Tribunal de première instance, 30 janvier 1986, Établissements G. et G. c/ G.

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Abstract🔗

Marque

Protection - Contrefaçon non établie - Propriété intellectuelle

Résumé🔗

L'action en contrefaçon de marque de vêtement alléguée exercée par un demandeur sur la base de l'article 3 alinéa 2 de la loi n° 1058 du 10 juin 1983 sur les marques de fabrique, de commerce ou de service ne saurait prospérer à l'encontre d'une personne commerçante utilisant le nom de cette marque pour l'enseigne et la publicité de son commerce dès lors que les éléments de la cause n'apparaissent pas suffisants à établir le caractère territorial de publicité et de notoriété que devait revêtir dans le commerce de l'habillement l'usage antérieur invoqué par le demandeur.


Motifs🔗

LE TRIBUNAL :

Attendu que V. G. et la société anonyme française dénommée les Établissements G., - se disant tous deux « unis d'intérêt » en tant qu'exploitants, sous le vocable Taxi, de deux marques internationales, nominale et complexe, de numéros respectifs 456 400 et 477 293, antérieurement déposées en France par V. G. pour les classes 18 et 25 de la classification internationale applicable à Monaco en vertu de l'Ordonnance Souveraine n° 7 802 du 21 septembre 1983, mais dont V. G. justifie avoir obtenu la protection à Monaco à compter du 3 octobre 1984, conformément à l'extension territoriale prévue par l'article 3 ter 2 de l'arrangement de Madrid, révisé, du 14 avril 1891 - ont attrait, par devant le Tribunal, suivant l'exploit d'assignation susvisé, D. G., auquel ils reprochent d'utiliser pour les besoins de son commerce à Monaco, la dénomination T. M., aux fins :

  • d'une part, que l'usage de cette dénomination soit totalement interdit à G. à l'expiration d'un délai de 8 jours à compter du jugement à intervenir, sous astreinte non comminatoire de 2 000 francs par jour de retard ;

  • que, d'autre part, ce défendeur soit condamné à payer, outre 5 000 francs de frais irrépétibles, 200 000 francs en réparation du préjudice né pour eux de la contrefaçon de marque qu'il aurait commise, et 200 000 francs supplémentaires, à titre de dommages-intérêts pour concurrence déloyale ;

  • et, enfin, que soit ordonnée, avec son exécution provisoire, la publication du jugement à intervenir, aux frais de G., dans cinq éditions de leur choix ;

Attendu, selon les moyens développés au soutien de leur action, qu'avant même le 3 octobre 1984 ils auraient usé à Monaco de la marque Taxi, que le commerce exploité à Monaco par G. porterait l'enseigne T. M., qu'une publicité importante en aurait été faite par G., à Monaco et en France, sous des formes comportant la reproduction du graphisme de la marque complexe n° 477 293, que cela se serait produit en dépit d'une défense qu'ils lui avaient notifiée le 9 octobre 1984, et qu'il en serait résulté pour eux un important manque à gagner puisque la dénomination T. M. aurait été utilisée par G. tant à titre d'enseigne que de marque - ce que ce défendeur conteste - et que cela aurait, d'une part, compromis leur politique commerciale et, d'autre part, rendu suspectes aux yeux des tiers, les marques Taxi, ce par l'usage frauduleux que G. en aurait fait ;

Attendu qu'en défense D. G. a demandé au Tribunal, d'une part, de déclarer irrecevable l'action ainsi introduite, au regard de ce que l'enseigne T. M., qu'il reconnaît employer à Monaco pour un commerce de vêtements, serait antérieure à l'extension susvisée du 3 octobre 1984, et de ce que la contrefaçon de marque invoquée serait exclue, en l'espèce, du fait que nul article n'aurait été vendu sous la marque T. M., d'autre part, de déclarer que le vocable taxi est un nom commun entré dans le domaine public et que celui de T. M. ne saurait engendrer la moindre confusion avec lui, de dire en conséquence infondées tant l'action en contrefaçon présentement engagée que l'action en concurrence déloyale parallèlement introduite, en l'état du fondement unique assigné à ces deux actions par les demandeurs, et, enfin, de débouter ceux-ci des fins de leur exploit introductif d'instance ;

