Tribunal de première instance, 6 février 1978, M.M. R. G. et G. P c/ M. le Maire

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Abstract🔗

Élections nationales et communales

Conseil National - Contentieux électoral - Qualité pour agir - Seuls les électeurs disposent d'une action en nullité à l'exception du Ministre d'État - Campagne électorale : seule réglementée - Rupture de l'égalité entre candidats (non) - Absence d'un traitement préférentiel - Achat d'un 3e jeu d'enveloppes informatisées par les candidats en dehors de la période de campagne électorale

Résumé🔗

Aux termes de l'article 52 de la loi n° 839 du 23 février 1968 « tout électeur a le droit d'arguer de nullité les élections auprès du tribunal de première instance » ; en conséquence seuls ont qualité pour déposer une réclamation, sous réserve du droit reconnu au Ministre d'État, les électeurs tels que définis à l'article 1er de la loi susvisée, à l'exclusion de toute autre personne physique ou morale ; il s'ensuit que la requête en réclamation n'est recevable que dans la mesure où elle est présentée par les candidats, ceux-ci étant nécessairement électeurs (article 13 de la loi n° 839), et doit être déclarée irrecevable à l'égard du parti politique (1).

La loi n° 839 (section III, chapitre III « De la campagne électorale ») n'édicte une réglementation, au demeurant limitée, que pour la période débutant le lendemain du jour fixé pour le dépôt des candidatures et se terminant, au plus tard, à zéro heure, le jour du scrutin, et ne comporte aucune réglementation pour la période antérieure à cette campagne (2).

L'article 33 de cette loi a pour objet de permettre à tout candidat à une élection communale ou nationale d'obtenir, à titre gratuit, un minimum de moyens pour mener à bien sa campagne électorale, ces moyens consistant, d'une part, en la remise d'une copie de la liste électorale et de deux jeux d'enveloppes portant l'adresse de chaque électeur inscrit, et, d'autre part, pour le candidat ayant obtenu 5 % au moins des suffrages exprimés, en la remise d'une indemnité représentant le remboursement forfaitaire des frais de campagne électorale.

Or, les contestants ne soutiennent pas que les candidats de la liste d'Union Nationale et Démocratique aient bénéficié lors du dépôt de leur liste, de la remise à titre gratuit, d'un troisième jeu d'enveloppes et aient bénéficié d'un traitement préférentiel de nature à rompre l'égalité entre les candidats.

D'autre part, ils ne rapportent pas la preuve, dont ils ont la charge, du caractère frauduleux qu'ils imputent à l'achat d'un jeu d'enveloppes informatisées par les candidats de la liste susvisée, achat dont il est admis qu'il est intervenu avant l'ouverture de la campagne électorale, devant être relevé qu'aucune disposition de la loi n° 839 n'interdit à quiconque d'acquérir à ses frais, un tel jeu d'enveloppes, et rappelé que les principes généraux du droit monégasque, fondé sur le concept de la liberté, posent la règle que ce que la loi n'interdit pas est, par là même, permis (3).


Motifs🔗

Le Tribunal

A) Sur la recevabilité :

Attendu que la réclamation susvisée est présentée « au nom du Parti Socialiste Monégasque » et de ses candidats aux élections du Conseil National du 15 janvier 1978, M. R. G. et « moi-même » (M. G. P.) ;

Attendu qu'aux termes de l'article 52 de la loi n° 839 du 23 février 1968 « tout électeur a le droit d'arguer de nullité les élections auprès du Tribunal de Première Instance » ;

Attendu en conséquence que seuls ont qualité pour déposer une réclamation, sous réserve du droit reconnu au Ministre d'État, les électeurs tels que définis à l'article 1er de la loi n° 839 susvisée, à l'exclusion de toute autre personne, physique ou morale ; qu'en conséquence cette requête n'est recevable que dans la mesure où elle est présentée par M.M. G. et P., qui, ayant été candidats sont nécessairement électeurs (article 13 de la loi n° 839 susvisée) et doit être déclarée irrecevable pour le surplus ;

B) Sur le fond :

I. - Sur le premier moyen :

Attendu qu'il est fait grief, aux candidats de la liste d'Union Nationale et Démocratique d'avoir adressé, le 24 décembre 1977 à tous les Monégasques, du matériel de propagande contenu dans une enveloppe informatisée, identique à celles qui composent le jeu qui, aux termes de l'article 33 de la loi n° 839 du 23 février 1968, doit être remis en double exemplaire, sans frais, par l'autorité municipale, à chaque candidat ou liste de candidats, au moment du dépôt de la déclaration écrite de candidature, ce jeu supplémentaire étant frauduleux dans la mesure où la liste susvisée ne pouvait se prévaloir des possibilités offertes par l'article 6 alinéa 7 de ladite loi qui dispose : « la liste électorale et les tableaux de révision annuelle doivent être communiqués à tout requérant de nationalité monégasque, qui peut en prendre copie », et où seul l'organisme d'informatique qui a établi les jeux d'enveloppes officiels était en mesure de produire un jeu d'enveloppes identiques en tout point au jeu d'enveloppes officiel, ce qui constitue une impossibilité matérielle ;

