Tribunal de première instance, 13 février 1986, A. c/ C.

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Abstract🔗

Société d'indivision

Distinction avec simple indivision - Licitation - Partage

Résumé🔗

Une société d'indivision, constituant un groupement dans lequel des associés conviennent de laisser dans l'indivision des biens qu'ils mettent en commun, se distingue de la simple indivision par l'affectation de biens indivis à une œuvre lucrative commune.

Il est de principe que l'article 646 du Code civil est inapplicable à l'indivision qui a été créée dans un but patrimonial par des indivisaires groupés à une société même privée.

Durant l'existence convenue d'une telle société, un associé ne saurait demander le partage de l'actif commun, en contrariant ainsi la poursuite de l'objet social, tout en demeurant lié par le contrat de société initialement conclu.

La règle s'impose donc de n'admettre les demandes de partage des biens indivis affectés à la réalisation de l'objet d'une société d'indivision qu'après dissolution de celle-ci, sauf accord des associés pour y mettre fin prématurément.


Motifs🔗

LE TRIBUNAL,

Considérant les faits suivants :

Par acte dressé le 16 mars 1984 par Maître Jean-Charles Rey, notaire à Monaco, M. P., veuve F., a cédé à F. C. et à A. A., née N., à raison d'une moitié indivise chacun, un fonds de commerce de bar-restaurant dénommé L. C., exploité dans l'immeuble ., ledit fonds comprenant, aux termes de l'acte, le nom commercial ou l'enseigne L. C., la clientèle y attachée, les objets mobiliers et le matériel servant à son exploitation, suivant état accepté par les parties, et, enfin, le droit à la prorogation légale résultant de la loi n° 490, modifiée, du bail des locaux abritant ce même fonds ;

Un tel bail avait été antérieurement consenti en l'espèce par les époux J. N. et L. P. au précédent propriétaire du fonds, nommé G., suivant acte sous seing privé, enregistré, en date du 21 janvier 1950, pour une salle de bar, une salle de restaurant, un salon, une cuisine et un water-closet situés au rez-de-chaussée de l'immeuble, une chambre, une cuisine et un cabinet de toilette au premier étage, et, en outre, deux caves ;

Aux termes de l'acte susvisé du 16 mars 1984, la cession était faite pour un prix principal en bloc et à forfait de 300 000 francs et sous la condition suspensive de l'obtention par les cessionnaires des autorisations administratives requises pour l'exploitation du fonds cédé ;

Sur le prix ainsi déclaré par les parties, 30 000 francs ont été payés comptant comme l'attestent les mentions de l'acte de cession ;

Ce même acte précise en outre que les cessionnaires se sont engagés à payer le solde du prix, soit 270 000 francs, à la réalisation de la condition suspensive convenue, dont la survenance est présentement acquise aux débats ;

Le 6 juillet 1984, F. C. a versé 149 500 francs en l'étude du notaire ci-dessus nommé, au titre de sa quote-part dudit solde majorée d'une provision pour frais ;

Il avait par ailleurs émis, sous la date du 16 mars 1984, un chèque de 350 000 francs à l'ordre de M. F. en règlement de la différence qu'il indique avoir existée entre le prix du fonds déclaré à l'acte de cession et son prix réel de 650 000 francs ;

Il soutient que cette différence a été acquittée de ses deniers, sans être sur ce point contredit par les écritures judiciaires d'A. A., née N. ;

Les inscriptions portées au répertoire du Commerce et de l'Industrie à la date du 20 juillet 1984, sous le n° 84 P 4455 au nom d'A. A., née N. mentionnent cette dernière comme propriétaire exploitante du fonds de commerce dont s'agit en association avec F. C., lui-même inscrit audit répertoire sous le n° 84 P 3608 ;

Ces deux associés ont conclu le 31 octobre 1984, sous seings privés, une promesse de vente (dont l'acte versé aux débats sera enregistré avec le présent jugement) par laquelle A. A. s'est engagée à céder à F. C. la moitié indivise du fonds de commerce considéré, sous la condition suspensive de l'obtention par C. d'un prêt ainsi que des autorisations administratives nécessaires pour exploiter désormais seul ledit fonds ;

Cette promesse de vente, qui n'a pas reçu effet, en l'absence du prêt escompté, comportait un prix convenu de 446 000 francs pour la part indivise d'A. A. dont la cession était envisagée ;

Ce prix correspond au montant, arrondi, d'une somme de 445 817,69 francs représentant notamment la part du prix du fonds susvisé réellement payée par A. A. et, en outre, divers investissements en mobilier effectués par cette dernière pour ledit fonds ;

Par exploit d'assignation en date du 24 janvier 1985, A. A. a saisi le Tribunal d'une action dirigée contre C., par laquelle elle demande, sur le fondement de l'article 696 du Code civil, la licitation partage du fonds de commerce L. C., acquise en indivision aux termes de l'acte du 16 mars 1984, comme il vient d'être dit ;

