Tribunal de première instance, 13 février 1986, Société Magnetti-Marelli c/ L. F. née F.

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Abstract🔗

Vice du consentement

Erreur sur la qualité de la chose vendue - Demande reconventionnelle : irrecevable.

Résumé🔗

Ayant reçu livraison de bougies d'allumage, les unes à usage de moteurs marins, les autres à usage de moteurs terrestres, l'acheteur est mal fondé à invoquer la nullité de la vente pour erreur sur la qualité substantielle de la marchandise sur la base de l'article 965 du Code civil, aux motifs qu'il aurait cru, en l'état des documents fournis par la venderesse, que les bougies livrées étaient spéciales au nautisme, dès lors qu'en raison de sa qualité professionnelle et de l'information qu'il pouvait avoir d'un catalogue qui lui avait été remis, il était à même de distinguer les caractéristiques des deux sortes de bougies.

Sur une demande principale en paiement de factures, le défendeur ne saurait demander reconventionnellement des dommages-intérêts pour résolution d'un contrat d'exclusivité et pour concurrence déloyale, étant donné qu'il est de règle en application de l'article 382 du Code de procédure civile, de n'admettre incidemment à une instance les demandes reconventionnelles, que si celles-ci procèdent de la même cause que la demande principale ou bien forment une défense contre cette demande, ou bien encore tendent à obtenir le bénéfice de la compensation judiciaire, ce qui n'est point le cas en l'espèce.


Motifs🔗

LE TRIBUNAL,

Attendu que, par l'exploit d'assignation susvisé, la société de droit italien dénommée Magnetti-Marelli a fait assigner L. F., née F., qui exerce le commerce à Monaco sous l'enseigne M. Y., en paiement d'une somme principale de 87 323,40 francs, montant total de deux factures en date, respectivement des 11 septembre et 16 novembre 1979 ;

Qu'elle expose dans cette assignation que lesdites factures sont dues en contrepartie d'une livraison de bougies d'allumage qu'elle avait expédiées à L. F. pour répondre à une commande antérieure de celle-ci, mais qu'elles étaient demeurées impayées en dépit de nombreuses mises en demeure qu'elle avait fait délivrer à son acquéreuse les 1er et 15 juin 1981, ainsi que les 30 mars et 6 octobre 1982 ;

Qu'elle sollicite de cette commerçante, outre le paiement de ladite somme de 87 323,40 francs avec intérêts au taux légal à compter du 1er juin 1981, 10 000 francs de dommages-intérêts pour résistance abusive ;

Qu'à défaut de paiement de la somme principale ainsi réclamée, elle demande par ailleurs au Tribunal de constater, avec tous effets de droit, l'état de cessation des paiements de sa débitrice en en fixant la date au 6 octobre 1982 ;

Attendu qu'au motif que les bougies facturées seraient d'un type inapproprié aux moteurs marins, car destinées aux véhicules automobiles ou aux engins industriels, L. F. estime qu'elle a commis une erreur sur une qualité substantielle des marchandises objet de la vente dont il lui est réclamé le prix - puisqu'elle aurait cru, sur la base de documents fournis par sa venderesse, que les bougies livrées étaient spéciales pour le nautisme, domaine spécifique d'activité commerciale de sa part que cette même venderesse connaissait - et que, du fait de cette erreur il y aurait lieu de débouter la Société Magnetti-Mareli de ses demandes, et de prononcer la nullité de la vente portant sur les bougies livrées, ce par application des articles 964 et suivants du Code civil ;

Attendu, par ailleurs, qu'en raison de ce qu'elle aurait toujours exprimé son désaccord avec la demanderesse, quant à la qualité des marchandises livrées, L. F. demande reconventionnellement 100 000 francs à titre de dommages-intérêts pour le préjudice qu'elle aurait subi de par l'atteinte à sa réputation commerciale, résultant de son assignation en cessation de paiements ;