Qu'il a formulé par ailleurs à leur encontre une demande reconventionnelle tendant à obtenir leur condamnation à lui payer 50 000 francs de dommages-intérêts pour procédure abusive et téméraire ;

Attendu, sur ce, qu'au regard de leurs écritures judiciaires, et notamment de leurs « conclusions en réponse » susvisées, datées du 22 mars 1985, il apparaît que les demandeurs ont admis que G., dont ils se sont abstenus d'infirmer en fait les dires, se soit bien, comme il l'affirme, borné à user de la dénomination T. M. à titre d'enseigne pour un commerce dont il a débuté l'exploitation le 9 juillet 1984, ainsi qu'il est constant, dans une galerie marchande de Fontvieille, et qui a pour objet la vente de vêtements et d'accessoires ;

Qu'il n'apparaît pas par ailleurs ressortir des pièces versées aux débats que G. ait utilisé cette même dénomination à titre de marque pour désigner des articles qu'il aurait produits ou vendus ;

Qu'en définitive, l'action dont le Tribunal se trouve présentement saisi repose sur la seule contrefaçon alléguée des marques Taxi n° 456 400 et 477 293, dont G. se serait rendu coupable par l'utilisation de son enseigne, et la publicité qu'il a pu en faire ;

Attendu qu'une telle contrefaçon que les demandeurs, sur la base de l'article 3 alinéa 2 de la loi n° 1058 du 10 juin 1983 apparaissent avoir qualité pour invoquer à Monaco en l'état de la protection légale dont ils justifient, résultant de l'extension territoriale susvisée ayant pris effet le 3 octobre 1984 (sous réserve des droits qu'aurait sur les marques Taxi la société Établissements G., dont l'aptitude à agir n'a pas été présentement mise en doute), suppose pour pouvoir conférer les droits exclusifs, à l'encontre de G., dont ces mêmes demandeurs se prévalent, que ces derniers aient au préalable établi leur propriété à Monaco sur lesdites marques - laquelle est simplement présumée à dater du dépôt, à caractère déclaratif, de celles-ci - et ce, dès avant le 9 juillet 1984, puisqu'il doit être admis qu'une enseigne puisse subsister, en dépit de l'existence d'une marque lui étant similaire, dès lors que ladite marque n'aurait été acquise que postérieurement à l'emploi de l'enseigne ;

Qu'il a en effet été jugé en France, notamment, d'une part, le 13 décembre 1965 par la Chambre commerciale de la Cour de cassation - sous l'empire des dispositions sur les marques de fabrique antérieures à la loi française du 31 décembre 1964 et comparables, quant à la propriété des marques, à celles édictées par l'article 3 de la loi précitée n° 1058 - qu'une commerçante ne pouvait utiliser, pour son enseigne, les mentions nominales d'une marque antérieurement déposée sans porter atteinte aux droits de la société propriétaire de ladite marque, et, d'autre part, le 20 mars 1984 par la Cour d'appel de Paris, qu'un nom commercial pouvait, en raison de l'antériorité de son utilisation, l'emporter sur une marque lui étant postérieure, cette jurisprudence apparaissant ainsi, comme l'avait fait en matière d'enseigne un précédent arrêt de cette même Cour de Paris, en date du 1er février 1978, retenir le principe qu'un signe distinctif (nom commercial, sigle, enseigne ou marque) puisse relever d'une antériorité de nature à entraver les droits nés de la détention d'une marque ;

Qu'un tel principe qui se révèle équitable par la préférence donnée à l'utilisation première et effective du signe distinctif considéré doit être présentement retenu en tant qu'il confirme la règle de la priorité d'emploi communément admise tant pour les enseignes que pour les marques à l'effet de consacrer les droits exclusifs des titulaires respectifs de celles-ci ;

