Tribunal de première instance, 6 mars 1986, S.B.M. c/ C.

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Abstract🔗

Droit du travail

Contrats de travail successifs - Non-substitution d'un contrat unique à durée indéterminée

Résumé🔗

La conclusion de contrats de travail successifs entre la S.B.M. et un employé n'entraîne pas nécessairement et de façon automatique la substitution à ces contrats d'un contrat unique dont la durée devrait être considérée comme indéterminée, dès lors que la convention collective prévoit clairement qu'une éventuelle reconduction à l'arrivée du terme ne saurait donner un caractère à durée indéterminée au contrat à durée déterminée et que les contrats successifs conclus concernent des fonctions distinctes (chef de table, inspecteur puis responsable de table) supposant une activité déterminée et la délivrance de plusieurs permis de travail. Par application des règles de droit commun auxquelles ils sont soumis par l'effet de l'article 2 de la loi n° 729 du 16 mars 1963, ces contrats doivent être considérés chacun isolément, en sorte que la dernière convention à durée déterminée ayant lié les parties pouvait valablement ne pas être reconduite par la S.B.M. qui apparaît avoir respecté à cet égard les prescriptions de la convention collective.


Motifs🔗

LE TRIBUNAL,

Attendu que par jugement non signifié du 3 octobre 1985 auquel il y a lieu de se reporter pour l'exposé des faits de la cause, le Tribunal du travail, saisi par C. de diverses demandes liées pour l'essentiel à la qualification des relations de travail l'ayant uni à la Société des Bains de mer et du Cercle des Étrangers à Monaco (S.B.M.), de 1977 à 1984, a dit que les différents contrats à durée déterminée ayant lié les parties constituaient un ensemble à durée indéterminée, a jugé fondées les demandes tendant à obtenir le paiement du salaire de septembre 1984, des indemnités d'un mois de préavis et de congés sur préavis, des indemnités de congédiement et de licenciement, a condamné en conséquence la S.B.M. à payer à C. :

  • 21°889,10 francs à titre de salaire du 1e au 19 septembre 1984,

  • 38°017,92 francs à titre d'indemnité d'un mois de préavis et de congés payés sur préavis,

  • 24°193,22 francs à titre d'indemnité de congédiement,

  • 91°934,26 francs à titre d'indemnité de licenciement, déduction faite de l'indemnité de congédiement,

a débouté le demandeur pour le surplus et a condamné la S.B.M. aux dépens ;

Attendu que pour statuer ainsi, les premiers juges ont :

Sur la nature du contrat de travail litigieux,

Estimé que la permanence de la relation de travail entre les parties, à compter du mois de septembre 1977, alors que la plupart des contrats successifs avaient une durée prévue de deux ans, a conféré à cette relation une existence propre, distincte des contrats à durée déterminée qui avaient été envisagés, et que ces différents contrats devaient être considérés comme ayant formé un ensemble à durée indéterminée, soumis aux règles applicables au contrat de cette nature prévoyant le respect du préavis et le paiement des indemnités de congédiement et de licenciement, sauf faute grave ou motif valable de licenciement ;

Sur l'indemnité de préavis et l'indemnité de congés payés portant sur l'indemnité de préavis,

Constaté que la S.B.M. a notifié à son employé son intention de ne pas renouveler le contrat un mois à l'avance, alors que l'ancienneté de cet employé lui ouvrait droit à une durée de préavis de deux mois, et alloué en conséquence à C. une indemnité égale à un mois de préavis, outre le 1/10e à titre de congés payés ;

Sur l'indemnité de congédiement,

Fait application du principe selon lequel l'employeur qui ne reproche aucune faute grave à son salarié lui est redevable de l'indemnité de congédiement prévue par la loi ;

Sur l'indemnité de licenciement,

Considéré que le motif allégué par la S.B.M. pour justifier le défaut de renouvellement du contrat, étranger aux mérites ou aux aptitudes professionnelles du salarié, ne pouvait être retenu comme valable sauf à recourir à des critères de discrimination d'origine ;

Sur les dommages-intérêts pour rupture abusive,

Relevé que la preuve d'abus de droit, de la légèreté blâmable ou de l'intention de nuire de la S.B.M. n'était pas rapportée par C. dont la demande a été rejetée de ce chef ;

