Tribunal de première instance, 31 juillet 1986, Stés Richelmi, Spada, Triverio, Grands Travaux Monégasques SOMAE c/ État de Monaco, P., G., R., B., L.

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Abstract🔗

Responsabilité de l'Etat

Marché de travaux publics

Marché de travaux conclu entre l'État et des entreprises de construction

Construction

Contrat d'entreprise

Demande d'indemnisation contre l'État pour retard dans la mise en œuvre du programme de travaux

Arbitrage

Arbitrage confié à un collège d'experts - Portée des pouvoirs des arbitres - Recours de l'État contre les autres entreprises - Part de responsabilité de l'entreprise de construction demanderesse - Partage de responsabilité

Résumé🔗

L'État maître de l'ouvrage, assigné par l'entreprise de gros œuvre en indemnisation, à la suite du retard pris par l'exécution de travaux de terrassement, en dépit d'un planning déterminé, ne saurait rejeter les conclusions d'un collège d'experts, désigné par les deux parties pour évaluer et imputer le retard au motif que cet arbitrage n'est point opposable à d'autres parties ayant concouru à l'acte de construire et que les experts n'auraient point examiné les griefs pouvant les concerner, ses critiques ne mettant nullement en cause la validité du rapport et la régularité de la procédure librement arrêtée par les deux parties.

L'entrepreneur du gros œuvre, qui n'est contractuellement lié par ses marchés qu'avec l'État maître de l'ouvrage, ne peut se voir opposer par ce dernier les conséquences éventuelles résultant de l'intervention d'autres participants à l'acte de construire, comme fin de non recevoir de son action en indemnisation, étant observé que le maître de l'ouvrage conserve à l'égard de ces derniers les recours qu'il est en droit d'exercer contre eux, soit pour leur fait personnel, soit du fait de l'inobservation de leurs propres obligations contractuelles.

Mis en présence de circonstances exceptionnelles, non prévues aux marchés, ni normalement prévisibles, et amené à recourir à des moyens extra contractuels pour rattraper des retards qui ne lui étaient pas imputables, cet entrepreneur a commis une imprudence et agi avec une certaine légèreté en s'abstenant, à tout le moins, d'obtenir un accord de principe préalable du maître de l'ouvrage, alors qu'il n'est pas démontré qu'il ait pu mesurer l'ampleur des dépenses supplémentaires qui étaient engagées.


Motifs🔗

Le Tribunal,

Attendu que des documents produits et des conclusions des parties résulte la relation suivante des faits et de la procédure :

I. - Rappel des faits et procédures

En vue de la réalisation du nouveau Stade Louis II à Monaco, et à la suite d'un appel d'offres un marché de travaux était passé, le 24 septembre 1981, entre l'État de Monaco et un groupement d'entreprises constituées par les sociétés Richelmi, qui en était le mandataire, EGTM, Spada, SOMAE et Triverio, ci-après désignées comme l' « Entrepreneur » pour l'exécution des travaux :

  • du lot n° 2 : « Galerie Technique », dont la maîtrise d'œuvre était confiée à la direction des travaux publics de Monaco ;

  • du lot n° 3 : « Gros œuvre, structures, maçonneries, cuvelage », ayant pour maîtres d'œuvre un groupement d'architectes, Messieurs P., G., R., B. et L., ci-après dénommés « les architectes » ou le « maître d'œuvre » ;

Par ce marché, d'un montant de 173 633 478,20 F hors taxes et ses documents annexes, l'entrepreneur s'engageait à exécuter les travaux dans un délai de vingt-six mois, dont dix-neuf mois pour les travaux de structure, à compter du 1er novembre 1981 ;

Ce marché faisait suite à un précédent marché passé le 27 mai 1981 pour l'exécution des travaux du lot n° 1 : « Fondations profondes » entre l'État de Monaco et un groupement d'entreprises composé des sociétés Richelmi, Bachy et Soletanche - ayant pour mandataire A. A. - qui sera ci-après dénommé l' « entrepreneur des fondations profondes », la maîtrise d'œuvre étant confiée aux architectes ci-dessus désignés ;

Le marché était souscrit après appel d'offres au prix global et forfaitaire de 34 310 741 F hors taxes à ses clauses et conditions propres et à celles de ses documents annexes. Le délai d'exécution était fixé à 8 mois et demi. Le point de départ du délai contractuel était prévu au 11 mai 1981 ;

Ce marché comportait une obligation de résultat à la charge de l'entrepreneur des fondations profondes en ce qu'il stipulait, notamment dans son article 2,

« les huit batardeaux circulaires sont remplacés par un batardeau périmétrique unique, ancré d'au moins 2 m 50 dans les sables marins du quaternaire.

Ce batardeau unique comprend également la réalisation d'au moins huit puits filtrants répartis sur le site, en accord avec l'architecte directeur des travaux, l'ensemble batardeau - puits filtrants devant permettre d'assurer la mise hors d'eau du chantier de fondations et de gros œuvre par rabattement à la cote - 3,00 NGF du niveau de la mer, ceci pour pompage dont le débit d'exhaure devra toujours rester inférieur à 4 000 m3/h ;

L'entrepreneur du lot n° 1 » Fondations profondes « s'engage vis-à-vis du lot » gros œuvre « à une obligation de résultat et de bon fonctionnement du système batardeau - puits filtrants ;

En cas de défaillance de ce système, l'entrepreneur s'engage à exécuter sans délai, sur l'injonction de l'architecte, directeur des travaux, les adaptations qui s'imposeront pour y remédier ».

