Tribunal de première instance, 29 janvier 1982, Sté SOCOFIMO c/ Sté J. H G.

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Abstract🔗

Arbitrage

Jugement arbitral - Absence de compromis - Existence d'une clause compromissoire antérieure - Circonstance inopérante - Art. 964 du Code de Procédure Civile - Nullité du jugement arbitral (oui).

Résumé🔗

L'autorité de la chose jugée ne s'attache qu'aux décisions judiciaires rendues en matière contentieuse sur les contestations débattues entre les parties.

Si une clause compromissoire suffisamment explicite, notamment quant au mode de désignation des arbitres, peut valoir compromis lorsqu'un litige survient, encore faut-il qu'elle ait été initialement et expressément admise par les parties litigantes.


Motifs🔗

Le Tribunal,

Considérant les faits suivants :

Aux termes d'un acte daté du 17 septembre 1976 (qui sera enregistré avec le présent jugement) intitulé « confirmation de vente n° 936 » la société anonyme monégasque Socofimo qui l'a signé s'est engagée à vendre à la société de droit allemand dénommée « J. & H. G. » (ci-après G.) environ 200 mètres cubes de rondins Azobe de Côte d'Ivoire de qualité loyale et marchande d'une longueur et d'un diamètre respectivement d'au moins 4,50 m et 0,7 m pour un prix de 330 francs français le mètre cube ;

Selon cet acte, la vente devait se faire conformément à la formule « F.O.B. Abidjan et/ou San Pedro » moyennant un embarquement maritime prévu pour la mi-octobre 1976, à destination de Glueckstadt (RFA) sur navire E.A.L. (sous réserve d'accord du conseil ivoirien des chargeurs) et contre un paiement de 100% à première présentation des documents maritimes habituels ;

Cette vente était en outre précisée conclue sous des conditions générales figurant en annexe à l'acte, lesquelles en particulier incluent, sous diverses réserves, les règles F.O.B. des Incoterms 1953 de la Chambre de commerce internationale ainsi qu'une clause d'arbitrage rédigée comme suit :

« Toute contestation pouvant s'élever au sujet du présent contrat sera réglée à l'amiable ou à défaut par arbitrage. Les arbitres statueront à titre d'amiables compositeurs et leur sentence sera sans appel (...). La demande d'arbitrage devra être formulée : dans le cas d'un litige sur la qualité conformément à la clause » Réclamations « (...). Si les parties ne s'entendaient pas sur la nomination d'un amiable compositeur unique, elles nommeront chacune leur arbitre. Avant de commencer leur mission les arbitres nommeront un tiers arbitre dans les huit jours de leur désignation pour les départager éventuellement ».

Cet acte a été adressé à la société G. qui l'a reçu ;

Par lettre datée de ce même 17 septembre 1976, la société SOCOFIMO avait écrit à cette fin à une entreprise de courtage de Hambourg dénommée « FW B. et Cie », sous la référence : « contrat n° 936 du 17 septembre 1976, 200 mètres cubes azobe pour MM. G. »;

La lettre était ainsi conçue :

« Nous vous remettons sous ce pli trois originaux du contrat en rubrique et vous prions de bien vouloir nous retourner un de ces originaux revêtus de la signature du client. Nous vous confirmons qu'une commission de 3 % sur la valeur F.O.B. vous est réservée » (...).

La société G. n'a pas, cependant, signé cet acte n° 936.

Elle a néanmoins signé, par ailleurs, sur une formule imprimée fournie par le courtier B., un acte pareillement daté du 17 septembre 1976 qui porte la référence : « contrat R 154/76 » ;

Ce contrat comprend des conditions particulières analogues pour l'essentiel à celles de « l'acte n° 936 » ;

Ses conditions générales sont cependant différentes s'agissant notamment de la clause d'arbitrage prévue, qui apparaît ainsi libellée :

« S'il devait naître des conflits en relation avec ce contrat et s'ils n'étaient pas dans un délai de dix jours résolus à l'amiable, il sera fait appel à un arbitrage selon les termes prévus par l'A.T.I.B.T. ou arbitrage amical de Hambourg. Les deux parties désigneront leurs arbitres qui conjointement, nommeront un arbitre commun, chacun et tous ensemble devront en fin de compte être unanimes sur le ou les points de conflit. Au cas où l'une des deux parties n'aurait pas désigné son arbitre dans un délai de 14 jours après avoir été requis par l'autre partie, les agents ainsi que le contrat le prévoit ayant servi d'intermédiaire, cet arbitre sera nommé d'office par la chambre de commerce de Hambourg à la requête de l'autre partie (...). La décision des arbitres ou de l'arbitre commun sera sans appel et engagera toutes les parties intéressées » (...).

