Tribunal de première instance, 21 novembre 1985, S.A.M. Loews Hôtel Monaco c/ S.A.M. Parfumerie Gilbert.

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Abstract🔗

Fonds de commerce

Exploitation - Magasin situé dans un ensemble hôtelier

Résumé🔗

Le caractère commercial de l'exploitation d'un magasin donné en location situé dans le hall d'un grand hôtel appartenant au bailleur exige au sens de la loi n° 490 du 24 novembre 1948 sur les loyers commerciaux, que des actes réputés commerciaux y soient exercés depuis au moins trois ans consécutifs dans des conditions d'indépendance économique, que le fonds ait une enseigne propre et dispose d'une clientèle distincte de celle de l'hôtel.


Motifs🔗

Le Tribunal,

Attendu qu'il est constant que suivant acte sous seing privé en date à Monaco du 3 septembre 1974, enregistré, la S.A.M. Loews Hotel Monaco, ci-après société Loews, a donné à bail à la S.A.M. dénommée Parfumerie Gilbert, pour une durée de 3, 6 ou 9 années ayant pris effet le 1er septembre 1975 un magasin d'une superficie de 48 m2, portant nos° 4 et 5, situé dans le hall d'entrée de l'hôtel (lobby) dans lequel la locataire a été autorisée à se livrer à « la seule vente au détail de parfumerie, produits de beauté, bijoux fantaisie, petite bagagerie, foulards, cravates, articles de manucure, petits souvenirs, remèdes sans prescription médicale » (article 9) ;

Que par L.R.A.R. en date du 27 février 1981, la société Loews a donné congé à sa locataire pour le terme de la deuxième période triennale venant à expiration le 31 août 1981, en se déclarant toutefois prête à lui consentir une nouvelle convention d'occupation des lieux moyennant une majoration de loyer ;

Que la position de la Société Loews a été précisée par L.R.A.R. du 14 octobre 1981 confirmant la fin du bail à la date du 31 août 1981 et contestant à la S.A.M. Parfumerie Gilbert le droit de se prévaloir des dispositions relatives à la propriété commerciale ;

Qu'en réponse, par L.R.A.R. des 16 novembre 1981 et 10 février 1982, la Parfumerie Gilbert a contesté la validité du congé délivré par la société Loews et a prétendu au contraire bénéficier de la législation sur la propriété commerciale ;

Que la société Loews a alors fait assigner la S.A.M. Parfumerie Gilbert devant le Tribunal de première instance selon l'exploit susvisé du 16 septembre 1982 aux fins :

  • d'entendre dire et juger qu'elle ne saurait se prévaloir des dispositions de la loi n° 490 du 24 novembre 1948 sur les loyers commerciaux en l'absence d'exploitation d'un fonds de commerce dans les locaux mis à sa disposition dépendant du lobby de l'établissement à grande surface qu'elle exploite à Monaco,

  • d'entendre déclarer régulier le congé qui lui a été délivré le 27 février 1981 avec effet au 31 août 1981,

  • d'obtenir en conséquence la libération des lieux dans le mois de la signification du jugement à intervenir sous astreinte de 5 000 francs par jour de retard, et, en tant que de besoin, l'expulsion de la S.A.M. Parfumerie Gilbert ainsi que celle de tous occupants de son chef,

  • d'entendre constater qu'elle est une occupante sans droit ni titre depuis le 1er septembre 1981 et d'obtenir paiement en conséquence d'une indemnité d'occupation mensuelle de 30 000 francs depuis cette date jusqu'à la libération des locaux, outre 50 000 francs à titre de dommages-intérêts pour résistance abusive à restituer les lieux portés à 100 000 francs par conclusions du 10 octobre 1984,

  • et d'entendre ordonner l'exécution provisoire de la décision à intervenir ;

Attendu qu'à l'appui de ses demandes la société Loews fait valoir :

1) que la législation sur les loyers commerciaux, qui ne peut recevoir application du seul fait que les parties ont qualifié de « bail commercial » une convention ne présentant pas ce caractère, protège exclusivement le fonds de commerce et non le droit au bail ;

2) que le fonds de commerce ne peut exister que si une clientèle autonome, spécifique, propre au local dépendant de l'exploitation à grande surface de l'hôtel Loews, est attachée, ce qui ne serait pas le cas en l'espèce ;

3) que la S.A.M. Parfumerie Gilbert n'a souscrit qu'une simple convention de prestation de services et que le local dans lequel elle exerce ses activités dépend étroitement de l'établissement exploité par la société Loews dont il constitue, parmi d'autres, l'un des services qu'elle offre à sa clientèle ;

4) que la clientèle rattachée à l'activité de la S.A.M. Parfumerie Gilbert est de nature civile puisque la destination des lieux loués résultant de la commune intention des parties n'est pas commerciale mais civile, s'agissant de prestations de services ;

5) qu'un tel objet est corroboré par les autres dispositions du contrat, exorbitantes du droit commun, assujettissant le locataire à une subordination telle qu'elle implique l'absence d'autonomie d'exploitation que doit comporter le fonds de commerce ;