Sur la demande en paiement de salaire du 1e au 19 septembre 1984,

Constaté que la S.B.M. ne justifiait pas de la production d'un bulletin de paie pour cette période au cours de laquelle il n'était pas allégué par cette société que C. n'avait pas accompli son travail et alloué en conséquence à cet employé les 19/30e de son salaire brut habituel ;

Et sur les congés payés de la période 1983-1984,

Débouté C. à défaut pour lui de justifier de ce chef de demande ;

Attendu que par l'exploit susvisé, la S.B.M. a formé régulièrement appel du jugement précité en date du 3 octobre 1985 et poursuit « la mise à néant » dudit jugement tout en précisant à la barre que son appel a pour objet l'infirmation de cette décision en ce qu'elle a considéré que les relations de travail formaient un ensemble à durée indéterminée et octroyé les indemnités en découlant par l'effet de la loi ;

Que par note en délibéré du 21 février 1986, accompagnée de pièces annexes, régulièrement communiquées, la S.B.M. affirme avoir réglé le salaire de son ancien employé pour la période du 1er au 19 septembre 1984 ;

Attendu qu'au soutien de son appel, la S.B.M. fait grief aux premiers juges d'avoir dénaturé la volonté des parties en disqualifiant la nature juridique des contrats successifs de travail, alors qu'elles s'étaient accordées, conformément d'ailleurs aux incitations des pouvoirs publics, pour conclure des contrats à durée déterminée ; qu'elle estime que le Tribunal du travail n'a pas tenu compte objectivement des circonstances particulières de la cause qui excluaient que les contrats litigieux aient eu pour objet d'assurer à C., ressortissant étranger, la stabilité de son emploi ; qu'elle considère en définitive qu'en refusant de contracter une nouvelle fois à l'expiration du dernier contrat l'unissant à C., elle n'a pas rompu un contrat à durée indéterminée mais a usé d'un droit légitime ;

Attendu que pour sa part C. sollicite la confirmation, en toutes ses dispositions, de la décision entreprise au bénéfice des motifs retenus par les premiers juges ; qu'il y ajoute que la S.B.M. ne saurait déroger, au moyen de la conclusion successive de plusieurs contrats à durée déterminée, aux règles régissant l'emploi en Principauté et qu'en décider autrement reviendrait à vider de leur substance les dispositions de la loi n° 729 du 16 mars 1963 ainsi que ses applications jurisprudentielles ;

Sur quoi,

Attendu qu'il est constant que la S.B.M. a conclu le 23 janvier 1976 avec le syndicat des employés des jeux, un avenant à la Convention collective générale pour le personnel de la salle de jeux exploitée par la S.B.M. dans les locaux de l'Hôtel Lœws et un accord annexe, lesquels avenant et accord ont eux-mêmes fait l'objet le 22 janvier 1979 d'un avenant « n° 6 » dont l'article 2 ter, relatif au contrat d'engagement à durée déterminée, prévoit en particulier :

« L'arrivée du terme d'un contrat d'engagement à durée déterminée ne constitue pas automatiquement ou nécessairement un motif de non-reconduction dudit contrat, sans que pour autant cette éventuelle reconduction puisse être considérée comme donnant le caractère de contrat à durée indéterminée au contrat à durée déterminée ainsi reconduit.

Le contrat d'engagement à durée déterminée peut être dénoncé par l'une ou l'autre des parties moyennant un délai de 30 jours donné par lettre recommandée avec avis de réception avant la date d'expiration du contrat... » ;

Que C. a été successivement engagé par la S.B.M., selon contrats se référant expressément à l'avenant précité du 23 janvier 1976,

1°) le 20 septembre 1977 pour une durée de 6 mois, renouvelable pour une même période en qualité de chef de table,

2°) le 20 septembre 1978 pour une durée de deux ans en qualité d'inspecteur,

3°) le 20 septembre 1980 pour une durée de deux ans en qualité d'inspecteur,

4°) et le 20 septembre 1982, pour une durée de deux ans devant se terminer le 19 septembre 1984 en qualité de « Pit Boss », la S.B.M. ayant informé son employé par lettre recommandée avec avis de réception du 17 août 1984, que ce dernier contrat ne serait pas renouvelé à son expiration ;

