Tribunal de première instance, 28 mars 1985, Sieur K. c/ Dame B., Dame C., consorts H.

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Abstract🔗

Domicile

Centre d'intérêts et principal établissement et lieu d'ouverture de la succession en Principauté en dépit d'une résidence en maison de retraite en France. Action en délivrance de legs et reddition de comptes intentée à Monaco. Tribunal de Monaco compétent. Litispendance internationale (non).

Résumé🔗

Le séjour d'une personne, ayant conservé ses intérêts et son principal établissement à Monaco, dans une maison de retraite située en France pendant les 13 mois précédant son décès n'a pu avoir pour effet de modifier le lieu de son domicile réel monégasque.

Il en résulte qu'au plan civil et par application de l'article 82 du Code civil, la succession de cette personne s'est ouverte à Monaco, lieu de son dernier domicile.

Les juridictions de Monaco sont donc compétentes pour connaître de l'action en délivrance de legs et en reddition de comptes intentée par le légataire à titre universel, sur le fondement des articles 3.2° et 3.3° du Code de procédure civile. La circonstance que les juridictions françaises aient également retenu leur compétence pour une instance similaire introduite en France ne saurait avoir d'effet sur la saisine du juge monégasque, dès lors qu'à Monaco il n'est pas admis de litispendance en matière internationale.


Motifs🔗

Le Tribunal,

Attendu qu'il résulte des éléments de la cause :

1 - que R. A., veuve en premières noces de C. C. et d'un second mariage de L. B., est décédée à Peille (A.M.) le 28 juillet 1977 à l'âge de 90 ans en l'état d'un testament olographe daté du 9 janvier 1974, modifié et complété par divers codicilles, aux termes duquel M. K. a été désigné en qualité d'exécuteur testamentaire et de légataire de 15 % du montant de la succession ;

2 - qu'un litige opposant les héritiers de R. A. Veuve B. à M. K., l'un des cohéritiers a saisi de ce différend le juge des référés de la Principauté à l'effet que soit ordonnée une expertise judiciaire aux fins d'obtenir la remise des comptes de gestion de l'exécuteur testamentaire, d'en vérifier la teneur compte tenu des rapports d'affaires l'ayant lié à la de cujus antérieurement et jusqu'à la date du décès, et de fournir tous éléments d'appréciation sur la régularité des opérations et des comptes effectués ; qu'après avoir pour l'essentiel relevé qu'une telle mission supposait la recherche ultérieure de la responsabilité de K., quant aux conditions dans lesquelles il a exercé les fonctions de mandataire de la de cujus du vivant de celle-ci, - recherche nécessitant l'introduction préalable d'une instance au fond, - le magistrat des référés s'est déclaré incompétent par ordonnance du 22 février 1979 ;

3 - que le 16 septembre 1980, les héritiers de la de cujus ont fait assigner K. devant le Tribunal de Nice pour obtenir la désignation d'un expert chargé de rechercher si de 1976 à 1977 il n'a pas été le mandataire ou le gérant d'affaires de R. B., de dire si les ventes immobilières intervenues en 1974 n'ont pas été fictives, de rechercher le sort ayant été réservé aux biens mobiliers dépendant de la succession et de définir les conditions dans lesquelles les fonctions d'exécuteur testamentaire ont été remplies ; que par jugement du 28 avril 1982, le Tribunal de grande instance de Nice, après avoir observé que l'action des demandeurs s'analysait en une action en reddition de comptes pour une gestion d'affaires (qui aurait eu lieu de 1974 à 1977) et pour la mission d'exécuteur testamentaire dévolue à K. - et non en une action réelle immobilière d'un partage portant sur des immeubles, susceptible d'être envisagée postérieurement - a relevé qu'elle s'exerçait entre parties françaises à l'occasion d'une succession ouverte en France en raison du domicile de la de cujus au jour de son décès et a en conséquence retenu sa compétence en renvoyant les parties à conclure au fond ;

4 - que K. ayant saisi la Cour d'appel d'Aix-en-Provence d'un contredit formé à l'encontre de la décision du Tribunal de grande instance de Nice, les seconds juges par arrêt du 31 janvier 1983 ont estimé que le dernier domicile réel et le lieu d'ouverture de la succession où l'exécuteur testamentaire a opéré est la Principauté de Monaco mais ont cependant confirmé la compétence du Tribunal de Nice en fonction de la nationalité française des parties en cause, en les renvoyant également à conclure au fond ;

Attendu que par assignation du 20 mai 1983 K. a régulièrement fait citer les héritiers de R. B. devant le Tribunal de première instance de Monaco pour qu'il lui soit donné acte de son offre réitérée de rendre compte de sa gestion d'exécuteur testamentaire - la reddition des comptes devant être présentée par lui dans les deux mois du jugement à intervenir -, pour obtenir l'exécution du testament et des codicilles et par conséquent la délivrance du legs dont il a été gratifié, et pour qu'il soit procédé aux opérations de compte, liquidation et partage de la succession dont la consistance serait au besoin évaluée par expertise, ce, au bénéfice de l'exécution provisoire du présent jugement ;

