Tribunal de première instance, 23 janvier 1986, Philip Morris Incorporated c/ Moorgate Tobacco Corporation Limited.

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Abstract🔗

Marque

Protection. Application de la loi n° 1058 du 10 juin 1983. Appréciation de la notoriété.

Résumé🔗

Le bénéfice de la protection prévue par l'article 5 de la loi n° 1058 du 10 juin 1983 sur les marques de fabrique, de commerce ou de service est subordonné à la notoriété de la marque.

Le caractère notoire doit être apprécié en raison de l'exiguité du territoire monégasque sur lequel sont utilisées de nombreuses marques déposées à l'étranger, non pas au niveau monégasque, mais au niveau international.


Motifs🔗

Le Tribunal,

Attendu que par l'exploit susvisé, dont elle a saisi le Tribunal, la Société de droit américain dénommée Philip Morris Incorporated, a signifié, à la Société de droit anglais dénommée Moorgate Tobacco Corporation Limited, qu'elle frappait d'opposition un jugement du Tribunal rendu par défaut à son encontre le 26 janvier 1984 dont elle ne critique, au fond, les dispositions - après avoir indiqué qu'elle n'avait pas eu connaissance de l'assignation l'ayant précédé qui devait, soutient-elle, être présentement déclarée irrecevable en la forme - qu'en ce qu'il avait annulé le dépôt par elle effectué, le 3 janvier 1978, auprès du service de la Propriété industrielle de Monaco, de la marque Golden Lights ;

Que par ce même exploit elle a en outre sollicité 10 000 francs de dommages-intérêts, pour procédure abusive, de la Société Moorgate Tobacco Corporation Limited ;

Attendu que cette dernière, qui expose liminairement que l'instance sanctionnée par le jugement frappé d'opposition avait été régulièrement engagée dans le respect des délais de distance devant régir l'assignation délivrée à l'opposante - accepte, au fond, de limiter le présent litige à l'appréciation du bien-fondé de l'annulation de dépôt prononcé par le jugement dont s'agit et soutient qu'il y aurait lieu de maintenir celui-ci de ce chef comme aussi quant à ses autres dispositions, au demeurant non contestées ;

Attendu qu'il doit être ici rappelé, par référence à la relation des faits et des droits des parties à laquelle ce même jugement a procédé, sans être présentement discutée, que le dépôt, dont l'annulation est critiquée, de la marque Golden Lights, a été effectué à Monaco le 3 janvier 1978 à la requête de la Société Philip Morris Incorporated et sous le n° 7561-78-7562 à l'effet de désigner des cigarettes et du tabac, que la Société Moorgate Tobacco Corporation Limited n'a déposé à Monaco la marque Kent Golden Lights, pour distinguer des produits de la même classe, que le 26 janvier 1978 sous le n° 7592-78-7590, et, d'autre part, que ladite Société Moorgate Tobacco Corporation Limited n'a pu, selon la loi monégasque dont elle invoquait la protection, être considérée comme propriétaire à Monaco de la marque Kent Golden Lights, faute d'avoir exploité cette marque dans la Principauté où le dépôt d'une marque n'emporte pas la propriété de celle-ci qui s'acquiert par un premier usage ;

Attendu que la Société Philip Morris Incorporated reproche au jugement rendu le 26 janvier 1984 d'avoir annulé le dépôt de la marque Golden Lights au motif que la Société Moorgate Tobacco Corporation Limited avait justifié pour la marque Kent Golden Lights de la notoriété prévue par l'article 5 de la loi n° 1058 du 10 juin 1983 en arguant simplement de la diffusion de cette marque opérée à l'étranger, alors que le Tribunal aurait dû s'attacher à la notoriété que la marque Kent Golden Lights pouvait avoir acquise à Monaco ;

Qu'elle estime présentement qu'une telle notoriété ne serait pas prouvée et qu'au surplus ladite marque serait descriptive, ce qui la priverait du bénéfice de la loi, car les mots « Golden Lights » signifiants « légères dorées » constitueraient simplement une description des cigarettes ainsi marquées, argument qui apparaît toutefois devoir être d'ores et déjà écarté en tant qu'il contrevient au propre dépôt effectué par l'opposante de la marque Golden Lights à laquelle cette partie ne dénie point validité, et qui n'apparaît pas contraire à la loi ancienne n° 608 du 20 juin 1955 ;

Sur quoi,

Quant à la forme,

Attendu que le jugement susvisé, frappé d'opposition le 20 juin 1984, a été signifié à parquet le 10 avril 1984 ;

Attendu que l'opposition présentement introduite, et dont la régularité n'a pas été mise en doute, apparaît en conséquence recevable par application de l'article 222 du Code de procédure civile ;