L'entrepreneur prenait possession du chantier au mois de décembre 1981, pour l'essentiel, et très rapidement, des difficultés étaient rencontrées dans l'exécution du pompage qui lui incombait à partir des installations que son marché imposait à l'entrepreneur du lot des fondations profondes, difficultés sur lesquelles il sera ci-après revenu et qui entraînaient des retards sur le planning contractuel ;

Il mettait alors en œuvre d'importants moyens pour résorber ce retard qui était ramené à un mois environ au 31 octobre 1982, délai correspondant sensiblement au décalage observé au début des travaux ;

Estimant qu'il avait dû faire face à des dépenses supplémentaires imprévues et hors de proportion avec celles qui étaient normalement prévisibles et contractuellement prévues au marché, l'entrepreneur adressait à l'État, au mois de juin 1982, un document d'évaluation des coûts supplémentaires de pompage, le 5 novembre 1982, une note sur les charges imprévues et, le 10 décembre 1982, une demande d'indemnisation arrêtée à la date du 31 octobre 1982 pour un montant de 58 296 647 F HT, base marché, non compris le devis de pompage rectifié ;

Le 17 mars 1983, intervenait entre l'État et l'entrepreneur un protocole d'accord aux termes duquel, et pour l'essentiel :

1° Les parties convenaient que ce document n'apportait aucune novation au marché de travaux et que l'octroi d'une ouverture de crédit par le maître de l'ouvrage ne saurait, en aucune façon, constituer une reconnaissance de responsabilité à son encontre ;

2° L'entrepreneur s'engageait expressément à respecter le planning annexé au protocole fixant l'échéance des travaux au 31 mars 1984 ;

Il s'engageait en outre, à conduire à bonne fin les travaux de structure du parking pour la date du 1er mai 1983, afin de permettre la livraison en état de finition des deux niveaux supérieurs le 1er septembre 1983 ;

Le non-respect des échéances fixées pour les tâches critiques dans ce planning devant entraîner l'application des dispositions prévues à l'article 10 du cahier des prescriptions spéciales ;

3° Les parties convenaient de désigner un collège d'experts de trois membres, chaque partie faisant choix d'un expert, le troisième expert étant désigné par les deux experts choisis, et de lui confier la mission d'instruire la demande en indemnisation présentée par l'entrepreneur à l'effet :

a) d'une part, dans un délai de trois mois à compter de l'acceptation du tiers expert, de déterminer le délai contractuel, de dire s'il existe un retard, de l'évaluer et d'indiquer à qui il est imputable ;

b) d'autre part, dans le même délai, de dire si la demande présentée par l'entrepreneur à la date du 10 décembre 1982 est fondée et, dans l'affirmative, d'évaluer le montant du préjudice subi par lui ;

Les parties convenaient expressément que les conclusions du collège d'experts portant sur le point a) s'imposeraient à elles en s'engageant d'ores et déjà à les accepter sans réserve et que les conclusions portant sur le point b) ne constitueraient qu'une simple recommandation pouvait faire l'objet d'acceptation ou de refus des parties...

4° Le maître de l'ouvrage consentait à l'entrepreneur une ouverture de crédit d'un montant maximal de 30 000 000 F afin de permettre la poursuite et la conduite à bonne fin des travaux du marché, cet objet étant la cause déterminante du crédit consenti ;

5° Le maître de l'ouvrage acceptait de différer l'application des pénalités contractuelles - contestées par l'entrepreneur - jusqu'à la date à laquelle le collège d'experts aurait fait connaître sa décision sur ce point en précisant qu'à cette date, il serait fait application, le cas échéant, des pénalités prévues au marché en fonction des retards imputables à l'entrepreneur aux dires des experts ;

Le 7 octobre 1983, les experts :

Temime, Ingénieur général des ponts et chaussées, désigné par l'État de Monaco,

Verrier, Ingénieur des travaux publics, expert agréé par la Cour de cassation, désigné par l'entrepreneur,

Suder, Ingénieur général des ponts et chaussées, président du collège d'experts,

établissaient un rapport par lequel :

a) sur la première partie de leur mission, ils décidaient qu'au 31 octobre 1982, l'avancement du lot « gros œuvre » faisait apparaître un retard d'un mois environ sur les plannings contractuels et que ce retard n'était imputable ni à l'entrepreneur, ni au maître de l'ouvrage ;

b) sur la seconde partie de leur mission, après avoir estimé que la demande d'indemnisation liée aux problèmes du pompage et des retards et à celui de la fourniture des plans était recevable, ils n'ont pu émettre un avis commun et ont abouti à une indemnisation évaluée, en ce, non compris le coût rectifié du devis de pompage ;

  • par l'expert Temime à 3 777 570 F,

  • par l'expert Verrier à 49 047 624 F HT, valeur base marché-août 1981,

  • par l'expert Suder à 50 706 000 F HT, valeur octobre 1982 ;

Par lettre du 25 octobre 1983, l'entrepreneur déclarait accepter l'indemnisation proposée par l'expert Suder. Le 3 novembre 1983, l'État de Monaco manifestait son désaccord ;

Suivant exploit du 6 décembre 1983, l'entrepreneur, se référant au rapport déposé par les trois experts, assignait l'État de Monaco en paiement de la somme de 50 706 000 F, avec intérêts au taux légal à compter de l'assignation, sous réserve des réclamations définitives qui seraient présentées dès l'achèvement des travaux et de la révision de ladite somme au jour du paiement ;

Par conclusions en date du 11 juillet 1985, il sollicitait l'homologation du rapport du 7 octobre 1983 et chiffrait définitivement sa demande à la somme de 50 266 754 F, en valeur révisée et demandait, en outre, la condamnation de l'État à lui payer :

1) 15 680 120 F en valeur révisée (15 198 366 F valeur octobre 1982) à titre d'indemnisation des incidences, au-delà du 31 octobre 1982, de l'accélération des travaux et des retards de plans ;

2) 5 473 074 F en valeur révisée (4 965 359 F en valeur marché août 1981) au titre des travaux de pompage demeurant dus ;

3) 5 850 607 F en valeur révisée (4 681 530 F en valeur marché août 1981) au titre des charges extra-contractuelles postérieures au 31 octobre 1982 ;

4) 18 970 862 F, sauf à parfaire, au titre de la réparation de son préjudice financier arrêté au 30 juin 1985 ;

Il sollicitait enfin que soit ordonnée la capitalisation des intérêts et l'exécution provisoire du jugement à intervenir.

