Tribunal de première instance, 13 mars 1986, L. c/ Centre Hospitalier Princesse Grace.

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Abstract🔗

Sanction disciplinaire

Compétence du Tribunal de première instance pour connaître d'une action en responsabilité contre un établissement public - Rejet de la demande non fondée.

Résumé🔗

Un agent d'un établissement public hospitalier frappé d'une sanction disciplinaire qu'il estime illégitime est recevable à intenter une action en responsabilité contre ledit établissement devant le Tribunal de première instance, cette juridiction connaissant en vertu des articles 21 alinéa 1er du Code de procédure civile et 12 de la loi n° 783 du 15 juillet 1965, comme juge de droit commun en matière administrative et en premier ressort de toutes actions non attribuées par la Constitution ou la loi au Tribunal suprême ou à une autre juridiction.

Son action n'apparaît pas fondée dès lors que la procédure disciplinaire s'est déroulée régulièrement à son contradictoire et que son comportement a été de nature à faire courir un danger réel aux patients.


Motifs🔗

LE TRIBUNAL,

Attendu que J.-L. L., qui prétend avoir été licencié en juillet 1983, sans cause sérieuse ni légitime, par le Centre Hospitalier Princesse Grace (C.H.P.G.), lequel l'employait depuis le 4 août 1976 en qualité de kinésithérapeute, a, par l'exploit susvisé, assigné cet établissement public en réparation du préjudice résultant pour lui d'un tel licenciement qu'il estime devoir chiffrer à la somme de 318 464 francs en le décomposant, au regard du montant de ses dernières rémunérations, en 14 800 francs d'indemnités de préavis, 5 000 francs de primes, 7 400 francs d'indemnités de congés payés, 5 180 francs d'indemnités de congédiement, 19 684 francs d'indemnités de licenciement et 266 400 francs de dommages-intérêts pour rupture abusive de son contrat de travail ;

Attendu qu'il demande subsidiairement au Tribunal d'ordonner une mesure d'instruction à l'effet de définir les causes du licenciement invoqué ;

Qu'il requiert en tous les cas l'exécution provisoire du jugement sollicité ;

Attendu que le Centre Hospitalier Princesse Grace conclut au débouté de J.-L. L. de ses demandes et réclame à celui-ci par voie reconventionnelle 1 franc à titre de dommages-intérêts pour procédure abusive et téméraire ;

Attendu qu'à l'appui de ses demandes J.-L. L. a fait valoir, en fait, dans ses écritures judiciaires,

  • qu'après avoir occasionné le 15 avril 1982 (en réalité le 14), à Cap d'Ail, un accident de la circulation qui lui avait valu d'être condamné, le 4 novembre 1982 par le Tribunal correctionnel de Nice, des chefs de conduite en état d'ivresse, délit de fuite et rébellion, il avait été immédiatement suspendu de ses fonctions par une lettre de la Direction du Centre hospitalier Princesse Grace datée du 16 avril 1982, bien qu'il eût été alors sous l'effet d'une dépression nerveuse ayant durablement altéré sa santé,

  • que le Conseil de discipline appelé à statuer sur son cas, n'avait été convoqué que pour le 31 mars 1983,

  • qu'une radiation du tableau d'avancement fut alors proposée à son encontre, sans qu'il eût été entendu par le Conseil de discipline,

  • qu'il en fut de même, sur ce dernier point, en juillet 1983 lors de la réunion dudit conseil, préalable à son licenciement, au cours de laquelle il ne fut pas présent,

  • qu'il se trouvait alors, comme lors de sa suspension, en période de longue maladie par suite d'une dépression nerveuse devant prendre fin en mars 1984,

  • et que, si le Centre Hospitalier Princesse Grace avait eu des griefs à son égard, il ne l'aurait pas réembauché le 1er septembre 1983 comme agent contractuel, en tant qu'homme de peine, sur la base d'un contrat mensuel renouvelable et en contrepartie d'un salaire inférieur à celui de kinésithérapeute ;

Que, sur ces bases, il invoque exclusivement dans ses dernières conclusions, comme moyen de droit devant justifier ses demandes, une conduite fautive à son égard du Centre Hospitalier Princesse Grace résultant de ce que cet établissement l'avait suspendu à raison de faits évoqués en justice plusieurs mois plus tard seulement, licencié sans le faire entendre par le Conseil de discipline et « mis à pied » puis licencié en période de longue maladie ;

Attendu que, relativement aux faits de l'espèce le Centre Hospitalier Princesse Grace a précisé pour l'essentiel, sur la base de ses conclusions et des pièces par lui produites :

