Tribunal de première instance, 21 novembre 1985, W. es-qualité de syndic de la copropriété des Mandariniers c/ l'État de Monaco entreprise et Bigourdan

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Abstract🔗

Responsabilité du vendeur

Absence de vices cachés - Cessation de paiement de l'entreprise responsable - Suspension des poursuites individuelles - Renvoi aux règles de la procédure collective

Résumé🔗

Dès lors qu'une installation de distribution d'eau ne présente aucun défaut ni vice et apparaît avoir été conçue et livrée en état de fonctionner normalement et que seules les défaillances accidentelles du thermostat et la qualité de l'eau circulant dans les canalisations sont à l'origine des désordres constatés, la responsabilité du vendeur de l'immeuble dont la garantie se limite aux termes des articles 1483 et suivants du Code civil, aux défauts cachés ou vices rédhibitoires de la chose vendue, ne saurait être retenue.

La responsabilité de ces désordres qui incombe à une entreprise chargée d'assurer l'entretien de cette installation ne saurait aboutir à la condamnation de celle-ci alors qu'elle a été déclarée en liquidation de biens.

En effet, il résulte de la combinaison des articles 461 et 462 du Code de commerce que tous les créanciers d'un débiteur dont la cessation des paiements a été constatée, doivent produire leurs créances entre les mains du syndic qui les vérifie et que le jugement déclaratif suspend l'exercice de toute poursuite individuelle.


Motifs🔗

Le Tribunal,

Attendu que par exploit du 29 juillet 1981, la copropriété de l'immeuble Les Mandariniers, sis . (ci-après dénommée la copropriété) a fait assigner en référé la S. A. M. Bigourdan - dont la cessation des paiements a été prononcée le 7 décembre 1983 puis convertie par le Tribunal en liquidation des biens selon jugement du 22 mars 1984 - en présence de M. C., architecte de l'immeuble « pouvant être entendu comme sachant », à l'effet d'obtenir la désignation d'un expert chargé notamment de déterminer les causes du disfonctionnement du système de distribution d'eau chaude de l'immeuble, constaté à deux reprises en septembre 1979, puis le 23 juillet 1981 ;

Attendu que par ordonnance du 31 juillet 1981, le magistrat des référés a désigné Jean Cavenel pour procéder à l'expertise sollicitée ;

Attendu qu'après avoir exposé que le déroulement de cette expertise montrait que les troubles affectant l'installation de production d'eau chaude étaient de nature à mettre en cause la conception, la fourniture voire la pose de cette installation, la copropriété a fait assigner en référé C., la S. A. M. Bigourdan et l'État de Monaco maître de l'ouvrage, aux fins d'entendre déclarer commune à l'État de Monaco l'ordonnance rendue le 31 juillet 1981 et dire que l'expertise ordonnée se poursuivra à son contradictoire ; que par ordonnance du 26 juillet 1982, rendue sur cette dernière assignation du 9 juillet 1982, le juge des référés a fait droit à cette demande ;

Attendu qu'en vue d'une conciliation qui apparaissait alors possible, l'expert Cavenel a rédigé un rapport provisoire en date du 5 octobre 1981 puis a déposé son rapport définitif au greffe général le 5 septembre 1983 ;

Attendu que suivant exploit du 22 novembre 1984 la copropriété a fait assigner l'État et l'entreprise Bigourdan devant le Tribunal à l'effet d'obtenir leur condamnation solidaire à lui payer :

  • la somme de 141 700 francs correspondant au coût de remise en état de l'installation d'eau chaude sanitaire,

  • la somme de 39 273 francs correspondant à des « frais annexes »,

  • et celle de 54 000 francs au titre du trouble de jouissance subi par suite de la « privation régulière d'eau chaude pour environ 150 personnes et pendant environ 36 mois », outre les dépens de l'instance ;

Qu'au soutien de ses demandes la copropriété expose :

  • que l'état a fait entreprendre dans les années 1974-1976 la construction de l'immeuble « Les Mandariniers » - dont il a vendu certains des 45 appartements à divers occupants - avec le concours de l'architecte C. et a fait choix de la société Bigourdan pour l'exécution du lot plomberie, eau chaude et sanitaire,

  • que dès la mise en service de l'installation d'eau chaude, la couleur de l'eau témoignait de la présence de rouille ; qu'en septembre 1979, la défaillance d'un thermostat a occasionné divers dégâts par suite d'une montée anormale de la température d'eau, laquelle a atteint, dans un deuxième incident de juillet 1981, environ 80 degrés, entraînant ainsi des détériorations sérieuses,

