seul licencié de sa catégorie professionnelle, a considéré que cet employé ne prouvait pas qu'il possédait les aptitudes nécessaires pour être muté sur sa demande à un poste de catégorie inférieure tenu par un salarié d'un rang de priorité inférieur au sien, a jugé en conséquence que la S.F.R. a respecté l'ordre des licenciements prévu par la loi, a dit valable et légitime le licenciement intervenu pour cause économique, en sorte que C. a été débouté de sa demande en paiement d'une indemnité de licenciement et de dommages-intérêts, et a condamné la S.F.R. aux dépens ;

Attendu qu'au soutien de son appel C. fait valoir :

  • qu'il était employé au même titre que M. F., en qualité de « rédacteur » sans autre précision, cette qualification, exclusive d'une affectation à un service déterminé, relevant d'une catégorie professionnelle unique qui aurait dû contraindre les premiers juges à respecter l'ordre des licenciements prévu par la loi ;

  • que le motif économique invoqué par l'employeur au soutien de sa décision de le licencier après vingt ans d'ancienneté dissimule en réalité sa volonté injustifiée de mettre un terme au contrat de travail ;

  • que l'exercice abusif du droit de licenciement reconnu à l'employeur s'évince encore de ce que celui-ci ne lui a pas offert d'occuper un poste de catégorie inférieure tenu par un salarié d'un rang de priorité inférieur au sien ;

  • que les violations légales auxquelles s'est livrée la S.F.R. justifient que le licenciement soit déclaré non valable et abusif, ouvrant droit dès lors au paiement à son profit des indemnités de licenciement (22 225 F) et des dommages-intérêts (192 000 F) qu'il réclame ;

Qu'il déclare par ailleurs prendre acte de l'offre, formulée par la S.F.R., de lui payer la somme de 4 148,44 F ;

Attendu que pour conclure à la confirmation du jugement entrepris, la S.F.R. précise que chaque rédacteur est affecté à un service spécifique et fournit un travail particulier ; qu'elle affirme que cette appellation générale ne correspond pas à une catégorie professionnelle définie, alors qu'il en va différemment des rédacteurs employés au sein de tel ou tel service particulier ; qu'en l'espèce, le service « production » auquel appartient M. F. n'est pas comparable à celui du « contentieux » dont C. était l'unique employé ; qu'elle en déduit que l'ordre légal de licenciement a bien été respecté ;

Qu'elle observe par ailleurs que l'appelant n'a pas demandé sa mutation dans un autre poste de l'entreprise et qu'en tout état de cause il ne répondait pas aux critères requis pour les emplois offerts postérieurement à son licenciement ;

Sur quoi,

Attendu que pour contester la validité du licenciement prononcé à son encontre et tenter d'établir que la rupture présente un caractère abusif, l'appelant soutient en premier lieu que les dispositions de la loi n. 629 du 17 juillet 1957 n'ont pas été respectées par l'employeur, tant en ce qui concerne l'ordre des licenciements que la mutation dans une catégorie inférieure, situations respectivement prévues par les premier et dernier alinéas de l'article 6 de ladite loi ;

Attendu qu'aux termes de cet article, les licenciements par suppression d'emploi ou compression de personnel ne peuvent être effectués, pour une catégorie professionnelle déterminée, que dans l'ordre indiqué par la loi, le dernier alinéa précisant en particulier si le licenciement n'affecte qu'une catégorie professionnelle, le salarié concerné sera versé, s'il le demande, dans une catégorie inférieure dans la mesure où il possède les aptitudes nécessaires à son nouvel emploi ;

Attendu, alors, qu'il est constant que l'appelant occupait depuis 1979 les fonctions de rédacteur au sein du service contentieux, qu'il convient de rechercher si ces fonctions entraient ou non dans le cadre d'une catégorie professionnelle spécifique, par rapport en particulier aux fonctions de « rédacteur » ou « rédacteur du service production » ;