  • que son directeur, informé oralement le 15 avril 1982 de l'accident occasionné la veille par L., dont la garde à vue fut prescrite dès le 14 avril 1982, avait immédiatement suspendu celui-ci de ses fonctions pour absence irrégulière, conformément à l'article 40 du statut de son personnel, alors en vigueur, du 17 avril 1963, ce par une décision en date du 16 avril 1982,

  • que, plus amplement informé des faits commis par L., sur le rapport d'un assistant de direction de la Résidence du Cap-Fleuri (dont il résultait que le 14 avril précédent, L. avait blessé deux personnes avec son véhicule automobile qu'il conduisait alors sous l'empire d'un état alcoolique, et qu'il avait, immédiatement après, pris la fuite), ce même directeur avait ultérieurement maintenu la suspension de L. en dépit de ce que ce dernier avait alors adressé à l'Administration un certificat d'arrêt de travail,

  • qu'une réunion du Conseil de discipline avait été cependant simultanément demandée à l'effet de recueillir l'avis, statutairement prévu, de cet organisme ;

  • que celui-ci s'est une première fois réuni le 19 mai 1982 et a, d'une part, sursis à son avis jusqu'au terme des poursuites pénales alors exercées en France contre L. - ce, à la demande de la direction et sur la base de l'article 39 du statut précité ;

  • que, d'autre part, il a émis l'avis que L. soit affecté, après sa maladie alors déclarée, à un poste sans responsabilité, dans l'attente de l'avis définitif devant être formulé sur son cas ;

  • que le 30 juin 1982, L. s'est dès lors vu affecter à la buanderie de l'établissement ;

  • qu'après le jugement susvisé du Tribunal correctionnel de Nice en date du 4 novembre 1982, le Conseil de discipline s'est à nouveau réuni le 14 avril 1983 et a entendu, outre deux témoins, L. lui-même ;

  • qu'il a alors estimé incompatible le comportement général de L. avec le maintien de celui-ci dans des fonctions le mettant au contact des malades ;

  • qu'il a jugé de surcroît que le cas de cet agent relevait de la Commission médicale prévue par l'article 36 du nouveau statut du personnel, du 28 juillet 1982, et qu'il y avait lieu, dès lors, d'attendre la réunion de ladite commission avant de prendre un parti définitif ;

  • que le Conseil a, en conséquence, une nouvelle fois sursis à son avis en demandant à nouveau l'affectation de L. à un poste sans responsabilité, exempt de contact avec les malades ;

  • que L. a, dès lors, été maintenu à la buanderie de l'établissement ;

  • que, toutefois, avant même que la Commission médicale précitée ne se réunisse, L. a occasionné un nouvel incident provoqué par son imprégnation éthylique ;

  • qu'il a, en effet, dû être conduit le 20 mai 1983 au service des urgences de l'établissement au motif qu'il se trouvait alors sous l'empire d'un état alcoolique important, dans son poste de travail à la buanderie ;

  • qu'il a cependant énergiquement refusé ce jour-là l'hospitalisation requise par son état, allant même jusqu'à porter des coups au chef du bureau du personnel et à la surveillante du service des urgences ;

  • que, s'étant réunie le 25 mai suivant, la Commission médicale a conclu son compte rendu, daté du 24 juin 1983, en demandant à l'Administration d'une part d'accorder à L. un congé de longue maladie de trois mois - pour permettre à cet agent de faire un bilan de santé complet, sur le plan physique et psychique - et, ensuite, soit d'affecter à nouveau ledit agent dans son ancien emploi de kinésithérapeute, soit de lui confier une tâche compatible avec son état physique ;

  • que la Commission médicale a formulé son avis en considérant que l'état physique de L. était médiocre, que ce dernier présentait un éthylisme névrotique sévère avec ivresse pathologique et recherche de l'effet tranquillisant de l'alcool, ce qui lui occasionnait des troubles du comportement aggravés par une prise importante de médicaments psychotropes, et qu'en conséquence, il était alors dangereux que L. continue à avoir des contacts avec les malades ;

  • que le 29 juillet 1983, à la lecture du rapport de la Commission médicale ainsi motivé, et en considération de l'incident du 20 mai précédent, ci-dessus évoqué, le Conseil de discipline a émis, à l'unanimité de ses membres, l'avis que la sanction disciplinaire à proposer à l'autorité investie du pouvoir de nomination soit la révocation ;

  • qu'en définitive, et par référence à cet avis, la révocation de L., du cadre des emplois permanents de l'Etablissement, a été prononcée le 5 août 1983 par la direction, pour valoir à compter du 18 août suivant ;