Attendu que la loi n° 839, section III du chapitre III « de la campagne électorale », n'édicte une réglementation, au demeurant limitée, que pour la période débutant le lendemain du jour fixé pour le dépôt des candidatures et se terminant, au plus tard, à zéro heure, le jour du scrutin, et ne comporte aucune réglementation pour la période antérieure à cette campagne ;

Attendu que l'article 33 a pour objet de permettre à tout candidat à une élection communale ou nationale d'obtenir, à titre gratuit, un minimum de moyens pour mener à bien sa campagne électorale, ces moyens consistant, d'une part, en la remise d'une copie de la liste électorale et de deux jeux d'enveloppes portant l'adresse de chaque électeur inscrit, et, d'autre part, pour le candidat ayant obtenu 5 % au moins des suffrages exprimés, en la remise d'une indemnité représentant le remboursement forfaitaire des frais de campagne électorale ;

Attendu que les contestants ne soutiennent pas que les candidats de la liste d'Union Nationale et Démocratique aient bénéficié, lors du dépôt de leur liste, de la remise, à titre gratuit, d'un troisième jeu d'enveloppes et aient bénéficié d'un traitement préférentiel de nature à rompre l'égalité entre les candidats ;

Attendu d'autre part que les contestants ne rapportent pas la preuve, dont ils ont la charge, du caractère frauduleux qu'ils imputent à l'achat d'un jeu d'enveloppes informatisées par les candidats de la liste susvisée, achat dont il est admis qu'il est intervenu avant l'ouverture de la campagne électorale, devant être relevé qu'aucune disposition de la loi n° 839 n'interdit à quiconque d'acquérir, à ses frais, un tel jeu d'enveloppes, et rappelé que les principes généraux du droit monégasque, fondé sur le concept de la liberté, posent la règle que ce que la loi n'interdit pas est, par là même, permis ;

D'où il suit que ce premier moyen doit être rejeté ;

II. - Sur le second moyen :

Attendu que les contestants font grief à M. M. B., candidat de la liste d'Union Nationale et Démocratique d'avoir obtenu, dès le 15 décembre 1977, du Maire de Monaco et en faveur de cette liste, la salle du Hall du Centenaire pour les vendredi 13 et 20 janvier, permettant ainsi à la liste majoritaire de réunir les Monégasques après les listes d'opposition ce qui avait pour conséquence que les différentes listes n'étaient pas dans des conditions de lutte objectivement égales, alors que l'article 17 de la Constitution édicte que les Monégasques sont égaux devant la loi et qu'il n'y a pas entre eux de privilèges ;

Attendu cependant que la salle dite « Hall du Centenaire » n'a aucun caractère officiel et qu'il n'est pas contesté qu'il existe, à Monaco, d'autres salles qui auraient pu être mises à la disposition des réclamants, par l'autorité municipale, en sorte que rien n'interdisait à ceux-ci de tenir, dans le même temps et à la même heure, leur propre réunion, la loi n° 839 n'imposant nullement que les réunions des diverses listes soient tenues à des jours différents ; d'où il suit que ce moyen doit être rejeté ;

III. - Sur le troisième moyen :

Attendu que les réclamants indiquent qu'en dépit de nombreuses protestations, l'autorité municipale a refusé de mettre à la disposition des listes, un emplacement spécialement réservé, pour déposer les différents bulletins de vote en contradiction avec l'article 39 de la loi n° 839, ce qui a eu pour effet une sollicitation des électeurs par les candidats ou leurs mandants, peu compatible avec la sérénité qui est de mise lors d'un scrutin ;

Attendu que tel qu'il est exposé, ce moyen n'est pas de nature à faire grief, car, outre le fait qu'ils n'apportent aucune preuve quant à la réalité de leurs protestations, les réclamants se bornent à faire état du manque de sérénité, qui aurait dû être de mise lors du scrutin, sans en tirer de conséquence quant à la régularité dudit scrutin et sans établir ni offrir d'établir que les opérations électorales aient pu être affectées par une quelconque fraude ; d'où il suit que ce moyen doit être rejeté ;