Attendu qu'il s'ensuit que l'examen de la cause doit porter, au premier chef, sur l'antériorité invoquée des marques Taxi susvisées par rapport à l'enseigne T. M. ;

Qu'un tel examen s'avère nécessaire en l'occurrence, dès lors, d'une part, que le vocable Taxi, bien qu'ayant en lui-même une signification propre, ce qui ne saurait l'empêcher d'être utilisé à titre de marque, n'apparaît pas enfreindre les restrictions imposées par l'article 2 de la loi précitée n° 1058, ni s'être, par une notoriété excessive de son emploi dans le commerce des vêtements et cuirs pour lequel il a été spécialement déposé, banalisé au point de perdre tout caractère distinctif ou original dans ledit commerce en tombant alors dans le « domaine public » comme l'a erronément soutenu G., et que, d'autre part, l'adjonction d'un terme à la reproduction d'une marque nominale est de nature à caractériser une contrefaçon, contrairement à ce qu'a prétendu G., lorsque l'ensemble ainsi formé traduit l'emprunt d'un élément essentiel de la marque, ce qui apparaît être le cas en l'espèce étant à cet égard rappelé qu'une jurisprudence française traditionnelle admet la contrefaçon, même en l'absence de tout danger de confusion entre la marque contrefaite et celle arguée de contrefaçon, mais en l'espèce un tel risque de confusion existe entre les vocables Taxi et T. M., de par le caractère banal, dans le commerce des vêtements considéré, de la dénomination M. qui a été adjointe par G. au premier terme Taxi ;

Attendu que l'antériorité sur laquelle il y a dès lors lieu de s'interroger en l'espèce doit être exclusivement appréciée tant sur le territoire de la Principauté que dans la sphère du commerce des vêtements dont s'agit, ce au regard des principes de territorialité et de spécialité des marques, sur la base desquels l'on ne s'aurait opposer, comme faisant obstacle à la protection d'une marque, un défaut d'antériorité de celle-ci que sur le territoire (sous les réserves légales relatives aux marques internationalement notoires) et dans le secteur commercial où cette marque serait appelée à s'appliquer ;

Attendu qu'une telle antériorité doit s'analyser à l'effet de la présente instance en l'acquisition, par les demandeurs, d'une propriété des marques susvisées Taxi, qui puisse être tenue pour première par rapport à l'emploi de l'enseigne T. M., par G., sans qu'il y ait lieu à cet égard de s'attacher aux moyens soulevés par ce dernier, tendant à exclure que l'on puisse, après le dépôt d'une marque, invoquer la propriété antérieurement acquise de celle-ci puisque, si l'on ne saurait être admis comme le dispose l'alinéa 2 de l'article 3 de la loi précitée n° 1058, à se prévaloir judiciairement de la propriété d'une marque avant que celle-ci ne soit déposée, il demeure, au regard du premier alinéa dudit texte, que la propriété peut précéder le dépôt de la marque, et conférer, dès son acquisition, un droit d'action, encore que celui-ci ne puisse être exercé que postérieurement ;

Attendu que, pour justifier de l'antériorité requise, les demandeurs ont, dans leurs écritures judiciaires, fait valoir d'une part, l'existence depuis 1981 de bons de commande justifiant de l'exploitation par eux, à Monaco, de la marque Taxi qui aurait été apposée sur leurs produits, l'existence, par ailleurs, de factures datées de 1980 et 1981 émanant d'une entreprise italienne Cadica qui prouveraient, outre la fabrication de cartes de visite, de bons de commande et de cartes de coloris, celle d'étiquettes comportant la marque Taxi et, enfin, que ladite marque aurait été utilisée à Monaco en 1982 et jusqu'en 1983, comme cela ressortirait, selon eux à l'évidence, des pièces qu'ils versent aux débats ;

Qu'ils ont conclu que l'usage par eux de la marque Taxi a été public et notoire au vœu de la loi, en relevant à cet égard que le législateur monégasque n'avait pas expressément requis, pour l'acquisition d'une marque, que le premier usage de celle-ci fût permanent, condition qu'il leur est fait grief, par G., de ne pas avoir remplie dans leur utilisation de la marque considérée, ce que, toutefois, ils contestent en affirmant qu'ils ont usé de ladite marque dans la Principauté de manière constante ;

