Tribunal de première instance, 3 février 1977, Dame A. c/ dame D. Vve V.
Abstract🔗
Procédure civile
Mise en état - Pouvoirs du Tribunal - Conclusions tardives - Irrecevabilité
Action en Justice
Fondement juridique - Indication par la partie - Nécessité (oui)
Résumé🔗
Il résulte des dispositions du Code de procédure civile que c'est au Tribunal qu'il appartient de décider, après consultation des avocats-défenseurs sur ce point, s'il y a lieu ou non à échange de conclusions ou à dépôt de conclusions additionnelles responsives ou ampliatives, de même qu'il lui appartient de fixer les délais dans lesquels ces écritures doivent être déposées ; le Tribunal est donc juge de la mise en état de la procédure et dispose, pour faire respecter les délais qu'il a impartis, d'une sanction consistant dans le rejet des conclusions tardives ou à plus forte raison des conclusions non ordonnées par lui.
Si le Tribunal est juge de la mise en état de la procédure, il n'a pas à assurer la mise en état au regard des moyens de droit qui doivent nécessairement assurer le fondement juridique de toute action en justice.
Motifs🔗
Le Tribunal
Attendu que suivant acte Rey, notaire à Monaco, du 25 juillet 1974, dame L. F. épouse A. a acquis du sieur V., le rez-de-chaussée et le premier étage d'un immeuble connu sous le nom de villa A., . ainsi que diverses dépendances ;
Attendu que par l'exploit susvisé, dame A. a assigné dame D. veuve du sieur V., décédé entre temps, aux fins, après avoir entendu constater que dame D. lui avait vendu la villa sans l'informer de la menace d'expropriation qui la frappait, cette situation, éminemment préjudiciable, ayant altéré le prix de la vente et justifiant l'action en réduction de ce prix, de s'entendre condamner à lui rembourser la moins-value subie par la villa du fait de cette expropriation, et, préalablement à la détermination de cette moins-value, entendre désigner un expert chargé d'évaluer cette dernière ;
Attendu que par conclusions déposées le 4 novembre 1976, dame D. sollicite le déboutement de dame A. et forme une demande reconventionnelle en paiement de 50 000 francs à titre de dommages-intérêts pour sanctionner la procédure qu'elle qualifie de manifestement abusive et vexatoire ;
Attendu que l'affaire a été fixée au 13 janvier 1977 pour plaidoirie et que le 5 janvier 1977, dame A. a fait signifier à dame D., suivant exploit Escaut-Marquet, des conclusions qu'elle avait établies le 4 janvier 1977, ainsi qu'un certain nombre de pièces communiquées ; que par conclusions du 7 janvier 1977, dame D. demande que le Tribunal rejette ces conclusions en application de l'article 181 alinéa 1er du Code de procédure civile ;
1° / sur l'incident relatif aux conclusions signifiées le 5 janvier 1977 :
Attendu qu'aux termes de l'article 177 du Code de procédure civile, lorsque l'instruction de l'affaire paraîtra l'exiger, le Tribunal ordonnera que les parties se communiqueront réciproquement avant les plaidoiries, dans un délai qu'il fixera pour l'une et pour l'autre, des écritures préparatoires et des conclusions motivées... ainsi que les pièces dont elles entendront faire usage ;
Attendu qu'aux termes de l'article 178, le Tribunal pourra même, si la cause présente des difficultés ou des complications exceptionnelles, prescrire la production et la communication, dans un délai déterminé, d'écritures additionnelles... destinées à répondre aux conclusions motivées et à les compléter ;
Attendu qu'aux termes de l'article 181, le Tribunal rejettera toutes conclusions ou écritures qui n'auraient pas été communiquées dans les délais par lui fixés ;
Attendu qu'il résulte des termes figurant dans ces articles : le Tribunal « ordonnera » (article 177) et « pourra prescrire » (article 178), ainsi que « dans un délai qu'il fixera » (article 177) et « dans un délai déterminé » (article 178) que c'est au Tribunal qu'il appartient de décider, après consultation des avocats-défenseurs sur ce point, s'il y a lieu ou non à échange de conclusions, ou à dépôt de conclusions additionnelles responsives ou ampliatives, de même qu'il lui appartient de fixer les délais dans lesquels ces écritures doivent être déposées ; que le Tribunal est donc juge de la mise en état de la procédure, et dispose, aux termes de l'article 181, pour faire respecter les délais qu'il a impartis, d'une sanction consistant dans le rejet des conclusions tardives, et, à plus forte raison des conclusions non ordonnées ou prescrites par lui ;