6) et que les présomptions tenant à la qualité de commerçant de la S.A.M. Parfumerie Gilbert sont combattues par les éléments contraires du dossier ;

Attendu qu'en réponse la société Parfumerie Gilbert conclut au rejet des prétentions de la société Loews et demande au Tribunal :

  • de juger qu'elle est en droit d'invoquer à son profit le bénéfice des dispositions de la loi n° 490 précitée, en particulier celles relatives au droit au renouvellement de plein droit d'un bail à usage commercial,

  • de déclarer nul et de nul effet le congé du 27 février 1981 qui lui a été délivré en violation flagrante de ladite loi,

  • de dire en conséquence irrecevable et infondée l'action de la société Loews tendant à obtenir son expulsion immédiate des locaux portant les nos 4 et 5 qu'elle occupe dans l'enceinte de l'hôtel Loews et visant à l'allocation à son profit d'une indemnité d'occupation et de dommages-intérêts,

  • et de condamner reconventionnellement la société Loews à lui payer la somme de 100 000 francs à titre de dommages-intérêts pour procédure abusive, sans égard pour la demande d'exécution provisoire qui ne se justifie pas à défaut d'urgence ;

Qu'au soutien de ses prétentions la société Parfumerie Gilbert, qui conteste vigoureusement la thèse soutenue par la demanderesse, estime que le bail litigieux est soumis aux dispositions de la loi n° 490 précitée puisque tant sa dénomination ( « bail commercial »  que son contenu (article 19 notamment autorisant la cession du droit au bail) y font à tout le moins implicitement ou explicitement référence, affirme qu'il dispose d'une clientèle distincte de celle de l'hôtel créée à la suite de l'exploitation à Monaco, . d'un commerce similaire dont elle est par ailleurs propriétaire, tout en admettant que le fonds - s'agissant en particulier d'un commerce de luxe - dépend pour son exploitation de sa situation et de son environnement, conteste la qualité de prestataire de services qu'on lui impute en insistant sur la destination des lieux telle qu'elle résulte du contrat (article 9), relève que l'exercice de sa gestion (choix des articles mis en vente, commande et paiement des marchandises, embauche et débauche du personnel... etc.) contredit l'allégation d'absence d'autonomie, dénie toute portée aux clauses particulières du bail qui n'entraîneraient selon lui, aucune ingérence de la bailleresse dans l'exploitation du fonds et seraient sans incidence sur la nature commerciale du bail, et rappelle qu'eu égard aux lois de la Principauté sa qualité de commerçant est amplement démontrée ;

Sur quoi,

Attendu que pour prétendre au bénéfice de la loi n° 490 du 24 novembre 1948 sur les loyers commerciaux la société Parfumerie Gilbert doit justifier, aux termes de l'article premier de ladite loi, qu'elle exploite depuis au moins trois ans consécutifs dans le local loué par la société Loews, en vertu d'une convention écrite ou verbale, un fonds de commerce ;

Qu'il n'est pas contesté en l'espèce - ainsi qu'il ressort par ailleurs des éléments du dossier - que la société Gilbert exerce son activité dans les lieux loués en vertu du bail ci-dessus analysé du 3 septembre 1974, depuis le 1er septembre 1975 sans solution de continuité à ce jour ; que la gestion se pose donc de savoir si elle y exploite un fonds de commerce, lequel suppose pour son existence l'accomplissement d'actes de commerce, un objet commercial, une exploitation autonome, et une clientèle commerciale propre à l'exploitant, sans préjudice des autres éléments composant un tel fonds ;

Attendu qu'il ne peut être sérieusement contesté que l'activité de la société Parfumerie Gilbert consiste en l'espèce à acheter des produits et autres marchandises dans le seul but de les revendre, c'est-à-dire à accomplir des actes réputés commerciaux par la loi ; que l'exercice de tels actes de commerce par cette société à titre habituel sinon exclusif lui confère par ailleurs la qualité de commerçant, au demeurant corroborée par son inscription au Répertoire du Commerce et de l'Industrie ;

Attendu que les parties ont clairement convenu dans le contrat de bail (article 9 rubrique « destination des lieux » ) que l'objet de l'activité de la société Parfumerie Gilbert, consistant dans la seule vente au détail de parfumerie, produits de beauté, bijoux fantaisie, petite bagagerie, foulards, cravates, articles de manucure, petits souvenirs, remèdes sans prescription médicale, revêt un caractère commercial et non civil puisque exclusivement tourné vers l'accomplissement d'actes de commerce à titre de profession habituelle, ainsi qu'il vient d'être dit ; qu'à cet égard il ne saurait être tiré argument de l'emploi dans certaines dispositions du bail (cf. article 10 notamment) des termes impropres de « prestations de services » qui à l'évidence ne recouvrent pas la situation de l'espèce et paraissent s'expliquer, eu égard au caractère alternatif de la locution employée (marchandises ou prestations de services) par la pré-rédaction d'un contrat-type soumis par la société Loews à tous ses cocontractants, qu'ils soient commerçants ou prestataires de services ;