Qu'outre cette demande et sur la base d'un contrat d'exclusivité qui l'aurait liée à la demanderesse principale, mais dont elle sollicite le prononcé de la résolution aux torts de celle-ci, elle a formulé une deuxième demande tendant à ce que la Société Magnetti-Marelli soit condamnée à lui payer, en sus de 50 000 francs à titre de dommages-intérêts pour le préjudice commercial qui lui aurait été occasionné par les manquements contractuels de cette société à son égard, la somme de 270 340 francs correspondant à divers frais qu'elle aurait exposés en exécution du contrat d'exclusivité invoqué ;

Qu'enfin, en alléguant des actes de concurrence déloyale qui auraient été commis par la Société Magnetti-Marelli, L. F. réclame à cette dernière 50 000 francs supplémentaires à titre de dommages-intérêts ;

Que subsidiairement, toutefois, elle demande au Tribunal, s'il s'estimait insuffisamment éclairé par les pièces produites, d'ordonner une expertise, aux frais avancés de la Société Magnetti-Marelli, à l'effet de rechercher, principalement, si les bougies dont s'agit qui se trouveraient actuellement, après avoir été réexpédiées à la venderesse et refusées par celle-ci, dans les locaux d'un transporteur de Grasse, sont destinées aux embarcations maritimes ou bien à des véhicules ou engins industriels terrestres ;

Attendu que, maintenant les termes de l'exploit introductif d'instance, la Société Magnetti-Marelli conclut, en définitive, au rejet de la demande de nullité de la vente des bougies litigieuses qu'elle estime conformes à la commande et de caractéristiques parfaitement connues de L. F. ;

Que, quant aux autres demandes de celle-ci, elle fait valoir liminairement l'irrecevabilité de principe, qui apparaît déduite de l'article 382 du Code de procédure civile, d'une demande reconventionnelle qui ne constituerait pas une défense à l'action principale ;

Qu'elle conclut par ailleurs au rejet également, des demandes de dommages-intérêts formulées à concurrence de 100 000 francs et de 50 000 francs en considérant justifiée par l'attitude de son adversaire l'assignation de celle-ci en cessation de paiements, et en se défendant d'avoir cherché à nuire à cette partie ;

Qu'enfin, elle demande au fond, et à les supposer recevables, le débouté de L. F. de ses autres demandes reconventionnelles tendant à obtenir paiement de 270 340 francs et de 50 000 francs supplémentaires de dommages-intérêts, en tant que fondées sur la résolution réclamée d'un contrat d'exclusivité dont elle conteste l'existence ;

Sur quoi,

Attendu que préalablement à l'examen de la demande principale introduite par la Société Magnetti-Marelli, et étant observé que la cessation de paiements alléguée n'apparaît pas présentement établie en fait par les pièces produites, il convient de procéder en premier lieu à l'appréciation du bien-fondé de l'exception de nullité soulevée par la défenderesse principale, au regard des articles 964 et suivants du Code civil, sur le fondement de fait d'une erreur, quant aux possibilités d'utilisation des bougies litigieuses, qui aurait vicié le consentement de cette partie ;

Attendu, sur ce, que lesdites bougies s'avèrent, selon les pièces produites par les parties, et de l'accord de celles-ci, avoir donné lieu d'abord à une commande datée du 10 mai 1979, portant le n° 790-11, puis à deux factures, l'une n° 7517/M en date du 16 novembre 1979, l'autre, antérieure, en date du 11 septembre 1979, numérotée 5530/M ;

Attendu que l'examen de ces factures révèle que les bougies qui y sont mentionnées portent, selon leur catégorie particulière et par référence au catalogue correspondant émis par la Société Magnetti-Marelli, une référence précise sous forme d'un nombre inclus entre deux séries de lettres ;

Que la comparaison des références indiquées sur ces factures, au regard de celles figurant sous forme manuscrite sur l'imprimé ayant servi à établir la commande susvisée du 10 mai 1979, permet de conclure que les diverses espèces de bougies facturées ont toutes fait l'objet de la commande souscrite suivant cet imprimé ;

Attendu que le fait juridique d'erreur allégué dont la preuve incombe à L. F., n'a pu ainsi porter, à le supposer établi, que sur l'utilisation, qu'avait pu escompter cette commerçante en souscrivant sa commande, des bougies dont les références ont été indiquées tant par la commande que par les factures susvisées ;