Attendu que les pièces produites (n° 15 et 23 dossier Me Brugnetti), en ce qu'elles révèlent d'une part que les agences générales d'assurances - parmi lesquelles l'intimée doit être rangée - ont procédé à une classification nationale des emplois faisant ressortir en particulier que les emplois de rédacteur sont susceptibles de niveaux de qualification différents, et d'autre part que la S.F.R., tenant compte de ces différences dans l'organisation interne de l'entreprise, a classé dans des catégories distinctes, pour leur appliquer une rémunération variable selon l'importance des fonctions occupées, les emplois de « rédacteur », « rédacteur de production » et « rédacteur contentieux », permettent d'affirmer qu'en l'espèce, les emplois de « rédacteur production » ou « rédacteur contentieux » recouvrent des catégories professionnelles spécifiques au sens de la loi n. 629 précitée ;

Qu'il s'ensuit qu'en procédant pour motif économique au licenciement de C., dont il est admis qu'il se trouvait être le seul employé relevant de la catégorie professionnelle « rédacteur contentieux » dans l'entreprise, la S.F.R. n'a pas commis de faute dans l'exercice de son droit de rupture ;

Qu'il ne peut par ailleurs lui être reproché de n'avoir pas, conformément aux dispositions du dernier alinéa de l'article 6 précité, « versé... le salarié atteint par cette mesure (de licenciement) dans une catégorie inférieure » puisqu'une telle obligation ne s'impose à l'employeur que si le licenciement n'affecte qu'une catégorie professionnelle et si le salarié en fait la demande, conditions qui ne se trouvaient pas réunies en l'espèce dès lors que d'autres employés relevant de catégories professionnelles distinctes de celle à laquelle C. appartenait ont été licenciés et qu'à aucun moment celui-ci n'a demandé à occuper un poste de catégorie inférieure, étant ici relevé que C. ne peut davantage se prévaloir en cause d'appel, pour ce qui concerne le recrutement opéré par la S.F.R. en juin 1986, des dispositions de l'article 7 alinéa 1 de la loi n. 629 susvisée ;

Attendu que l'appelant prétend en second lieu que son employeur a fait valoir un faux motif de licenciement ;

Attendu cependant que le motif invoqué apparaît correspondre à une situation économique réelle, eu égard aux circonstances de l'espèce qui montrent que la S.F.R. a dû dans le même temps se séparer, pour des raisons conjoncturelles, de plusieurs autres membres de son personnel, et doit en conséquence être regardé comme valable ; qu'au demeurant, C., qui ne dit pas en quoi le licenciement dont il a fait l'objet dissimulerait un autre motif que celui invoqué, n'établit pas la fausseté de ce motif de rupture ;

Attendu en conséquence que les premiers juges ont à bon droit rejeté les demandes en paiement d'une indemnité de licenciement et de dommages-intérêts ; que le jugement entrepris doit en conséquence être confirmé de ce chef ;

Attendu, en revanche, qu'il y a lieu de réformer d'une part en ce qu'il s'est borné à donner acte à la S.F.R. de son offre de payer la somme de 4 148,44 F à titre de complément d'indemnité de congédiement - alors qu'il a constaté que cette somme complémentaire que la S.F.R. a reconnu devoir remplissait C. de ses droits -, et d'autre part en ce qu'il a condamné la S.F.R. aux dépens, alors que C. a, pour l'essentiel, succombé en ses demandes ;

Attendu que les dépens d'appel doivent être mis à la charge de l'appelant en raison de sa succombance ;

Dispositif🔗

PAR CES MOTIFS, et ceux non contraires des premiers juges,

Le Tribunal, statuant contradictoirement comme juridiction d'appel du Tribunal du travail,

Reçoit C. en son appel comme régulier en la forme ;

Au fond, l'en déboute ;

Confirme en conséquence le jugement entrepris du 15 mai 1986 en ce qu'il a débouté C. de ses demandes en paiement de l'indemnité de licenciement et de dommages-intérêts ;

Réformant pour le surplus ledit jugement ;

Condamne la Société française de recours à payer à C. la somme de 4 148,44 F qu'elle a offert de lui payer à titre de complément d'indemnité de congédiement ;

Composition🔗

MM. Landwerlin, vice-prés. ; Truchi, prem. subst. ; MMe Karczag-Mencarelli, Lorenzi, av. déf. ; Brugnetti, av.

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