Attendu que pour s'opposer à cette action qu'ils jugent dilatoire et abusive, les héritiers de la de cujus constatent qu'elle fait double emploi avec la procédure engagée devant les juridictions françaises, toujours pendante, tout en relevant qu'elle ne les satisfait pas dans la mesure où la reddition des comptes proposée par K. ne prévoit pas les investigations poussées leur paraissant nécessaires en l'espèce ; qu'ils estiment que la litispendance existant entre les juridictions françaises et monégasques doit être réglée au profit des premières antérieurement saisies et sollicitent du Tribunal de Monaco, au bénéfice de leurs conclusions :

  • qu'il déclare K. irrecevable en ses demandes en le renvoyant à suivre la procédure engagée à Nice,

  • qu'il constate que cette procédure est antérieure à la présente instance qui oppose les mêmes parties et concerne les mêmes faits,

  • qu'il se déclare incompétent au profit du Tribunal de Nice,

  • et qu'il condamne K. à leur payer 10 000 francs à titre de dommages-intérêts pour procédure abusive ;

Sur quoi,

Attendu qu'en l'état des moyens opposés par les héritiers de R. B. qui se bornent en définitive à soulever l'incompétence des juridictions monégasques, il y a lieu d'apprécier si, en dépit de la domiciliation des défendeurs à l'étranger, l'action dont le Tribunal est saisi relève bien de sa compétence et, dans l'affirmative, de statuer sur la portée de l'exception de litispendance soulevée ;

Attendu qu'il apparaît des pièces du dossier, ainsi que l'a pertinemment relevé la Cour d'appel d'Aix dans sa décision précitée du 31 janvier 1983, que le séjour de R. B. à l'hospice de Peille pendant les 13 mois précédant son décès n'a pu modifier le lieu de son réel domicile, dès lors que la de cujus, qui n'a jamais eu l'intention de se fixer à Peille (où elle n'a été admise en maison de retraite que faute d'avoir pu l'être à Monaco), a conservé ses intérêts et son principal établissement à son domicile antérieur de Monaco ; que c'est donc en Principauté ., que la défunte a eu son dernier domicile où sa succession s'est ouverte par application de l'article 82 du Code civil même si, pour des considérations très particulières, le domicile peut être défini de façon différente en droit fiscal, ce qui ne saurait au demeurant revêtir en l'espèce la moindre incidence ;

Attendu qu'en ce que l'action de K. tend à obtenir des héritiers la délivrance du legs à titre universel dont il a été gratifié et, pour y parvenir, à provoquer le partage de la succession - dont il est au surplus indiqué qu'elle comporterait des immeubles situés en Principauté -, la compétence du Tribunal de première instance de Monaco doit être retenue sur le fondement de l'article 3 3e du Code de procédure civile ;

Que d'autre part, l'action tendant à reddition de comptes formée par K. en sa qualité d'exécuteur testamentaire apparaît également ressortir à la compétence des tribunaux de Monaco, en ce qu'elle est en outre liée à des obligations nées et devant être exécutées à Monaco par application de l'article 3, 2e dudit code ;

Attendu en conséquence que force est de constater que le Tribunal de Monaco est compétent pour connaître de la présente instance, même si dans une instance à certains égards similaire opposant les mêmes parties en France, les juridictions françaises ont également retenu leur compétence eu égard aux règles applicables, par décisions revêtues dans ce pays de l'autorité de chose jugée ;

Attendu toutefois que cette circonstance ne saurait faire échec à l'appréciation par le Tribunal de Monaco du litige dont il est régulièrement saisi ; qu'en Principauté en effet, il est de jurisprudence constante que la litispendance en matière internationale n'est pas admise, en sorte qu'il ne peut être fait droit à cette exception soulevée par les défendeurs ;

Attendu, en définitive, que ceux-ci doivent être déboutés de l'ensemble de leurs demandes, fins et conclusions, y compris quant aux dommages-intérêts réclamés, dès lors que n'est pas établi le caractère abusif de la procédure dont ils font l'objet ;

Que le Tribunal relevant qu'ils se sont abstenus, en l'état actuel de la procédure, de prendre position au fond sur les prétentions formées par le demandeur, il y a lieu de les renvoyer à conclure sur ce point à la prochaine audience utile ;

Attendu que les dépens doivent être réservés en fin de cause ;

Dispositif🔗

PAR CES MOTIFS,

Le Tribunal,

Statuant contradictoirement,

  • Se déclare compétent pour connaître de l'action régulièrement introduite par M. K. ;

  • Rejette l'exception de litispendance soulevée ;

  • Déboute les défendeurs de leur demande reconventionnelle en paiement de dommages-intérêts ;

  • Les renvoie à conclure au fond pour l'audience du 9 mai 1985 ;

  • Réserve les dépens ;

Composition🔗

MM. Huertas, prés. ; Truchi, prem. subst. proc. gén. ; MMe Karczag-Mencarelli, Marquilly, av. déf. ; Leandri, av.

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