  • qu'elle a appelé en cause la société Bigourdan, avec laquelle elle est en particulier liée par un contrat d'entretien des installations conclu en janvier 1977, et l'État de Monaco en sa qualité de vendeur de l'immeuble et de copropriétaire,

  • que les opérations d'expertise ont mis en évidence l'importante corrosion de certaines parties des canalisations d'eau et font apparaître que les « défauts originels ont été aggravés par les défaillances (dans) l'entretien de l'installation » ce qui serait de nature à engager la responsabilité de l'État, qui doit garantie de la chose vendue, et de la société Bigourdan, qui a manqué à ses obligations contractuelles,

  • que des travaux de remise en état et d'amélioration de l'installation de production d'eau chaude ont été effectués, l'État ayant consenti, dans un geste de bienveillance à l'égard de la copropriété, à mettre à sa disposition la somme remboursable de 141 700 francs correspondant au coût des travaux de remise en ordre, tandis qu'elle accepte de conserver à sa charge les travaux pouvant être considérés comme une amélioration de l'ouvrage s'élevant à 98 077,30 francs (239 777,30 - 141 700),

  • qu'elle entend par ailleurs être remboursée de frais divers ( « compteurs, laboratoire, surcoût d'électricité, honoraires, etc. ») et indemnisée des troubles de jouissance qu'elle a subis ;

Attendu qu'en réponse l'État de Monaco - qui a appelé C. en intervention forcée dans une instance distincte sur laquelle il sera revenu ci-après - conteste toute responsabilité en la cause au bénéfice des conclusions d'expertise et se borne à préciser que l'avance de 141 700 francs consentie en décembre 1983 doit être remboursée par la copropriété conformément aux accords intervenus ;

Attendu que pour sa part la société Bigourdan, représentée par son syndic Orecchia, observe que la demanderesse requiert sa condamnation au paiement de sommes sans autrement s'expliquer sur la procédure collective ouverte depuis le 7 décembre 1983, laquelle a principalement pour effet de suspendre l'exercice de toute poursuite individuelle, ce que l'État a au demeurant admis pour sa part en respectant le principe de production entre les mains du syndic ;

Qu'elle en déduit que la demande de la copropriété ne peut prospérer en l'état des règles d'ordre public gouvernant la matière ;

Qu'elle soutient en tout état de cause que si les règles spécifiques aux procédures collectives devaient être écartées par le Tribunal, sa responsabilité ne pourrait pour autant être engagée puisque les désordres ayant affecté l'installation ne sont pas imputables, selon l'expert, à la branche « entreprise » de la société Bigourdan ;

Qu'elle conclut en conséquence à l'irrecevabilité de la demande et, à titre très subsidiaire, à son rejet au fond ;

Attendu que par exploit du 7 mars 1985, l'État de Monaco, qui s'empare de l'expertise Cavenel pour affirmer que sa responsabilité dans les désordres de l'immeuble Les Mandariniers n'est nullement engagée puisque l'entreprise Bigourdan par lui choisie en sa qualité de promoteur de l'immeuble a exécuté l'installation de production d'eau dans les règles de l'art - seuls des manquements imputables à Bigourdan dans l'entretien de ladite installation ayant été relevés - et qu'il n'a pas failli à son obligation de garantie de la chose vendue a attrait C. en intervention forcée pour que celui-ci lui prête « aide et assistance » dans le litige et démontre que la copropriété doit être déboutée de ses demandes ;

Que dans le dispositif de ses écrits judiciaires, l'État entend être déclaré « bien fondé » à appeler aux débats l'architecte qui doit prendre fait et cause pour le maître de l'ouvrage ;

Attendu que M. C., après constatation de ce que l'État ne formule aucun grief à son encontre pour vice de plans ou erreur de conception, déclare s'en rapporter à justice ;

Sur quoi,

Attendu que les deux instances introduites par les actes susvisés doivent être jointes dans l'intérêt d'une bonne administration de la justice en raison de leur connexité ;

Attendu qu'il s'évince de l'entier dossier d'expertise que les désordres ayant affecté l'installation de production d'eau chaude sanitaire de l'immeuble Les Mandariniers ont eu pour origine la défaillance, à deux reprises en 1979 et 1981, d'un thermostat de régulation de la température de l'eau chaude produite par l'installation ;

Que cette défaillance a entraîné une surchauffe de l'eau produite et, par voie de conséquence, la destruction des couches protectrices des organes de distribution que les traitements de l'eau brute livrée à l'immeuble avaient précisément pour objet de favoriser dans le dessein d'éviter toute corrosion ;