Attendu que le Tribunal se trouve dès lors appelé à statuer à nouveau sur les chefs de litige, encore en discussion, ayant motivé l'instance sanctionnée par ledit jugement ; qu'il s'en suit que le moyen tiré de l'irrégularité formelle invoquée de l'assignation initiale, en date du 31 décembre 1982, ne saurait être présentement reçu, alors au surplus, que dans son précédent jugement le Tribunal avait expressément déclaré régulière ladite assignation sur la base de l'article 158-4° du Code de procédure civile sans être présentement démenti à cet égard par la Société Philip Morris Incorporated ;

Et sur ce,

Quant au fond,

En droit,

Attendu qu'au regard de la loi n° 1058 du 10 juin 1983 devant régir, aux termes de son article 32, les effets des dépôts de marques antérieurement effectués sous l'empire de l'ancienne loi n° 608 du 20 juin 1955, désormais abrogée, la notoriété d'une marque doit être distinguée de l'usage pouvant être fait de celle-ci lequel, seul, est susceptible à Monaco à la différence, notamment, de ce que prévoit le droit français depuis 1964, de faire acquérir la propriété d'une telle marque ;

Que si la notoriété ne crée pas de droit, du moins empêche t-elle les tiers d'être en mesure d'en acquérir un sur une marque notoire, ce, par application des dispositions de l'article 5 de la loi précitée du 10 juin 1983 faisant obstacle à l'exploitation, créatrice de droits, que régit l'article 4 de cette même loi ;

Attendu qu'aux termes de l'article 5 susvisé, ladite notoriété doit à l'effet de ce texte, être considérée, « au sens des dispositions des conventions internationales visées à l'article 2 » qui précède, lequel fait référence aux « conventions internationales exécutoires à Monaco » assurant la protection de la propriété industrielle et, par voie de conséquence, actuellement, à l'article 6 bis de la Convention de Paris, modifiée, du 20 mars 1983, rendue exécutoire à Monaco par l'Ordonnance Souveraine n° 5687 du 23 octobre 1975, qui dispose que les pays de l'Union s'engagent (...) à refuser ou à invalider l'enregistrement (...) d'une marque (...) que l'autorité compétente du pays de l'enregistrement estimera y être notoirement connue comme étant déjà la marque d'une personne admise à bénéficier de la Convention ;

Attendu que si ce texte désigne les cas dans lesquels une marque notoirement connue peut être protégée dans chacun des pays de l'Union, il ne fournit pas en revanche la définition de la marque notoire ainsi considérée ;

Attendu qu'afin de déterminer les conditions que doit remplir une marque notoirement connue pour procurer à son détenteur la protection de l'article 5 de la loi n° 1058 du 10 juin 1983, il y a dès lors lieu de se référer à la doctrine et à la jurisprudence relatives à l'article 6 bis précité de la Convention de Paris ;

Attendu que la doctrine a défini les marques notoires, au sens de ce texte, comme étant celles qui sont connues par une large fraction du public et qui jouissent d'une réputation importante, sans qu'il s'agisse nécessairement d'une exceptionnelle célébrité ;

Qu'elle a prescrit par ailleurs d'apprécier objectivement, à ce propos, la réputation ayant pu être acquise par une telle marque dans plusieurs pays, et ce, au regard de son ancienneté, des durée et importance de son usage, de son unicité ainsi que de la publicité dont elle a été l'objet ;

Que la doctrine a ainsi retenu, pour caractériser la notoriété d'une marque, un critère essentiel, d'ordre géographique - faisant éclater les limites strictement territoriales imparties à la reconnaissance des marques - sur la base duquel l'on peut affirmer qu'est notoire la marque qui déborde le cadre originaire du pays où elle a été régulièrement acquise et qui gagne, par sa réputation, l'intensité de son usage ou la publicité dont elle fait l'objet, un marché international étendu à plusieurs pays en s'y imposant à l'attention du grand public ;

Attendu que la jurisprudence française, notamment, s'est référée, dans ses grandes lignes à l'ensemble des notions ainsi dégagées, pour l'application de l'article 4 de la loi française n° 64-1360 du 31 décembre 1964 qui fait également référence à l'article 6 bis de la Convention de Paris ;

Attendu que, pour lui conférer le bénéfice des diverses dispositions légales étrangères dérivées dudit article 6 bis, il a pu être exigé de la marque ainsi définie au sens dudit article, soit d'être seulement notoire dans le pays où sa protection est réclamée, soit, les deux conditions pouvant être cumulées, d'avoir acquis la notoriété requise au niveau international, indépendamment de son utilisation ou de la connaissance que le public a pu en avoir sur le territoire national des juges saisis ;

Attendu que l'exigence de l'une ou l'autre de ces conditions, - externes à la définition proprement dite de la notoriété au sens de l'article 6 bis de la Convention de Paris - relève des particularités propres à chaque État puisqu'il est admis que les pays unionistes en vertu de ladite convention peuvent apporter aux marques notoires, dans leurs lois ou par leur jurisprudence, une plus grande protection que celle résultant de l'article 6 bis précité ;