Elle en sollicite la vente en justice à une audience des criées qu'elle demande au Tribunal de fixer, et pour la mise à prix de 600 000 francs, ce, après l'accomplissement des formalités de publicité légale et la parution de deux publications successives dans l'édition régionale du journal « Nice-Matin », d'une annonce relative à la vente sollicitée ;

Concluant au rejet de la licitation ainsi réclamée, F. C. a demandé reconventionnellement au Tribunal de dire et juger qu'il convient, préalablement au partage du fonds de commerce, d'ordonner la liquidation partage de l'association ayant existé entre les parties et, pour y parvenir, d'instituer de ce chef une expertise à telles fins que de droit et à l'effet de déterminer notamment la quote-part de chaque co-indivisaire ;

Il sollicite en outre d'être déclaré fondé à demander l'attribution partage du fonds de commerce dont s'agit, tel que décrit à l'acte de cession du 16 mars 1984, y compris le studio en étage, moyennant le paiement à sa co-partageante, A. A., d'une somme équivalant aux droits de cette dernière dans l'association, à charge pour elle d'une part de respecter l'obligation de garantie résultant du partage, en s'interdisant à l'avenir tout acte de concurrence déloyale, et en tant que de besoin, d'autre part, de libérer le studio précité dont elle aurait conservé les clefs et dans lequel elle aurait laissé son mobilier et des effets personnels ;

La demanderesse a maintenu, dans ses dernières conclusions, l'entière teneur des fins de l'assignation introductive d'instance et relevé que ses comptes avec C. résultaient à l'évidence de la promesse de vente signée le 31 octobre 1984, par laquelle celui-ci avait reconnu lui devoir 446 000 francs en contrepartie, tant de la quote-part qu'elle détenait du fonds que des sommes qu'elle avait investies pour celui-ci ;

Elle demande acte de ce qu'elle déclare se trouver prête à renoncer à sa quote-part contre le versement immédiat de ladite somme de 446 000 francs augmentée des intérêts de droit ayant couru depuis le 30 novembre 1984 ;

A défaut d'acceptation d'une telle proposition par C., elle demande toutefois au Tribunal d'ordonner dans les meilleurs délais la licitation partage du fonds de commerce L. C. ;

Pour s'opposer à la licitation et au partage du fonds de commerce L. C., F. C. soutient qu'une telle opération serait contraire à l'équité, eu égard au fait qu'il avait toujours exploité seul ledit fonds en raison de ses compétences, qu'il y aurait dès lors lieu de lui permettre de conserver celui-ci et, qu'il faudrait pour cela procéder, dans un premier temps, au partage de l'association ayant existé entre lui-même et A. A., ainsi qu'à la liquidation des droits de chacun dans ladite association, ce, par voie d'expertise, après quoi l'attribution du fonds dont s'agit pourrait lui être consentie sur le paiement par lui des sommes revenant à son associée ;

Il considère qu'une telle attribution serait, en droit, conforme au principe admis par la pratique, selon lequel, dès lors qu'un fonds de commerce n'est pas en général partageable en nature, la licitation consécutive à l'impossibilité d'un tel partage pourrait être néanmoins évitée par l'attribution dudit fonds à l'un des indivisaires en contrepartie d'une soulte versée par celui-ci à ses co-indivisaires ;

Les moyens ainsi développés par C. sont rejetés dans leur ensemble par A. A., née N., qui les tient pour destinés seulement à retarder la solution du litige au motif réel d'une impécuniosité persistante de C., non avouée par lui, qui aurait, seule, conduit celui-ci à solliciter artificiellement, par voie d'expertise, des comptes entre eux déjà établis par le passé ;

Sur quoi,

Attendu que si la promesse de vente susvisée a déjà pu constituer en l'espèce le début d'une détermination amiable des droits respectifs de chacune des parties découlant de l'acquisition commune par celles-ci du fonds de commerce L. C., et si elle apparaît s'être trouvée compromise en ses effets par la seule impécuniosité de C., lequel a omis de répondre présentement de manière effective à l'offre réitérée par sa co-indivisaire de lui céder la quote-part indivise dont elle est titulaire dans ce fonds, pour la somme principale de 446 000 francs, il demeure que les comptes ainsi établis par les parties, à une époque déterminée du présent litige, doivent être actuellement révisés pour avoir égard à l'exploitation ultérieure du fonds, opérée en association par ces mêmes parties comme l'attestent, notamment envers les tiers, les inscriptions susvisées portées au Répertoire du Commerce et de l'Industrie ;

Attendu que l'association ainsi établie doit être analysée en une société d'indivision ayant existé entre F. C. et A. A. soit sous la forme d'une société créée de fait, soit sous celle d'une association en participation régie par les articles 54 et suivants du Code de commerce, encore que les inscriptions précitées du Répertoire du Commerce et de l'Industrie s'opposent, par la publicité donnée en l'occurrence à une telle association, au caractère généralement occulte que la pratique reconnaît à ce type de société ;