Ce « contrat n° 154/76 » dont l'original a été communiqué au Tribunal durant son délibéré (et qui sera enregistré avec le présent jugement) n'a pas, en revanche, été signé par la société Socofimo ;

La marchandise indiquée en termes similaires par ce « contrat » et par « l'acte n° 936 » a néanmoins été livrée par la société Socofimo à la société G. Celle-ci l'a reçue en janvier 1977 ;

A l'occasion de cette livraison, un litige est toutefois survenu entre les deux sociétés, la société G. ayant fait état d'une moins value importante de la marchandise livrée ;

Ne s'estimant liée que par « le contrat n° 157/76 » cette société s'est alors prévalue du refus non contesté de la société Socofimo de désigner un arbitre aux fins de la mise en œuvre de la clause d'arbitrage contenue par ledit « contrat » ;

Sur la base de cette clause, en effet, elle a sollicité le 24 mars 1977 de la chambre de commerce de Hambourg, afin de suppléer la carence de son adversaire, la nomination d'office d'un deuxième arbitre aux côtés de celui qu'elle avait elle-même déjà désigné en la personne de K. J. ;

La Chambre de Commerce de Hambourg, faisant droit à cette demande, a désigné le 7 avril 1977 K. K. comme deuxième arbitre ;

Informée de cette désignation par une lettre de ladite chambre de commerce, datée de ce même 7 avril 1977, la société Socofimo a répondu le 12 avril 1977 à cet organisme qu'elle la rejetait comme étant non contractuelle car fondée sur un contrat 157/76 qu'elle n'avait pas conclu ;

Les deux arbitres susnommés ont rendu néanmoins, une sentence, qualifiée de jugement arbitral, le 23 avril 1977 ;

Aux termes de cette sentence et après avoir affirmé comme certaine leur compétence, ces arbitres ont notamment décidé que la société Socofimo devait payer à la société G. outre 2 050 D.M. de frais d'entreposage, 13 025 francs français pour la livraison d'une marchandise non conforme au « contrat n° 154/76 » qu'ils ont seul considéré comme liant les parties dès lors, ont-ils énoncé, qu'identique dans ses dispositions essentielles à « l'acte 936 » ci-dessus rapporté, il était parvenu plus tôt que celui-ci à la société G. et que celle-ci l'avait accepté et signé ;

Cette sentence a reçu son exequatur à Monaco d'une Ordonnance présidentielle en date du 8 novembre 1979, en vertu de laquelle et en la signifiant, la société G. a, par exploit daté du 22 novembre 1979, fait commandement à son adversaire d'avoir à payer la somme totale de 19 478,80 francs ;

Rétractée en référé le 9 janvier 1980 à la demande de la société Socofimo, cette ordonnance a été confirmée en ses effets par un arrêt de la Cour d'appel rendu le 27 mai 1980 sur appel de l'ordonnance de rétractation ;

Cet arrêt a disposé en particulier que « l'ordonnance d'exequatur du 8 novembre 1979 devait sortir en l'état son plein et entier effet » ;

Par l'exploit d'assignation visé en tête du présent jugement et délivré à la société G., la société Socofimo a, sur ce, formé opposition à rencontre de ladite ordonnance d'exequatur ;

Elle demande au Tribunal de la recevoir en cette opposition, sur la base de l'article 964 du Code procédure civile, de prononcer, en conséquence, outre la nullité de cette ordonnance celle de la sentence déclarée exécutoire qu'elle estime avoir été rendue sans qu'elle ait, pour ce, compromis et, enfin, de déclarer nuls et de nul effet la signification et le commandement, contenus dans l'exploit ci-dessus mentionné, en date du 22 novembre 1979 ainsi que tous actes d'exécution ultérieurs ;

Elle sollicite, par ailleurs, que la société G. soit condamnée à lui payer 10 000 francs à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice qu'elle aurait subi consécutif à l'obligation qui lui aurait été faite d'introduire la présente instance ;