Que selon l'expert, la défaillance du thermostat, en ce qu'elle a provoqué des investigations poussées, a surtout permis de découvrir que le processus de corrosion des tuyauteries était déjà entamé en 1979 et avait pour cause première le traitement adoucisseur de l'eau, tel que mis en place lors de l'installation, répondant aux normes techniques alors applicables ; que l'analyse chimique de l'eau livrée dans ce quartier de la Principauté a montré en effet qu'en dépit des recommandations des organismes techniques de contrôle, il était plus nuisible qu'utile, compte tenu des propriétés chimiques corrosives particulières à l'eau considérée, d'adjoindre un traitement adoucisseur dont l'effet diminue en définitive la faculté de formation d'une couche protectrice des parois des canalisations ;

Que ce type de traitement adoucisseur (au demeurant parfaitement justifié et conforme aux données acquises de la technique à l'époque de sa mise en place) étant de façon générale à l'origine de graves désordres d'après l'expert, a, de fait, conduit les autorités techniques compétentes à recommander dans un mémento paru en février 1977 relatif à l'additif n° 4 du D. T. U. 60-1 qui n'a donc pu être appliqué aux travaux de plomberie sanitaire de l'immeuble Les Mandariniers, des analyses préalables de l'eau livrée afin d'éviter tout traitement non approprié ;

Que par ailleurs, il est constant qu'outre ledit traitement, l'eau des Mandariniers était traitée aux produits « Ferrosil 1202 » afin de prévenir la corrosion des organes de distribution mais que ce traitement a été contrarié d'abord par celui, agissant par permutation sodique, destiné à adoucir l'eau livrée, et ensuite, de façon plus factuelle, par la destruction du produit « filmogène » consécutive à la surchauffe accidentelle de l'eau lors des défaillances du thermostat ;

Attendu que le processus de corrosion, qui apparaît avoir pris naissance peu après la livraison de l'immeuble, a entraîné une détérioration de l'ensemble des canalisations nécessitant la réfection de la boucle de circulation des eaux à laquelle la copropriété selon ses affirmations, a fait procéder pour un coût de 141 700 francs, voisin du montant des travaux de remise en état tel qu'estimé par l'expert sur la base d'un devis de l'entreprise Bigourdan ;

Attendu, sur la demande dirigée contre l'État de Monaco, que la copropriété estime qu'il aurait engagé sa responsabilité en sa qualité de vendeur, seul fondement invoqué à l'appui de ses prétentions de ce chef ;

Attendu que la garantie due en pareil cas par le vendeur se limite, aux termes des articles 1483 et suivants du Code civil, aux défauts cachés ou vices rédhibitoires de la chose vendue ;

Or, attendu qu'en l'espèce, il résulte des considérations qui précèdent que les éléments de l'immeuble Les Mandariniers - dont l'état est lui-même demeuré pour partie propriétaire - constitués par les branchements et canalisations de distribution d'eau, ne présentent en eux-mêmes aucun défaut ni vice, l'installation de production d'eau apparaissant au contraire avoir été conçue et livrée en état de fonctionner normalement, seules les défaillances accidentelles du thermostat et la qualité de l'eau circulant dans les canalisations étant à l'origine des désordres constatés ;

Attendu en conséquence qu'ayant vendu certaines parties d'un immeuble doté d'une installation propre à l'usage auquel elle était destinée, l'État ne saurait être contractuellement tenu à garantie sur le fondement invoqué, étant au surplus observé que la copropriété, entité juridique représentant la collectivité, distincte des copropriétaires qui la composent, n'a pas qualité pour intenter l'action résultant des vices rédhibitoires qui appartient aux seuls acquéreurs, lesquels ne sont pas joints à l'instance intentée par la demanderesse ; qu'il s'ensuit que la copropriété doit être déboutée de ce chef de demande ;

Attendu, en ce que la demande est également dirigée contre la S. A. M. Bigourdan qu'il est constant que cette entreprise est liée à la copropriété demanderesse par un contrat d'entretien des installations de production d'eau, conclu le 13 janvier 1977, prévoyant des visites de contrôle hebdomadaire pendant la période d'exploitation et diverses prestations ;

Que s'il ne peut être mis à la charge de cette société, en dépit de son obligation contractuelle de contrôle de la température et de l'état des machines ou accessoires en mouvement, la responsabilité du disfonctionnement du thermostat dont la cause de la défaillance ne peut être déterminée selon l'expert, il n'en va pas de même du mauvais état des canalisations, eu égard aux obligations dont elle se trouvait tenue en l'état du contrat d'entretien ; qu'aux termes de cette convention en effet, la S. A. M. Bigourdan s'est engagée en particulier à contrôler l'état des fluides et des manchettes ou tubes témoins des canalisations et à effectuer un relevé des analyses TH-PH ; qu'il est toutefois acquis aux débats, selon les investigations auxquelles l'expert s'est livré et qui sont mentionnées dans son rapport définitif, que l'entreprise Bigourdan n'a jamais procédé aux vérifications des tubes témoins, lesquelles n'auraient pas manqué de révéler que l'installation était victime d'un important phénomène de corrosion, et n'a donc pas été en mesure d'en informer la copropriété ; qu'il peut encore être déduit de cette absence de mise en garde en temps utiles que la S.A.M. Bigourdan ne s'est pas conformée aux obligations d'analyse et de contrôle de l'état des fluides ;

