Tribunal de première instance, 15 février 1979, M. c/ État de Monaco

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Abstract🔗

Responsabilité des instituteurs

Accident survenu à un élève, sous surveillance de son professeur d'éducation physique.

- Présomption de responsabilité du professeur non renversée par la preuve de son absence de faute : article 1231, alinéa 5 du Code civil.

- Substitution de l'État, garantissant la responsabilité du professeur.

- Action exercée contre l'État ne mettant nullement en cause le fonctionnement du service public.

Résumé🔗

Suivant exploit du 6 octobre 1977, E. M. agissant tant en son nom propre qu'en qualité d'administrateur légal de son fils mineur E. M., victime le 21 mai 1974 d'un accident ayant entraîné un décollement de la rétine et une déchirure de l'œil droit, au cours d'une séance d'éducation physique, qui se déroulait dans la cour du lycée Albert 1er, sous la surveillance d'un professeur d'éducation physique, le sieur G., pendant laquelle un ballon manipulé par un élève l'a atteint à la face, a assigné le Ministère d'État aux fins de s'entendre ce dernier condamné, ès-qualités à réparer les conséquences de cet accident par application de l'article 1231 alinéa 5 du Code civil.

Il appartient au tribunal de restituer à cette action sa véritable nature juridique. En effet bien que M. ait assigné l'État, représenté par le Ministère d'État, il est certain que le demandeur qui invoque à son bénéfice l'application de l'article 1231 alinéa 5 du Code civil a entendu diriger juridiquement son action contre le professeur d'éducation sous la surveillance de qui l'accident s'est produit, présumé responsable sur le fondement de cet article et ne met nullement en cause le fonctionnement du service public.

L'action introduite par M. est en réalité exclusivement fondée sur des principes de droit privé et non sur des principes de droit public, étant considéré que l'État accepte de garantir la responsabilité du professeur.

L'article 1231 alinéa 5 du Code civil déclare les instituteurs responsables du dommage causé par les élèves pendant le temps qu'ils sont sous leur surveillance, à moins qu'ils ne prouvent qu'ils n'ont pu empêcher le fait qui donne lieu à cette responsabilité, ce qui n'apparaît pas ressortir du rapport d'enquête, de sorte que la présomption de responsabilité devant s'appliquer en l'espèce, G. est au sens de l'article 1231 alinéa 5 du Code civil responsable de cet accident, et l'État doit par voie de conséquence, compte tenu de la position qu'il a adoptée en acceptant de se substituer au sieur G., garantir la responsabilité de ce dernier.


Motifs🔗

Le Tribunal,

Attendu que, suivant l'exploit susvisé, le sieur E. M., agissant tant en son nom propre qu'en qualité d'administrateur légal de son fils mineur E. M., victime le 21 mai 1974 d'un accident ayant entraîné un décollement de la rétine et une déchirure de l'œil droit, au cours d'une séance d'éducation physique qui se déroulait dans la cour du Lycée Albert 1er sous la surveillance d'un professeur d'éducation physique, le sieur G., pendant laquelle un ballon manipulé par un élève l'a atteint à la face, a assigné le Ministre d'État aux fins de s'entendre ce dernier condamné, ès-qualités, à réparer les conséquences de cet accident par application de l'article 1231, alinéa 5, du Code civil, à lui verser une provision de 50 000 francs sous le bénéfice de l'exécution provisoire et ordonner une mesure d'expertise médicale ;