Attendu qu'au regard des faits ainsi rapportés, le Centre Hospitalier Princesse Grace estime d'abord qu'aucune mesure d'instruction destinée à définir les causes du licenciement invoqué ne se justifie présentement, et, par ailleurs, quant au fond, que les prétentions de L. tendant à faire déclarer ledit licenciement dépourvu de cause légitime ou sérieuse s'avèrent sans fondement ;

Attendu que le Centre Hospitalier Princesse Grace soutient à cet égard que la procédure disciplinaire normalement engagée par son administration après l'accident du 14 avril 1982 avait fait ressortir une bienveillante humanité de sa part dont le demandeur n'avait pas su profiter, comme en témoignerait l'incident du 20 mai 1983, et, en outre, que la cessation des fonctions de L. était résultée non d'un licenciement mais d'une sanction disciplinaire, dûment prononcée par le directeur, conformément à l'avis du Conseil de discipline, et doublement motivée, car consécutive à deux incidents graves mettant en évidence l'incompatibilité du comportement de L. avec le maintien de cet agent au contact des malades ;

Que le Centre Hospitalier Princesse Grace conclut, dès lors, que la sanction disciplinaire prononcée s'est trouvée justifiée par des causes sérieuses, graves et légitimes et qu'en définitive, aucune faute n'ayant été établie à sa charge, la question de la réparation du préjudice invoqué ne saurait actuellement se poser, ni en fait ni en droit ;

Attendu que par ailleurs le Centre Hospitalier Princesse Grace a entendu justifier sa demande reconventionnelle par le fait que L. l'aurait injustement présenté comme un employeur ayant pris prétexte de l'accident susvisé pour mettre un terme aux fonctions d'un de ses agents ;

Sur quoi,

Attendu qu'il ressort du contenu des écritures des parties, tel qu'il vient d'être rapporté, que le litige présentement soumis au Tribunal a pour seul objet l'appréciation, outre ses conséquences dommageables éventuelles, de la responsabilité qu'aurait encourue l'établissement public Centre Hospitalier Princesse Grace envers son agent, J.-L. L., du fait de la décision prise de révoquer celui-ci, laquelle a revêtu en l'occurrence, en vertu de l'article 15 de la loi n° 918 sur les établissements publics du 27 décembre 1971, le caractère d'une décision administrative ;

Attendu qu'après avoir rappelé que le bureau de jugement du Tribunal du travail a rendu, le 21 mars 1985, une décision non frappée de recours, par laquelle il s'est déclaré incompétent pour statuer sur ledit litige au motif, non critiqué par les parties que L. s'était trouvé soumis à un statut de droit public en tant qu'agent d'un établissement public et qu'il ne pouvait dès lors être admis à requérir du Tribunal du travail, juridiction d'exception statuant en matière de droit privé, qu'il apprécie, notamment, les fautes qu'aurait pu commettre en l'espèce le Centre Hospitalier Princesse Grace, il doit être relevé dans la présente instance que la responsabilité dont cet établissement serait tenu n'est pas actuellement invoquée comme résultant d'une illégalité de la décision administrative de révocation ainsi intervenue, de nature à motiver un recours en annulation de celle-ci ;

Attendu que si le Tribunal suprême statue exclusivement en matière administrative et par application de l'article 90 B de la Constitution de la Principauté, du 17 décembre 1962, d'une part sur les recours en annulation pour excès de pouvoir formés contre les décisions administratives et les ordonnances souveraines d'application, ainsi que sur l'octroi des indemnités qui en résultent, d'autre part, sur les recours en cassation frappant les décisions des juridictions administratives rendues en dernier ressort, et enfin sur les recours en interprétation, ou appréciation de validité, des décisions administratives et des ordonnances souveraines d'application, le Tribunal de première instance se trouve avoir compétence pour statuer en l'espèce sur l'action en responsabilité pour faute et en indemnité dont il est saisi, par essence distincte d'un recours en annulation et manifestement étrangère aux autres cas de recours qui viennent d'être énoncés, puisqu'en vertu des articles 21 (1er alinéa) du Code de procédure civile, et 12 de la loi n° 783 du 15 juillet 1965, il connaît comme juge de droit commun en matière administrative et en premier ressort de toutes actions non attribuées par la Constitution ou la Loi au Tribunal suprême ou à une autre juridiction ;

