Tribunal de première instance, 16 janvier 1986, M. c/ C.-V. et S.A. Sotheby Parke Bernet Monaco.

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Abstract🔗

Revendication d'un meuble

Prescription de l'action - Mauvaise foi du possesseur non établie

Résumé🔗

L'action en revendication de tableaux volés exercée par le propriétaire dépossédé est ouverte pendant trente ans à l'encontre du possesseur de mauvaise foi, alors qu'en vertu de l'article 2099 alinéa 2 du Code civil, elle se prescrit par trois ans à l'encontre du possesseur de bonne foi. L'action trentenaire ne saurait prospérer dès lors que le revendiquant n'apporte aucun élément de preuve permettant d'infirmer la thèse du possesseur selon laquelle celui-ci a pu croire que les tableaux lui ont été remis par leur légitime propriétaire et que les circonstances de la cause ne sont pas de nature à faire naître en lui un soupçon quelconque sur cette qualité.


Motifs🔗

LE TRIBUNAL,

Attendu qu'il est admis et considéré comme constant par les parties que les deux toiles litigieuses, représentant le grand canal de Venise et attribuées à l'entourage du peintre F. Tironi, mort en 1800, ont été frauduleusement soustraites dans la nuit du 9 au 10 août 1975 à Milan au préjudice de L. M. sans que l'auteur du vol ait été découvert ;

Que ces tableaux ont été vendus, courant 1979-1980, par C. A. née A., alors antiquaire à Monaco, avec l'entremise de A. P. - tous deux décédés à ce jour - à F. Q. également antiquaire à Monaco, qui les a revendus à son associé dans ce commerce M. V., lequel les destinait à sa mère à qui il en a fait don ;

Que la bénéficiaire de ces tableaux, E. V. née C. les a confiés, parmi d'autres œuvres, le 25 février 1984 à la S.A.M. dénommée Sotheby Parke Bernet - aux fins de vente aux enchères publiques ;

Attendu qu'ayant reconnu ses tableaux dans le catalogue édité par cette société courant 1984, L. M. a été autorisé, par ordonnance présidentielle du 9 avril 1984, à faire pratiquer une saisie-revendication entre les mains de la Société Sotheby ;

Que les tableaux litigieux ont été saisis avant toute vente, selon exploit de Maître Escaut-Marquet du 10 mai 1984 ; que par acte introductif d'instance du 2 août 1984, M. a saisi le Tribunal d'une action tendant à être reconnu propriétaire desdites toiles, dirigée à l'encontre de E. C.-V. et de la S.A.M. Sotheby Parke Bernet ; qu'il demande au Tribunal de juger que E. C.-V. acquéreur « a non domino », ne réunit pas les conditions de l'article 2099 du Code civil monégasque pour être considérée comme possesseur de bonne foi, et de valider la saisie-revendication pratiquée le 10 mai 1984 ; qu'à l'égard de la S.A.M. Sotheby, M. sollicite que cette société soit en conséquence autorisée à se libérer entre ses mains des œuvres d'art litigieuses ;

Attendu que, tandis que la S.A.M. Sotheby Parke Bernet entend qu'il lui soit donné acte de ce qu'elle remettra les œuvres litigieuses à la personne que le Tribunal reconnaîtra propriétaire, en s'abstenant de prendre position dans le présent litige, E. C.-V. expose en réponse qu'elle a acquis les tableaux de son fils M. V. fin 1979 début 1980 et que M. ne les a revendiqués qu'à la date du 5 avril 1984 au plus tôt ; qu'elle soutient dès lors que la prescription de trois ans instituée par l'article 2099 alinéa 2 du Code civil lui est acquise et affirme pour le surplus que, Q. ayant acquis de bonne foi les toiles litigieuses de C. A., elle se trouve être au moins la cinquième propriétaire successive de bonne foi de ces œuvres ; qu'elle conclut en conséquence au rejet des demandes de M. et à sa condamnation aux dépens ;

Sur quoi,

Attendu que l'action en revendication intentée par M. ne saurait être considérée comme tardive au regard du délai prévu par l'article 2099 alinéa 2 du Code civil si, comme en l'espèce, le propriétaire dépossédé entend se prévaloir de la mauvaise foi du possesseur actuel des tableaux ;

Attendu qu'alors que M. soutient à la barre que les transmissions successives des biens litigieux ont été dans des conditions suspectes et obscures exclusives de bonne foi, s'agissant de professionnels qui se sont abstenus d'établir tout document comptable, administratif ou commercial relatif aux ventes intervenues dont il n'est pas justifié du paiement, il appartient au Tribunal d'apprécier si le demandeur établit en l'espèce la mauvaise foi de la défenderesse, c'est-à-dire la conscience, par E. C.-V., de ce qu'elle a reçu de son fils des tableaux dont il n'aurait pas été le propriétaire, ou pour lesquels elle a, à tout le moins, conçu un doute quant au droit à la propriété des biens qu'il lui a transmis ;

Mais attendu qu'en l'espèce aucun élément du dossier ne permet d'infirmer la thèse selon laquelle la défenderesse a pu croire que les tableaux lui ont été remis par leur légitime propriétaire, les circonstances de la cause n'étant pas en outre de nature à faire naître de quelconques soupçons sur cette qualité dans l'esprit de la donataire ;

Que même à supposer en effet que la transaction intervenue quant aux tableaux en litige entre les antiquaires associés de la galerie Athenaeum, Q. et V. - laquelle, par suite des circonstances particulières alléguées par leurs auteurs, n'apparaît pas avoir satisfait à la réglementation en vigueur - ait pu revêtir un caractère suspect, rien ne permet d'affirmer que E. V. en ait eu conscience, en recevant de son propre fils, de surcroît antiquaire de profession, les biens aujourd'hui revendiqués ;

Qu'il suit de là que l'action de M. n'est pas fondée, la défenderesse pouvant se prévaloir d'une possession absente de vice ;

Attendu en conséquence qu'il y a lieu d'ordonner d'office la mainlevée de la saisie-revendication opérée entre les mains de la Société Sotheby le 10 mai 1984 et de dire que cette société devra remettre les œuvres saisies à son possesseur de bonne foi, E. C.-V. ;

Attendu que les dépens de la présente décision et du jugement avant dire droit du 18 avril 1985 ayant ordonné la production aux débats de l'enquête pénale doivent être supportés par M. en raison de sa succombance ;

Dispositif🔗

PAR CES MOTIFS,

Le Tribunal,

Statuant contradictoirement,

Déboute L. M. de l'ensemble de ses demandes ;

Dit et juge que E. C.-V. est fondée à se prévaloir de sa qualité de possesseur de bonne foi à l'égard des œuvres ci-dessus décrites ;

Ordonne la mainlevée pure et simple de la saisie-revendication pratiquée à la requête de M. selon exploit de Maître Escaut-Marquet en date du 10 mai 1984 ;

Dit que les tableaux saisis devront être remis par la S.A.M. Sotheby Parke Bernet à la disposition de la défenderesse ;

Composition🔗

MM. Huertas, prés. ; Truchi, prem. subst. proc. gén. ; MMe Sbarrato, Blot, Marquilly, av. déf.

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