Attendu que, dans le dernier état de ses conclusions, le Ministre d'État conclut au déboutement du demandeur, d'une part, en se fondant, à titre principal, sur le contrat d'assurances souscrit par l'État, lequel comporte deux types de garanties non cumulatives entre lesquelles M. aurait choisi en percevant les indemnités forfaitaires correspondant à la garantie individuelle, renonçant par là-même au bénéfice de la garantie de responsabilité civile, d'autre part, à titre subsidiaire, par application des principes dégagés par la jurisprudence relative à la responsabilité de l'Administration, le Ministre d'État estimant avoir rapporté la preuve qu'eu égard aux circonstances de la cause, il n'a pu empêcher le fait qui a donné lieu à la responsabilité puisque le jeu collectif organisé au Lycée, le 21 mai 1974, qui n'est interdit par aucun règlement, se déroulait normalement sous la surveillance d'un professeur d'éducation physique lors de la survenance de l'accident, et qu'il n'existe en l'espèce ni faute de service, ni faute personnelle de l'agent ;

Attendu que, de son côté, le demandeur fait valoir, d'une part, que la stipulation pour autrui constituée par le contrat d'assurances signé entre l'État et la compagnie U. ne concerne que les droits tirés de la législation sur l'assurance et non ceux tirés des principes généraux de la responsabilité, d'autre part, que par application de l'article 1231 et suivants du Code civil instituant une présomption de responsabilité, le défendeur ne peut faire échec à cette présomption qu'en établissant une faute de la victime ;

Sur quoi :

Attendu qu'en premier lieu, il appartient au Tribunal de restituer à cette action sa véritable nature juridique ; qu'en effet, bien que M. ait assigné l'État, représenté par le Ministre d'État, il est certain que le demandeur qui invoque à son bénéfice l'application de l'article 1231, alinéa 5, du Code civil a entendu diriger juridiquement son action contre le professeur d'éducation physique sous la surveillance de qui l'accident s'est produit, présumé responsable sur le fondement de cet article et ne met nullement en cause le fonctionnement du service public comme semble le croire l'État lorsqu'il cite l'arrêt Matthy-Sens ; que l'action introduite par M. est en réalité exclusivement fondée sur des principes de droit privé et non sur des principes de droit public, devant être considéré que l'État accepte de garantir la responsabilité du professeur non présent aux débats mais dont cette absence ne peut avoir pour effet de modifier le fondement juridique de l'action ;

Attendu que l'article 1231 alinéa 5, du Code civil déclare les instituteurs responsables du dommage causé par les élèves pendant le temps qu'ils sont sous leur surveillance à moins qu'ils ne prouvent qu'ils n'ont pu empêcher le fait qui donne lieu à cette responsabilité ; que dans le cas de l'espèce, cette responsabilité doit être appréciée en analysant le comportement du sieur G., professeur d'éducation physique, sous la surveillance de qui s'est produit l'accident ;

Attendu que le rapport établi, le 29 mai 1974, parce professeur mentionne que le mineur E. M. a reçu un ballon dans la face pendant la séance d'éducation physique qui se déroulait dans la cour du Lycée au moment où les élèves participaient aux jeux pré-sportifs (football, adresse, contrôle) ;

Attendu que de ce rapport ne résulte pas la preuve qui incombe au défendeur, que G. n'a pu empêcher le fait dommageable ; qu'en conséquence, la présomption de responsabilité devant s'appliquer en l'espèce, G. est, au sens de l'article 1231, alinéa 5, responsable de cet accident, et l'État doit par voie de conséquence, compte tenu de la position qu'il a adoptée en acceptant de se substituer au sieur G., garantir la responsabilité de ce dernier ;

Attendu que la responsabilité de G. et partant, de l'État, ayant été établie, il y a lieu d'examiner le moyen tiré par l'État de la spécificité du contrat d'assurances qu'il a souscrit auprès de la compagnie U., non présente aux débats ;

