Tribunal de première instance, 6 février 1986, H.-D. (Dame) c/ V.

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Abstract🔗

Bail commercial

Non-exploitation - Résiliation judiciaire possible

Résumé🔗

Le défaut d'exploitation d'un fonds de commerce par le titulaire d'un bail commercial constitue de sa part un manquement à l'obligation d'user de la chose louée suivant la destination qui lui a été donnée par le bail que lui impose l'article 1568 du Code civil.

Ce manquement étant de nature à causer un dommage au bailleur consécutivement à la perte de valeur du fonds autorise celui-ci à solliciter la résiliation judiciaire du bail en vertu de l'article 1569 du Code civil.


Motifs🔗

LE TRIBUNAL,

Attendu que, par l'exploit susvisé, S. H. née D., qui expose que J. V., à qui elle a loué selon acte de Maître Crovetto du 31 janvier 1972 un magasin avec arrière-magasin, sis au rez-de-chaussée de l'immeuble. pour lui permettre l'exercice de son commerce de fabrication, réparation, entretien, achat, vente, etc. d'appareillage électronique, n'exerce plus depuis le 30 juin 1984 aucune activité commerciale, en contravention avec les prescriptions du bail lui imposant de garnir les lieux loués pour répondre du paiement du loyer et de l'exécution des clauses du bail, a fait assigner son locataire pour que soit constatée la résiliation du contrat conclu le 31 janvier 1972, sur le fondement de la clause résolutoire qui y est mentionnée pour le cas d'inexécution « de l'une quelconque des clauses du bail, si bon semble à la bailleresse » ;

Qu'elle demande en conséquence au Tribunal d'ordonner l'expulsion de V. dès le prononcé du jugement à intervenir, dont elle sollicite l'exécution provisoire, sous astreinte de 300 francs par jour de retard ;

Qu'à titre tout à fait subsidiaire elle demande au Tribunal, dans l'hypothèse où la résiliation ne serait pas prononcée, de constater que le bail a perdu tout caractère commercial du fait de la cessation d'activité de V. et d'ordonner la libération des lieux à son échéance ;

Attendu que pour s'opposer aux demandes dont il fait l'objet, V. soutient que la clause résolutoire de plein droit ne peut jouer, aux termes du bail, qu' « un mois après un simple commandement de payer ou d'exécuter demeuré infructueux », commandement dont il indique, dans ses conclusions datées du 9 mai 1985, qu'il n'a pas eu lieu ;

Que sur la demande subsidiaire, il oppose l'incompétence de ce Tribunal au profit de celle de la Commission arbitrale des loyers commerciaux, seule habilitée à apprécier ladite demande qui s'analyserait, selon lui, en un refus de renouvellement de bail ;

Que, formant une demande reconventionnelle pour procédure abusive, il poursuit la condamnation de S. H. à lui payer la somme de 5 000 francs à titre de dommages-intérêts ;

Attendu qu'en réponse, la demanderesse rappelle qu'une sommation d'avoir à quitter les lieux a été délivrée le 14 février 1985 et mentionne que le commandement requis a été signifié le 26 juillet 1985, conformément aux exigences contractuelles ;

Qu'elle estime justifier de la cessation d'activité du défendeur depuis le 30 juin 1984 par les pièces produites (en dernier lieu un constat d'huissier du 24 octobre 1985) et soutient que son locataire est en contradiction avec les clauses 1, 2 et 7 du contrat de bail, ce qui établirait le bien-fondé de sa demande principale ;

Sur quoi,

Attendu que les éléments du dossier établissent que depuis le 30 juin 1984, date d'une radiation provisoire opérée par le Service du Répertoire du Commerce et de l'Industrie à la demande de V. pour le motif de « cessation provisoire d'activité », et jusqu'au 24 octobre 1985 à tout le moins, date d'un procès-verbal de constat d'huissier suffisamment édifiant, V. s'est abstenu d'exercer dans les lieux loués les activités de son commerce ;

Qu'il n'a pas contesté, en outre, n'avoir pas repris à ce jour ses activités ;

Attendu que le contrat de bail conclu entre les parties prévoit, au titre des charges et conditions que le preneur s'engage à exécuter et à accomplir à peine de tous dommages-intérêts « et même de résiliation des présentes si bon semble à la bailleresse », l'obligation pour celui-ci de « garnir les lieux loués... pour répondre... du paiement du loyer » (1°), l'obligation « d'entretenir les lieux loués en bon état de réparation locative » (2°) et l'obligation de n' « exercer dans les lieux donnés à bail qu'un commerce de fabrication, vente et dépannage de tous appareils... » (7°), qu'il est par ailleurs prévu qu' « en cas d'inexécution de l'une quelconque des clauses du présent bail et un mois après un simple commandement de payer ou d'exécuter demeuré infructueux, le présent bail sera résilié de plein droit si bon semble à la bailleresse sans qu'il soit besoin de remplir aucune formalité judiciaire et l'expulsion du preneur pour avoir lieu en vertu d'une simple ordonnance de référé » ;