Suivant exploits du 27 juin 1984, l'État de Monaco :

1° assignait en intervention forcée et déclaration de jugement commun les architectes P., G., R., B. et L., en leur qualité de maître d'œuvre ;

2° assignait en intervention forcée et appel en garantie les sociétés Richelmi, Bachy et Soletanche en leur qualité d'attributaires du lot n° 1 ;

Ces différentes parties ont conclu ainsi qu'il suit :

L'entrepreneur :

Tant par son exploit du 6 décembre 1983 que par ses conclusions longuement développées du 11 juillet 1985, auxquelles il doit être renvoyé en tant que de besoin, notamment en ce qui concerne l'analyse qu'il fait du rapport des experts et des conclusions du professeur Filliat, rapport dont il déclare accepter les termes relativement à la seconde partie de la mission en limitant ainsi sa demande d'indemnisation et en soulignant que la première partie de cette mission, concernant les retards, constitue un arbitrage qui s'impose aux parties, l'entrepreneur soutient qu'en l'état du contrôle de sa comptabilité, auquel il a fait procéder par le Cabinet O., le tribunal dispose présentement de tous les éléments qui lui sont nécessaires pour statuer sur sa demande en indemnisation qui a été complètement instruite par les experts, lesquels ont estimé à l'unanimité que cette demande était recevable et fondée pour ce qui concerne sa cause essentielle, les difficultés de pompage et les surcoûts extra contractuels entraînés par l'accélération des travaux qui lui a été imposée par le maître d'œuvre pour résorber le retard que ces difficultés avaient entraîné ;

Il relève que les experts ont également retenu que le projet avait été lancé à un niveau de préparation insuffisant et avec une précipitation qui ont entraîné les retards dans la transmission des plans d'exécution ou de multiples remaniement, les corps d'état secondaires n'ayant pas été désignés aux dates contractuellement prévues, et des préjudices supplémentaires ;

Rappelant qu'il n'a de lien de droit qu'avec le maître de l'ouvrage qui est juridiquement et contractuellement responsable des pertes subies par l'entrepreneur, sauf à exercer des actions récursoires contre le maître d'œuvre, l'entrepreneur du lot n° 1, qui n'a pas satisfait à l'obligation de résultat qui lui incombait ou d'autres intervenants, et répondant en cela aux conclusions antérieurement déposées par l'État, il soutient encore que ce dernier ne saurait se borner, comme il le fait, à contester sa responsabilité personnelle, mettant ainsi implicitement en cause son maître d'œuvre, sans aborder le débat au fond, en observant au surplus que l'État, présent à toutes les réunions de chantier par son service des travaux publics, n'a pu ignorer les décisions prises et ne s'y est jamais opposé ;

Il conclut enfin à l'adjudication des demandes nouvelles qu'il a formulées et ci-dessus analysées ;

Par conclusions du 31 janvier 1986, il sollicite le rejet des conclusions déposées par l'État le 23 janvier 1986 et s'oppose à la mesure d'expertise qui y est formulée à laquelle il prête un caractère dilatoire en reprenant l'argumentation déjà développée ;

L'État de Monaco :

Par conclusions du 28 juin 1984, l'État déclare contester formellement la recevabilité et le bien-fondé de la demande de l'entrepreneur résultant de son exploit d'assignation. Exposant que le protocole d'accord du 17 mars 1983 n'a constitué qu'un simple expédient provisoire ayant eu pour objet principal d'assurer la trésorerie de l'entrepreneur et la continuité des travaux, il considère que le rapport des experts, désignés dans l'espoir de gagner du temps et d'aboutir à une conciliation, et qui ne peut être assimilé à un rapport d'expertise judiciaire, ne saurait servir de fondement à cette demande en ce que n'ont pas été examinés les griefs visant d'autres parties, du fait qu'il est fragmentaire et incomplet, les experts n'ayant pas rempli leur mission, et qu'une difficulté majeure d'application du protocole résulte de ce que la comptabilité de l'entrepreneur n'a pas été vérifiée, et de l'existence de trois avis et non d'un avis unique ;

Il reproche à l'entrepreneur de n'avoir pas informé le directeur des travaux et le maître de l'ouvrage, dès leur survenance, des difficultés rencontrées dans le pompage, de n'avoir pas confié les rabattements à l'entreprise chargée d'en mettre en place le dispositif et de s'être cru autorisé, du fait qu'il était invité par les architectes à rattraper le retard, à engager des dépenses supplémentaires, en observant que l'État ne s'est jamais vu offrir le choix entre payer plusieurs dizaines de millions de francs pour respecter le délai contractuel ou le prolonger de trois mois ;