Attendu qu'à Monaco, la deuxième condition ci-dessus mentionnée apparaît devoir être préférée à la première au regard de l'exposé des motifs de la loi n° 1058 du 10 juin 1983 qui se réfère au caractère exigu du territoire de la Principauté sur lequel sont utilisées de nombreuses marques déposées à l'étranger ; qu'il y a lieu de tenir compte ici, de ce qu'en raison de l'internationalisation des échanges commerciaux, écarter une telle condition, au profit d'une notoriété strictement appréciée sur le plan national, aboutirait à consacrer, en droit, des actes concurrentiels axés sur l'usurpation d'une marque étrangère d'autant plus utile qu'elle serait notoire, avant même son usage dans la Principauté, où elle serait peu connue, faute, précisément, d'y avoir été antérieurement utilisée, hypothèse qui apparaît de nature à se vérifier d'autant plus fréquemment que, pour certains produits, une marque d'importante renommée à l'étranger pourra n'avoir pas encore pénétré, notamment, par la publicité propre à la faire connaître, sur le territoire de la Principauté, ce, à cause de l'exiguité ci-dessus rappelée de celui-ci et de la dimension réduite de son marché peu propice, de ce fait, à un investissement spécifique de promotion desdits produits ;

En fait,

Attendu qu'en l'espèce, sans qu'il y ait lieu dès lors de se référer à la solution inverse retenue en France dans un litige voisin ayant opposé les parties actuellement en présence, il convient en conséquence d'apprécier principalement, à l'effet de déterminer la notoriété de la marque Kent Golden Lights, l'extension géographique au niveau international qu'a pu acquérir ladite marque à l'étranger ;

Attendu qu'à cet égard les dispositions du jugement susvisé du 26 janvier 1984 relatives à la notoriété ainsi localisée n'ont pas fait l'objet de contestation ; qu'il en ressort que la Société Moorgate Tobacco Corporation Limited a, depuis plusieurs années, usé en la diffusant largement de la marque Kent Golden Lights au su, en particulier, de sa concurrente la Société Philip Morris Incorporated ;

Attendu qu'à cet égard il résulte encore des termes, non contredits par les pièces versées aux débats, d'une décision judiciaire française produite par l'opposante elle-même qui s'y réfère que, dès 1975 une large diffusion de la dénomination Kent Golden Lights a été faite aux États-unis d'Amérique pour désigner une cigarette à faible taux en goudron et en nicotine, qu'une campagne publicitaire massive a été effectuée, aux États-unis d'Amérique et sur l'ensemble des marchés étrangers, ce tant par l'intermédiaire de journaux professionnels tels que « Tobacco International » et « Advertising-Age » que par celui de journaux destinés au public tels « Mc Calls », « Cosmopolitan », « Play Boy », « Vogue » ou « News Week » et que les ventes de cigarettes Kent Golden Lights ont connu un succès croissant sur le marché intérieur d'origine et à l'étranger ;

Qu'il y a lieu, par ailleurs, de rappeler, ce qu'a rapporté le Tribunal dans son précédent jugement du 26 janvier 1984 sans que cette circonstance soit présentement contestée, que la Société Moorgate Tobacco Corporation Limited a produit en 1977 en moyenne 12 millions de cigarettes Kent Golden Lights aux États-unis d'Amérique, ses ventes en dehors de ce pays pouvant être corrélativement évaluées à 60 millions ;

Attendu que cet ensemble de circonstances révèle que la marque Kent Golden Lights a connu dans plusieurs pays étrangers, dont l'un de grande importance, un usage étendu lié à la qualité particulière des cigarettes vendues sous cette marque, à la publicité intense dont elle a fait l'objet, et à l'importance de la connaissance que le public en a eue ;

Que la marque Kent Golden Lights doit en conséquence, eu égard à ce qui précède, être présentement tenue pour de grande renommée à un niveau international étendu ;

Attendu qu'il en résulte que la marque Kent Golden Lights, devant être considérée comme notoirement connue, peut bénéficier, en l'espèce, de l'application de l'article 5 de la loi n° 1058 du 10 juin 1983 ;

Attendu qu'en l'état des limites assignées par les parties au présent litige, le précédent jugement du Tribunal doit, en conséquence, être maintenu dans l'ensemble de ses dispositions, par application de l'article 229 du Code de procédure civile, et la société opposante déboutée, en outre, de sa demande de dommages-intérêts et condamnée aux dépens en vertu de l'article 230 dudit Code ;

Dispositif🔗

PAR CES MOTIFS,

Le Tribunal,

Reçoit la Société Philip Morris Incorporated en son opposition au jugement susvisé en date du 26 janvier 1984 ;

Maintient ledit jugement dans toutes ses dispositions ;

Déboute ladite société de l'ensemble de ses demandes ;

Composition🔗

MM. Huertas, prés. ; Truchi, prem. subst. proc. gén. ; MMe Karczag-Mencarelli, Sanita, av. déf. ; Brugnetti, av.

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