Attendu quant aux autres dispositions du contrat, dont le Tribunal a certes été amené dans une instance analogue à relever le caractère inusuel en la matière, qu'il doit être observé qu'elles ne mettent pas en cause l'indépendance du commerçant dans l'exploitation de son commerce ;

Qu'en l'espèce, il apparaît que la société Parfumerie Gilbert, tout en étant soumise par les clauses du bail à des obligations contraignantes qui s'expliquent pour la plupart d'entre elles par la situation des locaux loués dans l'enceinte d'un hôtel de luxe ne conserve pas moins pour l'essentiel la liberté de gérer ses affaires ainsi qu'elle l'entend, qu'il n'est pas porté atteinte en particulier ou mode d'exploitation économique de son commerce dont elle maîtrise seule la politique d'achat et de vente des marchandises aux prix qu'elle fixe librement ; qu'elle embauche et débauche son personnel sans que la bailleresse soit concernée et se livre à toutes opérations commerciales qu'elle juge de l'intérêt de son entreprise, sauf à respecter les lois en vigueur ; qu'en outre et surtout cette société exerce le commerce à ses propres risques, ce qui caractérise l'activité de tout commerçant, sans que la société Loews participe en aucune manière aux bénéfices ou aux pertes du commerce qu'elle assume en toute indépendance ;

Que les articles 4 à 8 du contrat, en ce qu'ils ont seulement pour objet de permettre la mise en œuvre de modalités particulières relatives à la fixation du prix du loyer par rapport au chiffre brut des ventes, ne sont pas en particulier de nature à faire échec à l'indépendance ci-dessus analysée ;

Attendu d'autre part qu'il résulte des éléments du dossier que la défenderesse exerce le commerce dans le hall de l'hôtel sous une enseigne commerciale qui lui est personnelle (Parfumerie Gilbert) et dont elle use au demeurant en Principauté dans son établissement principal à objet identique depuis de longues années ; qu'elle dispose par ailleurs pour l'exploitation de son commerce d'autres éléments traditionnellement compris dans un fonds de commerce, tels que le matériel et la marchandise nécessaires à l'accomplissement de ses activités ;

Attendu enfin que la société Parfumerie Gilbert justifie de l'existence d'une clientèle attachée à son exploitation dont la nature est nécessairement commerciale dès lors que l'accomplissement régulier et à titre principal par ses soins d'actes de commerce confère un caractère commercial à l'achalandage ; que demeure toutefois la question - essentielle - de savoir si cette clientèle lui est personnelle - ne serait-ce que pour partie - ou appartient au contraire exclusivement à l'Hôtel Loews, ce qui, dans ce dernier cas serait de nature à lui interdire de se prévaloir des dispositions de la loi n° 490 dès lors que la clientèle, élément nécessaire du fonds, doit être attachée à sa personne et faire partie de son propre patrimoine commercial pour que lesdites dispositions puissent être appliquées à son bénéfice ;

Attendu que sur ce point, les éléments du dossier ne permettent pas en l'état au Tribunal de se prononcer, en sorte qu'il y a lieu d'ordonner une mesure d'expertise aux frais avancés de la société Loews demanderesse, en considération notamment de l'apparence par elle entretenue lors de la conclusion du contrat qualifié de « bail commercial », ayant consisté à employer à maintes reprises dans ce document des notions en relation étroite avec l'activité d'un commerce doté d'un bail commercial dont l'existence est présentement contestée ;

Attendu que les dépens doivent être réservés en fin de cause ;

Dispositif🔗

PAR CES MOTIFS,

Le Tribunal,

Jugeant contradictoirement,

Avant de statuer plus avant ordonne une mesure d'expertise aux frais avancés de la S.A.M. Loews Hotel Monaco ;

Désigne en qualité d'expert, Madame Boni, demeurant ., laquelle, serment préalablement prêté, aura pour mission de recueillir par tous moyens, notamment par l'examen des documents comptables du fonds de commerce considéré de parfumerie exploité dans le hall de l'hôtel Loews à l'enseigne « Parfumerie Gilbert », tous éléments de fait permettant au Tribunal de déterminer si la société anonyme monégasque dénommée Parfumerie Gilbert dispose depuis plus de 3 ans d'une clientèle personnelle distincte de celle de la S.A.M. Loews Hotel Monaco ou si la clientèle attachée audit fonds doit être considérée comme exclusivement apportée par l'établissement Loews ;

Dit que l'expert commis dressera et déposera rapport de ses opérations dans les 3 mois à compter du début desdites opérations d'expertise ;

Commet Monsieur Philippe Narmino, juge au siège, pour surveiller ces opérations ;

Dit qu'en cas d'empêchement du magistrat ainsi commis il sera procédé à son remplacement par simple ordonnance.

Composition🔗

MM. Huertas, prés. ; Truchi, prem. subst. proc. gén. ; MMe Boeri, Clerissi, av. déf. ; Leandri, av.

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