Et sur ce,

Quant au fond,

Attendu que les éléments de fait indiqués de manière précise par les conclusions dont le Centre Hospitalier Princesse Grace a saisi le Tribunal, que le demandeur s'est abstenu de contredire de manière expresse et qui doivent dès lors être considérés comme traduisant la réalité des circonstances de l'espèce, révèlent que l'établissement public assigné, dont la responsabilité éventuelle ne saurait être appréciée en fait qu'au regard des nécessités inhérentes au service public hospitalier qu'il gère, a pris en l'occurrence, par l'intermédiaire de sa direction, à l'encontre de qui aucune faute de service spécifique n'a été en tant que telle invoquée, une sanction disciplinaire justifiée par le souci légitime de préserver la santé des usagers des différents services dont il a la charge, en conciliant cependant, d'une part, les besoins de la mission générale dont il est à cet égard investi quant à la bonne organisation des soins devant être prodigués aux patients, exempte de tout fonctionnement défectueux du service hospitalier, et, d'autre part, les droits de son agent L., chargé pour ce qui le concerne de mettre en œuvre une telle mission ;

Qu'après avoir préalablement reçu les observations de ce demandeur en Conseil de discipline et, sur l'avis conforme de cet organisme, le directeur du Centre Hospitalier Princesse Grace apparaît, en effet, avoir prononcé la 7e sanction disciplinaire prévue tant par l'article 56 du nouveau statut du personnel de l'établissement, porté par l'ordonnance souveraine n° 7464 du 25 juillet 1982, que par l'article 32 du statut antérieurement en vigueur - statuts dont L. ne conteste pas qu'ils doivent lui être appliqués sur le fondement avéré, et à juste titre, reproché à L., d'un comportement personnel de celui-ci lié à une consommation volontaire et excessive d'alcool, ayant été à l'origine, notamment, de l'accident du 14 avril 1982, révélant ainsi objectivement, de la part de L., et indépendamment de l'état de santé de cet agent, un danger réel pour les patients de l'établissement et revêtant dès lors un caractère de gravité suffisant pour motiver la sanction prononcée ;

Attendu par ailleurs que les conditions de fait dans lesquelles la révocation intervenue a fait suite audit accident ne sont pas révélatrices du comportement fautif invoqué par L. à la charge du Centre Hospitalier Princesse Grace ;

Que cet établissement était en effet, en vertu de l'article 40 de l'ancien statut de son personnel, parfaitement fondé à faire immédiatement prononcer la suspension de son agent sur la base des infractions de droit commun commises en l'espèce par celui-ci le 14 avril 1982, sans attendre que ces dernières soient ultérieurement reconnues établies, comme cela a été le cas, par une juridiction pénale ;

Que la réunion du Conseil de discipline, que L. évoque dans ses écritures comme s'étant tenue en son absence le 31 mars 1983, apparaît en réalité avoir été reportée au 14 avril 1983, date à laquelle L. fut entendu par ledit Conseil ; que de la sorte, c'est sans légèreté que la direction du Centre Hospitalier Princesse Grace, dûment informée du grief d'alcoolisme fait à L., rattaché à l'état dépressif durable de celui-ci, et dont une confirmation venait de lui être fournie par le nouvel incident du 20 mai 1983, après avoir fait recevoir les explications de l'intéressé en Conseil de discipline le 14 avril 1983, a pu prononcer dans des conditions exemptes de précipitation, la sanction en dernier lieu proposée par ledit Conseil après que celui-ci eut à deux reprises sursis à son avis, et statué en définitive le 29 juillet 1983 lors d'une dernière réunion dont la date fut préalablement portée à la connaissance de L. par une lettre que ce dernier a produite, datée du 14 juillet 1983 ;

Que, dès lors, aucune responsabilité du fait de cette sanction ne saurait être présentement encourue par le Centre Hospitalier Princesse Grace, d'où il suit que la demande d'indemnité, formulée sur la seule base d'une telle responsabilité, doit être rejetée ;

Attendu que pour autant, cependant, l'action de cet agent n'apparaît pas avoir été abusivement exercée dans une intention malicieuse ; que la demande reconventionnelle de dommages-intérêts doit être en conséquence également rejetée ;

Et attendu qu'en raison de ce qu'il succombe en sa demande, L. doit supporter les dépens du jugement ;

Dispositif🔗

PAR CES MOTIFS,

Le Tribunal,

Statuant contradictoirement en matière administrative et en premier ressort,

Reçoit J.-L. L. en sa demande dirigée contre le Centre Hospitalier Princesse Grace ;

Au fond, l'en déboute ;

Déboute également le Centre Hospitalier Princesse Grace de sa demande reconventionnelle ;

Composition🔗

M. Landwerlin, prés. ; MMes Marquilly, J.-Ch. Marquet, av. déf.

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