Soulignant que la réception provisoire des travaux du lot n° 1 est intervenue le 26 janvier 1982, sous la réserve, qui n'a pas été levée, d'établissement d'un protocole d'accord avec l'entrepreneur pour la prise en compte des dépenses engagées pour le décentrement des axes d'appuis et la création de puisards complémentaires devant permettre le rabattement à - 3,00 NGF et faisant valoir que les griefs techniques faits par le collège d'experts, s'ils s'avéraient fondés, mettraient en jeu la responsabilité de l'entrepreneur des fondations profondes et celle du maître d'œuvre, il déclare les assigner en intervention forcée en affirmant ne s'être jamais immiscé dans le domaine technique en laissant le maître d'œuvre remplir sa mission dans la plus totale indépendance ;

En conclusion, l'État de Monaco estime qu'en tant que maître de l'ouvrage, il est exempt de toute responsabilité ;

A la date du 7 février 1985, l'État a sollicité de plus fort la jonction des instances ainsi engagées ;

Répondant le 28 mars 1985, notamment aux écritures de l'entrepreneur des fondations profondes, il conclut au maintien au débat des mis en cause et à la nécessité d'une expertise de caractère général dont la mission a été précisée par conclusions du 23 janvier 1986 ;

Les architectes :

Le 9 janvier 1985, les architectes, relevant qu'ils n'ont été assignés que pour prendre fait et cause pour l'État de Monaco et l'aider dans sa défense en prenant toutes conclusions utiles, demandent de déclarer irrecevable l'action en intervention forcée les visant et sollicitent leur mise hors de cause ;

Par conclusions du 27 septembre 1985, ils demandent au tribunal de dire et juger qu'ils ne peuvent se voir opposer que les documents versés au débat dans l'instance à laquelle ils ont été appelés, à l'exclusion de tous autres, de leur donner acte de ce qu'ils contestent énergiquement que le rapport du collège des experts puisse leur être opposable, comme étant issu d'un protocole auquel ils n'ont été partie, dire et juger qu'il appartient au maître de l'ouvrage d'assurer sa propre défense et, subsidiairement, si l'action dirigée contre eux était déclarée recevable, d'instituer une expertise à l'effet de déterminer pour quelle part l'État est intervenu dans les choix techniques du chantier, et en particulier pour les fondations profondes et le pompage, et s'il y a eu de sa part désignation tardive des entreprises avec les conséquences qui ont pu en découler sur le déroulement de l'opération et la réclamation présentée, en demandant acte de ce qu'en pareil cas, ils se réservent d'appeler en intervention forcée leurs sous-traitants ;

Ils s'opposent, en dernier lieu, à la demande d'expertise formulée par l'État qu'ils considèrent comme dilatoire et ne reposant sur aucun fondement sérieux en relevant qu'il s'est abstenu d'attraire au débat aussi bien leurs sous-traitants OTH et COPIBAT que ses autres conseils, le bureau de contrôle SOCOTEC et le centre d'études techniques CETE pour les problèmes de sols et d'hydrologie ;

L'entrepreneur des fondations profondes :

Rappelant que le Groupement d'entreprise a terminé les travaux du lot n° 1 le 16 décembre 1981, au lieu du 26 janvier 1982, date initialement prévue au planning, après avoir procédé à des essais de pompage au terme desquels il a obtenu un quitus tacite des maîtres d'œuvre, et qu'un procès-verbal de réception provisoire est intervenu le 29 janvier 1982 mentionnant diverses réserves dont une seule a été abusivement maintenue, les sociétés Bachy et Soletanche qui relèvent qu'aussi bien le protocole du 7 mars 1983, auquel elles n'ont pas été parties, que le rapport du collège d'experts qui en est issu, leur sont inopposables et ne peuvent servir de fondement à une quelconque action à leur encontre, concluent à l'irrecevabilité de la demande dirigée contre elles et au débouté de la demande en garantie de l'État ;

La société Richelmi déclare s'associer à ces conclusions et sollicite pour sa part sa mise hors de cause ;

Sur quoi, le tribunal :

II. - Motifs du jugement

Attendu que les instances introduites par les assignations du 6 décembre 1983 et du 27 juin 1984 sont unies par un lien de connexité évident et qu'il y a en conséquence lieu d'en ordonner la jonction dans l'intérêt d'une bonne administration de la justice, ainsi d'ailleurs que le sollicitent l'État de Monaco (assignation du 27 juin 1984 et conclusions du 7 février 1985) et l'entrepreneur (conclusions du 11 octobre 1984 et du 8 mai 1985) ;

Attendu qu'en l'état des dispositions de l'article 180 du Code de procédure civile il ne saurait être fait droit à la demande de rejet des conclusions déposées le 23 janvier 1986 par l'État de Monaco alors que l'audience des plaidoiries avait été reportée au 14 mars 1986 ;

Sur la recevabilité des demandes en intervention forcée :

1° En ce qui concerne l'entrepreneur des fondations profondes :

Attendu que pour s'opposer à la demande en intervention forcée et garantie dirigée contre lui, l'entrepreneur des fondations profondes invoque un moyen de fond tiré de l'inopposabilité à son égard du protocole d'accord du 17 mars 1983 et du rapport du collège des experts du 7 octobre 1983 ;

Que ce moyen constitue une défense au fond sur laquelle il sera ultérieurement statué et que la demande doit être déclarée recevable en la forme ;

2° En ce qui concerne les architectes :

Attendu qu'au soutien de leur moyen d'irrecevabilité, les architectes opposent en premier lieu que l'appel en intervention forcée diligente contre eux par l'État et ne tendant qu'à l'assister dans sa défense et à prendre toutes conclusions utiles à la solution du litige, assistance technique qu'ils se déclarent prêts à continuer à lui apporter matériellement mais en dehors de toute procédure, ne saurait être admis, sans s'interdire pour autant, après avoir sollicité leur mise hors de cause, de conclure à titre subsidiaire et au cas où leur moyen serait rejeté, à une expertise destinée à déterminer notamment la part de l'intervention de l'État dans les choix techniques du chantier en se réservant de procéder alors à la mise en cause de leurs sous-traitants COPIBAT, pilote de l'opération, et OTH Méditerranée, bureau d'études techniques, pour conclure enfin au rejet de la demande d'expertise formulée par l'État ;