Attendu que ces manquements graves, en ce qu'ils ont laissé perdurer un état de fait éminemment néfaste à la bonne conservation des canalisations qu'un entretien sérieux aurait dû prémunir contre la corrosion, ou à tout le moins, en faire cesser à temps les effets dommageables, apparaissent être la cause essentielle des désordres ayant affecté les canalisations dont se plaint la copropriété ;

Qu'ils justifient en conséquence que la société Bigourdan soit déclarée seule responsable de ces désordres auxquels il a été nécessaire de remédier par les travaux de remise en état précités pour un montant de 141 700 francs ;

Que la responsabilité de la S.A.M. Bigourdan ne saurait toutefois être étendue aux « frais annexes » qui n'apparaissent pas directement liés aux manquements contractuels ci-dessus relevés - étant observé que la copropriété, qui au surplus n'en justifie pas par les pièces versées aux débats, s'abstient de s'expliquer suffisamment sur leur nature et, de ce fait, ne met pas le Tribunal en mesure d'y faire droit - ; que pas davantage, les troubles de jouissance invoqués ne sauraient être pris en considération eu égard au défaut de qualité de la copropriété pour en demander réparation pour compte de certains copropriétaires, au demeurant non identifiés ;

Attendu que le principe de responsabilité ainsi dégagé ne saurait pour autant aboutir à la condamnation de la S.A.M. Bigourdan en l'état de la procédure collective de règlement du passif ouverte à son encontre ;

Qu'il résulte en effet de l'effet combiné des articles 461 et 462 du Code de commerce que tous les créanciers d'un débiteur dont la cessation des paiements a été, comme en l'espèce, constatée, doivent produire leurs créances entre les mains du syndic qui les vérifie et que le jugement déclaratif suspend l'exercice de toute poursuite individuelle, demande en paiement ou voie d'exécution alors même qu'à défaut de titre, les créanciers seraient dans l'obligation de faire reconnaître leurs droits ou encore qu'une instance serait en cours lors du prononcé dudit jugement déclaratif ;

Qu'il s'ensuit, eu égard aux dispositions d'ordre public sus énoncées, que la copropriété - dont le syndic a, au demeurant, déclaré à la barre qu'elle n'avait pas produit dans les délais légaux à la liquidation des biens de la société Bigourdan - doit être renvoyée à se conformer aux règles régissant la matière des procédures collectives, sans que le Tribunal puisse prononcer à son profit la condamnation sollicitée de la S.A.M. Bigourdan, s'agissant au surplus d'une instance engagée au fond après le jugement déclaratif ;

Attendu, sur l'appel en intervention forcée de l'architecte de l'immeuble Les Mandariniers par l'État de Monaco, que cette instance apparaît présentement sans objet ni intérêt en l'espèce ; qu'aucune demande n'y étant formulée par les parties en cause, il n'y a pas lieu de l'examiner plus avant ;

Attendu que les dépens suivent la succombance ;

Dispositif🔗

PAR CES MOTIFS,

Le Tribunal,

Statuant contradictoirement,

Joint les instances nos 208/84 et 422/85 respectivement introduites selon exploits des 22 novembre 1984 et 7 mars 1985 ;

Déboute la copropriété de l'immeuble Les Mandariniers de ses demandes en ce qu'elles sont dirigées à rencontre de l'État de Monaco ;

La dit bien fondée en sa demande tendant à faire déclarer la S.A.M. Bigourdan responsable des désordres ayant affecté l'installation de production d'eau chaude sanitaire de l'immeuble et nécessité des travaux de remise en état de l'installation pour un montant de 141 700 francs, à l'exclusion des autres chefs de préjudice invoqués ;

Déclare toutefois la copropriété irrecevable à poursuivre le paiement de ladite somme dans la présente instance ;

La renvoie de ce chef au respect des règles édictées par le Code de commerce relatives à la matière des procédures collectives ;

Dit sans objet l'instance engagée par l'État de Monaco à l'encontre de M. C. ;

Composition🔗

MM. Huertas, prés. ; Truchi, prem. subst. proc. gén. ; MMe Blot, J.-Ch. Marquet, av. déf. ; Orecchia, syndic.

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