Tribunal de première instance, 5 mars 1987, Société « La Borsetta Artigiana » c/ Dame P.

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Abstract🔗

Lettre de change

Exceptions invoquées par le tiré accepteur - Opposabilité à l'égard du tireur - Preuve du défaut de provision

Résumé🔗

Si en application de l'article 86 du Code de commerce, le principe de l'inopposabilité des exceptions interdit au tiré accepteur d'opposer à un tiers porteur les exceptions nées de ses propres relations contractuelles avec le tireur de l'effet pour se soustraire au paiement, il n'en est pas de même dans les rapports entre tireur et tiré accepteur.

L'acceptation établit dans les relations du tireur et du tiré une présomption d'existence de la provision qui supporte toujours la preuve contraire, notamment en cas d'inexécution du contrat, cause de création de la traite et n'est jamais irréfragable comme celle qui existe à l'égard des endosseurs.

En l'espèce, il appartenait au tiré accepteur invoquant comme exception au paiement une inexécution du contrat (malfaçons dévalorisant la marchandise livrée) de rapporter la preuve imposée par l'article 81 alinéa 4 du Code de commerce de ce que son acceptation a été donnée sans qu'il ait reçu provision.


Motifs🔗

LE TRIBUNAL,

Attendu que selon exploit du 11 juin 1986, la S.A.R.L. de droit italien dénommée « La Borsetta Artigiana » a assigné J. P. aux fins de s'entendre condamner celle-ci à lui payer l'équivalent en francs français de la somme de 5 947 950 lires italiennes, outre les intérêts au taux bancaire et s'entendre déclarer la défenderesse en état de cessation des paiements conformément à l'article 408 du Code de commerce, sauf offre par celle-ci à la barre lors du premier appel de la cause du montant du principal ;

Qu'à l'appui de cette demande, la Société « La Borsetta Artigiana » expose que J. P. a accepté à son profit deux traites d'un montant identique en lires italiennes de 2 972 975 qu'elle n'a pas réglées à leurs échéances respectives des 15 janvier et 15 février 1984 et dont elle lui reste donc redevable ;

Attendu que J. P. fait quant à elle valoir qu'elle exerce en Principauté de Monaco sous l'enseigne « T. » le commerce de vente d'articles de cuir et maroquinerie et reconnaît avoir accepté deux traites d'un montant total de 5 947 950 lires italiennes émises à l'ordre de la S.A.R.L. de droit italien « La Borsetta Artigiana », et ce, en contrepartie de marchandises qui lui avaient été livrées par cette société ;

Que lesdites fournitures ayant cependant présenté d'importants défauts, J. P. en aurait alors avisé la demanderesse et lui aurait fait part du préjudice commercial subi du fait de ces malfaçons dans ses rapports avec ses propres clients ; qu'elle indique qu'un accord serait alors intervenu avec la société italienne, laquelle se serait engagée à lui consentir divers avoirs en compensation des défauts de conception précités ;

Que J. P. s'oppose dès lors formellement à la demande de sa cocontractante et sollicite reconventionnellement une somme de 30 000 F à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice commercial subi ;

Que par d'ultimes conclusions, la société demanderesse tout en sollicitant l'application aux faits de la cause des dispositions des articles 81 alinéa 4 et 83 du Code de commerce aux termes desquels le tiré, par son acceptation, s'oblige à payer la lettre de change à son échéance, conclut au débouté de J. P. des fins de sa demande reconventionnelle ;

Sur ce,

Attendu que la S.A.R.L. italienne « La Borsetta Artigiana » verse aux débats deux lettres de change émises le 24 novembre 1983, d'un égal montant de 2 973 975 lires italiennes chacune, à échéances respectives des 15 janvier et 15 février 1984, et toutes deux acceptées par J. P. ;

Attendu que pour s'opposer au paiement de ces deux effets, J. P., tiré accepteur, invoque ses rapports contractuels personnels avec l'émetteur et bénéficiaire de l'effet, la Société « La Borsetta Artigiana », et sa propre créance à rencontre de cette dernière ;

Attendu à cet égard que si, en application des dispositions de l'article 83 du Code de commerce invoqué par la demanderesse, le principe de l'inopposabilité des exceptions doit interdire à tout tiré accepteur d'opposer à un tiers porteur les exceptions nées de ses propres relations contractuelles avec le tireur de l'effet pour se soustraire au paiement, il n'en est pas de même dans les rapports entre tireur et tiré accepteur ;

Attendu en effet que l'acceptation établit dans les relations du tireur et du tiré une présomption d'existence de la provision qui supporte toujours la preuve contraire, notamment en cas d'inexécution du contrat cause de création de la traite, et n'est jamais irréfragable comme celle qui existe à l'égard des endosseurs ;

Attendu qu'il résulte toutefois des faits de la cause que J. P. n'établit nullement la mauvaise exécution du contrat qu'elle allègue à l'appui de sa demande reconventionnelle ; qu'elle ne produit en effet aucune pièce accréditant la réalité des malfaçons invoquées, à l'exception d'une lettre émanant d'elle-même relative à des marchandises livrées en 1981, soit deux ans avant l'émission des deux lettres de change litigieuses et dont les vices de conception l'auraient à l'évidence conduit à ne pas accepter lesdits effets, ce contrat apparaissant dès lors étranger aux débats ;

Qu'il s'ensuit que J. P. ne rapporte nullement la preuve imposée par l'article 81 alinéa 4 du Code de commerce de ce que son acceptation du 24 novembre 1983 ne supposait pas la provision et doit dès lors être condamnée à payer à la société demanderesse le montant des deux lettres de change, soit l'équivalent en francs français au jour du présent jugement des deux sommes de 2 973 975 lires italiennes, avec intérêts au taux légal à compter de leurs échéances respectives des 15 janvier et 15 février 1984 ;

Attendu que la Société « La Borsetta Artigiana » sollicite en outre du tribunal de constater l'état de cessation des paiements de J. P. conformément à l'article 408 du Code de commerce ;

Attendu toutefois que la demanderesse ne justifie pas que J. P. soit dans une situation définitivement obérée et ne dispose plus des disponibilités nécessaires pour faire face à ses engagements, ce qui n'est pas au demeurant démontré en l'état ;

Qu'il n'y a donc pas lieu de constater l'état de cessation des paiements de J. P. ;

Attendu que les dépens doivent suivre la succombance ;

Dispositif🔗

PAR CES MOTIFS,

Le Tribunal,

Statuant contradictoirement,

Condamne J. P. à payer à la Société « La Borsetta Artigiana » l'équivalent en francs français au jour du présent jugement des sommes de :

  • 2 973 975 lires italiennes, avec intérêts au taux légal à compter du 15 janvier 1984 ;

  • 2 973 975 lires italiennes, avec intérêts au taux légal à compter du 15 février 1984 ;

Déboute J. P. des fins de sa demande reconventionnelle ;

Dit n'y avoir lieu de constater l'état de cessation des paiements de J. P. ;

Composition🔗

MM. Landwerlin, vice-prés. ; Truchi, prem. subst. ; MMe J.-Ch. Marquet, Lorenzi, av. déf. ; Brugnetti, av.

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