Attendu qu'en dépit du parti procédural ainsi adopté par l'État il ne peut être contesté au maître de l'ouvrage un intérêt évident à voir l'instance dirigée contre lui par l'entrepreneur se dérouler au contradictoire de son maître d'œuvre ;

Que le moyen d'irrecevabilité soulevé doit être rejeté tant dans l'intérêt d'une bonne administration de la justice qu'en l'état des réserves formulées quant au fond par les architectes et des demandes dont ils entendent, à titre subsidiaire, saisir le Tribunal ;

I. - Sur la demande dirigée par l'entrepreneur contre l'État :

Attendu que la mission confiée au collège d'experts par le protocole d'accord du 17 mars 1983 constitue, de l'accord exprès des parties au protocole, un arbitrage en ce qui concerne sa première partie relative à la détermination, l'évaluation et l'imputabilité des retards, tandis que les conclusions des experts sur la seconde partie de la mission ayant trait à l'examen de la demande d'indemnisation de l'entrepreneur n'ont valeur que d'une simple recommandation pouvant être l'objet d'une acceptation ou d'un refus des parties dans les conditions indiquées à l'article IV du protocole ;

Attendu que s'il était ainsi loisible à l'État de refuser d'accepter de ce deuxième chef les conclusions des experts, ayant au demeurant abouti non à un avis unique mais à des estimations par trop divergeantes de l'indemnisation à laquelle pouvait prétendre l'entrepreneur, le rapport du collège d'experts ne saurait pour autant être purement et simplement écarté du présent débat opposant l'entrepreneur au maître de l'ouvrage au motif notamment qu'il ne serait pas opposable à d'autres parties ayant concouru à l'acte de construire et n'aurait pas examiné les griefs pouvant les concerner, critiques ne mettant nullement en cause sa validité et la régularité de la procédure, librement arrêtée par les parties, au terme de laquelle il a été établi ;

Attendu en conséquence qu'il appartient au tribunal, préalablement à l'examen de la demande d'expertise dont il est saisi par l'État, d'apprécier si les éléments fournis par ce rapport et les documents produits le mettent en mesure de statuer sur les demandes de l'entrepreneur dirigées contre l'État de Monaco, telles qu'elles ont été formulées en dernier lieu par conclusions du 11 juillet 1985, ci-dessus visées ;

Attendu que ces demandes appellent deux observations liminaires :

  • d'une part, elles portent sur trois chefs nouveaux qui n'avaient pas été soumis aux experts du collège ;

a) l'indemnisation des surcoûts entraînés par les travaux de pompage et de rabattement de la nappe phréatique ;

b) l'indemnisation des conséquences subies par l'entrepreneur au-delà du 31 octobre 1982 ;

c) les charges extra-contractuelles résultant de finitions et de pose des éléments Seghers ;

  • d'autre part, l'entrepreneur ne fonde désormais sa demande initiale en indemnisation, indépendamment des incidences financières spécifiques, que sur les chefs de préjudice non écartés par les experts et dont ils ont admis la recevabilité savoir :

a) les préjudices liés au pompage (non compris le devis de pompage rectifié proprement dit) ;

b) les préjudices dus au rattrapage du retard qui en est en majeure partie résulté ;

c) les préjudices dus au problème des plans ;

A. - LES RETARDS :

Attendu que le collège d'experts, répondant au premier chef de sa mission, a considéré qu'au 31 octobre 1982 l'avancement du lot gros œuvre faisait apparaître un retard d'un mois sur les plannings contractuels 9 à 17 du 13 avril 1982, notifiés le 19 juillet 1982, retard enregistré dès le démarrage du chantier par suite de la non-libération par le lot n° 1 des zones à des dates telles que le début des travaux de terrassement puisse s'emplacer aux dates prévues par l'entrepreneur dans un planning détaillé remis au maître d'œuvre et retourné par lui ;

Que ce retard au démarrage s'était accru ensuite pour atteindre deux mois 11 jours à deux mois 24 jours au 1er juin 1982 (par rapport au planning 13 A car les plannings 9 à 17 n'étaient pas encore notifiés) et avait été résorbé, l'entrepreneur ayant mis en place d'importants moyens, pour n'être plus - ce qui était admis par l'entrepreneur et le maître d'œuvre - que de l'ordre de un mois au 31 octobre 1982, c'est-à-dire de l'ordre de grandeur du décalage observé au début des travaux ;

Qu'ils ont en conséquence décidé que le retard enregistré au 31 octobre 1982 était d'un mois environ et qu'il n'était imputable ni à l'entrepreneur, ni au maître de l'ouvrage en précisant qu'il ne leur paraissait pas être dans leur mission de procéder à l'imputation des responsabilités de ce retard à des intervenants autres que les parties signataires du protocole d'accord ;

Attendu que cette décision, intervenue dans le cadre d'une mission d'arbitrage, s'impose définitivement à l'entrepreneur et à l'État et ne saurait être remise en question par eux ;