En cet état de procédure, la société Socofimo a, par ailleurs, introduit, devant le magistrat des référés, une demande de sursis à l'exécution de l'ordonnance d'exequatur ainsi frappée d'opposition ;

Cette demande ayant abouti à une ordonnance de référé en date du 9 avril 1981 qui a prescrit qu'elle consigne entre les mains de Mme Jahlan, greffier, désignée séquestre la somme de 20 000 francs, la société Socofimo a, par conclusions énoncées verbalement à l'audience du 13 novembre 1981 sollicité, de plus, que soit ordonnée à son profit la mainlevée de cette consignation ;

En réponse à cet ensemble de demandes, la société G. a, d'abord, conclu qu'il plaise au Tribunal :

  • d'une part, dire et juger irrecevable l'opposition au motif que l'ordonnance d'exequatur serait à l'abri de toute voie de recours pour avoir été confortée en ses effets par l'arrêt sus-visé de la Cour d'appel en date du 27 mai 1980,

  • d'autre part, dire et juger que, bien que l'opposition n'ait pas été expressément formée à rencontre de la sentence des arbitres, elle aurait même dans cette hypothèse, été en tous cas irrecevable,

et, en conséquence, débouter la société Socofimo de ses demandes ;

La société G. a ensuite sollicité reconventionnellement la condamnation de la société Socofimo à lui payer 10 000 francs à titre de dommages-intérêts pour avoir abusivement diligente une procédure sans ignorer que la marchandise livrée n'était pas conforme à la commande ;

Elle a, en outre, demandé qu'acte lui soit donné de ce qu'elle se réserve de poursuivre l'exécution de l'ordonnance d'exequatur du 8 novembre 1979 laquelle se trouverait, selon ses dires, parée de l'autorité de la chose jugée par l'effet de l'arrêt rendu le 27 mai 1980 ;

Enfin, quant au fond, la société G. a subsidiairement fait valoir que « le contrat n° 154/76 » contenant la clause d'arbitrage qui a permis la sentence visée par l'opposition est opposable à son adversaire ;

Elle soutient, à l'appui de ce moyen, d'une part, que le courtier B. avait représenté la société Socofimo, d'autre part, que celle-ci avait mentionné la référence de ce « contrat en divers télex qu'elle avait émis et enfin qu'une facture en date du 24 décembre 1976 adressée à B. par Socofimo porte pareillement cette même référence » :

Sur quoi,

Quant à la recevabilité

Attendu que l'autorité de la chose jugée ne s'attache qu'aux décisions judiciaires rendues en matière contentieuse sur les contestations débattues entre les parties ; que tel ne peut être le cas de l'ordonnance d'exécution prévue par l'article 957 du Code de procédure civile laquelle a un caractère gracieux ; qu'il s'en suit, alors surtout que l'arrêt invoqué par la société G. en date du 27 mai 1980 n'a, selon son libellé, maintenu à l'ordonnance présentement frappée d'opposition que l'effet qu'elle avait en « l'état » que le moyen d'irrecevabilité tiré de la force de la chose jugée qu'aurait acquise ladite ordonnance ensuite dudit arrêt, doit être rejeté ;

Attendu, par ailleurs, qu'il n'y a pas lieu de se prononcer sur l'éventualité, d'autre part, invoquée par la société G. à l'appui de l'irrecevabilité alléguée, celle-ci ne pouvant dans la présente instance frapper une opposition hypothétiquement formée, contrairement au cas de l'espèce, contre la sentence dont s'agit ;

Qu'en définitive, il ne peut être fait droit à la demande de la société G. de déclarer irrecevable l'opposition de la société Socofimo à rencontre de l'ordonnance en date du 8 novembre 1979 ;

Quant au fond

Attendu que l'article 964 du Code de procédure civile autorise l'opposition à l'ordonnance d'exécution d'un acte qualifié jugement arbitral lorsqu'en particulier celui-ci a été rendu sans compromis ou hors les termes du compromis ;

Attendu que le compromis, qui suppose qu'un litige ait pris naissance, doit être distingué de la clause compromissoire qui lui est antérieure ;

Attendu que la société G., qui n'invoque aucun compromis stricto sensu, prétend que la clause d'arbitrage ci-dessus rapportée contenue dans le « Contrat n° 154/76 » en tient lieu en l'espèce ;