Attendu qu'à cet égard, les pièces produites par les demandeurs, relatives à leur priorité d'usage des marques Taxi à Monaco consistent exclusivement en diverses commandes (datées des 21 mars, 12 avril et 8 novembre 1981) et en des factures en nombre plus important (datées des 24 et 31 juillet, 4 août, 10 septembre, 7 et 23 octobre, 17 novembre 1981, 11 et 19 mars, 13 avril, 3 et 18 mai et 23 août 1982) adressées à M. ou Mme D., D. S. - ., par ailleurs, en deux factures (datées des 30 janvier et 20 février 1983) destinées à The California Terrace - ., et, enfin en une facture adressée sous la date du 14 août 1983 à M. B., O. S. - ., laquelle apparaît, toutefois, postérieure à la date d'ouverture du commerce exploité par G. ;

Attendu qu'aucune de ces pièces ne comporte une description des articles auxquels elles se rapportent faisant ressortir qu'il s'agirait d'articles marqués Taxi, les demandeurs s'étant bornés à cet égard à faire plaider, sans en justifier, que lorsque le 5e chiffre du nombre de référence des articles mentionnés par lesdites pièces est un 8 lesdits articles seraient marqués Taxi et porteraient les étiquettes produites à l'instance ;

Que, sur la base des seules fiches descriptives, versées aux débats, relatives à des articles revêtus de manière apparente de la dénomination Taxi, et à supposer ces fiches conformes à la réalité des articles décrits, il peut être seulement affirmé, en l'état, qu'étaient revêtus d'une marque Taxi 16 « Sweats R.C. Taxi » de référence 8121826 qui ont été commandés le 12 avril 1981 par D. S. sur le bon n° 230 et qui ont été facturés sous le n° 059493 le 24 juillet 1981 pour 784 francs, et, d'autre part, 18 « Sweats Taxi », de référence 1111830 qui ont été commandés le 21 mars 1982 par le même commerce, pour le mois d'août 1982 ;

Attendu que ces éléments n'apparaissent pas suffisants à établir, en l'espèce, le caractère territorial de publicité et de notoriété que devait revêtir, dans le commerce de l'habillement, l'usage invoqué par les demandeurs des marques Taxi dont s'agit, lequel requiers, pour être judiciairement relevé, à tout le moins que des faits précis et pertinents soient invoqués et vérifiés de nature à justifier d'un contact important des produits marqués avec la clientèle, résultant de leur mise en vente non isolément opérée en espace ou durée comme aussi de la publicité dont ils auraient fait l'objet, et établissant ainsi la connaissance durable qu'en aurait eue un public étendu ;

Attendu que les demandeurs qui n'apparaissent pas avoir prouvé de tels faits ni, par ailleurs, offert d'en rapporter la preuve, doivent être dès lors, déboutés de l'ensemble de leurs demandes ayant pour fondement unique allégué, comme il a été relevé, la contrefaçon qu'ils invoquent à tort faute de justifier à Monaco de la propriété des marques dont ils ont requis la protection ;

Attendu que, pour autant, leur action, dans laquelle ils succombent ainsi sur le plan de la preuve, n'apparaît pas toutefois revêtir le caractère de témérité qui lui est prêté à l'effet de fonder la demande reconventionnelle de dommages-intérêts formée par G. et dont celui-ci doit être, par suite, débouté ;

Et attendu que V. G. et la Société Établissements G. S.A. qui succombent au principal, doivent en conséquence, supporter les dépens de l'instance ;

Dispositif🔗

PAR CES MOTIFS,

Le Tribunal,

Statuant contradictoirement,

Déboute les parties de leurs demandes tant principales que reconventionnelle ;

Composition🔗

MM. Huertas, prés. ; Truchi, prem. subst. proc. gén. ; MMe Clérissy, Marquilly, av. déf. ; Bonnafous, av.

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