B. - L'EXAMEN DE LA DEMANDE D'INDEMNISATION DE L'ENTREPRENEUR :

Attendu à cet égard que l'entrepreneur, qui n'est contractuellement lié par ses marchés qu'avec le maître de l'ouvrage, ne peut se voir opposer par ce dernier les conséquences éventuelles résultant de l'intervention d'autres participants à l'acte de construire comme fin de non recevoir de son action en indemnisation, étant observé que le maître de l'ouvrage conserve à l'égard de ces derniers les recours qu'il est en droit d'exercer contre eux, soit pour leur fait personnel, soit du fait de l'inobservation de leurs propres obligations contractuelles ;

a) l'indemnisation liée aux problèmes du pompage (non compris le coût du devis et au rattrapage des retards ;

Attendu que ces chefs constituent l'essentiel de la demande d'indemnisation de l'entrepreneur et ont été longuement étudiés par les experts dans la seconde partie de leur mission (p. 23 à 63 du rapport) ;

Attendu qu'il résulte, au plan des faits, tant de ce rapport que des documents auxquels il se réfère, et versés au débat, que l'entrepreneur, après avoir pris possession du chantier par zones durant une période s'échelonnant du 23 novembre 1981 au 24 décembre 1981,

  • a entrepris, vers le 15 décembre 1981, les travaux de pompage destinés à permettre le rabattement de la nappe phréatique à partir des puits filtrants livrés par l'entrepreneur des fondations profondes ;

  • qu'il s'est très rapidement avéré, en dépit des divers moyens de pompage utilisés, qu'il n'était pas possible d'obtenir le rabattement de la nappe au niveau contractuel - 3,00 NGF du niveau de la mer ;

  • que le 13 janvier 1982, l'entrepreneur qui avait réalisé un puisard profond (- 3,50) ayant donné de bons résultats, a proposé un nouveau mode opératoire de pompage au maître d'œuvre qui l'a accepté le 10 février 1982 ;

  • qu'entre-temps, une importante réunion de chantier, à laquelle étaient notamment représentés le maître de l'ouvrage, le maître d'œuvre et les deux groupements d'entreprises, s'était tenue le 28 janvier 1982 au cours de laquelle il était considéré notamment que les difficultés de rabattement étaient dues à la présence de nappes perchées qu'il fallait combattre par la création de puisards de surface ;

  • que le « vrai pompage » s'effectuait pendant les mois de février et mars 1982, les experts considérant à cet égard (p. 29 du rapport) que ce qui était fait n'avait rien à voir avec un rabattement de nappes, qu'il avait fallu mettre en place des puisards en plus du pompage dans les puits d'origine, ce qui s'était avéré encore insuffisant, et qu'il avait fallu avancer pas à pas en pompant au fur et à mesure dans les zones où l'on travaillait...

Attendu que les experts, après avoir fait appel en qualité de Conseil à un spécialiste en géologie, le professeur Filliat, déclaraient approuver les conclusions du rapport qu'il établissait en ce qu'il en résultait :

« - qu'il y avait impossibilité intrinsèque compte tenu des éléments composant le remblai, à obtenir avec les 9 puits prévus, un rabattement de la nappe au niveau - 3 NGF ;

  • que l'origine de cette impossibilité ne résultait donc ni dans le type de pompe mise en œuvre, ni dans un colmatage des puits, ni dans la présence de nappes suspendues ;

  • que la capacité des puits d'exhaure, faute d'établissement par la maîtrise d'œuvre d'un véritable projet de rabattement a été surestimée, cette surestimation n'ayant pas été corrigée par les résultats et essais de pompage qui ont été par surcroît limités et ce à la demande du maître d'œuvre et hâtivement extrapolés ;

  • que le projet de rabattement, très différent mis au point pas le groupement du lot gros œuvre à partir de fin janvier 1982 était le mieux adapté aux besoins de l'avancement du chantier ».

Attendu, par ailleurs, qu'il n'est pas contestable que les difficultés rencontrées par l'entrepreneur dans le rabattement de la nappe phréatique et les opérations de pompage ont généré dans leur majeure partie les retards, ci-dessus évoqués, observés dans l'avancement des travaux lui incombant aux termes de ses marchés ;

Que par ordre de service du 19 juillet 1982, le maître d'œuvre notifiait à l'entrepreneur un planning de rattrapage de ce retard et qu'il est constant que l'entrepreneur mettait alors en œuvre des moyens importants, notamment en personnel, pour le résorber qui entraînaient des dépenses supplémentaires qui constituent l'essentiel de sa demande d'indemnisation présentée le 10 décembre 1982 ;

Attendu que si les experts n'ont pu parvenir à une estimation unique de l'indemnisation sollicitée - l'expert Verrier, désigné par l'entrepreneur, ayant pour sa part évalué ces seules dépenses à (10 990 312 + 20 443 092 =) 31 433 404 F - ils ont d'un commun accord considéré (p. 59 du rapport) qu'elles modifiaient les bases du contrat et rendaient recevable la demande en indemnisation ;

Attendu que ces conclusions doivent être approuvées eu égard aux éléments d'appréciation fournis au tribunal et ci-dessus évoqués ;

Attendu, en ce qui concerne le montant de cette indemnisation, dont la détermination implique en particulier, un examen approfondi de la comptabilité de l'entrepreneur - auquel il n'a pu être procédé par les experts et auquel ne saurait suppléer un rapport unilatéralement établi à sa requête qui, sans mettre en doute son objectivité, n'offre pas les garanties d'une étude contradictoire - qu'il y a lieu de recourir à une expertise ;

Attendu que reste à déterminer si cette indemnisation pour laquelle l'entrepreneur est fondé à agir contre le maître d'ouvrage avec lequel il est contractuellement lié, ainsi qu'il a été dit, doit être supportée dans sa totalité par l'État de Monaco et si celui-ci n'est pas en droit d'opposer à l'entrepreneur, et dans quelle mesure, les conséquences des fautes ou des erreurs que ce dernier a pu commettre dans la conduite des travaux et l'engagement des dépenses supplémentaires qu'il a exposées ;