Attendu qu'il résulte de ce contrat que l'État a souscrit une double garantie, l'une dénommée Risque B qui constitue une stipulation pour autrui en faveur de tout élève victime d'un accident et prévoit une réparation forfaitaire, l'autre dénommée Risque A qui a pour objet de garantir l'État contre l'obligation légale qui pèse sur le corps enseignant en vertu de l'article 1231, alinéa 5, du Code civil, responsabilité qui, étant illimitée, entraîne une garantie également illimitée ; que ces deux garanties sont sans relation l'une avec l'autre dans la mesure où le risque B est conçu dans l'intérêt de l'élève alors que le risque A est conçu dans l'intérêt de l'État, le fait qu'une victime profitant de la stipulation pour autrui sur le fondement contractuel perçoive les indemnités forfaitaires qui lui reviennent ne la prive nullement, sur le fondement légal, d'obtenir de l'enseignant ou de l'État lorsqu'il accepte de se substituer à cet enseignant, la réparation intégrale de son préjudice ; qu'en l'espèce, il peut être d'autant moins soutenu que M. a renoncé à se prévaloir de la garantie du risque A que dans sa correspondance avec l'État, le demandeur a toujours expressément réservé ses droits et actions à l'encontre de tous responsables et que la quittance qu'il a délivrée à la compagnie d'assurances, non présente aux débats, est limitée aux « frais acceptés à ce jour » ;

Attendu en conséquence que le moyen d'irrecevabilité que l'État croit pouvoir tirer du contrat d'assurances ne peut qu'être rejeté, un tel contrat étant bien incapable de priver une partie du droit d'actionner un professeur sur le fondement de l'article 1231, alinéa 5 du Code civil ; que, compte tenu de la position adoptée par l'État, ainsi qu'il a été dit plus haut, celui-ci garantissant la responsabilité du professeur, la garantie prévue au risque A du contrat d'assurances doit s'appliquer ;

Attendu sur l'évaluation du préjudice de M., qu'il y a lieu d'ordonner une mesure d'expertise médicale ; qu'il échet toutefois d'allouer au demandeur une provision de 5 000 francs compte tenu des éléments suffisants d'appréciation dont le tribunal dispose et d'ordonner l'exécution provisoire de cet chef, l'urgence tenant au caractère pécuniaire de la dette ;

Attendu que les dépens doivent être mis à la charge de l'État ;

Dispositif🔗

PAR CES MOTIFS :

Le Tribunal,

Accueille le sieur E. M., pris tant en son nom propre qu'en qualité d'administrateur légal des biens de son fils mineur E. M., en son action en responsabilité fondée sur l'article 1231, alinéa 5 du Code civil,

Condamne l'État, représenté par le Ministre d'État et substitué au sieur G., professeur d'éducation physique du mineur E. M., à réparer l'intégralité des conséquences de l'accident dont ce dernier a été victime le 21 mai 1974 alors qu'il se trouvait sous la surveillance de ce professeur,

Désigne en qualité d'expert :

  • le sieur Roubault Henri, demeurant à Nice, 11 bis, rue Massenet,

  • le sieur Ceruti François, demeurant à Nice, 42, avenue Maréchal Foch,

  • le sieur Gharbi Albert, demeurant à Nice, 30, boulevard Gambetta,

ophtalmologistes, avec mission :

  • d'examiner le sieur E. M.,

  • de déterminer la durée de l'incapacité temporaire totale ou partielle,

  • de fixer le taux de l'IPP,

  • de déterminer l'importance du pretium doloris, du préjudice d'agrément et du préjudice esthétique, s'il y a lieu,

Dit que les experts déposeront rapport commun de leurs opérations dans un délai de quatre (4) mois à compter de la date du début desdites opérations d'expertise,

Commet Maître Monique François, Juge au siège, pour suivre lesdites opérations,

Dit qu'en cas d'empêchement du magistrat ainsi commis, il sera procédé à son remplacement par simple Ordonnance,

Condamne l'État représenté par le Ministre d'État à verser au sieur M., ès-qualités, une provision de cinq mille francs (5 000 francs),

Ordonne l'exécution provisoire du présent jugement en ce qui concerne le paiement de cette provision,

Composition🔗

MM. François, prés. ; Picco-Margossian, subst. proc. gén. ; Mes Lorenzi et Marquet, av. déf. ; Nicolai, av. bar. de Nice.

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