Attendu que, sur ce point, il doit être observé en premier lieu que L. F. n'a pas précisé dans ses écritures judiciaires - en en fournissant la référence exacte - lesquelles des bougies ci-dessus mentionnées seraient impropres à l'usage auquel elle dit avoir entendu les destiner, alors que, par une lettre datée du 27 mars 1981, cette défenderesse principale, faisant ainsi état de son ignorance à cet égard, a demandé à la filiale française de la Société Magnetti-Marelli de lui indiquer quelles étaient, parmi les bougies livrées qu'elle détenait en stock, celles destinées aux moteurs nautiques et à quel moteur elles devaient s'appliquer ;

Que toutefois, un tableau annexé par la Société Magnetti-Marelli à une lettre du 5 février 1979, antérieure à la commande et destinée à L. F., fournit de manière précise les références des bougies préconisées par ladite société pour un usage maritime ;

Que L. F. n'ignorait pas, alors, les termes d'un catalogue que lui avait communiqué la venderesse, et qu'elle verse aux débats, mentionnant, pour certaines de ces bougies, une possibilité d'usage terrestre, également qu'elle ne saurait, dès lors, présentement arguer que, dans son esprit, les bougies commandées étaient spéciales, comme elle le soutient, aux moteurs marins ;

Que de plus, parmi les bougies commandées, les bougies de référence : CW 7L PR, TN 6NP, CW 6LR, CW 78L, TM 4M, CW 67L, TM 3MP et CW 7CJ, d'un nombre total de 4 080 unités, ne figurent pas sur la liste, produite à l'instance, des bougies annoncées par la Société Magnetti-Marelli comme étant de type maritime ;

Qu'en outre, encore, il ressort d'une publicité diffusée sous le nom « M. Y. » pour les bougies Magnetti-Marelli, que lesdites bougies, de type maritime, ont été présentées au public comme équivalant par leurs caractéristiques, et selon leur série particulière, à des bougies, spécifiées, de marques connues, telles que : A.C. Bosch, Champion, Eyquem, KLG, Marchal et NGK ;

Qu'enfin, L. F. n'a pas fait état de réclamations émanant de ses clients, ni indiqué la teneur exacte des « tests » qui lui auraient permis, comme elle le prétend, de considérer que les bougies commandées étaient impropres à un usage maritime, en sorte que l'expertise qu'elle sollicite subsidiairement ne s'avère pas pertinente ;

Qu'il s'ensuit que l'impropriété alléguée desdites bougies n'apparaît pas présentement établie alors au demeurant qu'elle ne saurait être en toute hypothèse invoquée pour la totalité de la marchandise livrée, laquelle fait suite à une commande qui a pu porter, en partie, sur des bougies de type terrestre ;

Qu'enfin, même à la supposer établie, une telle impropriété ne saurait utilement relever en l'espèce d'une erreur sur la substance, au sens de l'article 965 du Code civil, puisque le caractère mixte, terrestre-maritime, d'utilisation des bougies litigieuses commandées était ostensible lors de la commande et qu'il appartenait à L. F., en sa qualité de professionnelle appelée à revendre à des tiers lesdites bougies, de procéder à tous contrôles préalables et vérifications nécessaires pour s'assurer de qualités qu'elle prêtait à ces mêmes bougies, de caractéristiques connues, sauf à commettre, en ne le faisant pas, une erreur inexcusable la privant du droit de réclamer, comme elle le fait, la nullité de la vente portant sur la totalité des bougies objet de sa commande ;

Que l'exception de nullité soulevée devant être, dès lors, rejetée, il y a lieu de faire droit à la demande de paiement de la somme principale, en l'état de la conformité ci-dessus évoquée des bougies livrées par rapport aux bougies commandées ;

Que les intérêts de droit réclamés doivent être alloués comme il est demandé à compter du 1er juin 1981, date d'une mise en demeure explicite de payer adressée à L. F., dont il a été justifié ;

Que toutefois, aucun préjudice distinct de celui qui se trouve ainsi réparé par les intérêts de retard précités n'ayant été établi en l'espèce, il convient de rejeter la demande de dommages-intérêts pour résistance abusive formulée par la demanderesse principale ;

