Tribunal de première instance, 16 décembre 1976, B. c/ S. C. I. Monégasque Congo et P.
Abstract🔗
Garantie
Vente - Garantie d'éviction - Conditions
Vente
Contrat synallagmatique - Livraison de la chose - Paiement du prix - Paiement anticipé - Conséquence juridique (non)
Résumé🔗
La garantie d'éviction suppose nécessairement un événement postérieur à la vente et doit s'entendre de toute dépossession subie soit par suite d'une action en revendication ou en rescision exercée par un tiers, soit par l'effet de droits d'hypothèque, d'usage ou de servitudes que les tiers auraient sur la chose, si ceux-ci n'ont pas été déclarés lors de la vente.
Aux termes de l'article 989 du Code Civil, les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites ; à partir du moment où a été signé le contrat, les engagements synallagmatiques des parties ont été définis avec précision, livraison de la chose et paiement du prix convenu ; la circonstance que ce prix a été payé avant la date prévue est sans conséquence juridique puisque ce paiement a été volontaire.
Motifs🔗
Le Tribunal
Attendu que suivant acte authentique établi le 21 avril 1975 par Maître Crovetto, Notaire à Monaco, les sieurs M. et S. P., agissant en leur qualité de cogérants statutaires de la Société Civile Particulière, dénommée « Société Immobilière Monégasque Congo » (ci dessous « Congo » ), ont vendu, au prix de 160 000 francs au sieur B., époux de la dame M. avec qui il s'est marié sous le régime de la communauté de biens réduite aux acquêts, l'acquéreur déclarant acheter pour le compte de la susdite communauté de biens, un appartement situé au troisième étage, dépendant d'un immeuble sis ., ledit appartement comprenant un hall, une grande pièce formant living-room, une cuisine et une salle de bains, tel que ledit appartement était figuré en un plan qui est demeuré annexé à un acte reçu par Maître Settimo, notaire prédécesseur médiat de Maître Crovetto, le 4 juin 1951 ; que cet acte précisait, au titre des parties communes, que l'acquisition portait également sur « la part afférente aux parties divises d'immeubles ci-dessus désignées dans la copropriété de la généralité des choses communes de l'entier immeuble dont dépendent les parties présentement vendues et dans la copropriété de la parcelle de terrain sur laquelle il est construit... » « cette partie s'élevant à 28/156e pour la totalité du troisième étage et pour l'appartement présentement vendu, qui ne forme qu'une partie de cet étage, la proportion sera de 10,5/156e » ; qu'enfin, l'acquéreur s'engageait à « prendre les parties d'immeubles présentement vendues telles et en l'état où elles se trouvent actuellement, sans pouvoir exercer aucun recours ni réclamer aucune diminution du prix ci-dessus stipulé pour quelque cause que ce soit, reconnaissant les avoir vues et visitées à sa convenance en vue des présentes » ;
Attendu que par l'exploit susvisé, B. a assigné la Société Congo et, en tant que de besoin conjointement et solidairement entre eux et solidairement avec ladite Société, M. et S. P., aux fins d'obtenir paiement de dommages-intérêts, lesquels sont, en l'état de ces dernières conclusions, chiffrés, d'une part, à la somme de 43 750 francs à titre d'indemnité pour l'éviction dont il a été victime (indemnité contractuelle) et, d'autre part, à celle de 10 000 francs à titre d'indemnité délictuelle (différente et indépendante de l'indemnité contractuelle) ;
Attendu en fait que B. reproche à Congo de lui avoir vendu un appartement dont la superficie approximative était évaluée à 80 mètres carrés, et qui, au vu d'un état descriptif des lieux établi le 24 février 1975 par le sieur M. R. architecte, accusait une superficie de 79,25 mètres carrés, alors qu'en réalité cette superficie exacte était de 60,54 mètres carrés, cet architecte ayant erronément fait figurer dans cet état descriptif une chambre de 18,71 m2 qui faisait partie de l'appartement voisin ; que B. s'estime dès lors fondé à rechercher la responsabilité de ses vendeurs et à obtenir paiement de dommages-intérêts destinés à compenser le préjudice qu'il a ainsi éprouvé ; qu'il s'appuie sur plusieurs moyens de droit, lesquels vont être examinés ci-dessous, alors que les défendeurs, concluent à son déboutement ;
1/ Sur les moyens tirés de la garantie d'éviction :
Attendu que B. rappelle que le vendeur est tenu de délivrer la chose telle qu'elle est portée au contrat, et que ce vendeur est obligé, de droit, de le garantir de l'éviction qu'il souffre dans la totalité ou la partie de l'objet vendu ; qu'en l'espèce la grande pièce formant living-room ne se présentait plus comme indiquée dans les « parties privatives », une pièce à usage de chambre ayant été distraite du living ainsi qu'un couloir créé pour donner accès à la chambre créée et au surplus du living, et qu'il est ainsi établi que la description de l'appartement figurant dans le contrat de vente n'était déjà plus conforme à la réalité ; que l'état descriptif dressé par R. a été établi à la requête des frères P. et ne peut être dissocié du contrat de vente établi le 21 avril 1975 avec lequel il fait corps ;