Attendu à cet égard, et dans les relations entre ces deux parties, qu'il doit être relevé que l'entrepreneur ne justifie pas avoir préalablement informé l'État des conséquences pécuniaires très importantes que devaient entraîner nécessairement la mise en œuvre d'un nouveau mode de pompage qu'il a lui-même proposé au maître d'œuvre sans que cela lui incombe contractuellement, et le rattrapage des retards qui lui était demandé ;

Que mis en présence de circonstances exceptionnelles, non prévues aux marchés, ni normalement prévisibles et amené à recourir à des moyens extra-contractuels pour rattraper des retards qui ne lui étaient pas imputables, il a commis une imprudence et agi avec une certaine légèreté en s'abstenant à tout le moins d'obtenir un accord de principe préalable du maître de l'ouvrage dont il n'est pas démontré qu'il ait pu mesurer l'ampleur des dépenses supplémentaires qui étaient engagées ;

Attendu, d'autre part, que les experts ont observé à juste titre que l'importance des moyens auxquels l'entrepreneur a estimé devoir recourir avait pu être disproportionnée par rapport au résultat à obtenir ;

Attendu en conséquence qu'il y a lieu de dire et juger que l'indemnisation sollicitée de ces chefs et dont le montant sera arrêté après expertise, ne devra être supportée par l'État de Monaco qu'à concurrence des deux tiers de son montant ;

Qu'il apparaît toutefois équitable, compte tenu des éléments d'appréciation dont le Tribunal dispose, d'allouer d'ores et déjà à l'entrepreneur une indemnité provisionnelle dont il y a lieu de fixer le montant à la somme de 3 000 000 F et ce, avec exécution provisoire de ce chef du présent jugement vu l'urgence s'attachant à l'ancienneté des sommes importantes qui ont été exposées par l'entrepreneur ;

b) l'indemnisation liée à la fourniture des plans d'exécution :

Attendu que l'entrepreneur a formulé de ce chef une demande s'élevant à 10 724 167 F dans son mémoire du 10 décembre 1982 ;

Attendu que les experts, réserve faite pour l'expert Verrier, s'ils en ont admis la recevabilité, n'ont pas émis sur cette demande, qu'ils ont incluse dans une appréciation globale de l'indemnisation, un avis spécifique et suffisamment motivé ; qu'il s'agit au demeurant d'un problème complexe nécessitant une analyse approfondie du fonctionnement et de l'évolution du chantier au regard des différents chefs de préjudice invoqués par l'entrepreneur et qu'en conséquence, une mesure technique d'investigation s'impose qu'il convient d'ordonner dans les termes du dispositif ci-après, le tribunal ne disposant pas des éléments d'appréciation qui lui sont nécessaires :

C. - LES DEMANDES NOUVELLES NON SOUMISES AUX EXPERTS :

Attendu que ces demandes portant sur :

  • l'indemnisation des coûts supplémentaires entraînés par les travaux de pompage et de rabattement de la nappe par rapport aux coûts contractuellement prévus ;

  • l'indemnisation des incidences financières, au-delà du 31 octobre 1982, de l'accélération des travaux qui avait été demandée à l'entrepreneur ;

  • les charges extra-contractuelles résultant de finitions et de la pose des éléments Seghers ;

n'ont pas été soumises aux experts ou été examinées par eux ;

Que de ces chefs également une expertise s'impose tant sur le plan technique que comptable à l'effet d'apprécier, après vérification, le mérite de ces demandes et d'en chiffrer éventuellement le montant.

II. - Sur la demande de garantie dirigée par l'État contre l'entrepreneur des fondations profondes :

Attendu que l'article 2 du marché de travaux du lot n° 1, ci-dessus littéralement reproduit, mettait à la charge de son attributaire une obligation de résultat garantissant que l'ensemble batardeau-puits filtrant exécuté par lui soit en mesure d'assurer la mise hors d'eau du chantier de fondations et gros œuvre par rabattement à la cote - 3,00 NGF du niveau de la mer ;

Attendu qu'il est incontestable, au plan des faits, et démontré par les documents produits, sans même faire référence au rapport du collège d'experts, dont les sociétés Bachy et Soletanche invoquent l'inopposabilité, ce que ne saurait faire la société Richelmi, que cette obligation de résultat n'a jamais été remplie avec l'installation livrée ;

Que s'il peut apparaître singulier que l'entrepreneur des fondations profondes n'ait pas été mis en demeure d'y satisfaire, ainsi que le prévoyait son marché, il n'en demeure pas moins que cette impossibilité résulte à suffisance notamment du compte rendu de la réunion de chantier du 28 janvier 1982, à laquelle a participé l'entrepreneur du lot n° 1, et au cours de laquelle est apparue la nécessité de créer des puisards de surface, aussi bien que de la mise en œuvre d'un nouveau mode de pompage proposé sans doute imprudemment par l'entrepreneur du lot n° 3 et agréé par le maître d'œuvre ;

Attendu au demeurant que l'avis technique très motivé fourni aux experts par le professeur Filliat et à l'égard duquel il n'est élevé aucune critique ou contestation par les membres du groupement est catégorique à cet égard ;

Attendu en conséquence que la demande de garantie formée par l'État de Monaco contre l'entrepreneur des fondations profondes doit être déclarée recevable et fondée et qu'il y a lieu, eu égard aux éléments d'appréciation dont dispose présentement le tribunal, de le condamner à relever et garantir l'État de Monaco, pour moitié, de l'indemnisation laissée à la charge de l'État ;