IV. - Sur le quatrième moyen :

Attendu que ce moyen est présenté au nom du Parti Socialiste Monégasque ; qu'il est, à ce titre, irrecevable, mais qu'il doit être considéré qu'il figure dans la réclamation signée par les sieurs G. et P., lesquels ont incontestablement qualité pour agir ; qu'il doit, dès lors, être examiné ;

Attendu que ce moyen est fondé sur le non-respect de l'article 44 de la loi n° 839, car de nombreux électeurs et électrices n'ont pas mis eux-mêmes leur enveloppe dans l'urne, une photographie extraite du journal Nice Matin du 16 janvier 1978, montrant qu'une électrice remet son enveloppe à M. J. N., maire intérimaire ; que d'autre part, lorsque des électeurs étaient atteints d'infirmités certaines et dans l'impossibilité d'introduire eux-mêmes l'enveloppe dans l'urne, celle-ci était introduite par une personne autre que celle prévue par le second alinéa de l'article 44 ;

Attendu cependant que tel qu'il est exposé, ce moyen n'est pas de nature à faire grief, car il se borne à faire état d'une inobservation de l'article 44 susvisé, sans en tirer aucune conséquence quant à la régularité du scrutin et sans établir ni offrir d'établir, que les opérations électorales aient pu être affectées par une quelconque fraude en la circonstance ; qu'il suit que ce moyen doit être rejeté ;

V. - Sur le cinquième moyen :

Attendu que les contestants soutiennent que la découverte d'une enveloppe non conforme par M. le Maire, enveloppe comptée pour nulle, est à la base d'une fraude connue sous le nom de « pompe », dans la mesure où elle permet de faire sortir du bureau de vote une enveloppe réglementaire permettant de faire voter en faveur d'une liste, un électeur, de façon certaine, cet électeur pouvant le plus normalement du monde, sortir une autre enveloppe réglementaire et ainsi de suite ; que les contestants précisent que leurs moyens sont étayés par les faits suivants :

  • 1. L'enveloppe nulle dont s'agit n'est pas une enveloppe ordinaire du commerce mais une enveloppe maquillée de telle sorte qu'elle présentait une apparence d'identité avec les enveloppes spéciales conformes, ce qui exclut tout risque d'erreur mais démontre la volonté de fraude ;

  • 2. Les résultats du scrutin au niveau des bulletins non panachés est (sic) manifestement anormal, dans la mesure où la liste d'Union Nationale et Démocratique avait obtenu 116 bulletins non panachés de plus que lors du scrutin de 1973, alors que le nombre des nouveaux électeurs inscrits, par hypothèse assez jeunes, a été de 249, en sorte que tout s'était passé comme si ces électeurs avaient voté dans leur majorité pour cette liste, sans panachage ;

Attendu que la fraude ne se présume pas mais doit être prouvée par celui qui l'allègue ;

Attendu qu'en l'espèce, la découverte d'une enveloppe non conforme ne peut, à elle seule, permettre d'établir que la fraude, connue sous le nom de « la pompe », a été utilisée lors du scrutin du 15 janvier 1978 ;

Attendu en effet qu'aucune preuve n'établit que cette enveloppe ait été déposée dans l'urne à l'instigation d'un ou plusieurs candidats de la liste élue, hypothèse que les contestants, bien qu'ils s'en soient défendus lors de leurs observations orales, formulent implicitement mais nécessairement, dans la mesure où ils entendent étayer leurs soupçons par l'analyse du scrutin et notamment par le décompte des bulletins non panachés, favorables aux membres de cette liste, en une matière où le scrutin ne fait cependant aux élus eux-mêmes que de demi-confidences, l'hypothèse inverse pouvant tout aussi valablement être soutenue, selon laquelle cette enveloppe aurait été mise dans l'urne par un électeur non favorable à cette liste, mais désireux, au cas où les membres de celle-ci seraient élus, de faire peser une suspicion artificielle sur les conditions dans lesquelles les opérations électorales s'étaient déroulées ;

Attendu que les réclamants n'établissent pas la preuve de la fraude qu'ils allèguent ; d'où il suit que ce moyen doit être rejeté ;

Dispositif🔗

PAR CES MOTIFS,

Le Tribunal,

Déclare recevable la contestation déposée le 17 janvier 1978, dans la mesure seulement où elle a été présentée au nom de M.M. R. G. et G. P. ;

La déclare irrecevable pour le surplus ;

Rejette ladite contestation ;

Dit n'y avoir lieu à statuer sur les dépens, par application de l'article 82 de la loi n° 839 du 23 février 1968.

Composition🔗

MM. François prés. ; Zambeaux proc. Gén.

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