Attendu qu'il apparaît des stipulations contractuelles ci-dessus rapportées, ainsi qu'a eu l'occasion de le constater le magistrat des référés, antérieurement saisi par S. H. d'une demande en « confirmation » de la résiliation du bail et en expulsion sur laquelle il s'est déclaré incompétent, qu'aucune clause du bail n'impose à V. d'exercer effectivement son activité commerciale ;

Que si, dès lors, l'interruption de cette activité ne saurait être sanctionnée par le jeu de la clause résolutoire de plein droit, il demeure toutefois qu'il est loisible à la bailleresse de demander au Tribunal de prononcer la résolution du bail conformément au droit commun des contrats ; qu'à cet égard, il est inexact de prétendre comme le fait le défendeur « que S. H. ne fonde sa demande principale que sur la résiliation de plein droit, ce qui exclut toute autre appréciation de la part des juges du fond », puisque les juges ont la faculté de restituer aux demandes des parties leur véritable fondement juridique ou de suppléer aux moyens de droit que ces demandes présentent ;

Attendu que pour apprécier le bien-fondé de la demande en résiliation du bail pour défaut d'exercice de l'activité commerciale de la part du locataire, il convient de se référer, ainsi qu'il a été dit, au droit des contrats en général et plus spécialement à la législation relative aux baux à loyer qui apparaît ici applicable, les dispositions de la loi 490 sur les loyers commerciaux n'intéressant que le renouvellement desdits baux et la révision de leur prix de location ;

Attendu qu'il ne peut être sérieusement dénié qu'en contractant, les parties ont entendu, essentiellement, mettre un local à la disposition d'un commerçant pour l'exercice de son commerce, en ce qui concerne la bailleresse, et disposer de ce local pour y exercer ses activités commerciales, en ce qui concerne le preneur ;

Attendu dès lors que V. doit être considéré comme n'ayant pas respecté l'une des deux obligations principales qui pèsent sur lui en sa qualité de preneur aux termes de l'article 1568 du Code civil, à savoir « user de la chose louée en bon père de famille et suivant la destination qui lui a été donnée par le bail » ;

Que par ailleurs, en n'employant pas les locaux loués à l'usage auquel ils étaient destinés, ce qui est de nature à occasionner au surplus un dommage pour la bailleresse qui peut subir l'effet, quant à ses perspectives locatives, de la perte de valeur du fonds de commerce inhérente à son défaut d'exploitation, V. apparaît avoir également contrevenu aux dispositions de l'article 1569 du Code civil qui autorisent expressément, suivant les circonstances, la résiliation judiciaire du bail ;

Attendu qu'en l'espèce, V., en dernier lieu, a été mis en demeure d'exercer à nouveau une activité commerciale dans les lieux loués par la notification qui lui a été adressée selon exploit de Maître Escaut-Marquet du 26 juillet 1985 ; qu'il a été informé par cet acte qu'à défaut de reprise de ses activités dans le mois, la bailleresse entendait demander la résiliation du bail ;

Qu'il est constant qu'il n'a pas satisfait aux fins de cette notification ;

Attendu en conséquence qu'en raison du préjudice sus-évoqué lié à la perte de valeur locative des locaux loués, le Tribunal estime devoir sanctionner l'inobservation persistante de l'obligation d'exercer ses activités dans les lieux qui s'imposent au locataire en prononçant la résiliation demandée ; qu'il s'ensuit que V. devra libérer les lieux qu'il occupe et sinon y sera contraint ainsi qu'il est dit au présent dispositif ;

Attendu qu'en raison de sa succombance, il doit par ailleurs être débouté de sa demande reconventionnelle et tenu aux dépens de l'instance ;

Attendu qu'en l'absence de toute urgence justifiée ou même simplement alléguée par la demanderesse, il n'y a pas lieu d'assortir le présent jugement du bénéfice de l'exécution provisoire ;

Dispositif🔗

PAR CES MOTIFS,

Le Tribunal,

Statuant contradictoirement,

Prononce, avec toutes conséquences de droit, la résiliation du bail conclu par acte de Maître Crovetto, notaire, en date du 31 janvier 1972 entre S. D. Veuve H. et J. V. aux torts de celui-ci ;

Dit que V. devra libérer les lieux qu'il occupe dans les deux mois de la signification du présent jugement sous peine d'être tenu au paiement d'une astreinte provisoire de 200 francs par jour de retard pendant un délai d'un mois, passé lequel il serait à nouveau fait droit ;

Ordonne, à défaut de ce faire, son expulsion de corps et de biens, ainsi que celle de tous occupants de son chef, au besoin avec l'assistance de la Force publique ;

Le déboute de sa demande reconventionnelle ;

Dit n'y avoir lieu à exécution provisoire ;

Composition🔗

MM. Huertas, prés. ; Truchi, prem. subst. proc. gén. ; MMes Karczag-Mencarelli, Sbarrato, av. déf.

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