Attendu que la disposition instaurée par l'article 180, qui prévoit que les avocats-défenseurs seront tenus de déposer au greffe vingt-quatre heures au moins avant l'audience fixée pour les plaidoiries, une copie des conclusions motivées, signée d'eux, qui sera immédiatement transmise au président, n'est qu'une mesure d'ordre interne, car, d'une part, cette disposition ne concerne qu'une copie des conclusions dont l'original doit, aux termes de l'article 175, être signé et remis au président, avant les plaidoiries lesquelles doivent suivre immédiatement (article 176) et, d'autre part, elle n'est assortie, comme seule sanction que de la faculté pour le Tribunal de renvoyer la cause à une autre audience ;
Attendu qu'il résulte des dispositions du Code de procédure civile ci-dessus rappelées que, lorsque les parties ont échangé leurs conclusions et communiqué leurs pièces, qu'aucune d'entre elles ne demande plus à conclure ou à communiquer à nouveau et que, la mise en état de l'affaire étant dès lors terminée, une date a été fixée pour l'audience des plaidoiries, après consultation des avocats-défenseurs et avocats de la cause, aucunes conclusions ou communications nouvelles, hors le cas où celles-ci ne feraient pas grief aux intérêts de la partie adverse, ne peuvent être déposées ou intervenir à l'initiative d'une partie, de telles conclusions ou communications étant irrecevables par application de l'article 181 susvisé ;
Attendu en effet que le respect des droits des parties, droits au premier rang desquels figure celui d'être jugé dans les plus brefs délais, interdit qu'un plaideur désireux de retarder d'une manière abusive ou même artificielle le jugement d'une affaire, puisse, par le biais de conclusions qu'il dépose ou de pièces qu'il communique de sa propre initiative, imposer à la partie adverse, contrainte de prendre connaissance de ces pièces et conclusions, et éventuellement d'y répondre, de demander le renvoi de l'audience de plaidoirie, et puisse ainsi provoquer dans le cours de la justice un retard inadmissible ;
Attendu qu'un tempérament doit toutefois être apporté à cette règle dans la mesure où ces communications ou conclusions nouvelles ne soulèvent aucune objection de la part de l'avocat-défenseur de la partie qui les reçoit, car celui-ci peut couvrir une irrecevabilité qui n'a été conçue qu'à seule fin d'assurer la protection des droits de sa partie et qui, n'étant pas d'ordre public, ne peut être soulevée d'office par le Tribunal ; qu'en revanche, lorsque cet avocat-défenseur entend se prévaloir de cette irrecevabilité, le Tribunal ne peut qu'appliquer la sanction édictée par l'article 181 ;
Attendu qu'en l'espèce, dame A. n'ayant pas demandé à conclure à nouveau le 4 novembre 1976, et l'affaire ayant été définitivement fixée pour plaider le 13 janvier 1977, les conclusions signifiées le 5 janvier 1977 doivent être déclarées irrecevables ainsi que cela est demandé par dame D. ;
2° / sur la demande de dame A. :
Attendu que l'assignation susvisée, dans laquelle la situation de fait est clairement exposée, ne précise à aucun moment le fondement juridique de l'action intentée ; qu'en effet la formule utilisée dans cette assignation « que sans même avoir besoin de rappeler les règles qui doivent présider à l'élaboration des conventions et aux indications qui doivent être fournies par celui qui vend un bien pour informer, sans réticence, l'acheteur de tout ce qui peut altérer ledit bien ou en amoindrir la valeur » ne peut être considérée, compte tenu de sa généralité et de son imprécision, comme constituant un tel fondement, alors surtout que les termes « risque » « célé » « autre servitude » ou « exonérer sa responsabilité » qui sont également utilisés par la demanderesse n'ajoutent aucune précision et ne peuvent apporter aucune lumière sur les moyens de droit invoqués à l'appui de la demande ;