Qu'une société d'indivision constitue en effet un groupement dans lequel des associés conviennent de laisser dans l'indivision des biens qu'ils mettent en commun ; qu'elle se distingue ainsi de la simple indivision par l'affectation de biens indivis à une œuvre lucrative commune, ce qui apparaît être le cas de l'espèce du fait de l'acquisition par les parties du fonds indivis considéré et de l'exploitation convenue en commun de celui-ci qui s'en est suivie, bien que C. ait affirmé, en dernier lieu, avoir accompli seul les actes matériels d'exploitation de ce fonds en raison de ses connaissances particulières en la matière, qu'il dénie à son adversaire, ce qui ne saurait toutefois priver A. A. de sa qualité d'associée ;

Attendu, sur ce, qu'il est de principe que l'article 696 du Code civil est inapplicable à l'indivision qui a été créée dans un but patrimonial par des indivisaires groupés en une société même privée de personnalité juridique ;

Que durant l'existence convenue d'une telle société, un associé ne saurait, en effet, demander le partage de l'actif commun, en contrariant ainsi la poursuite de l'objet social, tout en demeurant lié par le contrat de société initialement conclu ;

Qu'en revanche, à la fin dudit contrat, ce même partage ne serait nullement préjudiciable à des intérêts sociaux antérieurement envisagés mais venus désormais à terme ;

Que la règle s'impose donc de n'admettre les demandes de partage des biens indivis affectés à la réalisation de l'objet d'une société d'indivision qu'après dissolution de celle-ci ;

Qu'il s'ensuit que la demande de licitation-partage actuellement introduite quant au seul fonds de commerce L. C. doit être, dès lors, rejetée en l'état de par son caractère prématuré ;

Attendu toutefois qu'en la formulant comme il a été ci-dessus rapporté, A. A., née N., apparaît avoir implicitement mais nécessairement prévu qu'il soit mis fin pour l'avenir à son association avec C. puisqu'elle a fait état en ses écritures judiciaires des difficultés persistantes qu'elle a connues avec cet associé, devenues en dernier lieu insupportables, en précisant qu'elles l'avaient écartée en fait de toute gestion du fonds de commerce L. C. et incitée à procéder à la cession de sa quote-part indivise dudit fonds soit à un tiers, soit à C. ;

Attendu que ce dernier, quant à lui, a expressément demandé par ses conclusions la liquidation de son association avec A. A. ;

Qu'il y a dès lors lieu, en constatant l'accord des parties de ce chef, d'une part de prononcer la dissolution de l'association ayant existé entre elles et, d'autre part, de prescrire l'établissement d'un compte de liquidation avant qu'il ne soit procédé au partage, consécutif à ladite dissolution, des biens de la société ainsi constituée antérieurement et, parmi ces biens, s'il y a lieu, à la vente ou au partage en nature de ceux mis en commun au cours de l'association ;

Qu'il y a lieu à cet effet, eu égard à l'absence d'éléments fournis par les parties quant à la consistance exacte de ce qui relève de leur association, de commettre un expert à l'effet de faire le compte des associés sur la base tant de leurs apports respectifs, que des bénéfices ou pertes de leur association devant être répartis entre eux, à défaut de convention particulière, selon les règles du droit commun des sociétés ;

Que les frais de l'expertise qui sera dès lors ordonnée doivent être avancés par F. C. qui a sollicité une telle mesure d'instruction, dont il a souligné la nécessité, pour s'opposer à la demande ;

Qu'enfin, les dépens de la présente instance doivent être réservés ;

Dispositif🔗

PAR CES MOTIFS,

Le Tribunal,

Statuant contradictoirement,

Dit que le fonds de commerce dénommé L. C. dépend d'une société d'indivision constituée entre F. C. et A. A., née N. ;

Constate l'accord de ces parties pour qu'il soit procédé à la dissolution de ladite société ;

Prononce en conséquence cette dissolution, et avant de statuer plus avant, tous autres droits des parties demeurant réservés,

Désigne en qualité d'expert Monsieur André Garino, expert-comptable,., avec mission, serment préalablement prêté aux formes de droit, de faire le compte des parties et d'établir un état liquidatif des intérêts respectifs de celles-ci dans la société susvisée ;

Dit que l'expert ainsi désigné répondra à tous dires écrits des parties qu'il conciliera si faire se peut, et qu'il déposera rapport de ses opérations dans les quatre mois du début de celles-ci ;

Désigne Monsieur Narmino, juge au Tribunal, à l'effet de suivre lesdites opérations ;

Dit qu'en cas d'empêchement du juge commis, il sera procédé à son remplacement par simple ordonnance ;

Ordonne que les frais de l'expertise seront avancés par F. C. ;

Composition🔗

MM. Huertas, prés. ; Truchi, prem. subst. proc. gén. ; MMes Marquilly, Sanita, av. déf. ; Léandri, av.

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