Attendu, à cet égard, que si en vertu de la jurisprudence une clause compromissoire suffisamment explicite, notamment quant au mode de désignation des arbitres, peut valoir compromis lorsqu'un litige survient, encore faut-il pour cela qu'elle ait été initialement et expressément admise par les parties litigantes :

Attendu que la clause précitée figure dans un document qui n'apparaît signé, selon son original, versé aux débats, ni par la société Socofimo ni par le courtier B. ;

Que cette circonstance suffit à ôter à la signature de la société G. apposée au bas du « contrat » qu'il énonce la valeur qui lui est notamment prêtée d'acceptation d'une clause compromissoire antérieurement proposée par la société Socofimo, bien que l'imprimé qui la contient ait été fourni par le courtier B., puisque ce dernier n'apparaît pas avoir reçu mandat exprès de la société Socofimo de proposer une telle clause en l'état des termes de la lettre d'accompagnement de « l'acte n° 936 » qui lui a été adressée par Socofimo et qu'il s'est par ailleurs gardé de la corroborer par sa signature ainsi qu'il vient d'être relevé ;

Qu'au regard de l'ensemble formé par les deux actes n° 936 et 154/76 ci-dessus rapportés comme des signatures qu'ils comportent respectivement, en dépit d'un accord des parties sur l'essentiel des modalités de la vente conclue, il ne peut qu'être constaté un désaccord persistant de celles-ci quant aux dispositions que chacune d'elles avaient expressément envisagées pour procéder, le cas échéant, à la désignation d'arbitres ;

Qu'il doit être, en outre, à ce propos relevé qu'aucune conséquence juridique ne saurait être, en l'espèce, tirée de ce que la référence du contrat n° 154/76 se trouve mentionnée en divers telex ou lettres adressés par la société Socofimo à la société G., ce fait, insuffisant d'ailleurs à établir en l'absence de signature, une approbation intégrale et formelle du contrat dont s'agit, caractérisant en la circonstance un usage commercial courant destiné à faciliter la réponse d'un interlocuteur par l'indication de ses propres références ;

Attendu qu'il s'ensuit, comme le soutient la demanderesse, la clause compromissoire seule invoquée par son adversaire à l'appui de la validité de la décision des arbitres J. et K. ne pouvant, en l'espèce, valoir compromis, que l'opposition formée à l'encontre de l'ordonnance d'exécution de ladite décision doit être déclarée fondée en vertu de l'article 964 du Code de procédure civile ;

Que, dès lors, la nullité du jugement arbitral qu'elle traduit doit être prononcée, de même, par voie de conséquence, que celle de tous actes ultérieurement accomplis pour son exécution ;

Quant aux dommages-intérêts

Attendu que l'attitude procédurale des parties en présence ne justifie pas, par son absence de caractère abusif, les dommages-intérêts qui ont été réciproquement demandés ;

Quant à la consignation

Attendu qu'en l'état de la nullité ci-dessus prononcé, il doit être fait droit à la demande de la société G. de voir Mme N. Jahlan greffier, déchargée de la mission de séquestre qui lui a été conférée le 9 avril 1981 par le magistrat des référés ;

Quant aux dépens

Attendu que les dépens de la présente instance doivent être supportés par la société G. qui y succombe ;

Dispositif🔗

PAR CES MOTIFS

Le Tribunal,

Statuant contradictoirement ;

Déclare la société Socofimo recevable en son opposition formée à l'encontre de l'ordonnance d'exécution en date du 8 novembre 1979 ;

L'y déclarant fondée,

Prononce, faute de compromis, la nullité de la sentence rendue le 23 avril 1977 par les arbitres K. J. et K. K. ;

Déclare nuls et de nul effet le commandement de payer en date du 22 novembre 1979 et tous actes d'exécution ultérieurs de ladite sentence ;

Décharge Madame Nadia Jahlan, greffier, de sa mission de séquestre portant sur la somme de 20 000 francs (vingt mille francs) ;

Dit que ladite somme sera mise à la disposition de la société Socofimo ;

Déboute les parties de leurs demandes respectives de dommages-intérêts et par ailleurs, la société G. du surplus de ses demandes ;

Condamne cette dernière société aux dépens ;

Composition🔗

MM J.-Ph. Huertas, prés. ; J.F. Landwerlin, vice-prés. ; V. Garrabos, subst. proc. gén. ; MMe Alaux et Leandri, av.

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