Attendu que contrairement à ce qu'a soutenu l'intimé, il n'existe pas en Principauté de principes jurisprudentiels établis - pas plus d'ailleurs que de textes législatifs ou réglementaires - selon lesquels la conclusion de conventions de travail successives entre les mêmes parties entraîne nécessairement et de façon automatique la substitution à ces contrats d'un contrat unique dont la durée devrait être considérée comme indéterminée ;

Que si une telle substitution a pu être consacrée par la jurisprudence de la Cour de révision, il demeure qu'en vertu de cette même jurisprudence, il appartient aux juges du fond d'apprécier, en fonction des cas d'espèces qui lui sont soumis, si les parties ont eu, en réalité, nonobstant la conclusion de contrats distincts, la volonté expresse ou tacite d'être liées par une convention à durée indéterminée avec les conséquences s'y rattachant ;

Attendu qu'en la circonstance, les engagements successifs de C. par la S.B.M., en ce qu'ils se trouvaient régis dès le 22 janvier 1979 par les dispositions claires et précises précitées de l'avenant n° 6 auquel les contrats de travail se référaient et alors que lesdits contrats n'ont pas été conclus avec le même objet puisque C. a occupé tour à tour les fonctions distinctes de chef de table, d'inspecteur puis de « Pit Boss » (responsable de salle), supposant un travail déterminé et la délivrance de plusieurs permis de travail, ne peuvent être considérés comme ayant formé, ainsi que les premiers juges l'ont admis en dénaturant les faits de la cause, un ensemble à durée indéterminée ;

Que par application des règles du droit commun auxquelles ils sont soumis par l'effet de l'article 2 de la loi n° 729 du 16 mars 1963, ces contrats doivent au contraire être considérés chacun isolément, en sorte que la dernière convention à durée déterminée ayant lié les parties pouvait valablement ne pas être reconduite par la S.B.M. qui apparaît avoir respecté à cet égard les prescriptions de l'avenant n° 6 précité ;

Attendu en conséquence que le défaut de renouvellement à son échéance de cet ultime contrat ne saurait ouvrir droit aux indemnités de préavis, de congés payés afférents au préavis, de congédiement et de licenciement, ces indemnités n'étant acquises, dans les conditions prévues par la loi n° 729 précitée et la loi n° 845 du 27 juin 1968, que dans l'hypothèse de rupture d'un contrat à durée indéterminée ;

Que le jugement du Tribunal du travail doit dès lors être infirmé de ces chefs ;

Attendu, sur la demande en paiement du salaire du 1e au 19 septembre 1984 dont le Tribunal d'appel est valablement saisi, ainsi que les parties l'ont admis, qu'il résulte des pièces annexées à la note susvisée du 21 février 1986 que la S.B.M. a réglé par virement bancaire à C. le salaire correspondant à la période de paie du 1e au 30 septembre 1984 ; que la décision des premiers juges - qui ne disposaient pas, lorsqu'ils ont statué, de ce justificatif, tout en ayant par ailleurs relevé que C. n'explicitait pas sa réclamation à ce titre - doit également être infirmée de ce chef ;

Attendu que les dépens suivent la succombance ;

Dispositif🔗

PAR CES MOTIFS,

Le Tribunal,

Statuant dans les limites de l'appel comme juridiction d'appel du Tribunal du travail ;

Reçoit l'appel formé par la Société des Bains de Mer et du Cercle des Étrangers à Monaco comme régulier en la forme ;

Au fond, infirme le jugement entrepris du 3 octobre 1985 en ce qu'il a dit que les différents contrats à durée déterminée ayant lié les parties constituent un ensemble à durée indéterminée et alloué à C. des indemnités de préavis et de congés payés sur préavis, de congédiement et de licenciement ;

Dit et juge que les contrats successivement conclus entre les parties n'ont pas perdu leur caractère de contrats à durée déterminée et ne peuvent ouvrir droit à aucune des indemnités ci-dessus visées ;

Infirme en outre le jugement du 3 octobre 1985 en ce qu'il a condamné la Société des Bains de Mer et du Cercle des Étrangers à Monaco à payer à C., à titre de salaire pour la période du 1e au 19 septembre 1984, la somme de 21 889,10 francs ;

Composition🔗

MM. Huertas, prés. ; Truchi, prem. subst. proc. gén. ; MMes J.-Ch. Marquet, Blot, av. déf.

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