Attendu qu'avant de statuer définitivement au fond pour le surplus, il y a lieu d'ordonner une mesure d'expertise à l'effet de procéder aux opérations et investigations ci-dessus évoquées, comme à celles sollicitées par l'État de Monaco et les architectes dans la mesure où elles peuvent s'avérer utiles à la solution du litige, et de désigner à cette fin un collège d'experts techniciens des travaux publics, du bâtiment et de la comptabilité ;

Attendu que les dépens doivent être réservés en fin de cause ;

Dispositif🔗

PAR CES MOTIFS,

Le Tribunal,

Statuant contradictoirement et en matière administrative,

Joint les instances n° 195/83, 579/84 et 580/84 du rôle introduites par les assignations des 6 décembre 1983 et 27 juin 1984 ;

Déclare recevable l'appel en intervention forcée et garantie dirigé contre les sociétés Richelmi, Entreprise Bachy et Soletanche et l'appel en intervention forcée et déclaration de jugement commun dirigé contre les architectes ;

Déclare recevable la demande en indemnisation formée par les sociétés Richelmi, Spada, Triverio, EGTM et SOMAE contre l'État de Monaco ;

Dit et juge dans les rapports entre ces parties que l'indemnisation des préjudices consécutifs aux problèmes de pompage et de rattrapage des retards devra être supportée par l'État de Monaco, mais à concurrence seulement des deux tiers du montant de cette indemnisation ;

Dit et juge que l'État sera tenu de verser aux sociétés demanderesses une indemnité provisionnelle de 3 000 000 de F ;

Ordonne de ce chef l'exécution provisoire du présent jugement ;

Dit et juge que les Sociétés Richelmi, Bachy et Soletanche seront tenues de relever et garantir l'État de l'indemnisation mise à sa charge à concurrence de la moitié de son montant ;

Avant dire droit définitivement au fond, désigne en qualité d'experts :

  • MM. Pierre Vignon,

  • Jacques Lasalle,

  • André Akerib,

  • André Garino,

avec mission, serment préalablement prêté,

1° de prendre connaissance en particulier auprès de chacune des parties principales ou intervenantes forcées de toutes pièces, documents, plans, marchés et dossiers techniques ou comptables utiles à l'accomplissement de leur mission ;

2° de déterminer la nature et l'importance des préjudices subis par l'entrepreneur et liés aux problèmes de pompage et de rattrapage des retards ci-dessus spécifiés ; en chiffrer le montant ;

3° de dire s'il existe un préjudice spécial pour l'entrepreneur pouvant être lié à la livraison tardive des plans approuvés et notamment :

a) de dire si la désignation tardive des attributaires de certains lots, en particulier celui de plomberie, a entraîné la remise tardive des plans d'exécution ;

b) de dire quelles en ont été les conséquences sur les conditions de travail et l'organisation du chantier, et de déterminer le rôle de la cellule de synthèse formée à la demande des maîtres d'œuvre ;

c) de vérifier les dires du groupement selon lesquels les perturbations auxquelles il se réfère seraient dues et dans quelles mesures, aux quatre causes suivantes :

  • les plans de béton armé ont été établis directement à partir des plans d'avant-projet de l'appel d'offres, le maître d'œuvre n'ayant pas fourni de plans d'exécution ni de détails d'exécution d'ouvrage ;

  • la désignation tardive des corps d'État n'a pas permis au bureau de synthèse d'être opérationnel en temps utile ;

  • la coordination des pièces à réclamer et à recevoir des corps d'État dans les délais n'a pas été exercée avec la rigueur nécessaire ;

  • les retards dans les études techniques des corps d'État n'ont pas permis au bureau de synthèse, quand il a pu être mis sur pied, de fournir à temps les renseignements au bureau d'études béton ;

b) de rechercher et de dire si, à partir des causes de perturbations qui pourraient être retenues par le collège d'experts, on peut rattacher et caractériser les quatre types de préjudices suivants :

  • augmentation des honoraires du bureau d'études « béton armé » du groupement en raison du surcroît de travail provoqué par la reprise fréquente des plans ;

  • augmentation des coûts des travaux effectués par les sous-traitants, fabricants et poseurs d'acier en raison des retards des commandes et des modifications des plans ;

  • incidence des pertes de temps directes pour la main-d'œuvre immobilisée ou sous-employée du fait des modifications du coffrage avant et après coulage, pour retard dans les coffrages et bétonnages de sous-zones ou de zones ;

  • préjudice indirect résultant de la désorganisation du chantier, et notamment la baisse de rendement des équipes de personnels ;

e) après vérification des préjudices allégués, fournir tous éléments de fait permettant d'apprécier à qui ils sont imputables et d'en déterminer le montant ;

4) de fournir tous éléments circonstanciés permettant au tribunal d'apprécier quant à leur existence, imputabilité et montant les causes des trois demandes nouvelles visées au motif C ;

5) de décrire le rôle et le comportement du maître de l'ouvrage et des maîtres d'œuvre aux diverses étapes du chantier et d'apprécier l'incidence des partis qu'ils ont pu prendre sur son déroulement ;

6) de manière plus générale, recueillir et fournir tous éléments d'appréciation qui s'avéreraient utiles à la solution du litige ;

Dit que les experts répondront à tous dires écrits des parties en relation avec la présente mission, les concilieront si faire se peut, sinon déposeront un rapport commun de leurs opérations dans un délai de six mois à compter de la première réunion d'expertise ;

Désigne M. Huertas, président du tribunal, pour suivre les opérations d'expertise ;

Note🔗

Ce jugement a été confirmé par arrêt du 7 novembre 1989 publié tout en amendant la motivation relative à l'existence d'un prétendu arbitrage.

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