Attendu par ailleurs, quant aux demandes reconventionnelles qu'hormis les réclamations de dommages-intérêts motivées par l'introduction d'une demande principale jugée abusive, lesquelles ont toujours été admises sans restriction par la jurisprudence comme trouvant leur origine dans ladite demande, il est de règle, en application de l'article 382 du Code de procédure civile de n'admettre, incidemment à une instance, les demandes reconventionnelles, que si celles-ci procèdent de la même cause que la demande principale, ou bien forment une défense contre cette demande, ou bien encore tendent à obtenir le bénéfice de la compensation judiciaire ;

Attendu qu'en l'espèce, sur la base des conclusions de L. F. qui conteste être débitrice de la Société Magnetti-Marelli, cette dernière condition ne se révèle pas remplie par les demandes reconventionnelles présentement introduites - autres que celle tendant à obtenir 100 000 francs de dommages-intérêts à raison de la demande de cessation de paiements initialement formulée, une telle demande de dommages-intérêts apparaissant recevable eu égard à ce qui précède ;

Attendu que ces autres demandes reconventionnelles ne constituent aucunement, d'autre part, une défense à la demande principale puisque l'on doit entendre par défense l'ensemble des moyens dirigés directement à l'encontre de la prétention d'un demandeur pour établir qu'elle est injustifiée, et qu'en l'espèce de tels moyens ne sont pas opposés au soutien de demandes reconventionnelles dont s'agit ;

Que pas davantage lesdites demandes reconventionnelles de L. F., qui apparaissent fondées sur la résolution d'un contrat d'exclusivité contesté, ne procèdent de la même cause que la demande principale qui tend à l'exécution d'un contrat de vente ;

Qu'il y a lieu à cet égard de relever qu'alors que la jurisprudence française ancienne estimait que la simple connexité suffit, entre la demande principale et la demande reconventionnelle pour faire admettre celle-ci, sans qu'il soit nécessaire que la demande reconventionnelle dérive de la même cause que la demande principale, il en a été différemment décidé par le législateur dans le Code de procédure civile monégasque, lequel dans son article 382 précité exige en la matière une identité de cause semblable à celle que prévoit l'article 1198 du Code civil quant à la relativité de la chose jugée, domaine connaissant une jurisprudence abondante dans lequel doit être, dès lors, puisée la notion stricte de cause identique ;

Qu'il s'ensuit, en définitive, que les demandes reconventionnelles ci-dessus spécifiées, autres que celle tendant aux 100 000 francs de dommages-intérêts, telles qu'elles résultent du dispositif des conclusions qu'a déposées sous la date du 24 mai 1984 L. F., doivent être, dans leur ensemble, déclarées irrecevables ;

Attendu d'autre part que la demande de 100 000 francs de dommages-intérêts qui vient d'être mentionnée - et qui doit être reçue en la forme, sur la base de ce qui a été ci-dessus indiqué - en dépit de son caractère téméraire, à juste titre invoqué par L. F., n'apparaît pas fondée sur un préjudice certain dont cette partie aurait souffert ;

Qu'elle doit être, pour ce, rejetée ;

Et attendu que L. F. qui succombe doit supporter les dépens du présent jugement ;

Dispositif🔗

PAR CES MOTIFS,

Le Tribunal,

Statuant contradictoirement,

Rejette l'exception de nullité ;

Condamne L. F. née F. à payer à la Société S.P.A. Magnetti-Marelli la somme de 87 323,40 francs, ainsi que les intérêts de ladite somme calculés au taux légal à compter du 1er juin 1981 ;

Dit n'y avoir lieu de constater l'état de cessation de paiements de L. F. ;

Déboute la Société S.P.A. Magnetti-Marelli de sa demande de dommages-intérêts ;

Reçoit L. F. en sa demande de dommages-intérêts fondée sur le caractère abusif de la demande de cessation de paiements, mais au fond, l'en déboute ;

Déclare L. F. irrecevable en ses autres demandes reconventionnelles ;

Déboute les parties du surplus des fins de leurs conclusions ;

Composition🔗

MM. Landwerlin, prés. ; Truchi, prem. subst. proc. gén. ; MMes Sanita et Boéri, av. déf.

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