Attendu d'autre part que la simple allégation d'un préjudice ne peut constituer le fondement juridique d'une demande en justice, car notre droit admet, dans bien des hypothèses, que ce préjudice demeure à la charge de la personne qui l'a subi ; que tel est le cas, par exemple, en matière contractuelle, sur le fondement juridique du vice du consentement, lorsque la lésion a été inférieure aux 7/12e, la violence n'a consisté que dans une crainte révérentielle, l'erreur n'a pas concerné la substance même de la chose, le dol n'a été qu'un dolus bonus, ou, sur le fondement de la garantie du vice caché, lorsque la chose n'est pas devenue impropre à l'usage à laquelle on la destinait ou que cet usage n'a pas été suffisamment diminué, ou encore en matière délictuelle, lorsque le préjudice a été la conséquence d'un fait non fautif, ou également en matière de présomption de responsabilité lorsqu'il y a eu cas fortuit ou de force majeure ;
Attendu que la dame A. avait donc l'obligation, comme tout demandeur en justice, de tirer, au plan du droit, les conséquences de la situation de fait qu'elle a exposée et de justifier le fondement juridique de son action, que celui-ci résulte des principes généraux du droit, de textes législatifs ou réglementaires, ou de la jurisprudence ;
Attendu que, l'action en justice présupposant nécessairement l'existence d'un droit légitimement protégé, une partie ne peut se contenter d'exposer dans ses écrits judiciaires la situation de fait sur laquelle elle fonde sa demande pour laisser ensuite au Tribunal le soin de rechercher la règle de droit laquelle, s'appliquant de la manière la plus adéquate à cette situation de fait, lui permettra d'obtenir gain de cause ;
Attendu en effet que le Tribunal, tenu par la règle de la neutralité du juge, n'a pas à s'immiscer dans l'instruction, au plan du droit, du procès, et que s'il lui est loisible de suppléer les moyens de droit, il n'a pas à édifier, proprio motu et de toutes pièces, une argumentation juridique que cette partie n'aurait même pas pris la peine d'esquisser et que le défendeur serait hors d'état de discuter, faute d'en avoir connu, au moins, les lignes générales ; que tel est d'ailleurs le cas de l'espèce puisque dame D. a axé sa défense sur l'unique moyen tiré de la garantie du vendeur (articles 1467 et suivants du Code Civil) alors que celle-ci n'a été invoquée ni dans l'assignation ni dans la plaidoirie, l'inadéquation de ce moyen soulevé en défense étant la conséquence directe de l'absence de toute motivation juridique dans l'assignation ;
Attendu en résumé que si le Tribunal est juge de la mise en état de la procédure, dans les conditions ci-dessus rappelées, il n'a pas à assurer la mise en état au regard des moyens de droit qui doivent nécessairement assurer le fondement juridique de toute action en justice ; qu'il suit de là que dame A. doit être déboutée ;
3° / sur la demande reconventionnelle en dommages-intérêts de dame D. :
Attendu que cette demande est fondée sur l'article 1229 du Code civil, et repose sur la faute que dame Veuve D. impute à dame A. qui a diligenté une procédure qu'elle estime abusive, vexatoire et malicieuse, car elle n'a pu se méprendre sur l'étendue et la portée de ses droits ;
Attendu qu'en méconnaissant les principes ci-dessus rappelés qui imposent à tout demandeur en justice de donner à son action un fondement juridique précis, dame A. a, par là même, intenté une action abusive, et a commis une faute dont elle doit réparation à dame Veuve D. ; qu'en ce qui concerne l'évaluation du préjudice, le Tribunal a des éléments suffisants d'appréciation pour fixer à 5 000 francs les dommages-intérêts à allouer à cette demanderesse reconventionnelle ;
Attendu que les dépens suivent la succombance ;
Dispositif🔗
PAR CES MOTIFS,
Le Tribunal,
Déclare irrecevables les conclusions et communications de pièces signifiées le 5 janvier 1977 par dame F. épouse A. ;
Déboute dame F. épouse A., en l'état, de ses demandes, fins et conclusions ;
Faisant droit à la demande reconventionnelle de dame Veuve D., condamne dame F. épouse A. à lui payer la somme de cinq mille francs (5 000 francs) à titre de dommages-intérêts ;
Condamne dame F. épouse A. aux dépens distraits à Maître Sanita, avocat-défenseur, sous sa due affirmation ;
Composition🔗
M. François pr., Mme Margossian subst. gén., MMe Marquilly, Sanita av. déf., Benarrosh et Léandri (tous deux du barreau de Nice) av.