Attendu cependant qu'il ne saurait être fait grief à la Société Congo de ne pas avoir délivré la chose vendue, puisque celle-ci, telle qu'elle a été désignée dans l'acte, savoir un hall, une grande pièce formant living-room, une cuisine et une salle de bains ledit appartement figurant sur un plan annexé à l'acte et représentant 10,5/156° de l'immeuble sans qu'aucune référence ait été faite à l'état descriptif du 24 février 1975, a été effectivement livrée au demandeur et que la Société Congo a ainsi parfaitement rempli l'obligation mise à sa charge par le contrat la liant au demandeur, la circonstance qu'une cloison mobile ait divisé le living-room en deux pièces étant sans portée en la cause, puisque B. reconnaissait dans ce contrat avoir vu et visité les lieux à sa convenance en vue de la vente ; que le moyen fondé sur l'article 1458 du Code Civil doit donc être rejeté ;
Attendu d'autre part, en ce qui concerne la garantie d'éviction, que celle-ci suppose nécessairement un événement postérieur à la vente, et doit s'entendre de toute dépossession subie, soit par suite d'une action en revendication ou en rescision exercée par un tiers, soit par l'effet d'une expropriation pour cause d'utilité publique, soit par l'effet de droits d'hypothèques, d'usage ou de servitudes que les tiers auraient sur la chose, si celles-ci n'ont pas été déclarées lors de la vente ; que B. n'invoque aucun événement de cette nature et que, dès lors, le moyen fondé sur l'article 1468 du Code Civil doit être rejeté ;
2/ Sur le moyen fondé sur les articles 1229 et 1231 :
Attendu que B. reproche à la Société Congo d'avoir commis une tromperie, laquelle, à la base, a vicié le contrat réalisé, par son affirmation erronée quant à la superficie réelle de l'appartement vendu, affirmation confirmée par l'état descriptif établi par R., qu'il qualifie de « au demeurant apocryphe » ;
Attendu cependant que les articles 1229 et suivants du Code Civil sont sans application lorsqu'il s'agit d'une faute commise dans l'exécution d'une obligation résultant d'un contrat, celui-ci devant être garanti contre le danger « d'absorption » par les principes vastes et ductiles de la responsabilité délictuelle ;
Attendu dès lors que le moyen tiré des articles 1229 et suivants doit être rejeté, le vice du consentement auquel B. fait allusion ne pouvant être examiné sur ce fondement juridique ;
3/ Sur le moyen fondé sur la novation :
Attendu que B. indique qu'il a, sur la demande expresse des frères P., autorisé le notaire dépositaire du prix, à leur remettre ce dernier, avant l'accomplissement des formalités hypothécaires ; qu'ainsi, il perdait ses droits jusqu'au jour où le notaire pouvait le libérer après transcription du contrat de vente et sur justification d'un état négatif de transcription ; que ce faisant, il s'est opéré, dès le 10 avril 1975, une novation du prix (article 1119 du Code Civil), ce prix devenant une créance ; qu'ainsi, abusé par les vendeurs et ayant donné au notaire l'autorisation de se libérer du prix il a perdu la possibilité de faire bloquer tout ou partie de ce dernier, lequel a d'ailleurs été immédiatement transféré en Grèce, alors que la Société Congo, avait cessé d'avoir une existence légale, par application de l'article 1703 du Code Civil (extinction de la chose ou consommation de la négociation) ;
Attendu, cependant, que, le principe devant être rappelé qu'aux termes de l'article 989 du Code Civil, les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites, à partir du moment où B. a signé le contrat du 21 avril 1975, les engagements synallagmatiques des parties ont été définis avec précision, la Société Congo devant lui livrer l'appartement acheté et lui-même devant payer le prix convenu ; que la circonstance que ce prix ait été payé avant la date prévue est sans conséquence juridique puisque ce paiement a été volontaire, la décision de B. n'ayant été entachée d'aucun vice démontré et les éléments de la cause permettant au contraire de conclure que celui-ci, ancien notaire parfaitement averti des questions d'achat et vente d'immeubles, et rompu aux plus fines pratiques du droit notarial, a accepté en toute connaissance de cause de verser la somme de 160 000 francs à la date où il l'a payée ; qu'il n'a pu exister aucune novation en l'espèce le versement intervenu constituant l'exécution de l'obligation de paiement figurant dans l'engagement synallagmatique qu'il avait souscrit, et dont la date pouvait être avancée avec son accord, ce qui a été le cas en la circonstance ; que le fait que les fonds ont été transférés en Grèce est inopérante en la cause, de même que le point de savoir si la Société Congo a cessé ou non d'avoir une existence légale ; que les considérations sur les présomptions (page 19 et suivantes) sont oiseuses ; qu'en conséquence le moyen fondé sur la novation doit être rejeté ;
Attendu que la partie qui succombe doit être condamnée aux dépens ;
Dispositif🔗
PAR CES MOTIFS,
Le Tribunal,
Déboute le sieur B. de ses demandes fins et conclusions ;
Composition🔗
M. François pr., Mme Margossian subst. gén., MMe Boéri et Clérissi av. déf.